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Lutte Ouvrière (LO) a récemment publié un article sur les élections parlementaires qui vont se tenir en Grande-Bretagne le 12 décembre prochain. C’est pour nous l’occasion de faire d’une pierre deux coups : expliquer la situation en Grande-Bretagne, d’une part, et d’autre part comprendre la stérilité de l’ultra-gauchisme [1], à partir d’un exemple concret.

L’article s’intitule : Le Brexit retourne à la case élections. Ce titre, d’emblée, passe à côté du sujet principal. Il est vrai que la convocation de ces élections anticipées est liée au fiasco du Brexit (et aux plans de carrière de Boris Johnson). Mais du point de vue de la classe ouvrière britannique, l’enjeu de ces élections n’est pas le Brexit. Les travailleurs britanniques sont confrontés à l’alternative suivante : soit un nouveau gouvernement de droite qui poursuivra les politiques d’austérité (et privatisera le système de santé publique, notamment) ; soit un gouvernement du Parti travailliste (le Labour) dirigé par Jérémy Corbyn, qui est issu de l’aile gauche du parti et fait campagne sur un programme réformiste, certes, mais très radical.

Corbyn lui-même insiste sur les enjeux sociaux de cette élection. Il dit : « Nous ne sommes ni le parti des 48 % [qui ont voté contre le Brexit en 2016] ni le parti des 52 % [qui ont voté pour le Brexit]. Nous sommes le parti des 99 % ». Dans cette formule, les 1 % restant, bien sûr, ce sont les grands capitalistes qui contrôlent l’économie britannique. Voilà comment Corbyn lui-même présente cette campagne électorale. Et c’est la bonne approche.

L’article de LO passe complètement à côté de cet élément central. Il consacre trois lignes au programme économique et social du Labour. L’auteur affirme que le Labour défend « nombre de promesses auxquelles pas grand monde ne croit, mais qui, pour beaucoup d’électeurs des classes populaires, font plaisir à entendre : cela va de la renationalisation des entreprises de transports et d’énergie, à l’annulation de quantité de coupes budgétaires imposées aux budgets sociaux depuis 2008, aux dépens des plus pauvres. » C’est tout. L’article passe ensuite à autre chose et ne revient plus sur le Labour. Il ne soutient ni Corbyn, ni personne. Sans appeler explicitement à l’abstention, il défend une position de facto abstentionniste.

A la lecture des trois lignes que nous venons de citer, on se demande si leur auteur sait de quoi il parle. « Pas grand monde ne croit » au programme du Labour, en Grande-Bretagne ? Tout de même, au bout d’un certain nombre de millions de personnes, ça commence à faire un peu de monde ! La campagne de Jérémy Corbyn suscite énormément d’enthousiasme dans une large fraction de la jeunesse et du salariat britanniques. Est-ce que tous ces gens qui mènent campagne pour le Labour, ou qui viennent en masse aux meetings, ou qui vont voter pour lui, le font « sans y croire » ? Et comment, au passage, peut-on prendre « plaisir à entendre » un programme auquel on ne « croit » pas ? Tout ceci ne tient pas debout.

Des millions de jeunes et de travailleurs vont voter avec enthousiasme pour le Labour, le 12 décembre. La campagne vient à peine de commencer que, déjà, les sondages enregistrent une nette progression des intentions de vote en faveur du parti de Corbyn. Cela pourrait s’accélérer dans les semaines qui viennent, sur fond d’une polarisation de classe croissante. Quoi d’étonnant à cela ? Les masses britanniques sont épuisées par les politiques d’austérité draconiennes des gouvernements de droite successifs, depuis 2010. Elles voient dans un gouvernement du Labour une solution possible à leurs problèmes les plus brûlants.

Le rôle des marxistes

Comment le journal de LO en arrive-t-il à formuler de telles énormités factuelles ? C’est bien simple : LO ne s’intéresse pas aux faits, c’est-à-dire à la réalité de la situation politique en Grande-Bretagne – et à la façon dont s’exprime concrètement (via Corbyn) la radicalisation politique des masses. Cela ne l’intéresse pas, car la direction de LO se contente de « savoir », elle, que le programme réformiste de Corbyn est insuffisant, qu’il n’est pas révolutionnaire.

Quand l’auteur de l’article écrit que « pas grand monde ne croit » au programme du Labour, il veut dire en réalité : « nous, à LO, nous n’y croyons pas ; nous n’avons pas d’illusion dans ce programme ». Mais il y a une différence entre ce que pense la direction de LO et ce que pensent des millions de Britanniques exploités et opprimés. On ne sait pas si l’auteur ignore cette différence ou s’il la masque délibérément. Peu importe, car le résultat est le même. L’auteur fait l’impasse sur une question centrale : comment les marxistes doivent intervenir dans cette lutte électorale ?

Marx, Engels, Lénine et Trotsky – dont LO se réclame – ont expliqué à de nombreuses reprises ce que doivent faire les révolutionnaires dans de telles circonstances. En Grande-Bretagne, aujourd’hui, les révolutionnaires doivent lutter pour la victoire du Labour, aux côtés des travailleurs mobilisés, tout en leur expliquant systématiquement que le programme de Corbyn ne va pas assez loin, qu’il doit être complété par des mesures de rupture avec le capitalisme, car ce sera le seul moyen de briser la résistance des « 1 % ». Ce faisant, les marxistes peuvent dialoguer de façon constructive, fructueuse, avec les militants et sympathisants du Labour – et donc élever leur niveau de conscience. Voilà précisément ce que font nos camarades britanniques de Socialist Appeal, avec un succès croissant.

L’article de LO se termine sur le constat suivant : « Une partie importante de la population, en particulier dans la classe ouvrière, en a plus qu’assez d’entendre parler du Brexit et de ses avatars ». Cette fois-ci, c’est exact. Mais sans qu’il s’en rende compte, l’auteur porte ici le coup de grâce à son propre article. En effet, si une grande partie de la classe ouvrière « en a plus qu’assez d’entendre parler du Brexit », c’est parce qu’elle a d’autres préoccupations, liées à ses conditions de vie et de travail. Elle s’intéresse donc beaucoup moins au Brexit qu’à la lutte contre l’austérité et contre les conséquences catastrophiques du capitalisme en crise. Or dans cette lutte, c’est précisément le Labour qui joue un rôle central, à ce stade. Tel est le point de départ d’une politique marxiste en Grande-Bretagne, aujourd’hui.


[1] Voir notre article La maladie infantile du communisme ou le « gauchisme »

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