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Ce document a été adopté par le Congrès national de Révolution, qui s’est tenu les 19 et 20 juin 2021.


Douze ans après la crise économique de 2008, la crise sanitaire marque un nouveau tournant de l’histoire. L’impact de la pandémie sur l’économie mondiale est colossal. Ses conséquences politiques et sociales ne le seront pas moins.

Nous avons souvent souligné qu’il faut de grands chocs, de grands événements historiques, pour arracher la masse des travailleurs à leur routine, leurs préjugés et leur passivité. La crise sanitaire constitue précisément l’un de ces chocs. Une fois passé le moment initial de stupeur et d’angoisse, de nombreux travailleurs ont enregistré, dans leur esprit, tous les échecs de la classe dirigeante : sur les masques, les tests, les capacités hospitalières – et maintenant les vaccins. Ils ont vu que les gouvernements étaient prêts à sacrifier la santé publique sur l’autel de la course aux profits.

Plus d’un an après la flambée de la pandémie, en février-mars 2020, les classes dirigeantes ne contrôlent toujours pas la situation sanitaire au niveau international. Du fait de l’extrême lenteur de la campagne vaccinale, dont beaucoup de pays pauvres sont encore exclus, personne n’est en mesure de prévoir l’évolution de l’épidémie. L’émergence de variants qui résistent aux vaccins est un risque réel. Cela compromettrait l’efficacité de la campagne vaccinale dans tous les pays, y compris les plus riches.

L’optimisme affiché par certains « experts », journalistes et politiciens repose sur des considérations politiques – et non sur des bases scientifiques. Ils cherchent à couvrir la politique criminelle des gouvernements et le cynisme tout aussi criminel de Big Pharma, qui subordonne le niveau de production de vaccins au seul critère de la profitabilité maximale.

Lors de notre dernier Congrès national, en juin 2019, le facteur sanitaire ne jouait aucun rôle dans notre analyse de la situation économique, politique, sociale – et de ses développements les plus probables. A présent, c’est un élément incontournable des perspectives. Cependant, il serait vain de chercher à anticiper tel ou tel scénario sanitaire. Par ailleurs, l’impact concret de la crise sanitaire dépend avant tout de l’ensemble des contradictions – économiques, politiques et sociales – qui se sont accumulées depuis la crise de 2008, et même avant celle-ci. La pandémie aggrave les contradictions et accélère les processus. Ce sont ces contradictions et ces processus que nous devons analyser ici. Ils ont leur dynamique propre, relativement indépendante de la crise sanitaire.

La crise et la dette

La pandémie a provoqué une crise économique d’une profondeur inédite depuis la Grande Dépression des années 30. En 2020, le PIB mondial a reculé de 3,4 %, contre 1,7 % lors de la récession de 2009 [1]. L’OMC estime que la chute du commerce mondial, en 2020, s’est approchée des 10 %. La même année, les investissements directs étrangers (IDE) se sont effondrés de 42 %, à environ 859 milliards de dollars, contre 1500 milliards de dollars en 2019 [2].

Partout, le chômage et la pauvreté ont flambé. Pour éviter un effondrement complet de l’économie, qui aurait eu des conséquences sociales dantesques, les gouvernements et les Banques Centrales ont injecté dans l’économie des quantités inédites de liquidités. Aux Etats-Unis, le bilan de la Réserve Fédérale (FED) est passé de 4100 milliards de dollars en février 2020 à 7000 milliards en septembre de la même année, soit quelque 2900 milliards de dollars d’injection monétaire en l’espace de sept mois : du jamais vu, et de loin.

En Europe, la BCE ne cesse d’augmenter son plan de rachat de dettes. Le 10 décembre dernier, elle a annoncé ajouter 500 milliards d’euros aux divers plans initialement prévus. Entre mars 2020 et mars 2022, le montant total des rachats de dettes par la BCE s’élèverait à 2400 milliards d’euros – si ce bilan ne s’alourdit pas davantage d’ici là.

La baisse des recettes fiscales et, surtout, les divers plans de relance ou de « soutien » ont fait exploser les dettes publiques. Cumulés, les plans de soutien de Trump et Biden s’élèvent à 2800 milliards de dollars, soit 15 % du PIB américain. En l’espace d’un an, la dette publique mondiale a bondi de 84 à 98 % du PIB mondial [3]. En France, elle est passée de 100 à 120 % du PIB. Au total, en 2020, la dette mondiale (publique et privée) s’est creusée de 24 000 milliards de dollars. En janvier 2021, elle atteignait 281 000 milliards de dollars, soit environ 355 % du PIB mondial [4].

Ceci appelle deux remarques. Premièrement, cette intervention massive des Etats contredit totalement les théories libérales – qui ont si longtemps dominé la scène politique – selon lesquelles l’Etat ne doit surtout pas intervenir dans la sphère économique, qui doit être abandonnée aux bons offices du marché et de sa « main invisible ». Du jour au lendemain, les libéraux les plus orthodoxes ont jeté leurs principes par-dessus bord et se sont tournés vers l’Etat pour exiger qu’il vole au secours du marché – « quoi qu’il en coûte ». Dans la ferveur de leur conversion brutale, certains ont perdu tout repère et chantent les vertus d’un endettement illimité des Etats, comme si rien de fâcheux ne pouvait en découler, à terme.

Deuxièmement, cette injection massive de liquidités est complètement déconnectée de la sphère productive. Il s’agit, au final, d’une gigantesque opération de création monétaire. C’est la version moderne de la planche à billets. Les classes dirigeantes avaient réagi de la même manière dans la foulée de la crise de 2008. A l’époque, nous expliquions que ces politiques monétaires extrêmement souples – taux d’intérêts très bas, voire négatifs ; rachats massifs de dettes par les Banques Centrales – avaient pour effet de regonfler les bulles spéculatives qui avaient commencé à exploser. Il n’en va pas autrement depuis mars 2020, à ceci près que les quantités d’argent injectées dans l’économie sont deux fois plus importantes que dans la foulée de 2008.

Les économistes bourgeois les plus sérieux soulignent que de tels niveaux d’endettement sont inédits, dans l’histoire du capitalisme, et que le jour où ce château de cartes financier s’effondrera, ce qui est inévitable, les dégâts économiques et sociaux seront à la fois extrêmement sévères et incontrôlables. Qu’importe ! Dopées par « l’argent facile » qui coule à flots, les bourses mondiales sont reparties en forte hausse une fois passé le choc – et le krach – de février/mars 2020. En janvier dernier, l’économiste Marc Touati écrivait : « En dépit de la pandémie, de la récession et des risques qui pèsent sur 2021, les marchés boursiers continuent de croître dans le vide. Ainsi, qu’il s’agisse du Nasdaq, du Dow Jones ou encore du Dax 30, de nouveaux sommets historiques ne cessent d’être dépassés. Comme si la récession de 2020 n’avait pas eu lieu et que la pandémie n’avait jamais existé… Les bulles sont donc non seulement de retour, mais elles sont encore plus extravagantes qu’avant 2020. » [5]

Marc Touati donne l’exemple de l’action Tesla (voitures électriques), propriété d’Elon Musk : « l’action Tesla a flambé de 952 % sur une année et de quasiment 16 000 % depuis octobre 2012. Son Price Earning Ratio (qui rapporte la valorisation boursière aux profits effectifs de l’entreprise) atteint le niveau démentiel de 1600. Cela signifie que pour justifier une telle valorisation, il faudrait attendre 1600 années de profit de Tesla. » L’économiste conclut que « l’aveuglement collectif est encore pire » qu’à la veille de la crise de 2008, et se lamente : « Le pire est qu’au-delà des gains de court terme et de la fuite en avant orchestrée par les dirigeants politiques et monétaires de la planète, ce désordre est extrêmement dangereux dans la mesure où il transforme les marchés financiers en un gigantesque casino. Encore plus grave, il est en train de nuire à l’essence même du capitalisme, qui consiste à investir pour créer des entreprises, des richesses productives et de l’emploi. »

Touati se trompe sur un point important : « l’essence du capitalisme » ne consiste pas à créer des entreprises, des richesses productives et de l’emploi ; elle consiste à générer des profits. Le fantasme capitaliste par excellence est même de générer des profits sans avoir à passer par la pénible étape de la production. Tous les phénomènes spéculatifs engendrent cette illusion, qui en retour alimente la spéculation – jusqu’à ce que « l’économie réelle », qui repose sur la production, vienne brutalement sonner l’heure des comptes. Par exemple, la crise de surproduction a neutralisé l’inflation, ces dernières années. Mais cela ne peut pas durer indéfiniment.

Une nouvelle crise financière peut éclater à tout moment. Elle peut commencer par une poussée inflationniste, une flambée des taux d’intérêts sur les marchés obligataires ou une faillite dans le secteur bancaire. Différents scénarios sont possibles. On ne peut pas prévoir précisément d’où partira la prochaine crise financière. Ce qui est certain, par contre, c’est que les Banques Centrales et les gouvernements ne pourront pas indéfiniment éteindre les incendies en les arrosant de liquidités, car cela ne fait que repousser le problème en préparant une situation encore plus explosive. Les marchés financiers font penser à un toxicomane qui augmente sans cesse les doses – et, ce faisant, s’expose toujours plus au risque d’une overdose. La différence, c’est que le capitalisme ne va pas mourir de cette manière. Comme l’expliquait Lénine au début des années 1920, il ne peut pas y avoir de « crise finale du capitalisme ». Le capitalisme ne tombera pas comme un fruit trop mûr. Il se relèvera toujours de la pire des crises économiques, jusqu’à ce qu’il soit renversé par une mobilisation consciente et révolutionnaire des masses.

Crise organique

De nombreux économistes placent tous leurs espoirs dans un succès rapide de la campagne de vaccination, d’une part, et d’autre part dans une forte poussée de la demande, c’est-à-dire de la consommation des ménages. De fait, l’épargne d’une partie de la population a beaucoup augmenté depuis mars 2020. En France, d’ici la fin de 2021, elle devrait avoir augmenté de 200 milliards d’euros, au total, par rapport à son niveau habituel. Le Figaro du 22 février commente : « 200 milliards d’euros, c’est un montant astronomique, peu ou prou le coût de la crise sanitaire (…). Cela représente 8 points de PIB, soit près de la totalité des 8,3 points perdus par l’économie française l’année dernière. » Moralité : si cette « sur-épargne » est dépensée, tout rentrera dans l’ordre !

Des niveaux d’épargnes semblables sont constatés dans toutes les grandes puissances. A l’échelle mondiale, la sur-épargne atteint 2900 milliards. La moitié est concentrée aux Etats-Unis. On ne peut exclure que ce facteur joue un rôle dans la dynamique d’une reprise. De manière générale, les marxistes rejettent la perspective d’une récession permanente. Le cycle économique n’a pas été aboli ; il y aura forcément des phases de reprise. Cependant, du fait des énormes contradictions et déséquilibres internes du capitalisme mondial, les phases de reprise seront très fragiles et de courte durée. Il s’agira de brèves parenthèses entre des phases de récession ou de stagnation. C’est ce qui distingue une crise organique du capitalisme d’une simple crise conjoncturelle.

Par exemple, la sur-épargne accumulée ne sera pas intégralement dépensée. Une partie de cette épargne est concentrée dans un petit nombre de foyers riches, voire très riches, qui se tourneront vers des investissements spéculatifs, donc sans effets sur la demande. D’autres foyers, dans les classes moyennes, conserveront une partie de leur épargne en prévision des jours difficiles. Mais surtout, non seulement les foyers les plus pauvres n’ont pas épargné, depuis mars 2020, mais leur pouvoir d’achat a même reculé. La levée des différentes mesures de soutien (chômage partiel, etc.) ne peut qu’accélérer ce déclin du pouvoir d’achat. Cela pèsera lourdement sur la demande et pourrait effacer une partie des bénéfices escomptés de l’épargne récemment accumulée.

Ceci dit, une reprise économique – à court terme – est probable, du fait des dépenses publiques et de la fraction de la sur-épargne qui stimulera la consommation. Mais une telle reprise ne durerait pas longtemps et s’accompagnerait d’une poussée de l’inflation, qui elle-même minerait le pouvoir d’achat et stimulerait la lutte des classes.

Avant tout, on doit bien comprendre la chose suivante : la pandémie a brutalement aggravé une situation économique qui, avant mars 2020, s’orientait inéluctablement vers une nouvelle récession mondiale, comme l’admettaient les économistes les plus lucides. Même dans l’hypothèse – qui est loin d’être évidente – d’une normalisation de la situation sanitaire à court terme, les contradictions qui préexistaient à l’épidémie n’auront pas disparu. Au contraire, elles se seront accentuées. Cette perspective se reflète dans les prévisions du FMI, dont l’optimisme est pour le moins modéré. Fin février, le FMI prévoyait qu’en 2022, dans les pays les plus riches d’Europe, le PIB par habitant serait toujours en recul de 1,3 % par rapport à 2019. Il serait même en recul de 3,8 % dans les pays d’Europe centrale et orientale [6]. Bien sûr, de telles prévisions sont hasardeuses, ne serait-ce que du fait des interrogations pesant sur l’évolution de l’épidémie. De fait, une reprise vigoureuse et durable, semblable aux Trente Glorieuses, est absolument exclue à court et à moyen termes. Même une phase de croissance semblable aux années 1990 est très improbable.

Les économistes et politiciens libéraux espèrent que l’élection de Joe Biden ouvrira une période de baisse des tensions protectionnistes entre les Etats-Unis, la Chine et l’Europe. Il est vrai que Biden annonce vouloir renouer avec l’UE, de façon à constituer un bloc dirigé contre la Chine et, au passage, contre la Russie. Mais il y a de possibles obstacles à cela. L’UE a construit ses propres relations commerciales avec la Chine – et l’Allemagne avec la Russie.

La Chine reste le principal adversaire des impérialistes américains sur le marché mondial. La crise économique ne peut qu’exacerber cette rivalité. De ce point de vue, Biden ne mènera pas une politique très différente, sur le fond, de celle menée par Trump, au risque d’aggraver la crise économique mondiale.

Conjoncture et luttes des classes

Pour les marxistes, l’analyse de la situation économique n’est pas un exercice académique. Ce qui nous intéresse, c’est l’impact de la conjoncture économique sur la conscience de toutes les classes sociales, à commencer par la classe ouvrière. En dernière analyse, les flux et reflux de la lutte des classes sont déterminés par l’évolution de l’économie. Bien sûr, d’autres facteurs entrent en ligne de compte. La vie politique et sociale obéit à des lois relativement indépendantes de la conjoncture économique. Mais celle-ci est décisive en dernier ressort. Après tout, si le capitalisme était capable de développer indéfiniment les forces productives et le niveau de vie des travailleurs, sans crises ni régressions, ce système ne serait jamais massivement remis en cause.

L’impact de la conjoncture économique sur la conscience des masses – et sur la lutte des classes – n’est pas unilatéral et mécanique. Les récessions ne provoquent pas automatiquement et immédiatement une croissance des luttes. Inversement, une phase de reprise économique ne détermine pas nécessairement un reflux des luttes. C’est la succession des phases de croissance et de récession, mais aussi la longueur et l’intensité de ces phases, qui déterminent l’évolution de la conscience et de la combativité des masses.

Ainsi, la pandémie et la récession mondiales ont eu pour effet, dans un premier temps, de paralyser partiellement les luttes syndicales – et ce d’autant plus que les directions syndicales ne faisaient rien pour organiser le combat. Cependant, cela ne durera pas. En particulier, une phase de reprise économique et de baisse du chômage, si elle est suffisamment marquée, aura sans doute pour effet de stimuler les luttes grévistes. Les travailleurs chercheront à profiter de la conjoncture favorable – et des carnets de commandes qui se remplissent – pour reprendre tout ou partie de ce qu’ils ont concédé aux patrons pendant la pire phase de la crise, sous la menace du chômage et des plans de licenciements. Cependant, une phase de reprise sera nécessairement fragile, de courte durée, et suivie par une nouvelle crise, qui menacera de balayer tout ce qui aura été arraché pendant la reprise. L’ensemble de ce processus (la succession des différentes phases de la crise) orientera le cours de la lutte des classes vers de grandes explosions sociales – et, à un certain stade, vers une crise révolutionnaire.

Cela dit, on ne doit pas transformer cette analyse en un schéma rigide et universellement valable. Dans de nombreux pays, une crise révolutionnaire peut éclater à tout moment. N’oublions pas qu’une vague révolutionnaire balayait l’Amérique latine en octobre et novembre 2019. N’oublions pas les crises révolutionnaires en Algérie et au Soudan, ou encore les mobilisations explosives au Liban et en Irak. Plus récemment, le coup d’Etat en Birmanie a embrasé le pays. Il est clair que d’autres pays vont entrer dans l’arène révolutionnaire – non dans 5 ou 10 ans, mais à court terme.

La crise sanitaire et la récession mondiale ont eu pour effet de paralyser partiellement la lutte des classes, mais au prix d’accroître énormément la quantité de matière inflammable qui s’accumule dans les profondeurs de la société. Or, une grande quantité de matière inflammable s’était déjà accumulée, depuis 2008, sur fond de contre-réformes, de politiques d’austérité, de chute des niveaux de vie, de croissance du chômage et d’explosion de la grande pauvreté.

Autrement dit, la crise actuelle n’intervient pas dans un contexte de relative stabilité entre les classes, comme c’était le cas, dans une certaine mesure, de la crise de 2008. Elle intervient, au contraire, dans un contexte d’énorme et croissante instabilité politique et sociale. La conscience de classe va se développer en s’appuyant sur l’expérience accumulée depuis 2008. En 2008, il y avait beaucoup d’illusions sur la profondeur et la durée de la crise. La masse des travailleurs baissaient la tête en attendant que « ça passe ». C’est nettement moins le cas aujourd’hui. Beaucoup de travailleurs ont compris que la crise est à la fois profonde et durable. Ses effets politiques, en termes de luttes et de polarisation politique, se manifesteront plus rapidement qu’après la crise de 2008.

Le dilemme de la bourgeoisie

Dans la foulée de la crise de 2008, les bourgeoisies du monde entier ont présenté l’addition à la masse des travailleurs et des classes moyennes, sous la forme de politiques d’austérité et de contre-réformes plus ou moins sévères, selon les pays. Tous les gouvernements – de droite comme « de gauche » – s’efforçaient de réduire les déficits budgétaires en s’attaquant aux services publics, aux fonctionnaires, aux retraites, à la Sécurité sociale, etc.

A l’époque, nous expliquions qu’une telle politique allait miner le pouvoir d’achat (la demande), donc aggraver la crise de surproduction, et donc peser sur les recettes fiscales. De fait, les dettes publiques ont continué de croître. La principale conséquence de ces années de crise et de coupes budgétaires, ce fut le bouleversement des vieux équilibres politiques dans de nombreux pays. Les dirigeants sociaux-démocrates qui ont loyalement servi la bourgeoisie, lorsqu’ils étaient au pouvoir, en sont sortis profondément discrédités. Ils ont perdu beaucoup de terrain au profit d’organisations de la « gauche radicale » telles que Syriza, Podemos, la France insoumise et, en Belgique, le PTB. En Grande-Bretagne, Jérémy Corbyn a pris la tête du Labour. Dans le même temps, l’extrême droite (Trump, Bolsonaro, Salvini, Le Pen, etc.) a élargi sa base électorale, en particulier dans les pays où il manquait une alternative de gauche suffisamment radicale. Toute cette période a été marquée par une très nette polarisation vers la droite et vers la gauche – au détriment des partis du « centre », qui jusqu’alors étaient les principaux piliers de l’équilibre politique. La France en a offert une illustration très nette : crise du PS et des Républicains, émergence de la FI, progression du RN.

L’équilibre social a été soumis à rude épreuve, lui aussi. Les directions syndicales ont pesé de tout leur poids pour canaliser la colère et limiter l’ampleur des mobilisations. Les « journées d’action », les manifestations et les grèves de 24 heures ont permis de contrôler le mouvement, tout au moins dans les pays les plus développés. Cependant, le mouvement des Gilets jaunes a sonné comme un sérieux avertissement : les directions syndicales ne peuvent pas indéfiniment contrôler le cours de la lutte des classes. Tôt ou tard, la pression accumulée doit trouver une issue. C’est vrai en France comme ailleurs.

A présent, les bourgeoisies font face à un dilemme. En théorie, elles devraient s’attaquer au problème des dettes publiques en lançant de nouvelles coupes budgétaires drastiques, comme dans la foulée de la crise de 2008. Mais la plupart des grands capitalistes comprennent qu’une telle politique risque d’aggraver brutalement l’instabilité politique et sociale, alors que cette instabilité s’est déjà énormément accrue depuis 2008. Ils craignent que la situation ne leur échappe complètement.

L’été dernier, le FMI a, pour la première fois, publié un rapport sur l’évolution des conflits sociaux dans le monde depuis les années 1980. Sans surprise, l’année 2019 a été la plus riche en mouvements de protestation, juste devant l’année 2011, celle du Printemps arabe. Le message du FMI aux gouvernements du monde entier était clair : ils doivent tenir compte de cette tendance ; ils doivent s’efforcer de restaurer l’équilibre politique et social. De manière générale, la presse économique est hantée par le spectre des « révolutions sociales ».

En janvier dernier, le FMI a publié un autre document intitulé : Les répercussions sociales des pandémies. [7] S’appuyant sur les précédents historiques, ses auteurs soulignent qu’« une épidémie révèle ou aggrave des lignes de fracture préexistantes dans la confiance dans les institutions, ou encore le sentiment que la classe dirigeante est indifférente, incompétente ou corrompue. » On ne saurait mieux dire ! Le document souligne aussi que « pendant et directement après une pandémie, (…) l’opinion publique peut privilégier la cohésion et la solidarité dans les périodes difficiles. Dans certains cas, les régimes en place peuvent aussi profiter d’une situation d’urgence pour consolider leur pouvoir et réprimer la dissidence. On observe avec la Covid-19 une situation jusqu’ici comparable à ce schéma historique. En fait, le nombre de grands épisodes de troubles sociaux dans le monde est tombé à son niveau le plus bas en près de cinq ans. Les Etats-Unis et le Liban constituent des exceptions notables, mais même dans leur cas, les plus grandes manifestations sont liées à des questions que la Covid-19 a peut-être exacerbées, mais dont elle n’est pas directement la cause. En revanche, au-delà des retombées immédiates, le risque d’agitation sociale s’accroît à plus long terme. (…) Si l’histoire se répète, des troubles sociaux pourraient réapparaître une fois que la pandémie s’estompe. Le risque est plus grand là où la crise met au jour ou exacerbe des problèmes préexistants tels que le manque de confiance dans les institutions, la mauvaise gouvernance, la pauvreté ou les inégalités ».

Le gouffre qui se creuse entre les riches et les pauvres, en particulier, prend des proportions de plus en plus vertigineuses. C’est inhérent aux lois du système capitaliste : l’accumulation et la concentration du Capital suivent leur cours inexorable. La crise actuelle, comme toutes les crises du capitalisme, aura même pour effet d’accélérer ce processus. Chaque seconde, Jeff Bezos gagne désormais davantage d’argent que le travailleur américain moyen en une semaine.

Lorsque le niveau de vie des masses progresse, même lentement, les travailleurs peuvent tolérer que les plus riches continuent de s’enrichir. Nombre d’entre eux sont même prêts à accepter l’idée que les plus riches « méritent » leur fortune parce qu’ils ont « pris des risques », etc. Mais lorsque les plus riches entassent des milliards sans prendre aucun risque (puisque l’Etat vole à leur secours), pendant que les gouvernements imposent des sacrifices toujours plus lourds à la masse de la population, au nom de la lutte contre les déficits, cela devient intolérable. C’est pour cette raison que le multi-milliardaire Warren Buffet, par exemple, suggère de « taxer davantage » les plus grandes fortunes. C’est une façon de prévenir la grande bourgeoisie mondiale des dangers que constituent des écarts de richesses aussi gigantesques. Les plus grandes fortunes écoutent poliment les déclarations de Warren Buffet, puis continuent d’échapper au fisc de mille façons légales ou illégales.

Dans ce contexte général, une importante fraction de la bourgeoisie rejette l’idée de lancer rapidement des politiques d’austérité drastiques, c’est-à-dire d’une sévérité à la mesure des nouvelles dettes accumulées depuis mars 2020. Mais d’un autre côté, les capitalistes ne peuvent pas indéfiniment creuser les dettes publiques et recourir à la planche à billets, car ils savent bien que c’est insoutenable et que cela pose les bases d’une crise encore plus profonde. Tel est le dilemme qui constitue la toile de fonds des débats sur l’annulation, par la BCE, d’une fraction des dettes publiques en Europe. Une telle annulation – même très partielle – est improbable, notamment parce qu’elle ruinerait, aux yeux des travailleurs, la justification des politiques d’austérité. C’est pour les mêmes raisons politiques que la « troïka » avait refusé d’alléger la dette publique grecque après l’élection du gouvernement de Tsipras, en 2015.

Les différentes bourgeoisies nationales « résoudront » ce dilemme de diverses manières et à différents rythmes selon leur position sur le marché mondial, le niveau de leur endettement et, enfin, la situation politique et sociale dans leur pays. Dans l’immédiat, leur priorité est de stabiliser la situation. Mais tôt ou tard, elles devront toutes reprendre la voie des coupes budgétaires et des contre-réformes brutales. Et toutes finiront par être confrontées à une nouvelle récession et à une explosion de la lutte des classes. Les bourgeoisies auront beau chercher : il n’y a pas d’autre issue à la dynamique actuelle du capitalisme mondial.

L’Union Européenne

L’Europe est frappée de plein fouet par la crise sanitaire et économique. Alors que la reprise de l’économie chinoise s’est engagée dès le printemps 2020, l’UE peine à sortir de la récession. Les confinements, les couvre-feux et la lenteur de la campagne vaccinale pèsent lourdement sur l’activité économique du Vieux continent.

En juillet dernier, l’Union Européenne a adopté un « Plan de relance européen » qui s’élève à 750 milliards d’euros. Face à l’imminence d’une catastrophe, la classe dirigeante allemande a accepté, de très mauvaise grâce, ce qu’elle refusait jusqu’alors : la création d’une dette européenne commune. Ce changement de position s’explique assez simplement. La santé de l’économie allemande dépend énormément de ses exportations – et singulièrement de ses exportations au sein de l’UE (59 % du total). Or, comme l’a souligné la politicienne allemande Franziska Brantner, « nous ne pourrons pas relancer notre économie, après cette crise, si la moitié du marché commun ne fonctionne plus. (…) C’est une question existentielle ».

Macron a présenté l’adoption de ce Plan comme un « jour historique pour l’Europe». Il était d’autant plus enthousiaste que le déclin continu de son économie rapproche la France de la situation de l’Espagne et de l’Italie, qui sont les deux premiers bénéficiaires du Plan européen. La France est le troisième bénéficiaire. On peut comprendre que Macron se réjouisse de la perspective de dépenser l’argent des Allemands et d’autres pays du nord de l’Europe (les « frugaux »). Mais l’enthousiasme de ces derniers est beaucoup plus modéré.

Qualifier de « jour historique » la création d’une dette européenne – qui vient s’ajouter aux dettes des Etats – est déjà très discutable, en soi, car une dette doit être remboursée, tôt ou tard. Mais surtout, ce Plan de relance était une mesure d’urgence face à une situation exceptionnelle et gravissime. Il n’élimine aucune des contradictions fondamentales qui menacent l’UE de dislocation, à terme. En fait, c’est précisément ce risque de dislocation qui a précipité l’adoption du Plan de relance. Mais l’UE ne pourra pas survivre indéfiniment de plans d’urgence en plans d’urgence.

Depuis la crise mondiale de 2008, les tendances centrifuges, au sein de l’UE, se sont nettement exacerbées. Le Brexit en est l’exemple le plus clair. Il aura un impact négatif non seulement sur l’économie britannique, mais aussi sur l’économie européenne dans son ensemble, compte tenu de l’intégration de facto de la Grande-Bretagne à l’économie du Vieux continent. Par ailleurs, les conflits suscités par la crise migratoire ont abouti, pendant toute une période, à la suspension des accords de Schengen. Désormais, les migrants sont retenus en Turquie à la suite d’un accord infâme entre l’UE et Recep Erdogan. Mais nul ne sait combien de temps cet accord peut tenir.

Enfin, les tensions suscitées par la pénurie de vaccins ont donné une lamentable image de la prétendue « solidarité européenne ». La distribution des différents types de vaccins commandés par l’UE a donné lieu à des arbitrages informels, les pays les plus riches privilégiant le Pfizer et le Moderna. Par ailleurs, l’Allemagne a passé un accord direct avec Pfizer-BioNTech pour 30 millions de doses supplémentaires.

Une nouvelle et profonde récession – qui est inévitable – aggravera ces tendances centrifuges. Nous avons souligné de longue date qu’en imposant une même politique monétaire à des économies de tailles et de trajectoires différentes, l’UE avait créé de nouvelles contradictions. Cette situation n’est soutenable qu’en période de croissance économique. En période de profonde crise, toutes les contradictions et rivalités nationales remontent à la surface. Par exemple, une flambée des taux d’intérêts sur la dette italienne confronterait la zone euro à une crise beaucoup plus sévère que la « crise grecque » de 2015, car l’Italie est la troisième puissance économique de l’UE (la Grèce, elle, ne représentait que 2 % du PIB de la zone euro). Or la dette publique de l’Italie frôle désormais les 160 % de son PIB, et son système bancaire est toujours chancelant. La crise du capitalisme italien est une bombe à retardement dans les fondations de l’UE.

Dans la gauche française, la plus grande confusion règne sur la question de l’Union Européenne. Au fond, on a affaire à différentes variétés de positions réformistes. La direction du PS défend l’UE avec enthousiasme – mais ajoute, pour la forme, qu’une politique européenne plus « sociale » serait bienvenue, comme si l’UE n’était pas entièrement subordonnée aux intérêts du grand Capital européen. La direction du PCF défend la même position, au fond, mais la formule différemment : elle exige une « Europe sociale »… sur la base du capitalisme européen. Après s’être emmêlé les pinceaux dans ses « plans » A et B, la direction de la FI se contente désormais de proposer une « rupture avec les traités européens », mais pas avec le capitalisme européen. Enfin, il y a les divers partisans d’un « Frexit de gauche » – sur la base du capitalisme français. Toutes ces tendances ont un point commun : leur programme se déploie dans le cadre du système capitaliste.

A l’inverse, nous défendons le programme d’une alternative socialiste à l’UE, c’est-à-dire d’une rupture révolutionnaire avec l’UE. Nous insistons sur la réalité suivante, dont les travailleurs britanniques peuvent déjà témoigner : il n’y a pas de solution aux problèmes des travailleurs d’Europe sur la base du capitalisme, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE. La question centrale, c’est le caractère de classe de l’Europe : capitaliste ou socialiste ? Nous sommes pour une Europe socialiste, sous la forme d’une Fédérations des Etats socialistes d’Europe. Nous ne voyons absolument aucune raison de renoncer à ce mot d’ordre adopté par la IIIeInternationale, il y a un siècle.

L’économie française et le gouvernement Macron

Dans nos Perspectives de 2015, 2017 et 2019, nous avons donné de nombreux chiffres illustrant la courbe déclinante du capitalisme français. Ce déclin relatif de l’économie française – sur le marché mondial, européen et même intérieur – est engagé depuis plus de 60 ans. Il s’est accéléré depuis la réunification de l’Allemagne, en 1990. Sans surprise, la crise actuelle confirme ce déclin.

En 2020, le PIB de la France a chuté de 8,2 %, contre 5,3 % pour l’Allemagne. La dette publique de la France a bondi de 100 à 120 % du PIB en 2020 ; celle de l’Allemagne de 60 à 70 % du PIB. Le déficit de la balance commerciale française s’est élevé à 65 milliards d’euros en 2020, contre 58 milliards en 2019. A l’inverse, l’Allemagne affiche un excédent commercial de 182 milliards d’euros en 2020, contre 228 milliards d’euros en 2019. [8]

Le 4 mars dernier, Le Figaro signalait qu’en 2020 le « flux des exportations » françaises « s’est contracté plus fortement dans l’Hexagone (-19,3 %) que dans l’ensemble de la zone euro (-13,2 %) », ce qui représente une perte de 46 milliards d’euros. « Pire, la part de la France dans les exportations de la zone euro est passée de 14,5 % en 2019 à 13,5 % l’année dernière, soit son plus bas niveau depuis 20 ans ».

Ces contre-performances se répètent inlassablement, d’une année sur l’autre. Mais cela n’empêche pas les grandes entreprises d’octroyer de somptueux dividendes à leurs actionnaires. Il est vrai qu’en 2020 le total des dividendes distribués par les entreprises du CAC40, soit la modique somme de 28,6 milliards d’euros, a chuté de 42 % par rapport à 2019 (49,2 milliards). Qu’on se rassure : d’une part, le chiffre de 2020 est tout de même meilleur que celui de 2009, en pleine récession (27,1 milliards) ; d’autre part, les patrons du CAC40 promettent bruyamment de se rattraper en 2021. C’est particulièrement le cas des banques, auxquelles la BCE a imposé une diète en 2020.

L’orgie de dividendes versés par le CAC40, ces dix dernières années, souligne le caractère parasitaire du capitalisme français. Au lieu d’investir dans la production, les grandes entreprises gavent leurs actionnaires. Plus d’un million d’emplois industriels ont été détruits depuis 2001, en France, dont 400 000 entre 2008 et 2015.

Le sous-investissement chronique mine la compétitivité. Mais en retour, la baisse de la compétitivité pèse sur l’investissement : à quoi bon investir lorsque les parts de marchés diminuent ? Dialectiquement, la cause devient effet et l’effet devient cause. Pour briser ce cercle vicieux, la classe dirigeante française doit très nettement réduire le « coût du travail », c’est-à-dire augmenter la quantité de plus-value générée par chaque heure travaillée. Les économistes bourgeois parlent d’un « choc de compétitivité ». Cela passe, entre autres, par la destruction du Code du travail, l’augmentation du temps de travail, le gel ou la baisse des salaires, la précarisation maximale de la main d’œuvre, une baisse massive des « charges patronales » et des coupes franches dans les dépenses publiques.

Tout ceci suppose de remettre en cause des décennies de conquêtes sociales du mouvement ouvrier. Problème : la classe ouvrière française a de grandes traditions révolutionnaires. La bourgeoisie n’a pas oublié Mai 68. Ceux qui l’avaient oublié ont reçu une piqûre de rappel lors de la grande grève de décembre 1995. Redoutant une explosion de la lutte des classes, la bourgeoisie française a longtemps procédé avec prudence. Elle a reporté la « grande offensive », pour ainsi dire. Bien sûr, les gouvernements de Chirac et de Sarkozy ont mené des contre-réformes, des coupes budgétaires et des privatisations. Les retraites, en particulier, ont été attaquées à plusieurs reprises. Mais au regard des besoins objectifs de la bourgeoisie française, en termes de compétitivité, les politiques de Chirac et Sarkozy étaient insuffisantes, comme le Medef ne cessait de le rappeler.

Le gouvernement de François Hollande (2012-2017) a poursuivi dans la même voie que ses prédécesseurs. La première loi Travail (2016) marquait une étape importante dans l’offensive pour baisser le « coût du travail ». Cependant, face aux grèves, aux manifestations et aux Nuits Debout, le gouvernement « socialiste » a dû émousser le tranchant de sa contre-réforme. Un an plus tard, Macron s’est chargé de terminer le travail. Dès septembre 2017, la deuxième loi Travail passait par ordonnances.

Macron était déterminé à s’attaquer à l’ensemble des conquêtes sociales du mouvement ouvrier. Plein de lui-même et de sa destinée jupitérienne, il s’engageait à faire ce que Chirac, Sarkozy et Hollande n’avaient pas osé faire. Le Medef jubilait. La grande bourgeoisie avait peut-être, enfin, trouvé son homme. Macron a multiplié les contre-réformes et brisé plusieurs tabous : deuxième loi Travail, privatisation de la SNCF, sélection à l’université, « réforme » de l’ISF, « réforme » de l’assurance chômage... La crise sanitaire a obligé le gouvernement à suspendre la contre-réforme des retraites (la plus sévère jamais engagée). Mais le Medef est clair : ce n’est que partie remise.

Au début de l’année 2020, les analystes bourgeois – grisés par le reflux de la grève des cheminots et de la RATP – voyaient l’économie en rose. Dans le magazine Capital, Stéphanie Villers concluait un article plein d’enthousiasme sur les perspectives suivantes : « Depuis 2016, la dynamique est enclenchée et les investissements dans les projets d’avenir ont été stimulés par le contexte de taux bas. 2020 marquera un tournant avec les premiers effets tangibles sur l’amélioration de la compétitivité nationale. » [9] On connaît la suite. L’année 2020 a marqué un tout autre type de « tournant ».

Il est impossible de dire quand l’activité économique, en France, retrouvera son niveau de 2019. Le gouvernement table sur 2022 ; nombre d’économistes sur 2023. Ce pourrait être encore plus tard, car une nouvelle crise mondiale pourrait éclater à court terme. Une seule chose est sûre : les profondes blessures infligées au corps social, depuis mars 2020, ne se refermeront pas de sitôt. En particulier, il est exclu que le chômage revienne en 2022 à son niveau de 2019.

Selon les estimations définitives de l’Insee, 320 000 emplois ont été détruits dans le secteur privé en 2020. Mais l’institut précise que, du fait de la violence de la crise, plus de 400 000 personnes sont sorties de ses statistiques. D’innombrables travailleurs précaires – auto-entrepreneurs, salariés non déclarés, artistes, etc. – ont perdu tout ou partie de leurs revenus du jour au lendemain. Le « halo du chômage », comme l’appellent les statisticiens, ne cesse de s’élargir. 1,8 million de personnes « souhaitent travailler, mais sont considérées comme inactives », et non comme des chômeurs. Comme l’explique Bruno Ducoudré, économiste à l’OFCE : « Une fois que le gouvernement va lever les restrictions sanitaires, de nombreux travailleurs pourront revenir sur le marché du travail. On peut s’attendre, à ce moment-là, à une très forte hausse du chômage ».

Le soutien massif des entreprises par l’Etat (chômage partiel, prêts garantis, reports de charges) a limité le nombre de faillites, qui ont même reculé de 39,5 %, en 2020, par rapport à 2019. Mais personne n’est dupe de ce chiffre. Lorsque les mesures de soutien seront totalement retirées, le nombre de faillites va nettement augmenter. Par ailleurs, le Syndicat des Indépendants signalait, fin février, que 60 % des TPE avaient utilisé plus de 70 % de leurs Prêts Garantis par l’Etat (PGE) – et que 30 % des TPE l’avaient même totalement épuisé, de sorte que ces dernières se retrouvent souvent « dans l’incapacité de poursuivre leur activité, malgré le soutien des pouvoirs publics ». Lorsque ce soutien disparaîtra, nombre d’entre elles vont fermer boutique – et renvoyer leurs salariés chez eux.

Sauf si une nouvelle crise mondiale éclate au cours des prochains mois (ce qui est tout à fait possible), l’économie française devrait – comme l’été dernier – s’engager dans un rebond « technique », la croissance étant calculée relativement à l’année précédente (en l’occurrence, la profonde récession de 2020). Mais une telle « reprise » ne sera pas assez vigoureuse pour contrecarrer la hausse du chômage. Une bonne partie du « plan de relance » de 100 milliards finira dans les bulles spéculatives et les poches des actionnaires.

L’Insee table sur 1 % de croissance au premier trimestre 2021. Sur toute l’année 2021, la Banque de France table sur 5 % de croissance. Même si c’est le cas, l’activité économique – et donc le taux de chômage – ne retrouveraient pas leur niveau de 2019. En fait, le chômage pourrait même continuer d’augmenter malgré la reprise, du fait du retrait des aides de l’Etat aux entreprises.

L’élection présidentielle approchant, la réforme des retraites ne sera peut-être pas relancée par ce gouvernement. Macron hésitera à se tirer une balle dans le pied au seuil de la campagne électorale. De manière générale, le gouvernement n’engagera probablement pas de nouvelles contre-réformes majeures d’ici 2022. Même la grande bourgeoisie comprend que dans un contexte où le chômage et la pauvreté augmentent rapidement, une politique d’austérité drastique, au cours des prochains mois, risquerait de provoquer des luttes explosives – et d’accentuer la polarisation politique sur le plan électoral. Dans une interview au Figaro, le 17 mars dernier, le patron du Medef expliquait qu’« il n’y a ni l’espace politique, ni le consensus démocratique » pour faire adopter la réforme des retraites d’ici avril 2022.

Le « choc de compétitivité » devra attendre le lendemain du scrutin, à condition que la droite le remporte. Il n’en serait que plus violent – sur le papier, du moins, car la classe ouvrière ne restera pas les bras croisés pendant qu’on s’attaque à ses salaires, à ses conditions de travail et à des décennies de conquêtes sociales.

En attendant la présidentielle de 2022, le gouvernement va consacrer une bonne partie de son temps à des opérations de diversion – et de chasse aux électeurs les plus à droite – sur les thèmes de la sécurité et de la « lutte contre l’islamisme radical ». Ces dernières années, la propagande réactionnaire contre les musulmans a pris un caractère de plus en plus systématique. Sous couvert de laïcité, de nouvelles limites sont franchies, sans cesse, dans l’insulte et la stigmatisation, au risque d’encourager les violences contre les musulmans.

Même du point de vue de la classe dirigeante, cette stratégie de diversion n’est pas sans dangers. L’attentat contre une mosquée à Bayonne, le 28 octobre 2019, a suscité la plus grande manifestation contre l’islamophobie jamais organisée, le 10 novembre. Le racisme d’Etat, la propagande et les violences contre les musulmans, les provocations et « bavures » policières, la pauvreté et le chômage croissants – tout cela constitue un mélange explosif qui, à tout moment, peut déclencher une « révolte des banlieues » semblable à celle d’octobre et novembre 2005. Nous avons déjà pu apercevoir l’embryon d’un tel mouvement. En juin 2020, des dizaines de milliers de jeunes ont manifesté à deux reprises contre l’impunité de la gendarmerie dans l’affaire Adama Traoré, faisant écho au mouvement Black Lives Matter aux Etats-Unis. Ces manifestations non autorisées ont notamment rassemblé des jeunes issus de quartiers populaires. Beaucoup n’avaient jamais manifesté ou milité. Cela montre encore une fois le potentiel de combativité explosif dans une partie de la jeunesse la plus opprimée et exploitée.

Le mouvement syndical

Au cours des 18 premiers mois du mandat de Macron, ce dernier allait de victoire en victoire, le mouvement ouvrier de défaite en défaite. Cela donnait l’impression d’un gouvernement « fort », reposant sur le soutien ou, au moins, la bienveillante passivité d’une large majorité de la population. A l’époque, nous expliquions que l’apparente force du gouvernement était une illusion d’optique. Elle reposait sur la faiblesse, voire la complicité, des directions confédérales des syndicats. Par exemple, le 29 décembre 2017, nous écrivions : « la victoire du gouvernement, sur la loi Travail, a été concédée par les dirigeants syndicaux, sans combat. Berger (CFDT) et Mailly (FO) ont approuvé le projet de loi. Martinez (CGT) a bien convoqué quelques “journées d’action” qui ne servent à rien, mais elles n’ont pas beaucoup mobilisé – précisément parce qu’elles ne servent à rien. Et comme Martinez ne conçoit aucune stratégie alternative aux “journées d’action”, il a simplement pris acte de la victoire du gouvernement. » [10]

L’éruption volcanique des Gilets jaunes, à partir du 17 novembre 2018, a donné la véritable mesure du rapport de forces entre les classes. En décembre 2018, plus de 80 % de la population soutenait ce mouvement, d’après les sondages. En se mobilisant, les couches les plus exploitées et les plus opprimées de la population ont définitivement réfuté l’argument habituel des directions syndicales après chaque défaite : « les gens ne veulent pas se battre ». En réalité, ce sont les directions syndicales qui ne veulent pas organiser sérieusement la lutte. Au mieux, elles convoquent des « journées d’action » sans lendemain et sans effet sur la politique gouvernementale. Les dirigeants syndicaux sont les meilleurs alliés objectifs des gouvernements bourgeois dans la mise en œuvre de leur politique réactionnaire. Ils n’organisent pas sérieusement la lutte et passent leur temps dans des réunions de « concertations » dont l’unique objectif est de démobiliser les travailleurs en affichant un simulacre de « démocratie sociale ».

En conséquence, l’exaspération des masses s’est exprimée en dehors du mouvement syndical, sous la forme du magnifique mouvement des Gilets jaunes. Mais il n’en sera pas toujours ainsi. Dans les années à venir, le mouvement syndical connaîtra de profondes transformations, de la base au sommet. La mobilisation de nouvelles couches de travailleurs trouvera une expression dans les rangs des confédérations syndicales, y compris les plus modérées. Sous la pression d’une base plus radicale, qui exigera des luttes sérieuses, les dirigeants devront virer à gauche – ou, à défaut, céder leur place à des dirigeants plus combatifs. Ce processus se développera dans les structures les plus proches de la base (syndicats d’entreprise et Unions Locales), mais aussi dans les Unions Départementales et les Fédérations. Il finira par trouver une expression au plus haut niveau des confédérations. Dans le même temps, on ne peut exclure l’émergence de nouveaux et petits syndicats dans des secteurs très précaires où les grandes confédérations ne sont pas implantées. On l’a vu par exemple chez les livreurs, même s’il faut noter que dans plusieurs villes des livreurs se sont tournés vers la CGT. Par ailleurs, la passivité des directions syndicales peut, dans certains secteurs, déboucher sur la formation de structures et de collectifs tels que le « Collectif Inter-hôpitaux », qui dépassent le cadre des organisations syndicales.

La situation actuelle du mouvement syndical ne reflète pas le présent ou l’avenir, mais le passé. Cela vaut pour les directions confédérales, bien sûr, mais aussi pour une partie significative de la base. Même à la CGT, bon nombre de militants syndicaux sont profondément marqués par les défaites de ces dernières décennies. Les militants les plus âgés ont connu les trahisons de plusieurs gouvernements « socialistes », la chute de l’URSS et du Bloc de l’Est, le long déclin du PCF, la chute des effectifs de la CGT et toute une série de défaites syndicales sous Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron. Ils en ont souvent tiré des conclusions pessimistes. Nombre d’entre eux sont sceptiques, voire cyniques. Lorsqu’on leur parle de révolution socialiste, ils grimacent et lèvent les yeux au ciel. Ils n’ont plus confiance dans la capacité de la classe ouvrière à prendre le pouvoir et transformer la société.

C’est cet état d’esprit qui a longtemps garanti une certaine stabilité, en interne, à la direction confédérale de la CGT. Mais la profonde crise du capitalisme finira par balayer cette mentalité. Les travailleurs les plus jeunes – qui sont aussi les plus ouverts aux idées du marxisme – imposeront leur combativité. Une vague massive d’adhésions donnera une puissante impulsion à ce processus.

La crise du capitalisme et l’exacerbation de la lutte des classes entraîneront nécessairement, à un certain stade, une croissance rapide des effectifs de la CGT (et, sans doute, d’autres confédérations). N’oublions pas que les effectifs de la CGT ont connu d’énormes oscillations au cours de son histoire, suivant les flux et les reflux de la lutte des classes. Sous l’impact de la grève générale de juin 1936, la CGT passe de 1 à 4 millions d’adhérents. Elle retombe à 2,5 millions d’adhérents à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, puis remonte à 5 millions en 1946. A partir de 1975 (2,4 millions d’adhérents), les effectifs chutent sans cesse, d’une année sur l’autre, jusqu’à 630 000 adhérents en 1991. Depuis, ce chiffre n’a pratiquement plus bougé. Aujourd’hui, la CGT revendique autour de 650 000 adhérents.

Ces 30 années de stagnation des effectifs de la CGT ont imprimé leur marque sur la mentalité de nombreux militants. Ils s’imaginent qu’il en sera toujours ainsi ou que seuls de très lents progrès sont possibles. Ils ne comprennent pas ce qui a déterminé les 30 années de stagnation des effectifs – à savoir, d’une part, la relative stabilisation du capitalisme à partir de la fin des années 70, et d’autre part la longue dérive droitière de la direction confédérale au cours de cette même période. En conséquence, ils ne comprennent pas que la crise actuelle crée les conditions d’une croissance rapide de la CGT et de sa transformation en une organisation beaucoup plus combative.

D’ores et déjà, la crise du capitalisme et la succession de défaites, au niveau interprofessionnel, poussent une partie de la base de la CGT à remettre en cause la ligne de la direction confédérale. Cette opposition trouve une expression, notamment, dans les directions de l’Union Départementale des Bouches-du-Rhône (UD13) et de la Fédération nationale des industries chimiques (FNIC). En amont de la grève du 5 décembre 2019, elles ont lancé le site unitecgt.fr, dont la page de présentation explique : « Les salariés sont la classe la plus nombreuse et la plus utile de la société. C’est par leur force de travail, leur habileté et leur intelligence que sont créées toutes les richesses de la société. Ils sont donc les seuls à être légitimes pour diriger les entreprises et organiser la répartition des richesses, qui sont toutes produites, transportées et distribuées par leur travail. » L’UD13 et la FNIC ont organisé plusieurs initiatives communes qui ont attiré d’autres structures de la CGT. En octobre 2020, elles ont réuni 400 militants de la CGT dans des « Assises de la riposte générale », dont la tonalité était très critique à l’égard de la ligne confédérale.

On verra si cette opposition interne à la CGT se développe dans les mois et les années à venir. C’est possible. La cristallisation d’une forte opposition interne est inévitable, à terme. « Unité CGT » en est, au minimum, la préfiguration. Nous devons en suivre l’évolution et intervenir dans les débats qu’elle soulève. Nous devons soutenir ce qui va dans la bonne direction, sans renoncer à critiquer ce qui est erroné ou confus. En intervenant de façon fraternelle et audacieuse dans les débats internes à la CGT, nous y renforcerons l’audience de nos idées, qui trouveront un écho chez les militants les plus radicalisés – en particulier chez les plus jeunes.

La jeunesse

Le gouvernement de François Hollande avait évité d’attaquer directement la jeunesse, car il redoutait la capacité de celle-ci à déclencher une mobilisation de toute la classe ouvrière. Macron, lui, n’a pas pris de gants. Confiant dans la passivité des directions syndicales, il a attaqué en même temps – en 2018 – les cheminots (« réforme » de la SNCF) et les étudiants (Parcoursup). Aux jeunes qui ne trouvaient pas de travail, il a suggéré de « traverser la rue ».

La crise sanitaire et économique a très durement frappé la jeunesse. Entre février et novembre 2020, le taux de chômage des moins de 25 ans est passé de 19,3 % à 22,1 % – officiellement, c’est-à-dire sans compter tous ceux qui, de l’aveu même des statisticiens, échappent aux statistiques.

En juillet 2020, le plan « Un jeune, une solution » a été lancé. Le gouvernement claironnait : 6,7 milliards d’euros « pour la jeunesse »! En fait, une bonne partie de ces milliards finira dans les poches des patrons : le « plan » leur propose une prime – pouvant aller jusqu’à 4000 euros – pour l’embauche d’un jeune de moins de 25 ans, y compris en CDD. Pour l’embauche d’un apprenti, la prime est comprise entre 5000 et 8000 euros. A ce tarif, le nombre de contrats d’apprentissage a augmenté de 40 % en 2020. En résumé, l’Etat subventionne massivement le secteur privé pour qu’il daigne embaucher des jeunes dont les patrons se débarrasseront dès que les subventions cesseront d’affluer. Dans le même temps, le gouvernement impose une contre-réforme de l’assurance chômage qui privera de nombreux jeunes d’allocations – tout en faisant baisser le montant des allocations pour 800 000 chômeurs de tous âges.

Le gouvernement et les grands médias n’ont cessé d’accuser la jeunesse de « ruiner les efforts de tous » – pour citer Jean Castex – dans la lutte contre le virus. Oubliez l’incurie du pouvoir sur les masques, les tests, les lits de réanimation et les vaccins : le problème central, ce sont les fêtes clandestines.

Tout en servant de bouc émissaire, la masse de la jeunesse étudiante a subi une triple peine : 1) ses revenus ont drastiquement baissé, soit parce que ses « petits boulots » se sont volatilisés, soit parce que le soutien financier des parents s’est affaibli sous le poids de la crise, soit pour les deux raisons en même temps ; 2) la fermeture des universités a énormément dégradé les conditions d’étude ; 3) les confinements et couvre-feux successifs, combinés à la fermeture des facs, ont plongé la masse des étudiants dans une solitude de plus en plus insoutenable.

En réponse, le gouvernement a jeté quelques pièces aux étudiants boursiers et leur a offert trois séances de psychothérapie. Dans le même temps, il versait des dizaines de milliards d’euros dans les coffres du grand patronat, sous prétexte de relancer l’économie. Le contraste est colossal – et il alimente le brasier de la colère étudiante.

Le syndicalisme étudiant est très affaibli. L’Unef n’est plus que l’ombre de ce qu’elle était encore au début des années 2000. C’est une conséquence – entre autres – de la crise du PS et du PCF. Le Mouvement des Jeunes Socialistes (MJS) a pratiquement disparu des radars. L’Union des Etudiants Communistes (UEC) oscille, selon les universités, entre le réformisme et le folklore néo-stalinien. Tout ceci renforce le poids relatif des tendances anarchistes et ultra-gauchistes, qui jouent souvent un rôle contre-productif dans les mobilisations étudiantes. Mais ce n’est qu’une étape. La jeunesse étudiante va au-devant de grandes luttes, desquelles émergera une nouvelle génération de militants et syndicalistes étudiants.

La crise accélère la radicalisation de larges fractions de la jeunesse. Elle a de moins en moins d’illusions dans le système capitaliste, qui la prive d’avenir. Elle est ulcérée par la passivité et l’hypocrisie des gouvernements face à la crise climatique. Un nombre croissant de jeunes cherchent une alternative radicale au système actuel. En l’absence d’un parti marxiste doté d’une large audience, ces jeunes se tournent souvent vers des idées confuses – mais « radicales », à première vue – comme celles de Bernard Friot et Frédéric Lordon (entre autres). D’autres intellectuels plus ou moins « anticapitalistes » émergeront et trouveront un écho important dans la jeunesse radicalisée. Nous devrons intervenir dans ces débats pour y défendre les idées authentiques du marxisme, qui ne cesseront de gagner du terrain parce qu’elles offrent la meilleure explication de la crise actuelle et des moyens de la résoudre. Comme l’écrivait Lénine : « La doctrine de Marx est toute-puissante, parce qu’elle est juste ». C’est un avantage considérable !

Les femmes

Les femmes de la classe ouvrière sont toujours les plus lourdement frappées par les crises du capitalisme. La crise actuelle ne fait pas exception.

Comme Secrétaire d’Etat à l’égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa a brassé beaucoup d’air. Mais la politique concrète de son gouvernement aggrave la situation des femmes. Par exemple, la contre-réforme de l’assurance chômage pénalisera tout particulièrement les travailleurs les plus précaires. Or, en France, les femmes occupent environ trois CDD sur cinq. Sur 5 millions d’emplois à temps partiel, 3,8 millions (soit les 3/4) sont occupés par des femmes. Plus d’un quart des mères isolées qui travaillent vivent sous le seuil de pauvreté. En moyenne, les hommes gagnent 28,5 % de plus que les femmes. A poste égal et compétences égales, l’écart salarial est de 9 %.

Les répercussions de la crise ne sont pas seulement économiques. Les confinements et couvre-feux ont exposé beaucoup de femmes – et d’enfants – à l’enfer des violences domestiques. Les signalements pour violences conjugales ont augmenté de 36 % pendant le premier confinement et de 60 % pendant le deuxième. De manière générale, le développement de la pauvreté et de la précarité entraîne fatalement une augmentation des différentes formes de violences et de discriminations dont les femmes sont victimes au quotidien.

Par la brutalité de son impact sur les conditions de vie des femmes, la crise souligne la vacuité des féminismes bourgeois et petit-bourgeois, qui prétendent régler ce problème sans toucher au système capitaliste. Quant aux théories intersectionnelles, elles entretiennent la confusion sur les causes des oppressions comme sur les méthodes nécessaires pour les combattre. En se focalisant sur les expériences individuelles, ces idées atomisent la lutte et la limitent à une mobilisation « culturelle » et « symbolique » sans fin. En pratique, elles font le jeu de nos ennemis de classe, qui trouvent dans ce « débat » une nouvelle occasion de faire diversion, c’est-à-dire de faire oublier la catastrophe sanitaire, économique et sociale. Face aux galimatias intersectionnels, la droite et l’extrême droite sont trop heureuses de se présenter comme les champions de « l’égalitarisme », de « l’universalisme » – et même, tant qu’à faire, des « travailleurs blancs hétérosexuels », que les théories intersectionnelles accablent souvent de toutes les tares.

Bien sûr, nous devons dénoncer fermement cette propagande de la droite et de l’extrême droite, qui cherche à affaiblir toute la gauche. Mais nous ne devons pas faire la moindre concession théorique aux « politiques identitaires » et aux diverses variétés de féminismes bourgeois ou petit-bourgeois. Dans le même temps, nous devons être en première ligne de toutes les luttes contre l’oppression des femmes. Depuis la crise de 2008, ces luttes ont mobilisé un nombre croissant de femmes et d’hommes à travers le monde. La crise actuelle leur donnera une nouvelle impulsion. Nous y défendrons notre programme marxiste et rappellerons systématiquement cette vérité élémentaire : la lutte pour l’émancipation des femmes – comme la lutte contre le racisme et toutes les oppressions – est indissolublement liée à la lutte contre l’exploitation de classe, contre le capitalisme et pour la révolution socialiste.

La crise du réformisme

La crise du capitalisme entraîne fatalement une crise du réformisme, dont il détruit les bases matérielles.

Le réformisme, c’est le programme d’une amélioration graduelle et indéfinie des conditions de vie des masses – sans renverser le capitalisme. Un tel programme n’est viable, dans certaines limites, que lors des phases d’expansion rapide et continue de l’économie. Alors, les classes dirigeantes peuvent faire des concessions aux travailleurs. A l’inverse, lorsque le capitalisme s’enfonce dans la crise, non seulement les classes dirigeantes ne sont pas disposées à faire de nouvelles concessions, mais elles s’attaquent à toutes les concessions passées.

Au cours des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme a connu une phase d’expansion inédite. Dans les pays capitalistes développés, il y avait peu de chômage. Le niveau de vie des masses s’améliorait. Les classes dirigeantes concédaient certaines réformes en matière de retraites, de santé, d’éducation. Cette longue phase de croissance a énormément renforcé le réformisme au sein du mouvement ouvrier.

La crise mondiale de 1973 a ouvert une nouvelle phase, marquée par une intensification de la lutte des classes dans de nombreux pays. Cependant, la stabilisation ultérieure de l’économie mondiale, d’une part, et l’effondrement des régimes staliniens, d’autre part, ont donné au réformisme un second souffle. Lorsque la crise de 2008 a éclaté, 60 ans de réformisme avaient abouti à une profonde dégénérescence des dirigeants des partis de gauche. Au pouvoir, ces « pragmatiques » ont défendu le capitalisme – et donc mené les politiques d’austérité qu’exigeaient les bourgeoisies.

En France, le gouvernement de François Hollande a mené une politique entièrement vouée aux intérêts de la classe dirigeante. Le Parti Socialiste, qui avait dominé la gauche française pendant quatre décennies, en est sorti profondément discrédité. Par une ironie de l’histoire, c’est à un représentant de « l’aile gauche » du PS, Benoît Hamon, qu’est revenue la tâche d’en recueillir le verdict : 6,4 % des voix à l’élection présidentielle de 2017.

Il n’est pas dit que le PS s’en relèvera. Cela dépend de plusieurs facteurs, et en particulier de l’évolution des organisations qui se tiennent sur la gauche du PS. Mais une chose est claire : les dirigeants actuels du PS ne sont pas seulement incapables de rompre avec le réformisme ; ils sont incapables de virer à gauche. A l’heure où la polarisation politique croissante provoque une crise du « centre », les dirigeants du PS continuent de rêver à l’élection d’un gouvernement de « centre gauche ». Or, après l’expérience du gouvernement de François Hollande, une candidature du PS sur un programme modéré ne peut pas susciter beaucoup d’enthousiasme dans la masse de la jeunesse et du salariat.

Pendant des décennies, la direction du PCF a suivi comme son ombre la dérive droitière du PS. C’est la cause fondamentale de son déclin. Même après la présidentielle de 2017, la direction du PCF s’est avérée incapable de rompre avec l’appareil du PS, auquel elle est organiquement liée, de longue date, par des alliances systématiques – et sans principes – aux élections locales. De ce point de vue, le remplacement de Pierre Laurent par Fabien Roussel, à la tête du PCF, n’a strictement rien changé. Derrière un « patriotisme de parti » plus marqué (pour plaire à la base), Fabien Roussel représente surtout cette couche de l’appareil qui veut conclure des alliances électorales avec qui bon lui semble, sans s’embarrasser du moindre principe.

Si la direction du PCF était vraiment communiste, elle prendrait acte des chances de victoire de la FI, en 2022, et mobiliserait ses militants, sa presse et son appareil pour contribuer à cette victoire, tout en faisant campagne pour un programme de rupture avec le capitalisme. Cette démarche trouverait un écho chez des millions de jeunes et de travailleurs qui souhaitent la victoire de la FI. Cela renforcerait nettement le PCF dans les couches les plus radicalisées de la société. Le moins qu’on puisse dire est que la direction actuelle du PCF n’a pas pris cette voie. Cela prépare de nouveaux revers électoraux et de nouvelles crises internes.

La France insoumise et la présidentielle de 2022

La crise du réformisme ne signifie pas que, du jour au lendemain, les jeunes et les travailleurs cessent de soutenir tous les dirigeants réformistes. Il y a deux raisons à cela. D’une part, les forces du marxisme sont trop faibles, à ce stade, pour représenter une alternative crédible aux yeux des masses. D’autre part, pour que les masses perdent leurs propres illusions réformistes, qui s’enracinent dans un passé révolu, elles devront faire – et refaire – l’expérience de l’impasse du réformisme. La crise du réformisme va donc se développer sur toute une période à travers des scissions, des conflits, l’ascension et le déclin de différentes organisations ou tendances.

Ce processus a commencé bien avant la crise actuelle. L’émergence de la France insoumise, en 2016 et 2017, en est un bon exemple. Le programme de la FI est réformiste. Mais sa rupture avec le PS et la relative radicalité de son programme ont suscité beaucoup d’enthousiasme dans une large fraction de la jeunesse et du salariat, surtout dans la foulée du gouvernement Hollande. Les 20 % de Mélenchon, en avril 2017, marquaient un tournant dans la vie politique du pays : l’aile gauche du réformisme (la FI) l’emportait largement sur son aile droite (le PS). C’était l’expression d’une nette radicalisation de millions de jeunes et de travailleurs. La bourgeoisie ne s’y est pas trompée : elle a fait de la FI son ennemi public numéro un.

Cependant, le réformisme de gauche est organiquement instable, vacillant, opportuniste. Depuis leur succès de 2017, les dirigeants de la FI ont multiplié les erreurs droitières. Ils s’imaginent qu’un programme trop à gauche fait fuir les électeurs. De leur revers aux élections européennes de 2019, ils ont tiré la conclusion que leur campagne – trop modérée – était trop radicale. Les réformistes commettent toujours cette erreur. Au lieu de se baser sur les aspirations réelles et la combativité des travailleurs, ils se basent sur les vacillations et les préjugés de la petite-bourgeoisie plus ou moins radicalisée.

Si Mélenchon ne mène pas une campagne suffisamment radicale, pour la présidentielle de 2022, il compromettra sérieusement ses chances de victoires. Ceci dit, objectivement, le potentiel de sa candidature est encore plus important qu’en 2017, car la crise du capitalisme s’est aggravée, depuis. La campagne présidentielle sera encore plus polarisée que ne l’était celle de 2017. Par ailleurs, beaucoup de jeunes et de travailleurs qui aspirent à une « rupture » avec l’ordre établi prendront acte du fait qu’il n’y a pas, à gauche, d’alternative à la candidature de Mélenchon.

Les sondeurs ont beau annoncer un deuxième tour entre Le Pen et Macron, c’est loin d’être évident. Il y aura une polarisation sur la droite et sur la gauche – à condition, bien sûr, que Mélenchon soit capable de cristalliser cette polarisation. L’issue du premier tour sera essentiellement déterminée par la réponse à la question suivante : qui, de Mélenchon ou de Le Pen, l’emportera dans les couches les plus exploitées et les plus opprimées de la population ?

Soit dit en passant, les Verts auront le plus grand mal à capter cet électorat, car leur programme est extrêmement modéré, y compris sur le plan écologique. Pour que les Verts fassent de bons scores (en pourcentages) aux dernières élections municipales et européennes, il a fallu une énorme abstention de l’électorat populaire (et les erreurs droitières de la FI).

En 2017, Mélenchon a recueilli 3 millions de voix de plus qu’en 2012 – et Marine Le Pen 1,3 million de voix de plus (au premier tour). Autrement dit, la polarisation était encore plus nette sur la gauche que sur la droite. Mais rien ne garantit qu’il en ira de même cette fois-ci. Les conditions objectives – la crise du capitalisme et ses conséquences sociales – ne constituent qu’un élément de l’équation ; l’autre élément, c’est la campagne électorale, sa tonalité, son programme, etc. Cet élément sera décisif dans la victoire – ou la défaite – de Mélenchon.

On ne peut exclure que les dirigeants du PS et des Verts finissent par s’entendre sur une candidature commune. Au fond, il n’y a à cela aucun obstacle idéologique, puisque les dirigeants du PS et des Verts sont d’accord sur l’essentiel : la défense inconditionnelle du système capitaliste, qu’ils proposent de sauver de sa faillite au moyen de quelques taxes et autres réglementations superficielles. En bref, ils proposent de soigner un cancer avec de l’aspirine.

Que le PS et les Verts s’unissent ou pas, le paysage politique du premier tour de l’élection présidentielle restera fondamentalement le même : la lutte interne à gauche se ramènera à une opposition entre plusieurs tendances réformistes – mais dont l’une (FI) sera perçue, à juste titre, comme plus à gauche que l’autre (ou les autres : PS et Verts).

Dans ce contexte, la position générale de Révolution sera la même qu’en 2017 : nous soutiendrons l’aile gauche du camp réformiste (FI) contre son aile droite (PS et Verts), mais sans renoncer à critiquer la gauche et à défendre notre programme révolutionnaire. Nous soutiendrons la candidature de Mélenchon et participerons activement à sa campagne électorale. Dans le même temps, nous expliquerons les limites du programme réformiste de la FI – et la nécessité d’un programme révolutionnaire, d’un programme de rupture avec le système capitaliste.

L’extrême gauche

Comme en 2017, notre soutien critique à la candidature de Mélenchon suscitera l’incompréhension scandalisée de certains militants d’extrême gauche, qui ne font pas la moindre différence entre la FI, le PS, les Verts, LREM, etc., car tous sont « bourgeois ». Mais des millions de jeunes et de travailleurs radicalisés font la différence. Ils ne comprendront pas l’intérêt de candidatures d’extrême gauche qui prendront des centaines de milliers de voix à Mélenchon, en 2022.

Il est difficile d’anticiper l’évolution à court et moyen termes des organisations d’extrême gauche (LO, NPA, etc.). D’un côté, la crise du capitalisme favorise leur croissance, objectivement, car beaucoup de jeunes et de travailleurs peuvent être attirés par leur activisme et leur radicalité. Mais d’un autre côté, leurs erreurs – ultra-gauchistes et opportunistes – se sont cristallisées, au fil des décennies, au point de constituer de sérieux obstacle à leur développement. La crise du NPA en est une bonne illustration.

Dans la période à venir, il est possible que certaines de ces organisations coulent pendant que d’autres progressent. Quoi qu’il en soit, toutes celles qui ne parviendront pas à rompre avec leurs méthodes erronées seront condamnées à l’impuissance, à terme. Un élément de l’équation sera la croissance de la TMI, qui exercera une influence positive sur un certain nombre de militants d’extrême gauche.

La droite et l’extrême droite

Quatre ans après son fiasco de 2017, la droite traditionnelle n’a toujours pas remonté la pente. La crise économique, les scandales de corruption et le bilan désastreux du gouvernement Sarkozy (2007-2012) ont privé Les Républicains d’une fraction significative de leur vieux « socle » électoral, en particulier dans les couches inférieures de la petite bourgeoisie. En avril 2017, une partie de ces électeurs est allée vers Macron, une autre (moins importante) vers Le Pen.

En 2019, malgré tous les déboires du gouvernement Macron, LR réalisait le plus mauvais score de la droite traditionnelle aux élections européennes : 8,5 %. Le RN, lui, recueillait 23,3 % des voix et LREM 22,4 %, sur fond d’abstention massive (50 %).

Du point de vue de la bourgeoisie, l’idéal, en 2022, serait un gouvernement de coalition entre LREM et LR. Cela s’imposerait, en particulier, si aucun des deux partis ne disposait, seul, de majorité à l’Assemblée nationale. Sur le plan programmatique, une telle coalition ne poserait aucun problème : Macron a mis en œuvre le programme des Républicains, c’est-à-dire de la bourgeoisie. Les divergences entre macronistes et Républicains sont très artificielles. Il s’agit essentiellement de postures électoralistes. Les Républicains s’efforcent de regagner du terrain en se distinguant de LREM – sans grand succès.

Le « plan A » de la bourgeoisie est une victoire de Macron – ou du candidat LR – face à Le Pen, au deuxième tour de la présidentielle, suivie d’un accord entre LREM et LR. Cependant, c’est loin d’être garanti, compte tenu du rejet massif de Macron, d’une part, et d’autre part du potentiel électoral du RN. Aussi la bourgeoisie a-t-elle un « plan B », qui n’écarte plus le RN du pouvoir. Un gouvernement de coalition entre les Républicains et le RN n’est plus totalement exclu – malgré les dangers qu’un tel scénario comporte, du fait du vif rejet que le RN suscite toujours dans la jeunesse et le salariat. Cette hypothèse est renforcée par les sondages annonçant qu’un deuxième tour entre Macron et Le Pen serait beaucoup plus serré qu’en 2017. De son côté, Marine Le Pen fait tout ce qu’elle peut pour « crédibiliser » et « normaliser » le RN, y compris en excluant son père du parti qu’il a fondé. En écartant de son programme la « sortie de l’UE » et le « retour au franc », elle a envoyé un signal très clair à la grande bourgeoisie française, qui n’a aucun intérêt à sortir de l’UE.

Les grands médias jouent un rôle flagrant dans la prétendue « normalisation » du RN. En avril 2002, lorsque Jean-Marie Le Pen s’est qualifié pour le deuxième tour de l’élection présidentielle, toute la société officielle – dont les grands médias – a mené campagne pour Chirac au nom de la « défense de la République », voire de la « lutte contre le fascisme ». A les entendre, c’était le combat de la Lumière contre la Nuit sans bornes. En réalité, il s’agissait de redorer le blason de Chirac et de la droite traditionnelle. Vingt ans plus tard, les dirigeants et ex-dirigeants du RN sont invités, chaque jour, sur tous les plateaux de télévision, où leurs idées archi-réactionnaires sont accueillies avec une grande bienveillance. Désormais, « l’ennemi » officiel de la République et de la Démocratie, ce n’est plus le RN ; c’est la France insoumise – c’est-à-dire, précisément, la force qui, en 2022, peut faire échec aux plans A et B de la classe dirigeante.

L’arrivée au pouvoir du RN, quel que soit son poids au sein du gouvernement, ne marquerait pas l’avènement, en France, d’un régime dictatorial (bonapartiste), et encore moins d’un régime fasciste. De même, aux Etats-Unis, au Brésil et en Italie, l’arrivée au pouvoir de Trump, Bolsonaro et Salvini – dont le RN se réclame – n’a pas marqué l’avènement de dictatures militaires, ni a fortiori de régimes fascistes. Le rapport de forces entre les classes, à ce stade, ne permet pas aux bourgeoisies française, italienne, etc., de s’orienter dans cette direction, car cela risquerait de provoquer un puissant mouvement révolutionnaire. On en a eu un bon aperçu, en France, avec la mobilisation massive – et largement spontanée – suscitée par l’article 24 de la loi Sécurité Globale, qui interdit de filmer la répression policière. Effrayé par l’ampleur des manifestations, le gouvernement a suspendu cet article de son projet de loi.

Chaque fois que le RN fait un bon score électoral, des dirigeants de gauche annoncent l’imminence du « fascisme ». Ces gens-là ne semblent pas avoir la moindre idée de ce qu’est le fascisme, ni des conditions de son émergence et de sa victoire. Au fond, leur confusion reflète un profond manque de confiance dans la classe ouvrière. Ils s’imaginent qu’une fois le RN au pouvoir, les travailleurs, hypnotisés, se laisseraient tondre sans mot dire. C’est complètement absurde.

Les analystes bourgeois les plus sérieux comprennent bien mieux la signification du « populisme de droite » à la Marine Le Pen. Dans l’éditorial du Financial Times du 29 décembre dernier, on pouvait lire la chose suivante : « Tous les laissés-pour-compte des transformations économiques en tirent de plus en plus la conclusion que les gouvernants et dirigeants ne s’intéressent pas à eux – ou, pire, qu’ils utilisent l’économie à leur seul profit. (…) Depuis la crise financière globale, ce sentiment de trahison nourrit une réaction politique contre la mondialisation et la démocratie libérale. Le populisme de droite peut profiter de cette réaction, tout en laissant intacte l’économie de marché. Mais comme il ne pourra pas tenir ses promesses à tous ceux qui sont économiquement frustrés, le moment viendra où les peuples sortiront les fourches contre le capitalisme lui-même – et pour se saisir des richesses de ceux qui en bénéficient. » C’est parfaitement exact. Dans le contexte actuel, une violente oscillation vers la droite ne serait qu’une étape précédant une violente oscillation vers la gauche – et non l’amorce d’une dictature militaire ou fasciste.

Non seulement la bourgeoisie française ne peut pas s’orienter vers une dictature, à ce stade, mais elle n’en a pas besoin, car elle peut toujours s’appuyer sur les dirigeants officiels du mouvement ouvrier, qui n’ont pas la moindre intention de renverser le capitalisme et sont parfaitement disposés à « négocier » la régression sociale. Du point de vue de la bourgeoisie, c’est beaucoup plus sûr qu’une aventure bonapartiste. Il n’en ira pas toujours ainsi, évidemment. Si, au cours de la prochaine période, la classe ouvrière et ses organisations ne parviennent pas à prendre le pouvoir, les conditions d’un régime bonapartiste finiront par émerger. Mais d’ici là, les travailleurs auront plusieurs fois l’occasion de prendre le pouvoir.

Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas des groupuscules véritablement fascistes, ni qu’ils ne constituent pas une nuisance pour les activités du mouvement ouvrier. De tels groupes existent, comme « l’Action Française » ou les « Identitaires ». Mais à ce stade, ils restent des groupuscules contraints d’agir de façon isolée et dispersée, aux marges de la lutte des classes. Pour les combattre, les réformistes s’en remettent à l’Etat bourgeois pour obtenir leur dissolution, tandis que les groupes « antifascistes » se limitent à des actions coup de poing, aussi marginales et isolées que celles des fascistes. Nous défendons pour notre part la nécessité d’une mobilisation la plus large possible de la classe ouvrière et de ses organisations et l’autodéfense du mouvement ouvrier.

Construire la TMI !

L’époque dans laquelle nous sommes entrés, depuis 2008, ressemblera beaucoup plus aux turbulentes années 1930 qu’aux trois décennies consécutives à la Deuxième Guerre mondiale (les « Trente Glorieuses »). Cependant, l’histoire ne se répète jamais exactement de la même manière. Il y a d’importantes différences entre notre époque et les années 30.

Une différence saute aux yeux : le rythme des événements était bien plus rapide dans les années 30 qu’il ne l’est aujourd’hui. Dix ans après le krach de 1929, le cycle des révolutions et des contre-révolutions se concluait par la grande boucherie impérialiste de 1939-45, qui fut suivie par une nouvelle et longue phase d’expansion du capitalisme. Aujourd’hui, plus de douze ans après la crise de 2008, aucun dénouement ne se dessine à court terme – ni dans le sens de la révolution socialiste, ni dans celui de la contre-révolution – et aucune longue phase d’expansion économique n’est à l’ordre du jour.

Pour des raisons que nous avons développées ailleurs [11], une nouvelle Guerre mondiale est exclue dans l’immédiat, même s’il y aura constamment d’effroyables guerres « locales » en Afrique, au Moyen-Orient et ailleurs.

Surtout, le rapport de forces entre les classes n’est plus le même que dans les années 30. Dans toutes les grandes puissances, la petite paysannerie a pratiquement disparu – au profit de la classe ouvrière. Même dans les pays dominés par l’impérialisme, la classe ouvrière s’est beaucoup développée au détriment des petits propriétaires des villes et des campagnes. Autrement dit, les réserves sociales de la réaction ont fondu. En conséquence, la bourgeoisie ne peut plus s’orienter rapidement vers une « solution » contre-révolutionnaire. Mais d’un autre côté, la solution révolutionnaire est entravée par les directions réformistes du mouvement ouvrier, qui constituent un énorme obstacle à la conquête du pouvoir par les travailleurs.

La crise va donc se développer sur une longue période, qui sera marquée par une succession de victoires et de défaites partielles, de violentes oscillations vers la droite et vers la gauche. Ce processus constituera une immense école pour les travailleurs, mais aussi pour les marxistes. Nos idées et nos méthodes seront soumises à l’épreuve de grands événements, qui nous donneront l’occasion de nous renforcer.

Nous l’avons dit plus haut : la radicalisation des masses va d’abord profiter aux réformistes de gauche. Mais d’ores et déjà, sous l’impact de la crise, un nombre croissant de jeunes et de travailleurs cherchent des idées et une organisation révolutionnaire. Ce n’est encore qu’une petite minorité, mais une minorité croissante.

En 2020, la TMI a connu la phase de croissance la plus rapide de son histoire. Nous sommes clairement sur la bonne voie, mais ce n’est que le début. L’accélération de l’histoire doit se refléter dans notre rythme de croissance. Si nous travaillons correctement, la TMI émergera, dans les années qui viennent, comme un point de référence dans les couches les plus militantes de la classe ouvrière mondiale. Alors, à la faveur des développements de la lutte des classes, notre croissance ultérieure nous ouvrira la possibilité de disputer la direction du mouvement ouvrier aux dirigeants réformistes – c’est-à-dire de mettre la révolution socialiste à l’ordre du jour en France et à l’échelle internationale.


Notes :

[1] L'OCDE bien plus confiante sur la croissance mondiale, portée par les vaccins et le plan Biden (Les Echos)

[2] L’Investissement mondial en chute libre (Le Figaro)

[3] La dette publique mondiale a atteint un pic historique en 2020 (BFM Business)

[4] Le COVID-19 a alourdi la dette mondiale de 24.000 milliards de dollars en 2020-IIF (Les Echos)

[5] Tesla, Signal… “la Bourse est prise de folie, gare au krach !” (Capital)

[6] Le Figaro du 26 février 2021.

[7] Social Repercussions of Pandemics (FMI)

[8Excédent de 29,2 milliards d’euros du commerce international de biens de la zone euro (eurostat)

[9] L’investissement porte la croissance de la France (Capital)

[10] Macron danse au-dessus d’un volcan - Edito du n°21 (Révolution)

[11] Par exemple ici (intertitre « Guerre mondiale ? ») : Perspectives mondiales (2018) (TMI)

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