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L’importance pratique immense d’une orientation théorique juste se manifeste de la façon la plus frappante au cours des périodes de conflit social aigu, de tournants politiques rapides, de changements brusques dans la situation. Au cours de ces périodes, les conceptions et les généralisations politiques s’usent rapidement, et exigent d’être soit complètement remplacées – ce qui est facile, soit d’être concrétisées, précisées ou partiellement rectifiées – ce qui est plus difficile. C’est précisément au cours de telles périodes que se manifestent nécessairement toutes sortes de situations transitoires, intermédiaires, et une foule de combinaisons qui bousculent les schémas habituels et exigent doublement une attention théorique soutenue. En un mot, si, dans une époque de développement pacifique et ordonné – avant la guerre –, on pouvait encore vivre sur le revenu de quelques abstractions toutes faites, à notre époque chaque événement nouveau nous enfonce dans la tête la loi la plus importante de la dialectique : la vérité est toujours concrète.

La « théorie » stalinienne du fascisme représente sans aucun doute l’un des exemples les plus tragiques des terribles conséquences pratiques qui peuvent découler du remplacement de l’analyse dialectique de la réalité dans toutes ses étapes concrètes, dans toutes ses phases de transition, c’est-à-dire aussi bien ses changements graduels que révolutionnaires ou contre-révolutionnaires, par des catégories abstraites fondées sur une expérience historique partielle et insuffisante ou sur une vision globale étroite et incomplète. Les staliniens ont fait leur l’idée qu’à la période contemporaine le capital financier ne peut s’accompagner de la démocratie parlementaire et se trouve contraint de recourir au fascisme. De cette idée parfaitement juste dans certaines limites, ils ont tiré, suivant une logique formelle et purement déductive, des conclusions identiques pour tous les pays et toutes les étapes du développement. Pour eux, Primo de Rivera, Mussolini, Chang Kaï-chek, Masaryk, Brüning, Dollfuss, Pilsudski, le roi serbe Alexandre, Severing, MacDonald [1], etc., étaient des représentants du fascisme. Ce faisant, ils oubliaient a) que, dans le passé également, le capitalisme ne s’est jamais accommodé de la démocratie « pure », tantôt y rajoutant quelque chose et tantôt la remplaçant par un régime de répression ouverte, b) que le capital financier « pur » n’existe nulle part, c) que, même quand il occupe une position prédominante, le capital financier n’agit pas dans le vide, mais est obligé de compter avec les autres couches de la bourgeoisie et avec la résistance des classes opprimées, d) enfin que, entre la démocratie parlementaire et le régime fasciste, s’intercalent inévitablement toute une série de formes de transition, dont l’une remplace l’autre tantôt de façon pacifique et tantôt par la guerre civile. Et chacune de ces formes de transition, si l’on veut avancer et non pas être rejeté en arrière, exige une approche théorique juste et politique du prolétariat correspondante.

Sur la base de l’expérience allemande, les bolcheviks-léninistes ont constaté pour la première fois l’existence d’une forme transitoire de gouvernement – même si elle aurait pu et dû être établie auparavant d’après l’expérience italienne – que nous avons appelée bonapartiste : les gouvernements Brüning, Papen, Schleicher [2]. De manière plus précise et sous une forme plus développée, nous avons observé ensuite le régime bonapartiste en Autriche. Le déterminisme de cette forme de transition est devenu patent, naturellement pas au sens fataliste, mais au sens dialectique du terme, c’est-à-dire pour les pays et les périodes où le fascisme, avec un succès croissant, c’est-à-dire sans rencontrer de résistance victorieuse du prolétariat, attaquait les positions de la démocratie parlementaire pour de là, étrangler le prolétariat.

Pendant la période de Brüning-Schleicher, Manouilsky, Kuusinen [3] proclamaient : « Le fascisme est déjà là ! » De notre théorie de l’étape intermédiaire bonapartiste, ils disaient qu’elle n’était qu’une tentative pour enjoliver et dissimuler le fascisme afin de faciliter la politique sociale-démocrate du « moindre mal ». En même temps, ils appelaient les sociaux-démocrates des « sociaux fascistes », et les sociaux-démocrates « de gauche », du type Zyromski - Marceau Pivert - Just [4], passaient – après les « trotskystes » – pour les plus dangereux des sociaux fascistes. Tout cela a changé aujourd’hui. En ce qui concerne la France actuelle, les staliniens n’osent pas répéter : « Le fascisme est déjà là ! » Au contraire, ils ont accepté la politique du front unique qu’ils rejetaient hier, afin d’empêcher la victoire du fascisme en France. Ils ont été obligés de distinguer le régime Doumergue [5] du régime fasciste. Mais ils sont arrivés à cette distinction en empiristes, pas en marxistes. Ils n’ont même pas essayé de donner du régime Doumergue une définition scientifique. Celui qui opère dans le domaine de la théorie à l’aide de catégories abstraites est condamné à capituler aveuglément devant les faits.

C’est pourtant en France précisément que le passage du parlementarisme au bonapartisme – ou plus exactement la première étape de ce passage – a pris un caractère particulièrement frappant et démonstratif. Il suffit de rappeler que le gouvernent Doumergue est apparu sur la scène entre l’avant-première de la guerre civile, le 6 février, et la grève générale du prolétariat, le 12 février [6]. Dès que les camps irréconciliables ont occupé leurs positions de combat aux deux pôles de la société capitaliste, il est apparu rapidement que la machine à calculer du parlementarisme avait perdu toute importance. Il est vrai que le gouvernement Doumergue, comme en leur temps les gouvernements Brüning et Schleicher, semble au premier abord gouverner avec l’accord du parlement. Mais c’est un parlement qui s’est renié, un parlement qui sait que, s’il résistait, le gouvernement se passerait de lui. Du fait du relatif équilibre entre le camp de la contre-révolution qui attaque et celui de la révolution qui se défend, l’axe du pouvoir s’est élevé au-dessus des masses et de leur représentation parlementaire. Il a fallu chercher le chef du gouvernement en dehors du parlement et « en dehors des partis » [7]. Le chef du gouvernement a appelé à la rescousse deux généraux [8]. Cette trinité a pris appui à la fois sur sa droite et sur sa gauche en s’assurant des otages parlementaires symétriques. Le gouvernement n’apparaît pas comme l’organe exécutif d’une majorité parlementaire, mais comme l’arbitre entre deux camps en lutte.

Un gouvernement qui s’élève au-dessus de la nation n’est pourtant pas suspendu dans le vide. L’axe véritable du gouvernement actuel passe par la police, la bureaucratie, la clique militaire. Nous avons affaire à une dictature militaro-policière à peine voilée sous le décor du parlementarisme. Mais un gouvernement du sabre en tant qu’arbitre de la nation – c’est précisément le bonapartisme.

Le sabre, en lui-même, n’a pas de programme indépendant. Il est l’instrument de « l’ordre ». On fait appel à lui pour conserver ce qui existe. S’élevant politiquement au-dessus des classes, le bonapartisme, comme son prédécesseur le césarisme, a toujours été et reste, du point de vue social, le gouvernement de la partie la plus forte et la plus solide des exploiteurs ; par conséquent, le bonapartisme actuel ne peut être rien d’autre que le gouvernement du capital financier qui dirige, inspire et achète les sommets de la bureaucratie, de la police, de l’armée et de la presse.

La « réforme constitutionnelle », dont on a tant parlé au cours des derniers mois, a pour seule tâche d’adapter les institutions de l’État aux exigences et aux convenances du gouvernement bonapartiste. Le capital financier cherche des voies légales qui lui permettraient d’imposer chaque fois à la nation le meilleur arbitre avec l’assentiment forcé du quasi-parlement. Il est évident que le ministère Doumergue n’est pas l’idéal du « gouvernement fort ». De meilleurs candidats au rôle de bonaparte sont en réserve. En ce domaine, de nouvelles expériences et de nouvelles combinaisons sont possibles si le cours à venir de la lutte des classes en laisse le temps.

En formulant ce pronostic, il nous faut répéter ce que les bolcheviks-léninistes ont dit autrefois à propos de l’Allemagne : les chances politiques du bonapartisme français actuel ne sont pas grandes ; sa stabilité est déterminée par l’équilibre temporaire et, par sa nature même, instable, entre les deux camps du prolétariat et du fascisme. Le rapport des forces entre ces deux camps peut changer brutalement, en partie sous l’influence de la conjoncture économique, mais surtout en fonction de la qualité de la politique de l’avant-garde prolétarienne. La collision entre ces deux camps est inévitable. Le processus se mesurera, non en années, mais en mois. Un régime stable ne pourra être établi qu’au lendemain de cette collision et en fonction de ses résultats.

Le fascisme au pouvoir, comme le bonapartisme, ne peut être que le gouvernement du capital financier. Dans ce sens social, ils ne se distinguent pas, non seulement l’un de l’autre, mais l’un et l’autre de la démocratie parlementaire. Chaque fois, les staliniens font à nouveau cette découverte, oubliant que les questions sociales se résolvent dans le domaine de la politique. La puissance du capital financier ne réside pas dans sa capacité à établir, à son gré, n’importe quel gouvernement, n’importe quand : il ne possède pas cette force. Sa puissance réside dans le fait que tout gouvernement non prolétarien est obligé de servir le capital financier, ou plutôt que le capital financier a la possibilité de remplacer un système de domination en déclin par un autre qui corresponde mieux aux nouvelles conditions. Cependant, le passage d’un système à un autre signifie la crise politique, laquelle, avec le concours de l’activité du prolétariat révolutionnaire, peut se transformer en un danger social pour la bourgeoisie. Le passage du régime de démocratie parlementaire au bonapartisme a déjà été accompagné en France de flambées de guerre civile. La perspective du passage du bonapartisme au fascisme est grosse de troubles infiniment plus graves et, par conséquent également, de possibilités révolutionnaires.

Jusqu’à hier, les staliniens considéraient que notre « faute principale » consistait à voir dans le fascisme la petite bourgeoisie et pas le capital financier. Mais là aussi ils substituaient des catégories abstraites à la dialectique des classes. Le fascisme constitue un moyen spécifique de mobiliser et d’organiser la petite bourgeoisie dans les sens des intérêts sociaux du capital financier. En régime démocratique, le capital financier – c’était inévitable – s’est efforcé d’inoculer aux ouvriers la confiance dans la petite bourgeoisie pacifiste et réformiste. Le passage au fascisme, au contraire, est inconcevable sans que la petite bourgeoisie ait été préalablement pénétrée de haine contre le prolétariat. La domination de la seule et même super-classe, le capital financier, repose, dans ces deux systèmes, sur des rapports directement inverses entre les classes opprimées.

La mobilisation politique de la petite bourgeoisie contre le prolétariat est cependant inconcevable sans cette démagogie sociale qui, pour la grande bourgeoisie, signifie jouer avec le feu. Le danger que constitue pour l’« ordre » cette réaction petite-bourgeoise déchaînée vient précisément d’être confirmé par les récents événements d’Allemagne [9]. C’est pourquoi, tout en soutenant activement et en finançant les bandits réactionnaires en tant qu’un de ses détachements, la bourgeoisie française essaie de ne pas pousser les choses jusqu’à la victoire politique du fascisme, mais plutôt jusqu’à l’établissement d’un « pouvoir fort » qui, en dernière analyse, devra discipliner les deux camps extrêmes.

Ce qui vient d’être dit démontre suffisamment l’importance qu’il y a à distinguer la forme bonapartiste du pouvoir de la forme fasciste. Il serait pourtant impardonnable de tomber dans l’excès inverse, c’est-à-dire de faire du bonapartisme et du fascisme deux catégories logiquement incompatibles. Tout comme le bonapartisme commence par une combinaison du régime parlementaire et du fascisme, de même, le fascisme triomphant se voit contraint non seulement de faire alliance avec les bonapartistes, mais plus encore de se rapprocher dans sa structure interne du système bonapartiste. La domination prolongée du capital financier au moyen de la démagogie sociale réactionnaire et de la terreur petite-bourgeoise est impossible. Arrivés au pouvoir, les chefs fascistes sont forcés de réfréner, au moyen de l’appareil d’État, les masses qui les ont suivis. Ils perdent du coup le soutien de larges couches de la petite bourgeoisie. Une petite partie d’entre elles est assimilée par l’appareil bureaucratique. Une autre tombe dans l’indifférence. Une troisième, sous des bannières différentes, passe dans l’opposition. Mais, dans le même temps qu’il perd sa base sociale de masse, le fascisme, en prenant appui sur l’appareil bureaucratique et en louvoyant entre les classes, dégénère en bonapartisme. Là aussi, l’évolution graduelle est brisée par des épisodes sanglants et violents. À la différence du bonapartisme préventif ou préfasciste (Giolitti [10], Brüning-Schleicher, Doumergue et autres), qui reflète l’équilibre extrêmement instable et éphémère entre les camps belligérants, le bonapartisme d’origine fasciste (Mussolini, Hitler, etc.), qui s’est nourri de la destruction, de la désillusion et de la démoralisation des deux camps des masses, se distingue par sa bien plus grande stabilité.

La question « fascisme ou bonapartisme ? » a fait apparaître dans les rangs de nos camarades polonais certaines divergences quant au régime de Pilsudski [11]. La possibilité même de l’existence de telles divergences atteste que nous ne sommes pas en présence de catégories logiques irréductibles, mais de formations sociales vivantes qui représentent des particularités extrêmement prononcées dans divers pays à diverses étapes.

Pilsudski est arrivé au pouvoir au terme d’une insurrection basée sur un mouvement de masse de la petite bourgeoisie et dirigée directement, au nom de l’« État fort », contre la domination des partis bourgeois traditionnels : c’est là un trait fasciste caractéristique de ce mouvement comme de ce régime. Mais le rôle joué par le poids politique, c’est-à-dire le rôle joué par les masses dans le fascisme polonais, était infiniment plus faible que celui du fascisme italien en son temps et bien plus encore que celui du fascisme allemand ; Pilsudski a été contraint d’utiliser beaucoup plus les méthodes du complot militaire, et il a abordé de manière beaucoup plus circonspecte la question des organisations ouvrières. Il suffit de rappeler que le coup d’État de Pilsudski s’est déroulé avec la sympathie et le soutien du parti stalinien polonais [12]. L’hostilité grandissante de la petite bourgeoisie juive et ukrainienne au régime de Pilsudski lui a, à son tour, rendu plus difficile le déclenchement d’une attaque générale contre la classe ouvrière.

Le résultat de cette situation est que l’oscillation entre les classes et les fractions nationales des classes a occupé et occupe encore sous Pilsudski une place plus importante, et la terreur de masse une place moins importante que sous Mussolini et Hitler pour les périodes correspondantes : c’est là l’élément bonapartiste dans le régime de Pilsudski. Il serait néanmoins manifestement faux de comparer Pilsudski à Giolitti ou à Schleicher, et de s’attendre à ce que la relève soit prise par un nouveau Mussolini ou Hitler polonais. Du point de vue méthodologique, il est faux de se former une image d’un fascisme « idéal », et de l’opposer à ce fascisme réel qui s’est développé avec ses particularités et ses contradictions, sur le terrain des rapports entre les classes et les nationalités à l’intérieur de l’État polonais. Pilsudski sera-t-il capable de mener à son terme la destruction des organisations prolétariennes ? La logique de la situation l’y conduit de façon inéluctable, cependant, cela ne dépend pas d’une définition formelle du « fascisme en tant que tel », mais du rapport réel des forces, de la dynamique des processus politiques dans les masses, de la stratégie de l’avant-garde prolétarienne et, finalement, du cours des événements en Europe occidentale, et particulièrement en France.

Il est parfaitement possible que l’Histoire enregistre le fait que le fascisme polonais ait été renversé et réduit en poussière avant d’avoir réussi à se trouver une forme « totalitaire ».

Le processus de fascisation de l’Autriche ne présente pas moins d’originalité. Jusqu’à l’écrasement de Vienne sous les obus, le régime de Dollfuss conservait un caractère bonapartiste évident ; mandataire de la grande bourgeoisie, sans appui dans les masses, il jouait le rôle d’arbitre armé entre les camps de la social-démocratie, du national-socialisme et de l’austro-fascisme de type provincialo-paysan. Cet antagonisme triangulaire, plus le soutien de l’Italie et de la France, garantissait à Dollfuss une stabilité beaucoup plus grande qu’aux équilibristes de même acabit d’autres pays. L’écrasement des nazis autrichiens ne fut possible que grâce à la neutralité bienveillante de la social-démocratie. L’écrasement de celle-ci, ayant élevé le poids spécifique des Heimwehren [13], a conduit de fait à l’établissement d’un régime fasciste dans lequel Dollfuss incarne les restes de l’héritage bonapartiste. Il ne faut pas oublier que dans le fascisme allemand, dont personne ne niera l’authenticité, Hindenburg et ses suppôts représentent aujourd’hui encore les traditions de la période où le président a rempli son rôle bonapartiste en extirpant l’axe de la constitution de Weimar et en ouvrant les portes au fascisme.

Nous avons dit plus haut que le bonapartisme d’origine fasciste était infiniment plus stable que les expériences bonapartistes préventives auxquelles la grande bourgeoisie a recours dans l’espoir d’éviter le bain de sang du fascisme. Il est pourtant infiniment plus important de souligner – du point de vue théorique comme du point de vue pratique – que le fait même de la dégénérescence du fascisme en bonapartisme signifie le commencement de sa fin. Combien de temps durera le dépérissement du fascisme, à quel moment sa maladie se transformera-t-elle en agonie, tout cela dépend de nombreux facteurs externes et internes. Mais le dépérissement de l’activité contre-révolutionnaire de la petite bourgeoisie, sa déception et sa désagrégation, l’affaiblissement de sa pression sur le prolétariat ouvrent de nouvelles possibilités révolutionnaires. Toute l’Histoire démontre qu’il n’est pas possible de maintenir le prolétariat enchaîné par le seul moyen de l’appareil policier. Il est vrai que l’expérience italienne témoigne que l’héritage psychologique d’une gigantesque catastrophe subie antérieurement se maintient dans les masses ouvrières beaucoup plus longtemps que le rapport des forces politiques qui avait engendré cette même catastrophe. Mais l’inertie psychologique créée par la défaite est une base fragile. Elle peut s’écrouler d’un coup sous l’effet d’un choc puissant. Un tel choc – pour l’Italie, l’Allemagne, l’Autriche et d’autres pays – pourrait être le succès de la lutte du prolétariat français.

La clé révolutionnaire de la situation en Europe et dans le monde entier se trouve maintenant avant tout en France !

Léon Trotsky, le 15 juillet 1934


[1] Trotsky estimait que les régimes de Mussolini et de Pilsudski étaient des régimes fascistes. Mais il énumère ici des hommes incarnant des régimes que les staliniens qualifiaient également de fascistes, ce qui était à ses yeux complètement faux. Le général Miguel Primo de RIVERA y ORBANEJA (1870-1930) exerçait la dictature en Espagne avec l’appui du roi et le soutien de l’armée. Le général CHANG KAÏ CHEK (1887-1975), chef du parti nationaliste Kuomintang, avait unifié la Chine et persécuté le mouvement ouvrier. Tomas MASARYK (1850-1937) était un libéral, président de la république tchécoslovaque. Le conservateur catholique BRÜNING avait été chancelier du Reich de 1930 à 1932. Le chrétien social Engelbert DOLLFUSS (1892-1934), chancelier et admirateur de Mussolini, enfant chéri de l’Église catholique, venait de noyer dans le sang la résistance des travailleurs de Vienne. Le roi ALEXANDRE II de Yougoslavie – de la dynastie des Karageorgevitch – (1884-1934) avait suspendu la constitution et pris un pouvoir sans contrôle avec l’appui de l’armée en 1929. En tant que ministre de l’Intérieur de gouvernements de coalition, le social-démocrate Carl SEVERING (1875-1952) avait dirigé la répression contre les ouvriers révolutionnaires. Enfin, le britannique James Ramsay MAC DONALD était ce premier ministre du Labour Party qui avait choisi en 1931 d’appliquer le programme des banques plutôt que celui de son parti et en avait été exclu.

[2] Brüning avait gouverné avec des « pleins pouvoirs » que lui avait accordés le Reichshstag entre mars 1930 et mai 1932. Ses successeurs avaient eu recours à ce procédé : le hobereau Franz von PAPEN (1879-1969) avait été chancelier de juin à décembre 1932, et le général Kurt von Schleicher, qui avait vainement tenté de s’appuyer sur les syndicats et de diviser le parti nazi, avait été le prédécesseur immédiat de Hitler.

[3] Dimitri Z. MANOUILSKY (1883-1959), vieux-bolchevik, lié ensuite à Trotsky, avait rejoint le parti bolchevique en 1917, puis la fraction stalinienne. Il était secrétaire de l’I.C. depuis 1931. Otto KUUSINEN (1881-1964), professeur de philosophie, député social-démocrate, avait été l’un des dirigeants de la révolution de Finlande en 1918, puis s’était réfugié en U.R.S.S. où il avait été secrétaire de l’I.C. de 1922 à 1931. Ces deux hommes appartenaient à la fraction stalinienne aux yeux de laquelle, à l’époque, les « fascistes » incluaient jusqu’aux socialistes.

[4] Ces trois hommes représentaient la gauche de la S.F.I.O. Claude JUST (1888-1956), tailleur, était le dirigeant du Comité d’Action Socialiste-Révolutionnaire qui avait une certaine audience dans la fédération de la Seine. Il deviendra trotskyste après 1945. Jean ZYROMSKI (1890-1975), avocat, était le dirigeant de sa tendance « néo-guesdiste », la Bataille Socialiste (1927-1940) très proche des communistes. Il finira au P.C.F. après 1945. Marceau PIVERT (1895-1958), instituteur, était alors l’autre dirigeant de la Bataille Socialiste.

[5] Gaston Doumergue, ancien président de la République, avait remplacé Daladier, démissionnaire le 7 février.

[6] C’était dans la nuit du 6 au 7 février que s’étaient produits, devant le Palais-Bourbon, de sérieux accrochages entre les manifestants d’extrême droite réunis par les Ligues contre le gouvernement Daladier qui venait de décider de remplacer leur protecteur, le préfet de Paris Jean Chiappe, et les forces de l’ordre qui protégeaient la Chambre des députés devant laquelle se présentait le nouveau gouvernement. Le 12 février, journée de grève décidée par la C.G.T., avait vu à Paris la jonction des deux cortèges, celui de la S.F.I.O. et de la C.G.T., celui du P.C. et de la C.G.T.U., une jonction qui exprimait le profond sentiment d’aspiration à l’unité de la classe ouvrière.

[7] Rappelons que Gaston Doumergue s’était retiré de la vie politique quand il fut fait appel à lui.

[8] Le gouvernement Doumergue comprenait deux chefs militaires. Le général Louis MAURIN (1869-1956) était ministre de la Guerre. L’un des principaux « sabres » de réserve de la bourgeoisie française, le maréchal Philippe PÉTAIN, était, ainsi qu’André Tardieu et Édouard Herriot, ministre d’État.

[9] Au cours de ce qu’on a appelé la « Nuit des Longs Couteaux », le 30 juin 1934, Hitler venait de se débarrasser par l’assassinat en masse, au nom d’un prétendu complot, de l’aile plébéienne de son parti incarnée par les cadres de sa troupe de choc, les S.A., et leur chef Ernst RÖHM (1887-1934). Il avait d’ailleurs utilisé la circonstance pour se débarrasser du même coup d’autres « gêneurs », comme le général von Schleicher.

[10] Giovanni GIOLITTI (1842-1928) était premier ministre en Italie à l’époque de la grève des métallurgistes de septembre 1920. Il avait tenté de gouverner avec l’appui des socialistes et la tolérance des fascistes.

[11] Trotsky venait d’avoir une longue discussion, sur la question de savoir si le régime de Pilsudski en Pologne était « bonapartiste » ou « fasciste », avec son camarade polonais Herschl Stockfisch que lui avait amené Gérard Rosenthal. La section polonaise était divisée sur cette question : Stockfisch lui-même ne pensait pas qu’on pouvait qualifier le régime Pilsudski de fasciste.

[12] Dans un premier temps, le parti communiste polonais s’était montré favorable au régime de Pilsudski, ce qui lui avait valu de la part de l’I.C. – et de Trotsky également – une critique en règle.

[13] En allemand dans le texte. La Heimwehr était la milice bourgeoise.

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