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Article publié le 3 août 2022 sur marxist.com.


Après des jours de spéculations et de tergiversations, la présidente de la Chambre des représentants américains, Nancy Pelosi, a atterri le 2 août à Taïwan dans un avion de l’US Air Force. Cette visite de la troisième personnalité la plus importante de l’appareil d’Etat américain est une provocation vis-à-vis de la Chine, qui considère l’île comme partie intégrante de son territoire. Cela pourrait semer le chaos dans toute la région.

Que venait faire Pelosi à Taïwan ?

Malgré tous ses grands discours sur le soutien à la « démocratie » taïwanaise, Pelosi défend en réalité les intérêts égoïstes de l’impérialisme américain et, au passage, les intérêts encore plus égoïstes du parti démocrate. Celui-ci est paniqué par l’approche des élections américaines de novembre prochain, qui promettent d’être désastreuses pour les démocrates. Comme Joe Biden, Pelosi est profondément impopulaire et, comme lui, elle veut « jouer les durs » sur la scène internationale pour distraire l’attention de la situation économique calamiteuse des Etats-Unis. C’est pour cela qu’elle s’est lancée dans cette visite à Taïwan, qui est une véritable humiliation pour la Chine.

Lorsque le voyage de Pelosi en Asie a été annoncé et que des rumeurs ont commencé à courir sur une possible étape à Taïwan, le gouvernement chinois a multiplié les avertissements et les menaces. La classe dirigeante chinoise n’a pas laissé passer cette occasion de mettre en avant « l’ennemi américain » pour, eux aussi, détourner l’attention de la crise sociale grandissante. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Zhao Lijian a affirmé que « l’Armée Populaire de Libération [APL – le nom officiel de l’armée chinoise] ne restera pas passive. La Chine prendra des mesures fortes et résolues pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale. » Dans les six jours qui ont précédé l’arrivée de Pelosi à Taipei, trois ministères chinois différents ont publié pas moins de neuf avertissements pour condamner son éventuelle visite. Pelosi les a tous ignorés.

Cette visite s’explique aussi par la situation dans laquelle se trouve aujourd’hui l’impérialisme américain. Son déclin relatif a été récemment mis en lumière par plusieurs défaites humiliantes qui ont ébranlé son prestige international. Après une défaite et la fin chaotique d’une guerre longue de deux décennies en Afghanistan, les Etats-Unis voient planer sur eux le spectre d’un autre échec, cette fois dans la guerre par procuration qu’ils mènent en Ukraine contre la Russie.

Si les Etats-Unis restent la plus puissante force impérialiste au monde, ils ne peuvent plus imposer leur volonté au reste de la planète comme c’était le cas dans les années 90 et 2000. Leurs rivaux se sont renforcés et commencent à étendre leurs propres zones d’influence. C’est particulièrement le cas de la Chine, la deuxième puissance économique et militaire au monde. Pékin a ainsi étendu son influence commerciale et politique aux dépens des Etats-Unis, particulièrement dans leur ancien « pré carré » de l’Océan Pacifique.

La visite de Pelosi faisait partie d’une tournée de visites aux principaux alliés des Etats-Unis en Asie Orientale et en Asie du Sud-Est. Dans ce cadre, l’ajout de la brève escale à Taïwan était une provocation pour la Chine. Il s’agissait de signifier à la Chine que les Etats-Unis restent l’acteur dominant de la politique mondiale et ne sont pas décidés à reculer devant un jeune rival aux dents longues. Pour que cela soit encore plus évident, la marine américaine a positionné à proximité de Taïwan une flotte complète, avec même un porte-avion, pendant la visite de Pelosi.

Cette démonstration de force a été néanmoins fragilisée par les désaccords qui ont été ouvertement exprimés par d’autres ailes de l’appareil d’Etat américain. Le cabinet de Joe Biden tout comme le Pentagone se sont en effet opposés au voyage de Pelosi à Taïwan, car ils craignaient que cela ne débouche sur une confrontation avec une puissance nucléaire, et ce, alors qu’ils sont toujours pris dans le bourbier ukrainien. Après les premières annonces de sa possible visite à Taïwan, Pelosi ne pouvait plus renoncer, car cela serait apparu comme un recul face à la Chine – et aurait été exploité à fond par les républicains dans leur campagne électorale.

Taïwan et l’impérialisme américain

La visite de Pelosi a été aussi l’occasion pour les politiciens bourgeois taïwanais de proclamer leur loyauté vis-à-vis des Etats-Unis, qui se présentent comme les « défenseurs de la démocratie taïwanaise ». De telles affirmations de la part de Washington sont complètement ridicules quand on pense au soutien sans faille qu’apportent les Etats-Unis à la dictature saoudienne et à ses innombrables crimes, ou encore à l’abandon des Kurdes face aux persécutions d’Erdogan. Même à Taïwan, la féroce dictature de Chiang Kai-shek et de ses successeurs a été soutenue à bout de bras par Washington pendant des décennies. Ce n’est que dans les années 1970, lorsque leurs intérêts les ont poussés à un rapprochement avec Pékin contre l’Union soviétique, que les politiciens américains en sont arrivés à la situation étrangement ambiguë qui prévaut aujourd’hui : ils ne reconnaissent pas officiellement Taïwan comme un Etat indépendant, mais le soutiennent néanmoins face à la Chine.

Taïwan a pris une importance particulière ces dernières années, du fait de la crise économique, du chaos qui règne sur les marchés ainsi que de l’avalanche récente de mesures protectionnistes. Pékin comme Washington veulent assurer leur approvisionnement du fait de l’explosion de la demande en appareils électroniques durant la pandémie. Or, Taïwan produit la majeure partie des microprocesseurs de la planète et est le second producteur de semi-conducteurs au monde (après la Chine et devant la Corée du Sud).

Les Etats-Unis ont massivement investi dans le développement de leur propre industrie de puces semi-conductrices pour réduire leur dépendance vis-à-vis de Taïwan, mais une telle politique est longue et coûteuse. Washington a aussi contraint l’entreprise taïwanaise TSMC à réduire ses exportations vers la Chine et à implanter des usines aux Etats-Unis – ce qui revient à transférer aux américains toutes leurs technologies de production de semi-conducteurs. Pour Pelosi et ses semblables, la « défense de la démocratie » n’est en fait qu’un prétexte pour justifier la soumission des masses taïwanaises à la volonté de l’impérialisme américain.

La réaction de la Chine

A l’annonce de la possible visite de Pelosi, les dirigeants du Parti Communiste Chinois se sont retrouvés sous pression : soit ils mettaient à exécution leurs menaces, soit ils prenaient le risque de fragiliser leur propre prestige. C’est d’autant plus vrai que pour distraire l’attention de la crise et du COVID, ils ont ces dernières années développé une intense propagande militariste et nationaliste, notamment à propos de Taïwan.

Le fait que Pelosi ait maintenu sa visite malgré les menaces de Pékin a été une humiliation pour le régime chinois. Celui-ci a été obligé de réagir pour tenter de sauver la face. Après l’annonce de restrictions sur l’importation de milliers de produits taïwanais, le régime chinois a organisé d’importants exercices militaires autour de Taïwan, dans ce qui apparaît comme une préparation à un blocus de l’île, tandis que de nombreux appareils de l’APL pénétraient l’espace d’identification aérien taïwanais.

Comme l’a montré la guerre en Ukraine, dans le contexte actuel d’intensification des conflits entre puissances impérialistes, les événements peuvent prendre leur propre logique. Nous ne pouvons pas nous reposer sur le caractère « raisonnable » des classes dirigeantes, de quelque bord que ce soit. La visite de Pelosi était par exemple une provocation insensée qui met en danger les habitants de deux rives du Détroit de Taïwan, et cela en grande partie au nom des intérêts purement électoraux du parti démocrate américain.

Il est tout à fait envisageable que la Chine aille plus loin qu’elle ne l’a déjà fait dans ses mesures de rétorsion contre Taïwan, même s’il est impossible de dire quelle forme exacte de telles mesures pourraient prendre. Pékin pourrait par exemple imposer un blocus naval de l’île, et lancer ainsi un défi aux marines américaines et japonaises.

Dans leur déclin, l’impérialisme américain et le capitalisme mondial ne font que plonger d’une crise à l’autre, plaçant à chaque fois d’innombrables vies au bord du gouffre. La classe ouvrière d’Asie, des Etats-Unis et du monde entier ne pourront espérer sortir de ce chaos sans fin qu’en renversant leurs classes dirigeantes respectives.

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