La philosophie marxiste est le matérialisme dialectique. Engels définissait la dialectique comme « la science des lois générales du mouvement et du développement de la nature, de la société humaine et de la pensée » [1] – autrement dit, de tout le réel. Parmi ces lois générales, la plus connue est celle de la transformation de la quantité en qualité. Par exemple, l’ébullition est le résultat qualitatif, à un certain stade, d’un phénomène quantitatif (chaleur croissante). Autre exemple : l’inflation, à un certain stade, provoque fatalement des grèves pour arracher des augmentations de salaire.
La négation de la négation est une autre de ces lois générales. Elle est très décriée par les adversaires du marxisme, à commencer par les… « marxiens » [2]. Louis Althusser, qui a influencé de nombreux « marxiens », qualifiait cette loi de « délire absolu ». [3]
Il est vrai que chez le génial Hegel, qui fut le premier à la formuler, cette loi a souvent un caractère mystique. Pour Hegel, l’Idée absolue (Dieu, en somme) se nie – ou « s’aliène » – dans le monde et l’histoire, pour ensuite « revenir à elle-même » (deuxième négation), enrichie de toutes les étapes de son cheminement : c’est le Savoir absolu. Bien sûr, d’un point de vue matérialiste, cela ne tient pas debout. Mais il y a là une idée très profonde : la deuxième négation ne marque pas un simple retour à la position initiale ; elle marque un développement enrichi de tout ce qui a découlé de la première négation.
Prenons un exemple. L’humanité a connu une très longue phase de « communisme primitif » : il n’y avait pas de propriété privée de la terre et pas de classes sociales. Mais à un certain stade, le développement des forces productives a déterminé l’émergence de la propriété privée et de l’exploitation de classe : première négation. Le communisme moderne, qu’on doit réaliser, marquera une deuxième négation, mais il ne s’agira pas d’un simple retour au communisme primitif, qui reposait sur l’indigence matérielle ; il s’agira d’un communisme reposant sur le résultat de milliers d’années de progrès scientifiques et technologiques.
Dans son Anti-Dühring, Engels donne d’autres exemples se rapportant à l’économie, à la géologie, à l’histoire de la philosophie, aux mathématiques, etc. Polémiquant contre Eugen Dühring, qui qualifiait cette loi de « faribole hégélienne », Engels explique que la négation de la négation est « une procédure très simple, qui s’accomplit en tous lieux et tous les jours, que tout enfant peut comprendre, dès qu’on élimine le fatras mystérieux sous lequel la vieille philosophie idéaliste la dissimulait (…). » Il poursuit : c’est « une loi du développement de la nature, de l’histoire et de la pensée extrêmement générale et, précisément pour cela, revêtue d’une portée et d’une signification extrêmes ». De fait, la méthode dialectique joue un rôle central dans la lutte révolutionnaire contre le capitalisme. Et c’est précisément la raison de l’hostilité qu’elle suscite chez les partisans – plus ou moins avoués – de ce système.
[1] Anti-Dühring. Editions sociales. Page 170.
[2] Les « marxiens », comme ils se nomment eux-mêmes, sont des spécialistes d’un Marx transformé en objet purement académique, dévitalisé, sans portée révolutionnaire.
[3] Eléments d’auto-critique. Editions HL. Page 79.
