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Interview d’Alex, livreur à vélo.


Tu fais de la livraison pour quelle plateforme ?

J’ai intérêt à travailler pour plusieurs plateformes, parce qu’elles ne proposent pas toutes les mêmes horaires. Et avec l’augmentation du nombre de livreurs, il n’y a pas assez de courses pour tout le monde. Hier soir, j’avais un créneau à Stuart, où je m’étais engagé à travailler pendant trois heures, et j’ai eu près d’une heure sans course.

Dans ces cas-là, tu ne gagnes rien ?

Ça dépend. Chez Uber Eats, oui. Chez Stuart, par contre, il y a un « bonus minimum garanti » : quand je m’inscris sur un créneau où il y a peu de courses, ils complètent pour que je puisse avoir au moins 7 euros de l’heure. Deliveroo a changé sa tarification, l’année dernière, et a supprimé les tarifs minimums. Certains livreurs ont perdu 20 à 30 % de leur chiffre d’affaires. Il y a des courses à deux balles, littéralement, alors que chez Stuart c’est minimum 4,50 euros la course.

C’est quoi ta rémunération moyenne ?

Sur un créneau de trois heures chez Frichti, je gagne à peu près 30 euros, mais ce n’est pas fixe. Même quand on pense avoir fait un bon créneau, parfois on ne gagne pas grand-chose. Les algorithmes ne sont pas très transparents. Et puis je suis auto-entrepreneur : c’est à moi de payer mes charges à l’Urssaf, mon vélo, son entretien, le forfait téléphonique, l’assurance de responsabilité civile pro, etc.

On peut en vivre, au final ?

C’est très difficile. Il y a pas mal de gens qui font ça à temps plein, autour de 10 heures par jour, toute la semaine, et qui s’en sortent avec un SMIC à peine. Il n’y a pas de sécurité de l’emploi et pas de rémunération fixe. On ne cotise pas à l’assurance chômage. On n’a pas de congés payés. Quand on est malade, c’est une journée de perdue. Il y a une certaine liberté, mais elle est très relative : les plateformes t’imposent des choses et appliquent des sanctions. Chez Uber, si tu refuses trop de courses, ils te bloquent ton compte ou te donnent moins de travail.

Les sacs et autres équipements, c’est toi qui les payes ?

On est censés acheter le matériel, mais parfois on nous le prête contre une caution. Chez certains, ils t’incitent à l’acheter en te payant un peu plus, et tu le rentabilises après deux semaines. Récemment, ils m’ont filé un gilet avec un logo : ils veulent qu’on le mette. Mais comme on n’est pas leurs salariés, en théorie ils ne peuvent pas nous l’imposer. Pourtant, ils insistent. Sur le papier, il n’y a pas de lien de subordination. Mais dans les faits, il y en a un. Par exemple, des coursiers de Take Eat Easy ont été requalifiés en salariés, l’an dernier, par une décision de justice.

Entre livreurs, vous discutez ?

Oui, surtout quand on attend une tournée dans des centres comme ceux de Frichti ou FoodChéri. De leur côté, les plateformes attisent la concurrence entre livreurs, comme sur Frichti. Tous les jeudis, à 15 h, il faut s’inscrire à des shifts (des tournées) via une application dédiée. Il faut être rapide : en l’espace d’une minute, tout est pris ! Mais si on bosse beaucoup avec eux, on peut monter d’un « niveau » et donc réserver des créneaux à l’avance, avant les autres. Ils essaient de fidéliser les livreurs, pour être sûrs d’avoir toujours assez de main d’œuvre et, à terme, baisser la rémunération. Au début, Deliveroo payait plutôt bien. Mais à présent qu’ils sont bien installés, ils payent moins, car ils savent qu’ils peuvent remplacer les mécontents. C’est « l’armée industrielle de réserve » sous une forme que Marx n’aurait pas imaginée.

C’est un métier difficile ?

Oui, c’est physique et stressant. Ma femme ne veut pas que je fasse ça trop longtemps, elle a peur que je me fasse écraser. Je roule uniquement en banlieue, car dans Paris la circulation est folle et beaucoup de livreurs se mettent en danger. Ils grillent des feux rouges. Ils y sont incités : quand t’es payé à la tâche (au lance-pierre), tu commences à prendre des risques.

Il s’est passé quelque chose pendant la grève de décembre et janvier ?

Non. Beaucoup de livreurs sont très précaires et ne veulent pas perdre de revenus. Ceci dit, on a quand même une certaine conscience de classe. On nous met en concurrence, mais nous sommes aussi des collègues. Et il y a eu des grèves, les années passées, sur la question des rémunérations. En réaction, les plateformes ont identifié les meneurs, les ont virés et ont recruté massivement des gens pour assurer toutes les livraisons. Mais il y a eu des victoires, et il y en aura d’autres.

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