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Uber CGT Taxis

« Uber, c’est l’aboutissement de la logique capitaliste »

Ces dernières années, les taxis se sont mobilisés à plusieurs reprises contre la concurrence déloyale des chauffeurs VTC, qui utilisent des plateformes de type « Uber ». Karim Asnoun, de la CGT Taxis, nous explique quelle est la situation de ce secteur.


Quand et comment a commencé le phénomène des « plateformes » de type Uber ?

Karim Asnoun : En 2007, Sarkozy a commandé un rapport à Jacques Attali, avec comme scribouillard Emmanuel Macron – déjà. Ce rapport demandait – entre autres – une totale dérégulation du secteur des taxis. On nous disait : « vous n’êtes pas assez nombreux ! On va créer 60 000 emplois dans le transport, rien qu’à Paris. L’offre va créer la demande », etc.

Uber CGT Taxis
Karim Asnoun

En juillet 2009, une loi créait le statut des VTC. A l’époque, ils nous les ont vendus comme des « Véhicules de Tourisme avec Chauffeur ». Nous n’étions pas dupes. Mais dans un premier temps, nous ne sommes pas parvenus à faire prendre conscience aux chauffeurs de la gravité de cette loi. Cependant, lorsque ces fameuses plateformes sont arrivées, en 2012-2013, les taxis ont vu se multiplier les VTC. Ils ont découvert que pour travailler pour ces plateformes, il suffisait d’aller sur le site du Ministère du Tourisme, de s’inscrire, de payer 100 euros – et c’est tout.

Les taxis, eux, doivent d’abord suivre une formation de 3 à 6 mois, sanctionnée par un examen. Après quoi soit ils louent, c’est-à-dire deviennent esclave-locataires, soit ils achètent une licence, c’est-à-dire s’endettent pendant au moins 10 ans.

Ainsi, voilà des travailleurs – taxis et VTC – qui font le même métier, mais qui n’ont pas les mêmes contraintes. C’est inacceptable.

On nous a répondu : « mais non, ce n’est pas le même métier ! Les VTC sont commandés par le client via une plateforme ! » D’une part, c’est faux : les VTC prennent aussi des gens qui cherchent un taxi dans la rue, sans réservation. D’autre part, depuis l’après-guerre, 90 % des courses de taxis, en France, font suite à un appel téléphonique ! Et il y a aussi des plateformes. Alors bien sûr, le client doit payer pour s’y abonner.

En réalité, les clients finissent par payer – d’une autre manière. Lorsqu’ils commandent un VTC à une heure où la demande excède l’offre, le prix augmente, parfois énormément. Tu peux te retrouver à payer 80, voire 100 euros, une course de 3 kilomètres. Les taxis, eux, garantissent un tarif fixé par l’Etat, conformément à leur statut de service au public.

En quoi consistent ces plateformes, au juste ?

Elles embauchent des informaticiens qui créent des logiciels. Je crois que leurs plus grosses dépenses, ce sont leurs avocats, qui élaborent des contrats complexes masquant le lien de subordination entre les chauffeurs et l’entreprise. L’objectif est que les chauffeurs ne soient pas reconnus comme des salariés. La plateforme va prendre une participation sur le chiffre d’affaires du chauffeur – et, la plupart du temps, elle va aussi lui louer la voiture. Au final, quand tu calcules, le chauffeur gagne aux alentours de 4 euros de l’heure ! Ce que le patron d’Uber France commente ainsi : « c’est toujours mieux que d’être au chômage ». Au fond, Uber n’est que l’aboutissement de la logique capitaliste. C’est une sorte de virus insaisissable. Dès que tu fais une loi, ils la contournent. A côté d’Uber, il y a LeCab, autre grosse boîte.

Et autre scandale : Keolis participe au capital de LeCab ; or 70 % du capital de Keolis est détenu par… la SNCF ! A travers ses investissements, la SNCF est donc en train de promouvoir cette forme de travail. Les chauffeurs sont soi-disant « indépendants », mais ce sont de faux indépendants. Ils n’ont aucun droit. Et ils font souvent des journées de 12 à 16 heures.

A Paris, il y entre 7000 et 12 000 VTC : impossible de savoir. Ce qui est sûr, c’est qu’entre ça et l’impact des attentats, la situation des taxis est devenue catastrophique. Pour faire leurs recettes, ils ont dû faire encore plus d’heures qu’avant. Cela concerne aussi bien les locataires que les artisans et les « salariés ». Beaucoup de locataires, qui ne parvenaient même plus à payer le loyer, sans parler de se dégager un salaire, ont laissé tomber.

Vous avez donc mobilisé les chauffeurs de taxi…

Les premières manifestations qu’on a organisées, c’était en janvier 2014. On a été reçus par le ministre de l’Intérieur, mais ça n’a rien donné. En février 2014, on a repris le mouvement, et là ce sont les chauffeurs eux-mêmes qui l’ont prolongé. Ils ont organisé des mouvements de blocage ; ça a duré deux ou trois jours. A la CGT Taxis, on était ravis.

Sous l’impact de ce mouvement, le gouvernement a fait adopter une loi, en octobre 2014 : la loi Thévenoud. Elle n’est pas satisfaisante, mais elle met quelques freins. VTC signifie désormais : « Voiture de Transport avec Chauffeur ». On arrête l’hypocrisie. Ensuite, les VTC devaient travailler exclusivement sur réservation. Mais ce point a été dénaturé au Sénat. Un amendement d’un sénateur de droite – fruit du lobbying d’Uber – a été adopté, qui disait : « après chaque course, le chauffeur doit retourner dans un parking privé ou au siège de son entreprise, “sauf s’il a un contrat final avec le client” ». Immédiatement, les plateformes ont claironné : « Ah, mais dès qu’un client nous utilise une fois, il a un contrat final avec nous, puisqu’il signe des conditions particulières ». Bien sûr, il est impossible de contrôler tout ça. Les VTC continuent donc de prendre des clients « à la rue », sans réservation.

Enfin, la loi Thévenoud imposait des heures de formation aux chauffeurs de VTC. On regrettait l’absence d’examen, mais ça allait dans la bonne direction. Eh bien, les plateformes ont contourné la loi en faisant appel à un autre statut juridique de transport, qui s’appelle le LOTI, et qui était normalement réservé au transport collectif. Alors ils ont pu, sous ce statut, continuer d’exploiter des chauffeurs sans formation ni qualification.

Suite à un autre mouvement des taxis organisé en janvier 2016, une nouvelle loi est en cours de préparation. Elle prévoit d’interdire le statut LOTI dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants. Il y aura des formations et un examen obligatoire. Uber et compagnie s’indignent, bien sûr. On verra bien ce qu’il adviendra. Mais même avec cette nouvelle loi, la situation des taxis et des VTC restera très difficile, et souvent très précaire.

Justement, comment mettre un terme définitif à cette exploitation et à cette précarité des chauffeurs, qu’ils soient taxis ou VTC ?

Les pouvoirs publics doivent commencer par reconnaître que taxis et VTC ne font qu’une seule et même activité. Ensuite, il faut que notre activité soit considérée comme un service public – et encadrée comme telle sur le plan juridique.

Notre concept, c’est une Régie Autonome du Taxi Parisien, c’est-à-dire un service public. Les chauffeurs de taxi devraient être des salariés de ce service public. Ils ne devraient pas travailler plus de 35 heures par semaine, voire 32 heures, étant donné la pénibilité de leur travail, en particulier dans les grandes villes. Et bien sûr, ils devraient avoir un salaire décent.

Le nombre de taxis serait déterminé par les besoins de la population. C’est la position de la CGT. Mais voyons les choses en face. On peut demander cela, manifester, se mobiliser : ceux qui nous gouvernent, jusqu’à présent, servent la finance, les grands capitalistes.

Ils ne feront pas une telle réforme. Il faut donc un changement radical au niveau politique, un gouvernement au service des travailleurs.


Les différents statuts de taxis

- Les artisans. Ils se sont lourdement endettés pour acheter une « licence », c’est-à-dire une autorisation administrative à exercer le métier de taxis. Ils sont environ 9000 à Paris.
- Les locataires. Ils sont exploités par des sociétés qui possèdent des licences. Les locataires louent la voiture – et le droit d’exercer – à un tarif journalier tellement élevé que les chauffeurs doivent souvent travailler plus de 10 heures par jour, 6 à 7 jours sur 7, pour gagner le SMIC. Ils sont désormais moins de 7000 à Paris.
- Les salariés. Ils sont quelques centaines à Paris. La plupart des contrats de salariés sont en réalité des contrats de location déguisés.

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