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mutins installés devant le théâtre de Béziers

Cet article est le deuxième que nous consacrons aux mutineries de 1917. Le premier, Les mutineries de 1917 - 1ère partie, a été publié précédemment.

Les mutineries de mai 1917 avaient comme trait commun de s’être produites, presque sans exception, dans des divisions d’infanterie. Cela s’explique sans doute par le fait que l’infanterie avait souffert dans des proportions infiniment plus grandes que les divisions d’artillerie ou de cavalerie, aussi bien lors de la débâcle de l’offensive du général Nivelles que dans les autres épisodes du carnage impérialiste. A partir de juin, cependant, les révoltes prennent une ampleur sans précédent et s’étendent rapidement à pratiquement tous les corps de l’armée. Dès les premiers jours du mois, les trois régiments de la 9e division se soulèvent. « Nous ne monterons pas en ligne », disent les soldats. Ils menacent ouvertement de tirer sur les officiers qui s’aviseraient de les arrêter. « On veut bien garder les tranchées, mais on n’attaquera plus. C’est trop bête de marcher vers des mitrailleuses intactes. On en a assez de se faire tuer sur des barbelés. »

Les soldats commencent à tirer des conclusions politiques. Les « papillons » et autres feuilles de propagande semés dans les casernes et les tranchées, dont l’impact semblait jusqu’alors relativement limité, sont lus et commentés. « Si nous marchons quelque part, ce sera contre la Chambre des Députés ! » Nivelles s’inquiétait de cette politisation, comme l’indique, entre autres, un mémorandum adressé au Ministre de Guerre, Hubert Lyautey :

« Les tracts. – Depuis plus d’un an, des tracts, brochures, journaux pacifistes parviennent aux armées. On en découvre davantage en quinze jours qu’on n’en saisissait en trois mois, en 1916… Ils sèment le doute quant à la justice de la cause pour laquelle les soldats se battent. Ils font l’apologie de l’Allemagne, affirment l’impossibilité de la victoire, et prétendent que la paix seule résoudra les problèmes du charbon et de la vie chère. D’aucuns renferment les plus dangereuses indications et les pires conseils… Ces factums entament l’esprit d’offensive des combattants, les énervent, les découragent.

« Les réunions de permissionnaires. – Pendant leur permission, un certain nombre de soldats assistent à des réunions où, sous prétexte de traiter des questions corporatives, les chefs syndicalistes et anarchistes exposent des théories pacifistes. De retour aux tranchées, ils répètent à leurs camarades les arguments qu’ils ont entendus.

« Militaires en relations avec les meneurs. – Certains soldats restent en correspondance suivie avec les individus qui semblent conduire la propagande. Les lettres qu’ils leur adressent accusent réception de journaux, tracts, feuilles volantes qu’ils avouent avoir communiqués ou répandus…

« Propositions. – Il y aurait lieu de saisir les tracts dans les imprimeries qui les tirent, d’interdire les réunions où les discussions ne se limitent pas à des questions strictement professionnelles, de supprimer le journal révolutionnaire russe Natchalo, d’empêcher les menées de Sébastien Faure, Merrheim, Hubert et de la douzaine d’agitateurs qui les appuient, de briser la propagande pacifiste et d’exiger un travail normal dans les usines de guerre et les arsenaux. »

En effet, entre Paris et le front, le Ministère de la guerre considérait qu’il ne restait plus que deux divisions sur lesquelles l’Etat-major pouvait absolument compter. A Paris, des mouvements de grève rajoutaient à la panique qui s’installait dans les milieux gouvernementaux. Poincaré fut saisi d’horreur à la vue d’une manifestation d’ouvrières des fabriques de munitions, qui ont bruyamment terminé leur marche devant les fenêtres du Palais de l’Elysée.

A Dormans, des soldats se soulèvent en scandant : « A bas la guerre et vive la révolution russe ! »

Incapables de comprendre leur propre responsabilité dans l’effondrement de l’armée, les généraux ne veulent y voir que l’œuvre de quelques « conspirateurs ». S’adressant au député Henri Gallichet, qui venait de témoigner d’une mutinerie à Soissons, le général Franchet D’Esperey assure qu’il existe « un véritable complot organisé qui tend à dissoudre toute discipline… Les meneurs étaient en relation à Paris avec des agents louches de désordre. L’enquête a démontré que les promoteurs de la rébellion projetaient de s’emparer d’une gare et de se faire transporter par chemin de fer à Paris pour y soulever la population contre la guerre. La révolution russe doit servir de modèle… Les troupes sont tenues en état de surexcitation continuelle par les journaux remplis de détails sur les évènements de Russie, par les relations d’incidents parlementaires hostiles aux généraux, par les exagérations pessimistes… Pourquoi ferme-t-on les yeux ? Pourquoi ne réprime-t-on pas ? Cela cessera ou nous n’aurons plus d’armée, et l’ennemi, en cinq jours, pourrait être devant Paris ! »

Le nombre de désertions augmente en flèche. Alors qu’à peine 509 désertions avaient été signalées, en 1914, puis 2 433 en 1915 et 8 924 en 1916, leur nombre s’élevait déjà aux alentours de 15 000 sur les six premiers mois de 1917.

L’une des mutineries les plus importantes a lieu à proximité de Cœuvres, à quelques kilomètres de Soissons, le 2 juin, dans le 310e régiment d’infanterie. Le 30 mai, un autre régiment est passé par Cœuvres – en route, semblait-il, pour le front. Mais il était évident que les soldats n’avaient pas l’intention de s’y rendre. Ils sont passés devant les hommes du 310e, en criant : « A bas la guerre ! Faites comme nous et la guerre s’arrêtera ! La liberté ou la mort ! » Finalement, le régiment en rébellion est chassé de Cœuvres par une troupe de cavalerie et de mitrailleurs. Mais l’incident laisse sa marque sur les hommes du 310e, désormais en ébullition. Ici et là, ils entonnent L’Internationale.

Le lendemain, ils reçoivent l’ordre de quitter Cœuvres. Mais ils refusent. Ils élisent des délégués chargés de maintenir une « discipline révolutionnaire » dans le régiment – suivant en cela, comme bien d’autres régiments français, l’exemple des « soviets de députés des soldats » élus dans les régiments russes. Ils tiennent ainsi pendant quatre jours, avant de se rendre. Les deux-tiers des hommes sont incarcérés près de Soissons. Une quinzaine d’entre eux est condamnée aux travaux forcés. Seize hommes sont condamnés à mort. Mais cela n’a pas mis fin à la révolte dans l’armée française. Dans la deuxième semaine de juin, le 298e régiment d’infanterie lance une insurrection, prend le contrôle du village de Missy-aux-Bois et y établit son propre « gouvernement révolutionnaire ».

Dans ses mémoires, Poincaré relate que les insurgés ont écrit des lettres collectives à leurs officiers. Ils y disent qu’ils ne remonteront plus au front et exigent la conclusion d’une « paix immédiate et honorable ». Lorsque les officiers rejettent leur démarche, les soldats les expulsent de Missy-aux-Bois. Des barricades sont érigées autour de la ville. La « discipline révolutionnaire » s’impose à tous. Le commandant élu par les insurgés publie une déclaration pour expliquer à la population locale que les soldats « ne sont ni des voleurs, ni des assassins ». Il interdit toute forme de pillage ou de vol.

L’Etat-major ne peut pas tolérer cette insurrection. Dans le contexte de juin 1917, elle risque de déclencher une insurrection générale des poilus. Les autorités militaires décident donc de la réprimer dans le sang, si nécessaire. Une division de cavalerie encercle les insurgés et les prive de nourriture. Au bout de trois jours, isolés et affamés, ils se rendent. Plusieurs soldats, considérés à tort ou à raison comme les « meneurs », seront sommairement exécutés.


Sur la photo, mutins installés devant le théâtre de Béziers

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