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Le Parti Communiste français a fêté ses 100 ans en décembre. Cet anniversaire le trouve à son plus bas niveau historique en termes d’effectifs militants comme de performances électorales. Englué dans le réformisme et des alliances sans principes avec le PS (entre autres), le PCF est aujourd’hui menacé de marginalisation. Il représentait pourtant quelque chose d’énorme à sa naissance : l’espoir d’une révolution socialiste en France.

La naissance du PCF

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, en août 1914, les dirigeants du mouvement ouvrier français – et notamment de la SFIO, le futur PS – se rangent derrière leur bourgeoisie nationale. Ils soutiennent la guerre impérialiste. Mais cette trahison ne fait pas l’unanimité. Des militants isolés font entendre une parole internationaliste et révolutionnaire ; au fur et à mesure que la guerre s’enlise, ils deviennent plus nombreux. Deux conférences internationales – à Zimmerwald, puis à Kienthal – rassemblent des opposants socialistes à la guerre impérialiste de nombreux pays.

La Révolution russe de 1917 renforce l’aile gauche du mouvement ouvrier français. La victoire des bolcheviks a prouvé que la révolution est possible – et comment elle est possible. De leur côté, les communistes russes appellent à la création d’une nouvelle Internationale, l’Internationale Communiste (IC). Après la guerre, la fracture entre réformistes et révolutionnaires se cristallise donc sur la question de l’adhésion à l’IC : la SFIO doit-elle rester dans l’ancienne Internationale, que certains s’efforcent de reconstruire – ou doit-elle rallier la nouvelle Internationale, qui se présente comme le « Parti mondial de la révolution » ?

L’attraction qu’exerce l’IC est d’autant plus forte que, dans plusieurs pays, la révolution semble à portée de main. En Allemagne, en Hongrie, en Italie, la classe ouvrière se lance dans l’action révolutionnaire. En France, une série de grèves très dures se développe en 1919 et 1920. Soumis à cette pression, certains dirigeants réformistes se rallient à l’IC. Lors du Congrès de Tours de la SFIO, en décembre 1920, une alliance entre la gauche et une partie du « centre » l’emporte haut la main. Le Parti Communiste, section française de l’Internationale Communiste, est né. Une minorité scissionne et maintient la SFIO.

La stalinisation du PC français

Le nouveau Parti Communiste hérite d’une couche de dirigeants réformistes qui ont suivi le courant. Ceux-ci sabotent l’application des politiques proposées par l’IC. Une lutte très dure oppose la direction officielle à la gauche du parti. Dans un premier temps, celle-ci remporte plusieurs victoires, mais elles vont être bientôt balayées par la contre-révolution stalinienne qui, en URSS, bat son plein.

Du fait de l’isolement et de l’arriération de la Russie, mais aussi de l’écrasement de la révolution en Europe occidentale, la couche bureaucratique qui a émergé en Union Soviétique se renforce et finit par usurper le pouvoir. Dès lors, elle s’attelle à transformer l’IC en un instrument de sa domination. En France, dès 1924, la direction du PC est « prise en main » par des fidèles de la direction bureaucratisée de l’IC, dont de nombreux ex-réformistes. Sous prétexte de « bolchevisation » du parti, sa démocratie interne est liquidée. En se dissimulant derrière le prestige de la révolution d’Octobre, les bureaucrates staliniens se soumettent toutes les sections de l’IC [1].

La direction du PC l’entraîne alors dans une succession de zig-zags dévastateurs. La bureaucratie saute, presque sans transition, de la recherche d’alliances avec les directions réformistes à la dénonciation des militants socialistes comme « sociaux-fascistes ». Les militants sont désorientés, mais aussi en butte à la répression policière que facilite la politique de « conquête de la rue » adoptée par la direction de l’IC.

Le Front populaire

L’arrivée au pouvoir d’Hitler, en 1933, change la donne. Tout en se ménageant l’option d’une alliance militaire avec l’Allemagne nazie, Staline cherche d’abord la protection d’une alliance militaire avec la France. Nouveau tournant pour les militants communistes : les dirigeants expliquent que la République bourgeoise française est désormais une « amie de la paix ». Et donc il ne s’agit plus de la renverser, mais de la défendre – y compris contre les révolutionnaires coloniaux.

Parallèlement, la menace du fascisme, incarnée par le coup de force du 6 février 1934, suscite une forte poussée vers l’unité d’action à la base du PC et de la SFIO. D’abord combattue par la direction du PC, cette aspiration à l’unité est ensuite détournée pour servir la politique de « Front populaire ». Le « Front populaire » est une politique de collaboration de classe : les staliniens intègrent le Parti radical – un parti bourgeois – à l’alliance électorale conclue avec la SFIO. Or les radicaux ont fait partie de nombreuses coalitions gouvernementales depuis 1898. Ils ont appliqué une succession de mesures réactionnaires et austéritaires après la crise de 1929. Mais Staline veut rassurer la bourgeoisie française : en s’alliant avec les radicaux, les communistes français renoncent à la révolution.

De fait, lorsqu’éclate la grève générale illimitée de juin 1936, la direction du PCF refuse d’orienter les travailleurs vers la conquête du pouvoir. Le dirigeant Maurice Thorez déclare : « il faut savoir terminer une grève ». Pour la première fois de son histoire, mais pas la dernière, la direction du PCF refuse de s’appuyer sur une vague révolutionnaire pour prendre le pouvoir.

La Deuxième Guerre mondiale

En 1939, nouveau changement : alors que, depuis 1935, le PC milite pour une nouvelle « union sacrée » contre l’Allemagne nazie, Staline conclut une alliance militaire avec Hitler. Les militants du PCF sont informés que la guerre, désormais, est déclenchée par la « bourgeoisie de Londres ». De son côté, Staline scelle son alliance avec Hitler en envahissant la moitié de la Pologne et en livrant au régime nazi des communistes allemands réfugiés en URSS. Certains passeront directement des goulags staliniens aux camps nazis.

En France, pour la majorité du PCF, cette période est surtout marquée par la confusion et la désorganisation. Interdit dès septembre 1939, le parti est durement frappé par la répression pétainiste et nazie. Si des militants communistes passent à la résistance dès le début de l’occupation allemande, certains dirigeants poussent, au contraire, à la neutralité. Au nom de l’alliance Hitler-Staline, ils vont jusqu’à demander aux autorités allemandes le droit de faire paraître légalement L’Humanité – en vain.

Tout cela change au cours de l’année 1941, après l’agression hitlérienne contre l’URSS. Alors, le PCF se lance à fond dans la résistance armée contre l’occupation. Ses militants multiplient les attentats et les actes de sabotage ; ils paient souvent le prix du sang pour leur héroïsme. Cependant, la direction du parti renoue avec la rhétorique du Front populaire, en élargissant cette fois l’alliance aux organisations bourgeoises de la résistance et aux défenseurs acharnés de l’empire colonial français. Staline impose aux communistes français de se soumettre à l’autorité de De Gaulle, pour rassurer les occidentaux. Suivant le même objectif, Staline dissout l’Internationale Communiste d’un trait de plume en 1943.

La libération et la « reconstruction »

La libération s’accompagne souvent – comme dans le Sud-Ouest ou à Paris – d’une véritable insurrection populaire, dans laquelle le PC joue un rôle décisif. Cependant, l’objectif des dirigeants du parti n’est pas de renverser le capitalisme, mais de restaurer l’Etat bourgeois. Les nombreux groupes de résistants armés sont intégrés dans l’armée régulière, où ils doivent souvent obéir aux ordres d’officiers récemment pétainistes. La perspective du socialisme est écartée au profit de la « reconstruction » nationale. D’importantes réformes progressistes sont mises en œuvre par les ministres communistes (comme la Sécurité sociale), mais elles sont limitées et, surtout, elles s’accompagnent d’une remise sur pied de la bourgeoisie française, qui avait été complètement discréditée par la collaboration.

Lorsque des travailleurs se mettent en grève pour protester contre leur surexploitation, le ministre d’Etat et secrétaire général du PC Maurice Thorez les accuse de faire le jeu des « trusts » et de l’impérialisme américain. Lorsque les indigènes d’Algérie manifestent pour leur liberté et se font massacrer, L’Humanité les traite de « provocateurs hitlériens ». Le PC avance alors la perspective purement réformiste d’une lente évolution vers le socialisme, sous l’égide d’un gouvernement réunissant communistes, socialistes et « démocrates ». Cependant, le début de la guerre froide les pousse hors du gouvernement en 1947. Ils n’y retourneront pas avant 1981.

D’un gouvernement à l’autre

Au cours des décennies qui suivirent cette première expérience gouvernementale du PCF, la bureaucratie stalinienne démontre régulièrement son caractère réactionnaire. En mai 1968, elle s’oppose délibérément à la conquête du pouvoir par la classe ouvrière [2]. Cette impasse facilite la renaissance de la social-démocratie et mène à l’élection de François Mitterrand en mai 1981. De nouveau, le PCF envoie des ministres au gouvernement. Ils y restent assez longtemps pour avaliser le « tournant de la rigueur », en 1982, et approuver les mesures d’austérité du gouvernement Mauroy. Le PCF en sort profondément discrédité dans les couches les plus radicalisées de la jeunesse et du salariat.

Lors de la chute de l’URSS, en 1991, la direction du PCF se montre incapable d’en expliquer les raisons. Après avoir longtemps soutenu les dictatures staliniennes, elle se rallie à « l’économie de marché », c’est-à-dire au capitalisme. Progressivement, le PC devient l’aile gauche de la social-démocratie. Lors du gouvernement Jospin de 1997-2002, c’est même un ministre communiste, Jean-Claude Gayssot, qui engage la privatisation d’Air France.

Depuis, le déclin du PCF s’est poursuivi malgré la crise de 2008 et la radicalisation politique qu’elle a suscitée. L’appareil du parti refuse de rompre avec sa stratégie d’alliances électorales mortifères. Au final, la combinaison du stalinisme et du réformisme a transformé l’organisation d’avant-garde de 1920, qui se fixait comme objectif de fonder une « République Soviétique Française », en un parti encore plus réformiste que ne l’était la SFIO de 1920.

Cependant, un siècle après la fondation du PCF, la profonde crise du capitalisme nous rappelle que la construction d’une section française du « Parti mondial de la révolution » est plus nécessaire que jamais. A nous d’y parvenir, en commençant par tirer les leçons de l’histoire.


[1] Voir : Il y a 100 ans, la fondation de la IIIe Internationale

[2] Voir : La révolution de Mai 68

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