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A l’occasion du centenaire de la Révolution russe, nous lui consacrons un article dans chaque numéro de notre journal, en suivant la chronologie.

La révolution de Février avait renversé le régime tsariste et débouché sur une situation de « double pouvoir » : d’un côté, un « gouvernement provisoire » représentant la bourgeoisie ; de l’autre, les soviets reposant sur les ouvriers et les soldats. Après la répression des journées de Juillet, la réaction s’enhardit et tenta de liquider la révolution à travers l’offensive du général Kornilov. L’échec de cette tentative réactionnaire ouvrit la voie à la révolution d’Octobre...


Désarmer la révolution ?

Après chaque révolution ouvrière, le premier souci de la classe dirigeante est de désarmer les travailleurs, de façon à restaurer le monopole de sa violence « légitime ». La révolution russe ne fit pas exception. Mais du point de vue de la bourgeoisie russe, la situation était compliquée par le ralliement massif de la garnison de Petrograd à la révolution de février. C’était une situation dangereuse pour le gouvernement provisoire, comme l’avait montré l’attitude révolutionnaire de nombreux régiments pendant les journées de juillet. Depuis le début de la révolution, la bourgeoisie songeait à vider la capitale de sa garnison, trop proche de la population et qui s’était particulièrement rapprochée des bolcheviks après l’échec du putsch de Kornilov, début septembre.

Au début du mois d’octobre, Kerenski, le chef du gouvernement provisoire, se saisit du prétexte de l’avancée allemande sur la Baltique pour ordonner l’envoi au front de la garnison de Petrograd. Cet ordre était inacceptable, à la fois pour les soldats – promis à une longue et douloureuse campagne d’hiver – et pour les ouvriers, qui ne voulaient pas voir partir un tel appui dans la lutte contre le gouvernement.

Soumis aux pressions contradictoires de la rue et du gouvernement, les dirigeants « conciliateurs » (mencheviks et socialistes-révolutionnaires) proposèrent de transiger et de vérifier la réalité de la situation sur le front, avant de trancher cette question. A leur grande surprise, les bolcheviks, majoritaires au soviet de Petrograd, s’empressèrent de saisir cette opportunité et approuvèrent la constitution d’un « Comité Militaire Révolutionnaire » chargé de contrôler la garnison au nom du soviet. L’opération de conciliation était ainsi transformée de facto en un acte insurrectionnel, transmettant au soviet toute autorité sur la garnison. L’enquête sur la situation militaire fut rapide : des délégués du soviet de la flotte de la Baltique arrivés à Petrograd assurèrent que le front n’avait pas besoin de troupes supplémentaires. Par sa manœuvre, Kerenski n’avait pas réussi à éloigner les troupes ; par contre, il les avait rapprochées des bolcheviks. Avant même le déclenchement de l’insurrection, cet événement souligna que le véritable pouvoir était entre les mains des soviets.

Un soutien de masse

Aux troupes révolutionnaires maintenues dans la capitale s’ajoutaient les unités de la Garde rouge. Composée d’ouvriers armés, la Garde rouge était née pendant la révolution de février. Elle avait été désarmée après les journées de Juillet, mais s’était réorganisée suite au coup d’Etat manqué de Kornilov. Le Comité Militaire Révolutionnaire – dirigé par Léon Trotsky – s’était empressé, dès sa création, de lui fournir des armes en quantité. Dans la perspective d’une insurrection, la Garde rouge avait une grande importance politique, car elle était constituée des éléments ouvriers les plus avancés, donc les plus fiables.

Contrairement à une idée répandue par la bourgeoisie et ses historiens, la révolution d’Octobre ne fut pas un putsch ourdi dans l’ombre par une minorité, mais bien un mouvement de masse impliquant la majorité de la population de Petrograd. Le 20 octobre, en réponse à une nouvelle provocation de l’Etat-major, mais aussi pour préparer les travailleurs et les soldats à l’insurrection, le soviet de Petrograd organisa une série de grands meetings regroupant des dizaines de milliers de personnes. Toute la journée, des masses de travailleurs votèrent pour approuver la nécessité de renverser le gouvernement provisoire et transférer le pouvoir au Congrès des soviets, qui devait s’ouvrir sous peu. De la même façon, des meetings furent organisés dans les différentes unités militaires pour les convaincre de se rallier à l’insurrection révolutionnaire, lorsque cela n’était pas encore le cas.

L’insurrection d’Octobre

C’est Kerenski lui-même qui fournit le prétexte du déclenchement de l’insurrection en ordonnant, dans la nuit du 23 octobre, la fermeture de l’imprimerie du parti bolchevik. Immédiatement, le Comité Militaire Révolutionnaire réagit en faisant protéger l’imprimerie par des soldats révolutionnaires et en envoyant des détachements de soldats et de Gardes rouges occuper les points névralgiques de la capitale. Dans la journée du 24 octobre, les révolutionnaires prirent sans coup férir le contrôle de la quasi-totalité de Petrograd, tandis que Kerenski s’enfuyait, déguisé en diplomate américain. Seul le Palais d’hiver, où siégeait le gouvernement provisoire, restait sous son « contrôle », protégé par quelques troupes.

Contrairement aux racontars de la bourgeoisie sur le « putsch » d’une minorité d’aventuriers et de soldats, c’est bien le soutien massif à l’insurrection qui lui donna son caractère relativement pacifique, la majorité de la population de Petrograd étant déjà acquise au pouvoir des soviets.

Le 25 octobre s’ouvrit le Congrès des soviets, qui se trouva directement placé devant la perspective de l’établissement du pouvoir soviétique en Russie. Les 650 délégués en provenance de toute la Russie étaient majoritairement des ouvriers, des paysans et des soldats. 390 délégués étaient des bolcheviks ; de nombreux autres délégués, sans être bolcheviks, soutenaient l’insurrection. Les quelques opposants à l’insurrection désertèrent le Congrès dès qu’ils eurent constaté qu’ils n’y étaient qu’une infime minorité et que leurs appels au respect de la « légalité » restaient sans écho. Espérant une rapide déroute des bolcheviks, ils quittèrent les soviets pour aller rejoindre les généraux de la contre-révolution. Leurs espoirs allaient être déçus.

La « résistance » du Palais d’hiver faisait néanmoins traîner les choses en longueur. C’est la conjugaison des coups de canon à blanc tirés par le croiseur révolutionnaire Aurore, pour effrayer les défenseurs du Palais, et de l’infiltration de Gardes rouges par les portes de derrière, qui aboutit à sa chute dans la nuit du 26 octobre. Les ministres faits prisonniers furent transportés à la forteresse Pierre-et-Paul tandis que des Gardes rouges s’efforçaient d’empêcher le pillage de l’ancien palais impérial.

Devant le Congrès, les orateurs bolcheviks présentèrent l’insurrection en cours comme le seul moyen d’en finir avec les atermoiements des conciliateurs et de transmettre le pouvoir aux véritables représentants du peuple de Russie, les délégués du Congrès. A l’annonce de la prise du palais d’Hiver et du ralliement des détachements envoyés du front par Kerenski, l’enthousiasme du Congrès fut total. Un appel aux ouvriers, aux paysans et aux soldats actant le passage du pouvoir au Congrès des soviets fut approuvé à l’unanimité moins deux voix et douze abstentions. Après une pause d’une journée, le Congrès reprit le lendemain pour traiter des tâches urgentes du nouveau pouvoir : mettre fin à la guerre, donner la terre aux paysans, établir le pouvoir socialiste. Lénine prit alors la parole pour souligner l’importance mondiale de la révolution qui venait de s’accomplir : « Camarades, la révolution des ouvriers et des paysans, dont les bolcheviks n’ont cessé de montrer la nécessité, est réalisée. [..] Ce qui va nous aider dans cette lutte, c’est le mouvement ouvrier mondial qui commence déjà à se développer en Italie, en Angleterre et en Allemagne. […] Nous devons aujourd’hui nous consacrer en Russie à l’édification d’un Etat prolétarien socialiste. Vive la révolution socialiste mondiale ! »

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