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Bolivariens Venezueliens

Voici la 3ème partie des « Perspectives Mondiales 2010 », dont la rédaction a été terminée en février 2010. Ce document sera discuté lors du Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale, début août, en Italie. Des militants de La Riposte y participeront.

La révolution latino-américaine

Nous avons déjà évoqué en détail la situation en Amérique latine, dans les précédents documents. L’Amérique latine demeure une région absolument décisive, pour la révolution mondiale. Contrairement à ce qu’annonçaient les politiciens bourgeois et réformistes, l’Amérique latine a été très durement touchée par la récession mondiale. L’effondrement des prix des matières premières et du pétrole a affecté les pays du continent, dont beaucoup en dépendent énormément. Au premier semestre de 2009, les exportations pétrolières et minières de l’ensemble de la région ont chuté de 50,7 %.

La récession aux Etats-Unis et en Europe a aussi affecté les envois d’argent des travailleurs immigrés latino-américains. Or, ces envois représentent une part significative du PIB de certains pays : Honduras, Nicaragua, Mexique, Equateur, Bolivie, Pérou, etc. Dans les dix premiers mois de 2009, le montant global de ces envois en direction du Mexique a chuté de 16,5 %, mais aussi de 17,5 % en direction de la Colombie et de 10 % dans les cas du Salvador et du Guatemala. Enfin, la contraction du crédit, à l’échelle mondiale, a conduit à l’effondrement de l’investissement étranger direct dans la région. L’organisme économique régional, le CEPAL, estime que ce dernier n’est plus qu’à 45 % de son niveau de 2008.

Le Mexique et l’Amérique centrale paient le prix de leur intégration à l’économie nord-américaine. Ils souffrent encore plus que les pays d’Amérique latine ayant davantage de liens commerciaux avec l’UE ou la Chine. L’économie de l’ensemble du continent a chuté de 2,1%, en 2009 (-7% au Mexique et -2,9% au Venezuela). Mais même lorsqu’ils seront sortis de la récession, en 2010, le nombre de pauvres continuera d’augmenter – de 39 millions, d’après certaines estimations. Tel est le contexte explosif dans lequel se développe la révolution en Amérique latine.

Le Venezuela

Au cours de la dernière décennie, les travailleurs vénézuéliens auraient pu prendre le pouvoir à plus d’une occasion. Le problème est dans la direction du mouvement. Chavez est un homme très courageux et honnête, mais il procède de façon empirique, en improvisant et en élaborant son programme en cours de route. Il essaye de trouver un équilibre entre la classe ouvrière et la bourgeoisie. Cela ne peut pas durer indéfiniment.

Lénine expliquait que la politique est de l’économie concentrée. Si, pendant des années, Chavez a été en mesure de faire des concessions, de mener à bien des réformes, de mettre en place les « missions sociales », etc., c’était grâce à la situation économique. Le prix élevé du pétrole le lui permettait. Mais c’est fini. Le prix du pétrole a chuté de façon spectaculaire, même s’il est un peu remonté depuis. Par ailleurs, l’inflation avoisine les 30 %, ce qui signifie une baisse sérieuse des salaires réels. Bien des aspects de la protection sociale sont remis en cause, et le chômage augmente.

Il ne fait pas de doute que les travailleurs vénézuéliens restent loyaux à Chavez. Mais il est tout aussi évident que de nombreux travailleurs, y compris de fervents chavistes, commencent à s’impatienter. Ils demandent : qu’est ce que c’est que cette révolution ? Quelle sorte de socialisme est-ce là ? Est-ce que oui ou non nous allons résoudre les problèmes ? La menace contre-révolutionnaire n’a pas disparu. L’opposition se prépare et va tout faire pour remporter une majorité de sièges, à l’Assemblée nationale, en 2010. Si elle y parvient, ou si elle obtient un nombre de sièges suffisamment important, la voie sera ouverte pour une nouvelle offensive contre-révolutionnaire.

Le caractère le plus frappant de la révolution vénézuélienne, c’est l’incapacité des impérialistes à intervenir directement. Par le passé, ils auraient envoyé les Marines pour renverser Chavez. Mais ils ont été incapables d’intervenir directement, même s’ils ont mené une campagne permanente de dénigrement pour isoler et détruire la révolution. La défaite du coup d’Etat de 2002 est à mettre à l’actif de l’intervention des masses.

Washington manœuvre avec Uribe, le président colombien, pour menacer le Venezuela. Les accords en vertus desquels la Colombie permet aux Etats-Unis d’installer sept bases militaires, dans le pays, constituent une agression dirigée contre la révolution vénézuelienne. La menace colombienne est donc tout à fait réelle. Mais la menace intérieure est encore plus importante. Les capitalistes contrôlent toujours des secteurs clés de l’économie. Dix banques contrôlent toujours 70 % de l’activité financière du pays. La plupart des terres demeurent la propriété de grands propriétaires, alors que 70 % de la nourriture est importée (et l’inflation avec). Surtout, l’Etat reste entre les mains de la bureaucratie contre-révolutionnaire. Après plus d’une décennie de révolution, des signes de fatigue et de déception se font jour, parmi les masses. C’est l’élément le plus dangereux de l’équation.

Lors du premier Congrès Extraordinaire du PSUV, Chavez a reconnu ces choses-là et affirmé que « le socialisme n’a pas encore été réalisé ». Il a appelé à une élimination totale du capitalisme, à l’armement du peuple et à la constitution de milices ouvrières. Tout cela est nécessaire. Mais si cela reste du domaine du discours, cela n’avance à rien. Le fait est que la bureaucratie entrave systématiquement la révolution, de l’intérieur. Le mouvement en direction du contrôle ouvrier est systématiquement saboté, et les travailleurs qui essayent de lutter contre la bureaucratie font l’objet d’attaques, comme nous l’avons vu dans le cas de Mitsubishi. Cette situation génère un mécontentement et une désillusion qui constituent le plus grave danger. Si cet état d’esprit s’exprime par l’abstention, lors des élections législatives de septembre prochain, la droite contre-révolutionnaire passerait à l’offensive.

Les marxistes vénézuéliens doivent combiner la rigueur théorique avec une flexibilité tactique adéquate, en soulignant toujours le rôle du mouvement bolivarien et du PSUV. Si nous travaillons correctement pendant les deux années qui viennent, les bases d’une opposition de gauche massive au sein du PSUV seront posées, et nous pourrons y participer, en la fertilisant avec les idées du marxisme. C’est la seule façon de construire un courant marxiste de masse, au Venezuela, et c’est une première étape en direction d’un parti marxiste révolutionnaire de masse.

Le Mexique, Cuba et l’Amérique centrale

Il y a une crise économique très sévère, au Mexique. Des régions entières du pays dépendent de l’argent que des immigrés travaillant aux Etats-Unis y envoient. Ces envois se sont effondrés à cause de la crise. Les capitalistes ne peuvent plus tolérer l’existence des réformes et des concessions faites par le passé. Et il n’y a pas d’autre alternative, pour les masses, que de reprendre le chemin de la lutte.

L’attaque contre le syndicat des électriciens est une illustration des intentions de la classe dirigeante mexicaine. Pour s’en prendre au niveau de vie des masses, la classe capitaliste doit vaincre les puissantes organisations syndicales mexicaines. On l’a vu lors de la fermeture de l’entreprise Luz y Fuerza et la tentative d’écraser le puissant syndicat mexicain des électriciens, ce qui a conduit à un mouvement de masse lors de « l’Arrêt National » (Paro Nacional), en octobre 2009.

Les attaques du gouvernement du PAN peuvent provoquer une explosion sociale comparable à celle de 2006 – voire même plus importante. Nous devons y être préparés ! Le PRD va se redresser sur la base de l’impopularité du gouvernement Calderon. Contrôlé par l’aile droite, il va être secoué par des divisions et des crises internes. Il est possible que Lopez Obrador décide de scissionner et de rallier le PT (Parti des Travailleurs). Nous devons êtres flexibles, dans notre tactique, et suivre attentivement les événements pour gagner à nos idées les travailleurs les plus avancés.

Le sort de la révolution cubaine est directement lié aux perspectives pour la révolution socialiste en Amérique latine. Après la chute de l’URSS, Cuba était isolée, sous une pression qui s’est depuis intensifiée. Tant que Castro était au pouvoir, le gouvernement pouvait maintenir les éléments pro-capitalistes sous contrôle et rester maître de la situation. Mais Cuba fait face à de sérieuses difficultés. La crise économique mondiale a frappé l’économie cubaine. Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, Cuba dépend fortement du marché mondial.

Le danger existe que des mesures économiques soient prises qui, au nom de « l’efficacité », ouvriraient la voie à la restauration du capitalisme. Face à ce danger, la révolution doit être renforcée en libérant la créativité de la classe ouvrière cubaine en lui permettant de s’investir pleinement dans la direction de la société et de l’économie.

Tout ceci montre les limites du « socialisme dans un seul pays ». L’isolement de la révolution est la source aussi bien du bureaucratisme que des tendances pro-capitalistes. La révolution fait face à une alternative décisive : soit le capitalisme est renversé en Amérique latine – soit la tendance à la restauration du capitalisme, à Cuba, va connaître une accélération.

Si la révolution vénézuélienne était menée à son terme, la situation en serait complètement transformée. Partout, en Amérique latine, les conditions objectives d’une révolution mûrissent rapidement. Ce qui est vrai du Mexique l’est encore plus de l’Amérique centrale, comme nous l’avons vu au Honduras. Il faut une direction révolutionnaire qui sait ce qu’elle veut et comment y parvenir.

La théorie stalinienne des deux étapes a échoué partout. Pour réussir, une révolution ne peut pas s’arrêter aux limites de la propriété privée. Commençant par ses tâches national-démocratiques (la lutte contre l’impérialisme et l’oligarchie ; la révolution agraire), la révolution doit mener à bien l’expropriation des banques et des grandes industries, qui sont les agences locales de l’impérialisme et le cœur de la contre-révolution. Surtout, la révolution ne peut pas s’arrêter aux frontières nationales, qui ont d’ailleurs un caractère complètement artificiel, en particulier en Amérique centrale.

Au Salvador, où la révolution socialiste aurait pu être menée à bien sur des bases saines, par le passé, mais a déraillé suite aux erreurs de la direction, le mouvement révolutionnaire entre dans une nouvelle phase. Le vote pour le FLMN était une expression du mécontentement des masses. L’élection du premier gouvernement du FLMN, dans l’histoire du Salvador, indique un profond désir de changement radical. Mais les dirigeants réformistes n’ont pas de solution à la crise, qui ne peut être résolue que par des moyens révolutionnaires, en expropriant les propriétaires terriens, les banques et les principaux leviers de l’économie.

Au Nicaragua, au Guatemala ou au Salvador, la crise du capitalisme est une catastrophe. Quand les travailleurs immigrés aux Etats-Unis sont licenciés, ils ne peuvent plus envoyer d’argent à leurs familles. C’est une catastrophe sociale pour toute la région. Cela explique en partie les convulsions au Honduras, où la question du pouvoir est posée. Il y aura des convulsions semblables dans tous les pays d’Amérique centrale. Ces pays sont trop petits et trop faibles pour faire concurrence aux économies capitalistes plus puissantes, en particulier le géant nord-américain, qui les étouffe sous sa domination.

La crise aux Etats-Unis a conduit à un effondrement de la demande de marchandises produites en Amérique centrale. Les travailleurs immigrés, qui, pendant la période de croissance économique, constituaient une réserve de force de travail bon marché pour l’économie américaine, sont les premiers sacrifiés sur l’autel de la récession. D’où l’effondrement des envois d’argent de ces travailleurs, qui est un désastre pour l’Amérique centrale.

Le magnifique mouvement des masses, au Honduras, y a ouvert une situation révolutionnaire. Pendant près de cinq mois, le mouvement a résisté à la répression, au couvre-feu et aux assassinats ciblés. La situation au Honduras est un produit direct de la situation mondiale, où, dans les économies arriérées dominées par l’impérialisme, révolution et contre-révolution se combinent. Incapables de développer l’économie hondurienne du fait de leur soumission à l’impérialisme, les capitalistes locaux sont également incapables de permettre le moindre développement de la démocratie, dans le pays. C’est l’oppression impérialiste et le pillage des ressources de la nation par les capitalistes nationaux et internationaux qui donnent tant de poids à la revendication d’une Assemblée Constituante, au point que celle-ci a joué un rôle fondamental dans le développement d’une situation révolutionnaire. Aux yeux des masses, la lutte pour une Assemblée Constituante apparaît comme un moyen de s’exprimer et de résoudre leurs problèmes les plus urgents. Le développement de la situation au Honduras est une démonstration de la validité de la théorie de la révolution permanente et du programme de transition. Elle montre l’énorme potentiel révolutionnaire qui existe dans tous les pays d’Amérique latine. Dans les jours qui ont précédé et suivi le retour de Zelaya dans le pays, en septembre, les masses auraient pu prendre le pouvoir et renverser la dictature par des moyens révolutionnaires. Cependant, les négociations engagées par Zelaya, et le fait d’accepter les conditions imposées par la dictature de Micheletti, ont ouvert la voie à l’affaiblissement des mobilisations et de la résistance. Ceci, ajouté aux hésitations de la direction du Front de résistance et de Zelaya lui-même, au moment décisif, n’a pas permis à cette opportunité de se concrétiser. Encore une fois, la question de la direction était décisive. Pour autant, le mouvement révolutionnaire n’a pas dit son dernier mot, bien qu’il ait été canalisé, pour le moment. La résistance populaire se nourrit des flux et reflux de la lutte des classes en Amérique latine.

Toutes les sections de la classe dirigeante – y compris Obama – étaient unies par la peur d’un renversement révolutionnaire du gouvernement putschiste. Finalement, à force de manoeuvres, de diplomatie et de duperies, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient. L’oligarchie et ses amis, à Washington, ont réussi à donner une « légitimité » au coup d’Etat au moyen d’élections frauduleuses. Typiquement, Obama a plié sous la pression de l’aile droite, a abandonné ses objections au coup d’Etat et a affirmé que les élections marquaient la « restauration de la démocratie » au Honduras. Ce petit détail révèle le caractère réel d’Obama et de sa politique « progressiste », aux Etats-Unis comme à l’étranger.

Ce qui s’est passé au Honduras peut se passer dans n’importe quel autre pays d’Amérique centrale. Les événements au Honduras ont montré que la révolution en Amérique centrale est un seul et unique processus. Ceci dit, des révolutions en Amérique centrale ne pourraient pas rester isolées. Pour réussir, elles devraient au minimum s’étendre au reste de l’Amérique latine. Une révolution socialiste victorieuse dans n’importe lequel de ces pays constituerait une source d’inspiration puissante, non seulement en Amérique centrale, en Amérique du sud et dans les Caraïbes, mais aussi aux Etats-Unis et dans les autres pays capitalistes avancés. En dernière analyse, ce serait la seule garantie de son succès.

La Bolivie, l’Equateur et la Colombie

La réélection d’Evo Morales – avec un plus grand nombre de voix qu’en 2005 – montre les énormes réserves de soutien dont bénéficie le mouvement révolutionnaire. Le nouveau gouvernement va être soumis à d’énormes pressions sur tous les sujets cruciaux : l’emploi, la terre, la santé et l’éducation. Or, aucun ne peut être sérieusement réglé dans les limites du capitalisme.

Cela a ouvert une période de lutte de classes intense, en Bolivie. L’issue de cette lutte dépend en grande partie du rythme auquel les travailleurs les plus conscients parviendront aux conclusions nécessaires, ce qui à son tour dépend de la capacité des marxistes boliviens à construire des liens solides avec l’avant-garde bolivienne – et à la convaincre de la nécessité d’une alternative révolutionnaire.

Avant tout, le sort de la révolution bolivienne dépend de l’issue de la révolution vénézuélienne. Si les travailleurs vénézuéliens prenaient le pouvoir, le capitalisme serait renversé à court terme en Bolivie et en Equateur. Confrontés au mouvement révolutionnaire des masses dans plusieurs pays, les impérialistes ne pourraient pas intervenir. Et s’ils essayaient d’intervenir, ils feraient face, chez eux, à des mouvements d’oppositions encore plus massifs que lors de la guerre du Vietnam. Par contre, en l’absence d’une conclusion victorieuse de la révolution, les masses vont finir par se lasser de ces années de lutte sans débouché concret – et le rapport des forces pourrait s’inverser.

La révolution vénézuélienne a eu un puissant impact sur les pays voisins tels que la Bolivie et l’Equateur. L’Equateur a fermé l’une des bases militaires nord-américaines, sur son territoire. A présent, les impérialistes renforcent leur présence militaire en Colombie, où Uribe a mis sept bases à leur disposition. Cela constitue un danger mortel pour la révolution vénézuélienne. Washington pourrait tenter de fomenter une guerre entre la Colombie et le Venezuela. Mais ce serait une stratégie risquée.

Dans l’hypothèse d’une telle guerre, les vénézuéliens se battraient comme des tigres pour défendre leur révolution, et le régime colombien se trouverait mobilisé sur plusieurs fronts, avec un regain d’hostilités de la part des guérillas – et l’opposition des travailleurs colombiens à la guerre. Il n’est pas du tout certain qu les agents de l’impérialisme puissent gagner une telle guerre. Or, une défaite militaire pourrait se solder par le renversement du capitalisme non seulement au Venezuela, en Bolivie et en Equateur – mais aussi en Colombie.

Le Brésil

Avec une population d’environ 190 millions d’habitants, le Brésil est le plus grand pays d’Amérique du Sud. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, il a connu une croissance économique significative, en particulier ces 40 dernières années. En conséquence, la classe ouvrière s’est énormément développée, et elle a créé de puissantes organisations – en particulier la Confédération Syndicale (CUT), forte de 7 millions d’adhérents, et le Parti des Travailleurs (PT), qui compte plus d’un million de membres.

Avec un PIB de 1750 milliards de dollars, l’économie brésilienne devance l’Inde et la Russie. Son revenu par habitant est près du double de celui de la Chine. La découverte de nouvelles réserves pétrolières est susceptible de faire du pays l’un des plus grands producteurs de brut, au niveau mondial. L’investissement étranger (45 milliards de dollars, en 2008) est trois fois plus important qu’il y a dix ans.

En 2009, le Brésil a été affecté par la récession mondiale. Le PIB a légèrement chuté, au second trimestre, et le pays a fini l’année 2009 sur une récession de -0,2 %. Ceci dit, les institutions financières prévoient une croissance de plus de 5 %, en 2010.

Lula a obtenu une victoire électorale massive, en 2002, et a été réélu en 2006 pour un mandat qui s’achèvera le 1er janvier 2011. Fin 2010, le pays retournera aux urnes. Lula a été le président le plus populaire de l’histoire du Brésil, mais il ne peut pas se représenter, la constitution brésilienne lui interdisant de briguer un troisième mandat consécutif.

Lula a gouverné pendant une longue période de croissance économique – la plus importante des 30 dernières années. Depuis 2003, quelque 8,5 millions d’emplois ont été créés, et des programmes sociaux tels que la bourse alimentaire pour les familles pauvres – la « Bolsa Familia » – ont été mis en place. Cela a bénéficié à un grand nombre de familles, et explique que le taux d’approbation de sa politique atteigne le chiffre extraordinaire de 82 %.

Tout en menant à bien quelques réformes sociales, Lula n’est pas revenu sur les privatisations et les contre-réformes des gouvernements précédents. Par ailleurs, Lula poursuit la privatisation des autoroutes, des centrales hydroélectriques, de la forêt Amazonienne, de la sécurité sociale et d’autres services publics. Il y a toujours un énorme fossé entre les riches et les pauvres, dans le pays. De fait, le Brésil est un pays de grandes contradictions. Il compte de grandes villes modernes, telles que Rio de Janeiro et Sao Paulo, qui sont comparables aux villes des pays capitalistes les plus avancés. Mais un tiers de la population y vit dans des bidonvilles. Les disparités entre les différentes régions sont encore plus importantes. Au Nord-Est, les conditions de vies sont celles du « Tiers-monde ». L’essentiel des terres est contrôlé par les latifundistes et par les compagnies capitalistes nationales et multinationales. Cela a conduit à l’émergence du Mouvement des Paysans Sans-Terre (MST), qui organise 5 millions de paysans luttant pour une redistribution des terres.

Comme on pouvait s’y attendre, l’élection de Lula, en 2002, et les réformes engagées dans un contexte de croissance économique, ont permis d’établir un équilibre instable entre les classes – une sorte de « paix sociale ». Même s’il y a eu d’importantes grèves, le niveau général des conflits a diminué. Les travailleurs voient le gouvernement actuel comme leur gouvernement. C’est une chose que les sectaires ne comprennent pas. Il est vrai que le parti est bureaucratisé, mais il est tout aussi vrai que le PT dispose d’énormes réserves sociales. Le PT a été créé par la classe ouvrière brésilienne dans le cadre des luttes des ouvriers métallurgistes, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Ses racines plongent profondément dans la classe ouvrière brésilienne.

Les marxistes brésiliens se basent sur ce fait fondamental. La masse de travailleurs voient toujours le PT comme leur parti. L’immense popularité de Lula, dans les sondages, le confirme. Les marxistes brésiliens ont recueilli plus de 3500 suffrages, lors des récentes élections internes au PT. Ils ont désormais un siège au Conseil National. Cela confirme le fait qu’il y a une couche de travailleurs avancés qui recherche une alternative révolutionnaire. Sur la base des événements, de l’expérience du gouvernement PT et d’un mouvement de la classe ouvrière, la gauche du parti se trouvera renforcée – et les marxistes sont bien placés pour faire des progrès importants, au cours de ce processus. Ils ont déjà des positions importantes dans les syndicats des cheminots et parmi les travailleurs du verre et de l’industrie chimique – entre autres. Ils ont des élus du PT à Sao Paulo et Santa Caterina. Ils sont également largement reconnus au sein du mouvement ouvrier brésilien comme dirigeants du mouvement des usines occupées. Tout ceci leur donne une position respectée par de nombreux travailleurs et leur ouvre de grandes possibilités, à l’avenir.

Dans cette situation, la « Gauche Marxiste » – qui est un courant du PT – demande que Lula et le PT rompent avec la classe dirigeante (en brisant la coalition gouvernementale avec des partis bourgeois) et constitue un gouvernement des travailleurs qui, s’appuyant sur la CUT, le MST et les organisations populaires, mette en oeuvre un programme anti-impérialiste et anti-capitaliste, conformément aux aspirations les plus pressantes de la classe ouvrière.

L’Argentine

Malgré la croissance économique significative des années 2003-2008, avec des taux annuels de 8 %, en moyenne, les conditions de vie des masses ne se sont pas améliorées de façon significative, en Argentine. Et bien que la classe ouvrière rejette instinctivement les politiciens de droite, le gouvernement de Cristina Kirchner ne suscite pas d’enthousiasme.

L’aspect le plus significatif de la situation est la collision frontale entre la bourgeoisie et le gouvernement de Cristina Kirchner. Le « Kirchnerisme » est une variante politique du Péronisme (un populisme bourgeois), ce qui le différencie des gouvernements et mouvements politiques – apparemment similaires – du Venezuela, de la Bolivie et de l’Equateur. Cependant, la bourgeoisie ne peut pas tolérer les tentatives du gouvernement Kirchner de conserver un certain degré d’indépendance. Le Kirchnerisme essaye de limiter les tendances les plus prédatrices du grand capital national et international. Pour mieux préserver les intérêts généraux du capitalisme argentin, il fait des concessions aux masses travailleuses. Mais au bout du compte, il ne satisfait ni les uns, ni les autres.

La seule alternative consiste dans la formation d’un Parti des Travailleurs, pour mener la lutte politique dans des couches plus larges de la classe ouvrière. Au sein de ce parti, la tendance marxiste pourrait grouper les secteurs les plus conscients et les plus avancés. Il existe des éléments objectifs, dans la situation actuelle, qui pourraient donner forme à cette perspective, comme par exemple le « Proyecto Sur » et la « Constituyente Social ». « Proyecto Sur » est un mouvement politique promu par certains secteurs de la gauche péroniste, des dirigeants syndicaux de la CTA et des militants de gauche. Il a reçu 25% des suffrages aux élections locales, à Buenos Aires, et se présente comme une alternative de gauche au Kirchnerisme. La « Constituyente Social » est une large plateforme politique initiée par la CTA en vue de créer son propre mouvement politique – et Proyecto Sur en fait partie. Il est possible qu’un front de ces deux mouvements débouche sur un parti de masse des travailleurs, mais ce n’est en rien garanti. La question centrale est de savoir si les dirigeants de ces mouvements vont – ou non –rompre avec leur « héritage péroniste » et prendre des décisions pour construire un parti ouvrier. Dans tous les cas, les marxistes considèrent qu’à ce stade, ces regroupements constituent la principale possibilité de développement d’un authentique parti de masse des travailleurs – et nous nous battrons pour cela de toutes nos forces. Le flot de la lutte des classes devrait, à un certain point, rompre la digue péroniste. Aucun appareil réactionnaire ne peut résister indéfiniment à la lutte des classes, qui est le moteur de l’histoire.

Aujourd’hui, les marxistes ont le devoir de participer à tout front de masse qui essaye d’organiser les activités politiques de la classe ouvrière. Ce faisant, il faut expliquer patiemment le programme socialiste et présenter une perspective de classe – quelles que soient les hésitations, les incohérences et la confusion des directions successives de ces mouvements.

La crise et la lutte des classes en Europe

C’est une idée élémentaire que l’augmentation du chômage de masse n’est pas propice à l’activité gréviste. La crise financière n’a pas immédiatement frappé les travailleurs, sur les lieux de travail. Mais les mois ont passé et le chômage a commencé à croître de façon exponentielle. A l’automne 2008, il y a eu des mobilisations étudiantes significatives en Italie, en Grèce et d’autres pays. Il y a également eu des grèves générales. Cependant, début 2009, avec la forte montée du chômage, la situation a commencé à changer.

Dans la plupart des pays européens, il y a eu une nette baisse du nombre de grèves. C’était très marqué en Italie, mais la même tendance pouvait être observée dans des pays comme le Danemark et la Grande-Bretagne. D’après des chiffres réunis par la BBC, le nombre de grèves, en Grande-Bretagne, est tombé à un tiers de ce qu’il était pendant la récession de 1991-1992. La profondeur de la crise actuelle est l’un des facteurs. Cependant, la situation est contradictoire. La baisse du nombre de grèves n’empêche pas des flambées de luttes très militantes et très intenses, dans certains secteurs, y compris des occupations d’usines – en Grande-Bretagne, en Italie et même aux Etats-Unis.

Tout récemment, en Italie, il y a eu un certain nombre de conflits, qui tous concernaient de grandes usines frappées par des licenciements massifs. Les « plans sociaux » et fermetures provoquent des réactions – des grèves, des piquets et des occupations partielles. Ceci dit, de manière générale, l’image d’ensemble reste celle d’un faible niveau de grèves.

Avant la récession, l’Espagne a bénéficié d’une croissance économique rapide. A présent, sa chute est spectaculaire. L’Espagne est l’un des quelques pays européens à être toujours en récession en janvier 2010, après une chute de son PIB de 3,7 % en 2009 – et un effondrement de sa production industrielle de 15,8%, la même année. Les analystes tablent sur une récession de - 0,5%, en 2010. Le chômage a très fortement augmenté : il atteint le chiffre inédit de 4,3 millions de chômeurs : 18,8 % de la population active, soit le double de la moyenne européenne. Il a augmenté de 1,1 million en 2009, et de 1,2 million en 2008.

Les chiffres officiels du chômage espagnol devraient atteindre 20 %, en 2010, année où il y aura encore une destruction nette d’emplois. Le chômage des jeunes est désormais de 39 %, d’après les statistiques officielles. Avec une augmentation rapide du chômage, la tendance générale a été au fléchissement du nombre de grèves. Cependant, il y a eu quelques luttes importantes, comme le conflit des ouvriers métallurgistes de Vigo, en Galice, ou encore la grève au Pays Basque, qui a été un succès partiel (bien qu’elle n’ait été générale qu’à Guipuzcoa). Il y a le début d’une fermentation dans les syndicats (CCOO) et dans la Gauche Unie, où Cayo Lara appelle à l’organisation d’une grève générale. Nous devons y être très attentifs et intensifier notre activité dans les organisations de masse de la classe ouvrière espagnole.

L’inéluctabilité de changements radicaux et soudains est bien illustrée par les évènements en Islande, un pays réputé politiquement stable et qui jouissait d’un haut niveau de vie. En janvier 2009, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de la capitale, Reykjavik. Il s’agissait des plus importantes manifestations de l’histoire du pays. En conséquence, le gouvernement de coalition entre Sociaux-démocrates et Conservateurs est tombé.

La lutte des classes s’intensifie en Irlande, où, comme en Islande, une période de croissance économique rapide et de spéculation fiévreuse s’est terminée par un effondrement. Entre 2002 et 2007, le PIB de l’Irlande a augmenté à une moyenne de 5,6 % par an. En 2008, l’économie s’est contractée de plus 2 %. En février 2009, environ 200 000 travailleurs et leurs familles sont descendus dans les rues de Dublin pour s’opposer à la décision du gouvernement d’imposer un prélèvement sur les retraites de 300 000 ouvriers du secteur public.

Il y a eu une occupation d’usine des travailleurs de Christal Waterford. Pendant la grève du secteur public, en novembre 2009, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de huit villes du sud : des salariés du public et du privé, des chômeurs, des retraités et des étudiants. Pendant ce temps, dix manifestations avaient lieu dans le nord : 70 000 personnes ont défilé en direction de Merrion Square, à Dublin, 20 000 à Cork, 10 000 à Waterford, 6000 à Galway, 5000 à Sligo, 5000 à Limerick, 4000 à Tullamore et 1500 à Dundalk. Plus de 250 000 ouvriers irlandais du secteur public étaient en grève, le 24 novembre 2009.

La Grèce

La mise en place de la monnaie unique n’a fait qu’exacerber les problèmes des capitalistes européens. A l’époque, nous expliquions qu’il est impossible d’unifier des économies capitalistes qui poussent dans des directions différentes. Nous expliquions également que ces contradictions émergeraient sous l’impact d’une récession. C’est exactement ce qui s’est passé.

La Grèce est l’un des maillons faibles du capitalisme européen. La crise mondiale exerce d’énormes pressions sur la société grecque. Ce qui se passe en Grèce est une indication de ce qui se passera, à un certain stade, dans tous les pays européens. Suite à la politique menée par les gouvernements successifs – dont, récemment, le sauvetage du système bancaire –, la dette publique a atteint des proportions colossales, et on demande désormais aux travailleurs grecs de payer la facture.

Par le passé, des pays comme l’Italie pouvaient éviter une crise en dévaluant leur monnaie et en creusant le déficit de l’Etat. A présent, cette voie est fermée. Avec l’euro, l’Italie ne peut plus dévaluer. Le cas de la Grèce est encore plus grave. Le capitalisme grec est – avec l’Italie, le Portugal et l’Irlande – un maillon faible de la chaîne de l’Union Européenne. Son économie traverse une crise profonde marquée par un effondrement du trafic maritime (du fait de la surproduction mondiale) et du tourisme. Certains économistes prédisent que la Grèce ne pourra pas payer sa dette extérieure.

Les capitalistes grecs seront obligés d’imposer des coupes drastiques dans le niveau de vie des travailleurs et des classes moyennes. Le gouvernement de Nouvelle Démocratie (droite) n’était pas assez fort pour mettre en œuvre de telles coupes. Aussi les capitalistes ont-ils été obligés de passer le calice empoisonné au PASOK. Cette nouvelle corrélation des forces favorise la classe ouvrière. Elle lui donne confiance en elle-même. La victoire électorale du PASOK faisait suite à six années de gouvernement de droite.

Cependant, la direction du PASOK a montré qu’elle ne voulait pas entrer en conflit avec la classe dirigeante. Au contraire, elle lui a déjà donné des garanties sur les questions principales, comme par exemple la privatisation de la sécurité sociale. La classe capitaliste et l’Union Européenne exercent d’énormes pressions sur la direction du PASOK, qui, au nom de la réduction des déficits, tente d’imposer une sévère politique de rigueur.

Les travailleurs grecs n’ont pas voté PASOK pour se voir imposer des mesures d’austérité drastiques. Et on voit à présent leur réaction. Il y a déjà eu des grèves dans plusieurs secteurs. Les dirigeants syndicaux ont été poussés à organiser une grève générale pour le 24 février. La classe ouvrière est obligée de reprendre le chemin de la lutte pour défendre ses conditions de vie et de travail. Cela aura évidemment un impact sur la situation politique. Le PASOK étant au pouvoir, il sera tenu pour responsable des politiques de coupes sociales. En conséquence, le Parti Communiste (KKE) est en mesure d’attirer à lui une couche significative de la jeunesse et du salariat. La jeunesse du KKE – le KNE – est déjà la plus importante organisation de jeunesse de gauche, en Grèce.

La direction du KKE est parvenue à maintenir un appareil de type stalinien. Lors de son dernier Congrès, le parti a réaffirmé son adhésion aux politiques de Staline. Ceci est combiné à une sorte d’ultra-gauchisme de type « troisième période » [1]. La direction du parti organise des grèves et des manifestations distinctes qui tournent volontairement le dos aux nombreux travailleurs organisés dans les syndicats qui soutiennent toujours le PASOK. C’est une tentative, de la part des dirigeants du KKE, d’élever un mur autour de sa base militante et de la mettre à l’abri des pressions de la situation générale.

Cependant, des fissures commencent à apparaître dans ce parti apparemment monolithique. A ce niveau, cela se reflète par l’expulsion de quiconque ose s’opposer à la direction. Mais dans le même temps, des points de vue contradictoires ont été publiés, dans la presse du KKE – chose impensable il n’y a pas si longtemps.

La situation objective a aussi un impact sur le Synaspismos, un parti dont l’origine remonte à une scission du KKE, par le passé. Il bénéficie d’un soutien important dans la jeunesse. Le conflit entre la droite et la gauche du parti s’intensifie. Son dirigeant a ouvertement appelé les organisations de gauche à rejoindre le parti – avec le droit d’y former des tendances. La crise aura un impact important au sein du KKE et du Synaspisnos, qui se tiennent sur la gauche du PASOK – et, par conséquent, peuvent être renforcés par la situation actuelle.

Ceci dit, le PASOK reste le principal parti de la classe ouvrière grecque. A un certain stade, les pressions contradictoires des capitalistes et de la classe ouvrière, sur le parti, se traduiront par une différenciation interne. Il y aura un conflit entre une section ouvertement pro-capitaliste, qui exigera le respect intégral des exigences de la bourgeoisie – et une section de gauche reflétant la pression des travailleurs. Les conditions sont réunies pour qu’émerge, à un certain stade, une aile gauche massive, au sein du PASOK.

Ce qui a retardé ce processus, c’est la croissance économique de la dernière période. Une section significative de la classe ouvrière y puisait le sentiment que les choses n’allaient pas trop mal. Mais c’est terminé. La récession se traduit par la suppression de très nombreux emplois. Dans un premier temps, les travailleurs – paralysés sur le front syndical, du fait de la flambée du chômage – se sont tournés vers le front électoral et ont mis le PASOK au pouvoir, dans l’espoir que « leur » parti, au gouvernement, les mettrait à l’abri des pires effets de la crise. Ils passent désormais par la dure école du programme de Papandréou, avec ses coupes budgétaires et ses contre-réformes.


[1] La « troisième période » désigne la politique ultra-gauchiste de l’Internationale Communiste, à la fin des années 20 et au début des années 30. Par exemple, les partis socialistes étaient caractérisés de « socio-fascistes ». Cet abandon de la politique marxiste du Front Unique a eu des conséquences désastreuses, notamment en Allemagne, où la division de la classe ouvrière a favorisé la victoire d’Adolf Hitler

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