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Le 19 juin, le candidat de gauche Gustavo Petro a remporté l’élection présidentielle colombienne contre le démagogue de droite Rodolfo Hernandez avec 50,48 % des voix. L’importance historique de la victoire de Petro, de sa vice-présidente afro-colombienne Francia Marquez et de leur alliance du Pacto Histórico (Pacte Historique) est énorme. Pour la première fois de son histoire, la Colombie a vu l’élection d’un président de gauche.

C’est d’autant plus marquant que, par le passé, tous les candidats qui se sont directement opposés à l’oligarchie ont été assassinés (ce fut le cas de Jorge Eliécer Gaitán, Jaime Pardo Leal, Bernardo Jaramillo, Carlos Pizarro, ou encore de Luís Carlos Galán). Dans les années 1980, la formation d’un parti de gauche, l’Union patriotique, avait provoqué de la part de la droite une véritable campagne d’assassinats : 1163 de ses militants avaient été tués en huit ans, dont deux candidats à la présidence, 13 députés et 11 élus locaux. Vu ce passif, la victoire de Petro et de son parti de gauche est un événement sans précédent, qui reflète la profondeur de la crise que traverse le capitalisme colombien et international. Il s’agit aussi d’une défaite pour le camp de l’ex-président de droite Uribe, dont le candidat a été balayé dès le premier tour, au profit de Petro et d’un candidat de droite « anti-système », Rodolfo Hernandez.

Les racines de la victoire

La victoire de Petro se produit dans un contexte de grand mécontentement social combiné à un profond discrédit des institutions politiques de la classe dirigeante. Les divers gouvernements de droite et d’extrême droite qui se sont succédé au pouvoir ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour maintenir le statu quo social et politique. Celui-ci est tel que la Colombie est un des pays les plus arriérés du continent et un des plus inégalitaires au monde : 1 % des propriétaires terriens y possèdent 81 % des terres du pays, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, les services publics sont quasiment inexistants et le pays est plongé depuis des décennies dans un climat de violence et de répression – marqué notamment par des vagues d’assassinat de « leaders sociaux », c’est-à-dire des dirigeants de communautés paysannes qui défendent leurs terres et leurs villages des destructions causées par les multinationales ou les paramilitaires.

Le mandat du président de droite Ivan Duque (arrivé au pouvoir en 2018) a marqué une nette accélération dans la conscience de classe des jeunes, des travailleurs et des paysans pauvres. En 2019 et en 2021, un mouvement de grèves et de mobilisations de masse a notamment eu lieu contre les mesures d’austérité et un projet d’augmentation des impôts. Le mouvement de 2021 a été particulièrement puissant, a duré près de trois mois et a mobilisé largement dans de larges couches de la population. Malgré une répression féroce, les travailleurs auraient tout à fait pu renverser Duque. Malheureusement, les dirigeants du mouvement, et notamment les directions nationales des syndicats, ont reculé lorsque le mouvement a pris de l’ampleur. Après cet échec, la candidature de Petro est donc apparue comme une continuation électorale de cette cristallisation de la lutte de classe en Colombie.

Le programme de Petro prévoit une « redistribution » de la richesse, la mise en place de droits fondamentaux comme l’accès à la santé et un système public de retraites, une meilleure distribution de la terre et un passage d’une économie basée surtout sur l’extraction des matières premières à une économie plus productive et développée. Ces mesures démocratiques et économiques lui ont permis de s’appuyer sur une partie des couches les plus opprimées et exploitées de la population, qui y voient l’espoir d’un véritable changement de la société colombienne.

Des limites et des incertitudes

Pour autant, l’écart a été très serré entre Petro et son opposant Hernandez, un millionnaire réactionnaire qui s’est fait remarquer par sa démagogie « anti-corruption » et ses attaques radicales contre les partis traditionnels. Par contraste, Petro a défendu un programme relativement modéré, a noué des alliances avec des figures de la droite traditionnelle et a tenu à afficher démonstrativement son respect pour les institutions bourgeoises. Il a par exemple été jusqu’à prêter serment devant un notaire pour certifier qu’il n’aurait jamais recours à des expropriations ! Cette recherche de compromis l’a empêché de mobiliser autant qu’il l’aurait pu, notamment parmi les couches les plus précaires et les plus pauvres, particulièrement dans les campagnes.

Après son élection, Petro a continué sur cette lancée et a proposé un accord national avec ses opposants afin de « gouverner ensemble ». Il s’agit d’une grave erreur. Même si Petro négocie avec la classe dirigeante, celle-ci l’attaquera quand même dès qu’il tentera de faire passer la moindre réforme progressiste. Dans le contexte actuel d’une crise profonde du système capitaliste, aucune réforme ne pourra être gagnée par le simple jeu parlementaire. Loin d’être prête à consentir à de nouveaux acquis sociaux, aussi limités soient-ils, la bourgeoisie veut en effet faire payer la crise aux travailleurs. Elle utilisera donc tous les moyens qu’elle a à sa disposition pour s’opposer aux projets de Petro ou faire tomber son gouvernement : des calomnies au sabotage de l’appareil d’Etat et de la justice, en passant par la grève des investissements et la fuite des capitaux.

Par ailleurs, Petro commet une autre erreur politique profonde en croyant qu’il est possible de développer un capitalisme « démocratique » et « productif » dans un pays soumis à l’impérialisme américain. Celui-ci a tout intérêt à ce que la Colombie reste cantonnée à l’exportation de matières premières et ne développe pas une industrie et des technologies qui pourraient concurrencer les siennes. Petro sera donc en butte, non seulement à la classe dirigeante colombienne, mais aussi à Washington.

Si Petro continue à essayer de chercher à se concilier la bourgeoisie colombienne, il ne peut que paralyser son gouvernement, démoraliser sa base et préparer le retour de la droite au pouvoir. Si Petro est incapable de faire avancer les conditions de vie de la majorité de la population colombienne, Hernandez ou un autre démagogue de droite pourrait en tirer profit pour se hisser à la présidence, comme Bolsonaro l’a fait au Brésil après l’échec des gouvernements de Lula et Dilma Rousseff.

Le besoin d’une alternative de classe

Pourtant, le scénario d’une capitulation de Petro ou d’un retour rapide de la droite n’est pas la seule possibilité. Indépendamment du programme réformiste et des erreurs de Petro, sa victoire aura pour effet d’accroître la confiance des masses en leurs propres forces. C’est précisément ce que craint la classe dirigeante : que la présidence de Petro n’exacerbe la lutte des classes. La puissante grève insurrectionnelle qui se déroule en ce moment même en Equateur n’est pas faite pour la rassurer. Les mobilisations dans les pays voisins pourraient être une inspiration pour les masses colombiennes. Si elles pensent que le gouvernement de Petro met trop longtemps à leur apporter ce qu’il a promis, elles peuvent tenter de prendre les choses en main elles-mêmes.

Pour être victorieuse, une telle lutte doit néanmoins être organisée et dotée d’un programme qui cible clairement la racine des problèmes de la Colombie, c’est-à-dire la propriété capitaliste et l’impérialisme, et qui souligne que la classe ouvrière et la paysannerie colombiennes ne peuvent compter que sur leurs propres forces. La tâche de nos camarades de la TMI en Colombie est claire : entrer en contact avec la couche la plus avancée des masses, qui va chercher à lutter et à s’organiser. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de construire une véritable alternative révolutionnaire capable de transformer la lutte pour les réformes en une lutte pour le socialisme, pour en finir avec le règne de l’oligarchie colombienne.

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