Les dirigeants et intellectuels de la gauche réformiste rejettent le concept d’avant-garde de la classe ouvrière. Les anarchistes partagent ce rejet. Derrière ce concept marxiste se profilerait la menace, voire le secret projet, de la dictature d’une minorité sur l’ensemble de la classe ouvrière.
Historiquement, les partis staliniens – qui se proclamaient « organisation de l’avant-garde des travailleurs » – ont nourri cette méfiance. A force de zigzags et de trahisons, les bureaucraties qui dirigeaient les PC staliniens ont contribué à discréditer la notion d’avant-garde. Ce fut notamment le cas du PCF, en France. Mais ceci ne nous mène pas très loin. Pour comprendre une idée marxiste, il faut commencer par ne pas la confondre avec sa caricature stalinienne.
Une réalité objective
Le point de départ du concept d’avant-garde est une réalité objective indiscutable : la classe ouvrière n’est pas politiquement homogène. Le niveau de conscience des travailleurs est très inégal. Par exemple, une fraction du salariat vote systématiquement pour les partis de droite ou d’extrême droite, c’est-à-dire contre ses intérêts de classe. La fraction la plus nombreuse oscille entre différentes positions politiques, selon les circonstances. Enfin, la minorité la plus consciente de notre classe constitue son avant-garde.
Bien sûr, il n’y a pas de frontières étanches entre les différentes couches du salariat, qui ne cessent d’évoluer et de se recomposer. Mais lors des périodes « normales » (non révolutionnaires), seule une petite minorité de la classe ouvrière développe une conscience révolutionnaire. Pourquoi seulement une minorité ? Parce que l’exploitation et l’oppression que subissent les travailleurs, sous le capitalisme, ne déterminent pas automatiquement le développement d’une conscience révolutionnaire. L’oppression et l’exploitation ont des effets contradictoires : d’un côté, elles préparent une crise révolutionnaire, à terme ; mais d’un autre côté, elles tiennent la masse des travailleurs à distance de la vie politique (longues journées de travail, etc.). Par ailleurs, le poids de l’habitude et des traditions pèse lourdement sur la conscience de l’écrasante majorité du salariat.
Le rôle du parti
Le rôle de l’avant-garde est précisément d’influencer la masse des travailleurs, de l’orienter vers la révolution socialiste. Comme l’écrivait Trotsky : « Ce qui fait la force de cette minorité, c’est que plus elle agit avec fermeté, résolution et assurance, plus elle trouve de soutien dans la masse ouvrière innombrable demeurée en arrière. » [1] Cependant, pour être en mesure de jouer ce rôle dirigeant, l’avant-garde doit elle-même être organisée, sur la base d’un programme scientifique et d’une discipline de fer. Autrement dit, elle doit s’organiser en un parti révolutionnaire.
A cet égard, ce qui caractérise la période actuelle, en France, c’est précisément l’absence d’un tel parti. Révolution n’est que l’embryon d’un parti révolutionnaire. Notre tâche immédiate n’est pas de diriger les masses (c’est hors de notre portée), mais de gagner l’avant-garde aux idées du marxisme, en commençant par les couches les plus radicalisées de la jeunesse étudiante et salariée. Le regroupement de l’avant-garde dans un parti révolutionnaire – et même, au niveau mondial, dans une Internationale révolutionnaire – est une étape incontournable dans la lutte pour le socialisme.
[1] Lettre ouverte à Pierre Monatte (1920).