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Ce livre a été écrit en 1920, à peine trois ans après la révolution russe. La révolution avait été provoquée par les conséquences sociales et économiques du terrible carnage de la Première Guerre mondiale. Au cours de l’année 1917, la population organisée en assemblées démocratiquement élues (les « soviets ») a renversé tour à tour la monarchie et une succession de gouvernements capitalistes, portant les soviets eux-mêmes au pouvoir, en novembre. Le nouveau régime a immédiatement déclaré la fin de la participation de la Russie à la guerre, au nom de la fraternité des peuples du monde. Les titres et privilèges étaient abolis, les terres et l’industrie placées sous l’autorité des travailleurs. L’armée tsariste a été dissoute et remplacée par « le peuple en armes », suivant l’exemple de la Commune de Paris de 1871.

Dans La maladie infantile du communisme, ou le « gauchisme », Lénine donne des conseils aux nombreux partis et organisations qui se sont constitués dans toute l’Europe à un rythme extrêmement rapide et, en particulier, aux plus petits d’entre eux. Ce livre pose dans le détail la question de la stratégie que devaient mener les communistes pour étendre leur influence au sein du mouvement ouvrier. Les analyses de Lénine s’appuient évidemment sur le contexte historique particulier de son époque, et notamment sur l’expérience de la révolution russe. Elles n’en demeurent pas moins, de par leur richesse et leur généralité, d’une brûlante actualité.

La reconnaissance de la supériorité du régime soviétique sur les différentes formes de régime capitaliste était, sur le plan du programme et des idées, une caractéristique essentielle de ces organisations. Lénine insiste sur le progrès immense que constitue une telle conviction pour le mouvement ouvrier international de l’époque. Les communistes conscients, disait-il, doivent toujours garder à l’esprit que le parlementarisme est la forme politique dont les capitalistes se servent pour asseoir leur domination, et qu’elle ne convient aucunement à un régime socialiste.

La critique de Lénine porte sur les idées « gauchistes » dont certaines des nouvelles organisations communistes se sont dotées. Les « gauchistes » poussaient à l’extrême l’idée, juste mais abstraite, de la supériorité du communisme sur le capitalisme, au point qu’elle finit par n’être plus, entre leur main, qu’une phrase creuse qu’ils jettent à la face du mouvement ouvrier, en lui reprochant de n’en être décidément pas digne. Ils proclamaient, en résumé : « Il est hors de question pour nous de participer à l’activité politique des organisations réformistes que soutiennent la majorité des travailleurs, ni de participer aux parlements capitalistes. En tant que communistes européens purs et durs, nous devons fonder de toute pièce, à l’écart de tout mouvement et de toute institution non révolutionnaires, le véritable parti révolutionnaire… »

La maladie infantile du communismeLénine rejette catégoriquement cette position. Il explique que, contrairement à ce que prétendent les gauchistes, leur extrémisme n’en est en rien justifié par l’expérience de la révolution russe. Au contraire, le ralliement du peuple russe au programme communiste ne s’est réalisé qu’au terme d’un processus complexe, au cours duquel les sociaux-démocrates russes, et notamment l’aile révolutionnaire de ceux-ci (les bolcheviks) ont travaillé patiemment auprès de la classe ouvrière, en suivant attentivement l’évolution de son humeur et de ses idées. Au lieu de se tenir à l’écart des organisations des salariés sous prétexte que celles-ci n’étaient pas révolutionnaires, il fallait maintenir avec elles le contact le plus étroit possible et, pour reprendre l’expression de Lénine, « travailler absolument là où est la masse ». En d’autres termes, quiconque veut accroître l’influence des idées du socialisme doit rejeter tout formalisme en matière d’organisation et adopter au contraire la plus grande souplesse.

Pour répondre à ceux qui voulaient fonder, à l’écart de tout ce qui n’est pas révolutionnaire, une organisation révolutionnaire « pure », Lénine raconte que lorsque, en 1905, « le policier Zoubatov organisait ses réunions ultra-réactionnaires d’ouvriers et ses associations ouvrières pour repérer et combattre les révolutionnaires, nous envoyions à ces réunions des membres de notre parti […] qui établissaient la liaison avec les masses, s’ingéniaient à faire leur travail de propagande et arrachaient les ouvriers à l’influence des hommes de Zoubatov. »

Lénine cite également le cas d’un militant écossais, Willie Gallagher, qui avait écrit à Lénine pour lui dire tout son enthousiasme révolutionnaire, en précisant que les communistes écossais ne voudraient pour rien au monde s’associer au Parti Travailliste « réformiste ». Mais Lénine a répondu, à la grande stupéfaction de Willie Gallagher, en lui conseillant vivement de rejoindre « sans tarder » le Parti Travailliste, puisque celui-ci regroupait « incontestablement la vaste majorité des salariés britanniques ».

D’une manière générale, lorsque la majorité des travailleurs soutiennent des partis et des syndicats dont les directions sont réactionnaires ou réformistes, refuser d’y travailler, d’y mener un travail de propagande, revient à abandonner les travailleurs à l’influence de ces mêmes directions. Quant à s’imaginer que les travailleurs se lèveront, un beau matin d’Octobre, las d’être constamment exploités par le patronat et trahis par leurs directions syndicales et politiques, et qu’ils se dirigeront en masse vers une minuscule organisation de « purs » qui, la veille, les méprisait, c’est « fonder une tactique sur le seul sentiment révolutionnaire ». La très grande majorité des travailleurs ne parviennent pas aux idées socialistes par des lectures et des discussions, mais à travers leur propre expérience politique. Il convient donc aux socialistes de participer à cette expérience, tout en expliquant patiemment et fraternellement leurs arguments. Aux gauchistes qui déclaraient que ceci revenait à « soutenir les dirigeants réformistes », Lénine répondait avec ironie : les soutenir, oui, « exactement comme la corde soutient le pendu ». Et en effet, c’est en mettant à l’épreuve les dirigeants qui ne sont pas réellement socialistes que le mouvement social finira par s’émanciper de leur emprise.

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