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370 militants des quatre coins du monde ont participé au Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale (TMI), fin juillet, dans les Alpes italiennes. Une trentaine de pays étaient représentés. La délégation française comptait 31 militants.

Les Congrès mondiaux de la TMI se tiennent tous les deux ans. Ils réalisent le travail classique d’un congrès : discuter, amender et voter des documents ; élire une nouvelle direction. Cependant, leur composition internationale donne à ces réunions une qualité particulière. La richesse des débats en bénéficie beaucoup, tout comme l’ambiance. Lors des discussions informelles entre camarades, la barrière de la langue est balayée grâce à divers dialectes improvisés, parfois improbables, mais au final intelligibles, l’enthousiasme tenant lieu de syntaxe.

Les Perspectives mondiales

Comme toujours, le Congrès a commencé par une discussion sur la situation économique, sociale et politique à l’échelle internationale, à l’appui d’un document d’orientation : les Perspectives mondiales. Pour les marxistes, cette approche va de soi. Le capitalisme s’est développé comme un système mondial, si bien qu’il est impossible d’analyser la situation dans tel ou tel pays indépendamment des processus à l’œuvre au niveau international.

C’est évident en ce qui concerne la situation économique. Aucun pays, pas même le plus puissant, ne peut échapper à la domination du marché mondial. Or, dix ans après la crise de 2008, la « reprise » économique est à la fois très faible et très fragile. Elle ne permet pas de faire baisser le chômage et d’élever le niveau de vie des masses. Au contraire : les politiques d’austérité se poursuivent partout, à des degrés divers. Et désormais, les économistes bourgeois les plus sérieux redoutent une nouvelle récession mondiale. De fait, tous les éléments d’une nouvelle crise majeure s’accumulent. Depuis 2008, rien n’a été réglé ; par contre, de nouveaux problèmes sont apparus.

Alan WoodsEn particulier, le développement de tendances protectionnistes – notamment aux Etats-Unis, mais pas seulement – représente une menace très sérieuse pour la croissance mondiale. Comme Alan Woods l’a souligné dans son exposé introductif, nous avons affaire, pour le moment, à l’amorce d’une guerre commerciale – ou, si l’on préfère, à une guerre commerciale de basse intensité. Sa généralisation et son intensification plongeraient le capitalisme mondial dans une dépression, comme ce fut le cas dans les années 30. Les stratèges du Capital les plus intelligents le comprennent et le redoutent. Ils observent avec angoisse les activités du locataire de la Maison-Blanche. Ils multiplient les avertissements solennels. Mais ce qu’incarne Donald Trump, c’est précisément l’égoïsme aveugle, stupide et étroit du grand Capital. Dans le contexte d’une crise de surproduction mondiale, les bourgeoisies des grandes puissances sont objectivement poussées à protéger leur marché intérieur, au risque de provoquer une série incontrôlable de mesures de rétorsion – et, en fin de course, un effondrement du commerce international, dont tous les pays pâtiraient (y compris les Etats-Unis).

D’ores et déjà, dix années de crise, de contre-réformes et d’austérité ont profondément déstabilisé les équilibres politiques. Aucun pays n’échappe – ou n’échappera – à ce phénomène. Lors de la discussion, des dizaines d’interventions ont permis d’illustrer la crise politique et sociale qui frappe tous les continents, sous des formes et à des rythmes divers. Par exemple, quelques semaines avant l’ouverture du Congrès mondial, un mouvement insurrectionnel a éclaté à Haïti, dont le peuple martyr vit sous la dictature des « Casques bleus » de l’ONU, c’est-à-dire de puissances impérialistes.

Aux Etats-Unis, la crise de régime est d’une ampleur inédite. Il y a une scission ouverte au sein de l’appareil d’Etat, dont une fraction attaque publiquement l’administration de Donald Trump. La classe dirigeante américaine est divisée. Dans le même temps, sous l’impact de la crise, des millions de jeunes et de travailleurs américains cherchent une alternative à l’ordre établi et se déclarent favorables au socialisme. C’est un tournant dans la vie politique de ce pays. Le développement des Socialistes Démocrates d’Amérique (DSA) en est l’une des illustrations. Avec quelque 50 000 membres, les DSA sont encore une organisation de taille modeste, à l’échelle des Etats-Unis. Mais elle attire la jeunesse et pourrait grandir rapidement. Nos camarades de Socialist Revolution y mènent un excellent travail de diffusion des idées du marxisme, qui sont très bien reçues par les militants de base.

En Europe, de nouvelles lignes de fracture apparaissent ou s’élargissent. Les négociations sur le Brexit n’ont pas permis d’écarter la perspective d’une issue chaotique. Cela aura un impact non seulement sur la Grande-Bretagne, où une récession semble inévitable, mais aussi sur l’UE, qui en subira les contrecoups.

En Espagne, la lutte du peuple catalan pour ses droits démocratiques n’est pas terminée. L’Etat espagnol a remporté une victoire temporaire, à coup de répression brutale. Mais le problème n’est pas réglé. Le Congrès mondial de la TMI a d’ailleurs voté une résolution exigeant la libération des prisonniers politiques catalans et l’abandon de toutes les charges contre les dirigeants en exil.

Des camarades sont intervenus pour évoquer les crises politiques en Allemagne, en France, en Autriche et dans d’autres pays de l’UE. Mais c’est clairement l’Italie, désormais, qui suscite les plus vives inquiétudes des classes dirigeantes européennes. Le Congrès mondial a consacré toute une matinée à ce pays et au travail de notre section italienne. Le gouvernement de coalition entre l’extrême droite de Salvini et le Mouvement 5 Etoiles (M5S) est très fragile. Après avoir multiplié les promesses « sociales » et les déclarations démagogiques contre « le système », les dirigeants du M5S vont rapidement se discréditer auprès des millions de jeunes, de salariés et de chômeurs qui ont voté pour ce mouvement. Par ailleurs, les provocations racistes, sexistes et homophobes de Salvini pourraient déclencher de grandes mobilisations de la jeunesse. Or la classe dirigeante italienne ne peut plus compter sur l’autorité des dirigeants du mouvement ouvrier pour canaliser la lutte des masses, car ces mêmes dirigeants ont détruit la gauche italienne et n’ont plus aucune autorité. L’Italie glisse, sans frein, vers une explosion de la lutte des classes – non dans 10 ou 20 ans, mais à court terme.

Les mêmes tendances fondamentales sont à l’œuvre en Amérique latine, en Afrique et en Asie. On doit se préparer, partout, à des tournants brusques, des crises politiques majeures et de puissantes mobilisations de masse. Au Pakistan, par exemple, la situation est en train de changer, comme l’a montré le récent mouvement des Pachtounes. La nouvelle génération de travailleurs ne va pas tolérer beaucoup plus longtemps l’enfer du capitalisme pakistanais, qui est pourri jusqu’à la moelle et incapable de satisfaire les besoins les plus élémentaires du peuple. En avril dernier, plusieurs de nos camarades pakistanais ont été arrêtés ; ils ont été libérés grâce à la campagne internationale lancée par la TMI. Ce Congrès mondial fut l’occasion de réaffirmer la solidarité de toute l’Internationale avec sa section pakistanaise, qui travaille dans des conditions très difficiles.

Le document sur les oppressions

Fred WestonLe troisième jour du Congrès, Fred Weston a introduit la discussion sur le marxisme et les oppressions, à l’appui d’un document soumis au vote des délégués. Ce document réaffirme les idées fondamentales du marxisme sur la lutte contre les oppressions (de genre, nationale, religieuse, etc.). Il trace une ligne de démarcation nette entre le marxisme et les différentes théories « féministes » ou « intersectionnelles » qui ont fleuri, ces dernières décennies, et ont une certaine influence dans une partie de la jeunesse, en particulier la jeunesse étudiante. Dans la mesure où la TMI mène un travail systématique sur les universités, il nous fallait clarifier notre position sur cette question.

Les défaites de la classe ouvrière, dans les années 70 et 80, ont favorisé une vision pessimiste chez de nombreux intellectuels de gauche. Cette tendance a été renforcée par la chute du bloc de l’Est et la vague de propagande pro-capitaliste qui l’a suivie. Ces intellectuels disqualifiaient la perspective d’une révolution socialiste, tout comme l’idée de « progrès », voire de science. Le « post-modernisme » servait de refuge et de justification théoriques à leur démoralisation. Tel fut l'un des points de départ des différentes théories évoquées ci-dessus.

Ici, nous ne pouvons pas résumer le long document adopté par notre Congrès ; nous le publierons lorsque nous aurons traduit les amendements adoptés. Soulignons simplement que, contrairement à une idée reçue, les marxistes prennent très au sérieux la lutte contre toutes les oppressions. Sans cette lutte, la révolution socialiste serait impossible. Par exemple, sans la lutte du Parti bolchevik contre l’oppression nationale en Russie, la révolution d’Octobre 1917 n’aurait pas été possible. Mais précisément parce qu’on prend au sérieux la lutte contre les oppressions, il nous faut la mener sur des bases théoriques solides. Or, sous prétexte de lutter contre les oppressions, les théories « intersectionnelles » divisent notre classe, au lieu de l’unir. Au lieu de favoriser l’unité de tous les jeunes et travailleurs dans une lutte commune contre la classe dirigeante et contre le capitalisme, ces théories érigent une pyramide infernale de soi-disant « privilégiés », chacun s’y retrouvant, au final, le « privilégié » d’un autre. Dans les faits, cela aboutit à d’absurdes divisions de notre camp, sous les applaudissements de la bourgeoisie.

Des camarades de plusieurs pays sont intervenus, à la tribune du Congrès, pour en donner des exemples concrets. En voici un : au Canada, l’an passé, des militants « intersectionnels » ont fait pression pour empêcher une manifestation « anti-Trump », sous prétexte que ses organisateurs étaient blancs, donc « privilégiés », donc « illégitimes », etc. Les jeunes « privilégiés » en question étaient juste révoltés par l’élection de Trump ; ils voulaient faire quelque chose ; ils ont organisé un événement via Facebook, lequel a eu beaucoup de succès – du moins jusqu’à l’arrivée des brigades intersectionnelles. Sous leur pression, les jeunes « privilégiés » ont annulé la manifestation. En quoi cela sert-il la lutte contre les oppressions ? On se le demande.

La construction de l’Internationale

La dernière partie du Congrès fut consacrée à l’évolution de l’Internationale comme organisation, c'est-à-dire de ses sections nationales, de ses finances et de son appareil. Jorge Martin a introduit la discussion. La TMI compte une trentaine de sections nationales, plus une dizaine de groupes qui s’orientent vers la constitution de sections officielles. Cette année, le Congrès mondial a voté l’adhésion officielle de la section indonésienne, qui ne comptait qu’une poignée de camarades il y a quelques années, mais dispose désormais de structures internes viables. Au total, l’Internationale est active dans 41 pays.

Depuis le précédent Congrès mondial, en juillet 2016, la croissance de la TMI a été significative. Elle a été particulièrement rapide au Canada, en Suède, aux Etats-Unis et au Pakistan. Bien d’autres sections – comme Révolution, en France – ont connu une croissance plus modeste, mais solide. Dans l’ensemble, la TMI se développe régulièrement. Son autorité politique augmente sans cesse. Surtout, elle est constituée de militants enthousiastes, souvent jeunes, qui ont une grande confiance dans nos idées marxistes et sont déterminés à construire l’Internationale. Cela s’est reflété dans la collecte, à laquelle participent toutes les sections. En 2017, la collecte avait dépassé les 70 000 euros ; cette année, elle a dépassé les 100 000 euros !

Au regard des tâches qu’elle s’est fixées, la TMI est toujours une petite organisation. Mais cela ne nous décourage pas. L’isolement des forces du marxisme est le résultat d’une série de facteurs historiques bien connus. L’émergence du stalinisme à la fin des années 1920, son renforcement à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, la faillite des dirigeants de la IVe Internationale après la mort de Trotsky, le renforcement du réformisme sur la base des « Trente glorieuses » : tous ces facteurs ont déterminé la marginalisation des forces révolutionnaires. Pendant toute une période, elles ont nagé contre le courant. L’essentiel, alors, était de maintenir vivantes les idées, les méthodes et les traditions du marxisme, c’est-à-dire de préparer l’avenir. C’est ce qu’a fait la TMI. Et à présent, le courant de l’histoire tourne – dans notre direction. Le stalinisme s’est effondré ; la crise organique du capitalisme sape les bases matérielles du réformisme. Dans les années à venir, les forces du marxisme ne cesseront de croître. Pour nous aider dans ce travail et ce combat, rejoignez-nous !

 

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