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Ce texte, achevé en janvier 2008, est la troisième partie du document « Perspectives Mondiales » qui sera discuté et amendé lors du Congrès mondial de la Tendance Marxiste Internationale, en août. Les autres parties seront mises en ligne dans les tous prochains jours.

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L’Europe

Le processus d’intégration de l’Union Européenne est désormais au point mort. C’est apparu clairement lors du sommet  européen de 2007, qui était supposé parvenir à un accord sur une nouvelle constitution européenne, mais n’a fait que souligner les profonds désaccords qui opposent les différentes classes capitalistes européennes. Ceci dit, plus de deux ans après les « non » français et néerlandais au Traité constitutionnel, les premiers ministres et présidents européens ont sauvé des pans entiers de l’ancien texte et les ont mis bout à bout pour rédiger un nouveau « traité ».

Il n’était pas possible d’espérer faire fonctionner une Europe à 27 sur la base des règles conçues pour un bloc de 15 nations. Le projet visant à réorganiser le système de vote s’est immédiatement heurté à l’opposition des Polonais. En conséquence, les autres pays ont été obligés d’accepter que le système de vote actuellement en vigueur perdure jusqu’en 2014, date à laquelle débutera une période de transition de trois ans. Au terme de cette période, l’UE pourra, si elle le décide, revenir à l’ancien système. En d’autres termes, toute l’affaire prendra au minimum 10 ans.

La tendance à l’intégration de l’UE, qui semblait irrésistible, reposait sur la croissance économique. Mais le processus s’est interrompu. La Banque Centrale européenne a porté ses taux d’intérêt à 4%, en juin 2007. C’était la huitième augmentation d’un quart de point depuis décembre 2005. Les capitalistes européens redoutent l’inflation – et l’on peut s’attendre à de nouvelles augmentations des taux d’intérêt de la BCE. Quant à la croissance, elle ne devrait pas dépasser les 2% en 2008.

Dans ces conditions, le processus d’intégration s’est interrompu et pourrait même être inversé au cours de la prochaine période, lorsque ressurgiront les contradictions entre les différents Etats-nations. Certes, un démantèlement de l’Union européenne est peu probable. Face à la concurrence des Etats-Unis et de la Chine, les capitalistes européens vont s’efforcer de rester unis. Mais le projet d’un super-Etat européen capable de concurrencer les Etats-Unis est en ruine.

La plupart des économies de la zone euro ont connu une faible croissance. Les 0,6% de croissance du PIB, au premier trimestre 2007, ont été salués comme un grand succès ! Mais dorénavant, ils ne peuvent même plus espérer atteindre ce type de croissance. La chute du dollar pousse l’euro vers des niveaux record, ce qui pénalise les exportations européennes.

La monnaie chinoise, liée au dollar, recule également face à l’euro. Cela irrite au plus haut point Bruxelles, qui menace de s’engager dans une politique de représailles économiques contre la Chine et les Etats-Unis. Il s’agit là des premières manifestations de tendances protectionnistes qui se renforceront inévitablement dans la période à venir, avec à la clé un ralentissement de l’économie – voire une récession.

Dans tous les cas, la croissance économique de la dernière période n’a rien résolu et n’a fait qu’accroître l’indignation des travailleurs : ils constatent qu’ils ne sont pas rétribués à la hauteur des efforts croissants que leur impose la rapacité patronale. Toutes les conditions sont réunies pour une intensification de la lutte des classes dans tous les pays de l’UE. De notre point de vue, le prolongement d’une faible croissance serait le meilleur scénario. La récession n’entraîne pas nécessairement l’augmentation de la lutte des classes. Et en même temps, l’actuelle croissance économique n’apportera pas la « paix sociale », comme on a pu le constater avec les grèves massives qui ont eu lieu en France.

En France, la victoire de Sarkozy a été immédiatement suivie d’une explosion de grèves chez toute une série de catégories de travailleurs. Le taux de chômage avoisine les 10%, mais chez les jeunes de moins de 25 ans, il s’élève à près de 20% – et à 40-50% chez les jeunes originaires d’Afrique du Nord. Telle était la raison fondamentale des émeutes de novembre 2005. Depuis, de nouveaux signes d’effervescence se sont manifestés chez les jeunes chômeurs d’origine maghrébine.

Les étudiants se sont fortement mobilisés contre la « réforme » de l’enseignement supérieur. Ces mobilisations attestent du mécontentement qui s’est accumulé depuis plusieurs décennies. C’est précisément ce qui a mené à Mai 68 – et le même scénario pourrait bien se reproduire. L’Allemagne, qui a longtemps été la locomotive économique de l’Europe, a affiché un taux de chômage élevé tout au long de la dernière période. D’importantes grèves de cheminots et d’autres catégories de salariés ont eu lieu. De plus, selon les sondages d’opinion, 20% des électeurs se rangeraient derrière le parti « la Gauche » (Linke), ce qui exprime une fermentation politique.

En Italie, 500 000 personnes ont manifesté à Rome contre la contre-réforme des retraites. Au Danemark, pas moins de 100 000 personnes se sont mobilisées contre – là aussi – une remise en cause des retraites. Proportionnellement à la population, la manifestation danoise a rassemblé davantage de monde que celle de Rome. Cela montre bien que les travailleurs ne sont pas prêts à accepter le démantèlement des acquis sociaux. L’Italie est aujourd’hui « l’homme malade » de l’Europe. Par le passé, les capitalistes italiens cherchaient à sortir d’une crise économique en dévaluant la lire et en augmentant le déficit budgétaire. Mais ce n’est plus possible. La monnaie unique impose de contenir les déficits budgétaires et exclut toute dévaluation. Pour les capitalistes italiens, la seule issue possible est une confrontation directe avec les travailleurs. Ils vont chercher à reprendre tout ce qu’ils ont concédé au cours des cinquante dernières années. En conséquence, toutes les conditions d’une explosion de la lutte des classes sont réunies.

En Grèce, trois mois seulement après les élections qui ont reconduit Nouvelle Démocratie (conservateur) au pouvoir, un large mouvement de protestation réunissant la grande majorité de la population a vu le jour suite aux attaques du patronat contre le système de sécurité sociale. L’appel à la grève générale de 24 heures du 12 décembre 2007 a été lancé par les deux principales centrales syndicales, la GSEE (cadres et ouvriers) et l’ADEDY (secteur public), qui représentent près de 2,5 millions de travailleurs grecs. La grève a également mobilisé des avocats, des journalistes, des commerçants, des patrons de petites entreprises et des ingénieurs. L’ensemble des principaux moyens de transport (métro, bus, bateaux, aéroports) a été entièrement paralysé pendant 24 heures. Le métro n’a fonctionné que quelques heures pour acheminer les manifestants aux points de rendez-vous.

Le taux de grévistes était de 80 à 100% dans la plupart des grandes entreprises publiques et privées du pays. Comme on pouvait s’y attendre, le taux de participation n’a pas été très élevé dans les petites entreprises qui comptent peu de salariés et où la présence syndicale est faible. Néanmoins, nombre des travailleurs de ces entreprises ne sont pas allés au travail en invoquant l’absence de transports publics ou des « raisons de santé ». En réalité, ils ont pris part à la grève.

Il y a eu 64 manifestations dans tout le pays. Bien entendu, les rassemblements les plus importants ont eu lieu à Athènes. La plus grosse manifestation a été celle organisée par la GSEE et l’ADEDY, qui a réuni 50 à 60 000 travailleurs. L’autre manifestation, organisée par le PAME (le front syndical du KKE, le Parti Communiste grec), a rassemblé 20 à 25 000 personnes. Toutes ces manifestations étaient animées d’un esprit très militant.

Ainsi, trois mois à peine après sa réélection, le gouvernement Karamanlis se trouve dans une situation très difficile. Même avant la grève générale, les sondages d’opinion révélaient déjà que 70% de la population grecque désapprouvait la politique du gouvernement sur la sécurité sociale, et que 58% désapprouvait également la politique économique menée par la Nouvelle Démocratie – tout comme celle prônée par les dirigeants du PASOK. Même 25% des électeurs de la Nouvelle Démocratie se disaient en total désaccord avec la politique économique menée par le gouvernement.

L’idée du gouvernement était d’attaquer la classe ouvrière immédiatement après sa réélection. Mais son maintien au pouvoir pourrait être compromis, étant donnée la très courte majorité dont il dispose au parlement (différence de deux sièges). Là encore, on ne peut que constater la faiblesse de la bourgeoisie et les difficultés qu’elle rencontre pour mener sa politique d’austérité.

En Espagne, on constate une polarisation croissante entre la droite et la gauche – malgré une période de croissance économique soutenue. La droite (PP) et l’Eglise adoptent un langage inédit depuis la veille de la guerre civile, au début des années 1930. Bien entendu, ce n’est pas la perspective immédiate pour l’Espagne ou tout autre pays européen. Mais les choses vont évoluer. La bourgeoisie parviendra à la conclusion qu’il y a trop de grèves, trop de manifestations, trop d’« anarchie » –  et que « l’ordre » doit être restauré.

Les gouvernements réformistes préparent toujours le terrain à des gouvernements toujours plus à droite. A un certain stade, il peut y avoir un mouvement en direction du bonapartisme, en Europe, ce qui provoquerait une plus grande polarisation et une intensification de la lutte des classes. La démocratie bourgeoise n’est pas quelque chose de donné une fois pour toutes. Les événements qui ont cours en Amérique latine peuvent très bien se produire en Europe – aussi bien en termes de tendances révolutionnaires que de tendances contre-révolutionnaires.

Cependant, ce ne sont pas là des perspectives immédiates. A la différence des années 30, les contradictions sociales ne peuvent aujourd’hui se résoudre rapidement par un mouvement révolutionnaire ou contre-révolutionnaire. A cela, plusieurs raisons. Le rapport de force est largement favorable à la classe ouvrière. La base de masse de la réaction – dans la paysannerie et la petite-bourgeoisie des années 1930 – a été considérablement réduite. Dans la plupart des pays, les organisations fascistes sont très petites. Bien que de plus en plus violentes et bruyantes, elles ne peuvent plus jouer le rôle qu’elles ont joué par le passé. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la tendance politique des étudiants, aujourd’hui : la plupart défendent des idées de gauche, alors qu’ils inclinaient souvent vers le fascisme avant 1945.

Dans ces conditions, la classe dirigeante ne peut immédiatement s’orienter vers le bonapartisme ou le fascisme. Mais de son côté, la classe ouvrière ne peut s’orienter immédiatement vers la conquête du pouvoir, car ses organisations de masse traditionnelles se sont transformées en puissants obstacles sur la voie de la révolution socialiste. L’équilibre instable qui existe, aujourd’hui, entre les classes, peut très bien se perpétuer pendant plusieurs années, avec des hauts et des bas. Mais la crise du capitalisme finira par produire ses effets – et produit déjà ses effets. Les masses apprendront de leur expérience – et à un certain stade s’orienteront vers la conquête du pouvoir, comme ce fut le cas dans les années 1970.

L’Irak

En Irak, malgré la présence d’un grand nombre de soldats dotés de l’armement le plus moderne qui soit, les Américains ont perdu la guerre. Cela a provoqué une crise du régime. La classe dirigeante a perdu confiance en Bush. Comme avec Nixon, à l’époque, il était facile de le mettre au pouvoir, mais il est beaucoup plus difficile de l’en écarter. L’Iraq Study Group, dirigé par James Baker, un fidèle représentant de la classe dirigeante, a donné à l’administration Bush quelques conseils assez bons, du point de vue de la bourgeoisie américaine. Il a dit : « Nous avons perdu la guerre. Il faut donc se retirer d’Irak le plus vite possible. Trouvons un accord avec la Syrie et l’Iran, et laissons-les remettre de l’ordre ».

Au lieu de cela, George Bush a envoyé davantage de troupes en Irak et menacé l’Iran. Son slogan est : « un dernier effort et on gagnera. » Cela fait penser aux généraux de la première guerre mondiale, qui passaient leur temps à ordonner aux soldats de lancer « une toute dernière offensive ». Désormais, le « déferlement » est en place, avec 21 000 soldats supplémentaires, soit un total de 31 000 soldats à Bagdad et 160 000 à l’échelle nationale – le plus haut niveau depuis fin 2005.

Après avoir « sécurisé » Bagdad, les troupes américaines se sont attaquées à la « ceinture sunnite », en particulier aux villes sunnites au sud de Bagdad : Mahmudiya, Latifiya et Yusufiya. Mais cela n’a rien réglé. Les guérillas se sont simplement déplacées. Par ailleurs, quelque 2,2 millions d’Irakiens – sur une population de 27 millions – ont dû fuir le pays. Et d’après l’ONU, 2 millions d’Irakiens ont été déplacés à l’intérieur du pays.

Tôt ou tard, les Américains devront quitter l’Irak. Ils essayent de mettre en place un Etat qui tienne le coup lorsqu’ils partiront. Mais en dernière analyse, l’Etat, ce sont des hommes en armes. La police irakienne était constituée de 188 000 hommes entraînés par les Américains. Mais à la mi-2007, il y en avait 32 000 en moins, dont 8 à 10 000 qui étaient morts, 8 à 10 000 blessés, et 5000 qui avaient déserté. L’armée irakienne – de 137 000 hommes – est supposée être de meilleure qualité, mais elle est impuissante face aux insurgés.

Les choses ne vont pas mieux sur le front politique. Les Américains demandent que les Irakiens érigent un gouvernement, une police et une armée disposant d’une base nationale. Mais le soi-disant gouvernement d’union nationale est constitué de fractions rivales qui se disputent la part du lion. Il y a une guerre civile sanglante en Irak. Le gouvernement et les Américains ne peuvent résoudre le problème. En fait, c’est l’impérialisme américain qui a provoqué ce cauchemar. Il a allumé les flammes des conflits sectaires lorsqu’il s’est appuyé sur les Kurdes et les Chiites contre Saddam Hussein, qui s’appuyait sur les Sunnites. Désormais, la situation échappe complètement à son contrôle.

Le général Petraeus a candidement admis que le « déferlement » serait vain si la marge de manœuvre que ses troupes s’efforcent de créer n’était pas utilisée par le gouvernement pour intégrer davantage de Sunnites. Les maîtres du général Petraeus, à Washington, savent que si la marionnette Maliki n’arrive pas à faire mieux, toute l’opération sera condamnée à l’échec – sur fond de pertes croissantes dans les rangs de l’armée américaine.

Ils essayent de se consoler avec le fait que, jusqu’à récemment, le Kurdistan est resté relativement calme. « Le Nord est OK », disent-ils souvent. Mais les pires bains de sang auront précisément lieu dans le Nord. Le Kurdistan est ethniquement mixte. La question nationale ne peut être résolue sous le capitalisme – ni en Irak, ni ailleurs. Désormais, tous s’affrontent : Sunnites, Chiites, Kurdes, Turkmènes, et d’autres groupes.

La Turquie menace l’Irak. Ankara n’acceptera jamais un Kurdistan indépendant à sa frontière. Le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) a repris sa guérilla à l’intérieur de la Turquie et a des bases dans le Kurdistan irakien. Le Parlement turc a voté une résolution permettant à l’armée d’intervenir en Irak. Elle a déjà amassé des forces à la frontière et lancé des incursions. Si l’Irak commence à se briser suivant des lignes ethniques, la Turquie occupera la zone autour de Mosul et Kirkuk, dont elle lorgne déjà les champs pétroliers. Un tel développement aggravera les conflits et l’instabilité dans la région.

Crise aux Etats-Unis

Les impérialistes ne font pas la guerre pour le plaisir – mais pour le pillage, les marchés et les sphères d’influence. Cependant, ils ne tirent pas d’argent de l’Irak. Au contraire, la guerre leur coûte des sommes colossales : au moins deux milliards de dollars par semaine, auxquels s’ajoutent des milliers de morts et de blessés. L’Irak a la troisième plus grande réserve de pétrole au monde. Mais cela ne sert pas à grand chose tant que le brut reste sous terre. Après 17 ans de guerre et de sanctions, l’infrastructure pétrolière est dans un état critique. Le rendement demeure bien inférieur à celui (déjà faible) d’avant la guerre – qui était de 2,5 millions de barils par jour.

Les militaires sont pessimistes et le reconnaissent de plus en plus ouvertement. Le général Petraeus a prévenu que les « opérations de contre-insurrection peuvent durer neuf à dix ans ». Mais ils ne disposent pas de neuf à dix ans. L’opinion publique, aux Etats-Unis, est désormais majoritairement opposée à la guerre. Même de nombreux Républicains en ont assez.

Quoi que fassent les Américains, désormais, ce sera une erreur. S’ils restent en Irak, cela signifiera plus de victimes et ne résoudra rien. La popularité de Bush s’est effondrée en grande partie du fait de la guerre en Irak. La liste des morts et des blessés continue de s’allonger. Parmi eux, un nombre disproportionné de soldats victimes de la guerre sont des latinos ou des noirs issus de familles pauvres.

Au fond, c’est une question de classe. Si l’occupation continue, elle pourrait provoquer des mouvements de masse, aux Etats-Unis, semblables à ceux d’il y a 40 ans contre la guerre au Vietnam. Cela peut même provoquer une crise du régime aux implications révolutionnaires. La combinaison d’une récession économique (avec la chute conséquente des niveaux de vie), du chômage, de saisies d’hypothèques et de la guerre constitue un cocktail explosif.

Mais si les Américains se retirent d’Irak, ce sera encore pire. Ils laisseront derrière eux une situation chaotique qui pourrait même provoquer une partition de l’Irak. Cela déboucherait sur une plus grande instabilité, le risque de guerres régionales et un développement du terrorisme – c’est-à-dire exactement l’opposé de ce que voulait l’administration américaine.

En automne 2007, alors que Bush brandissait des menaces militaires contre l’Iran, la presse a publié d’importantes révélations sur l’Iran – l’« Etat voyou » favori du président Bush. Des sources inconnues ont indiqué que les services secrets américains avaient établi depuis un certain temps que l’Iran n’avait aucune possibilité immédiate d’acquérir l’arme nucléaire. Cette information contredisait tout ce que Bush avait affirmé au cours des mois précédents. Bush avait précisément dit qu’il fallait prendre des mesures immédiates contre l’Iran, car son régime était susceptible d’acquérir des armes nucléaires à n’importe quel moment.

Comment Bush a-t-il réagi à ceci ? A-t-il abandonné sa propagande fallacieuse au sujet de l’arsenal nucléaire imaginaire de Téhéran ? A-t-il immédiatement annoncé l’abandon des plans pour une action militaire contre l’Iran ? Non, il n’a rien fait de tel. Il a répété toutes les mêmes absurdités et a réitéré ses menaces contre l’Iran. Et le gouvernement israélien s’est joint à lui, affirmant que ses propres services secrets contredisaient les informations publiées par la presse américaine. Evidemment, les faucons d’Israël sont enthousiastes à l’idée d’attaquer l’Iran, et ils ne veulent être privés de ce plaisir par personne.

Qui était derrière ces révélations ? Qui que ce soit, il s’agissait de quelqu’un de haut placé, avec un accès privilégié à des informations extrêmement sensibles. Il semble très probable qu’une section de l’Establishment ait décidé d’empêcher une nouvelle aventure militaire au Moyen-Orient en révélant des informations qui montrent que toute la propagande de l’administration Bush sur l’Iran est aussi exacte que les vieux mensonges sur les « armes de destruction massive » en Irak.

Cet incident montre l’existence de divisions toujours plus sérieuses au sein de la classe dirigeante américaine. Il y a une prise de conscience croissante du fait que la politique étrangère de l’administration Bush a des conséquences négatives pour l’impérialisme américain. Une section de la classe dirigeante voudrait freiner cette politique – voire y mettre un terme. Tout ceci prépare une crise du régime lui-même.

Les prochaines élections seront probablement gagnées par les Démocrates. Mais que pourront-ils faire ? Ils hériteront de la guerre, du terrorisme et de la crise économique. Ils seront rapidement discrédités, ce qui préparera le terrain à une sérieuse radicalisation de la politique, aux Etats-Unis.

Instabilité régionale

La guerre en Irak a déjà eu des conséquences que la clique dirigeante de Washington n’avait pas anticipées lorsqu’elle a déclenché son aventure militaire. George W. Bush et Condoleezza Rice veulent sincèrement la paix au Moyen-Orient – une paix sous contrôle américain. Le problème, c’est que ces deux objectifs s’excluent mutuellement : il peut y avoir la paix ou la domination américaine – mais pas les deux à la fois.

La tentative de renforcer son contrôle de la région est un élément clé de la politique générale de l’impérialisme américain pour la domination mondiale. L’invasion criminelle de l’Irak était destinée – entre autres – à établir une tête de pont américaine ferme et fiable. Cet objectif n’a pas été réalisé. Au contraire : la guerre a provoqué une vague d’instabilité dans toute la région.

En liquidant l’armée irakienne – la seule force qui pouvait agir comme contre-poids à l’Iran –, Washington a modifié le rapport de force dans toute la région. Cela a bénéficié à l’Iran, qui a accru son influence sur la population chiite d’Irak et à travers la région. Cela menace directement les intérêts de l’Arabie Saoudite et des Etats du Golfe, dont les monarchies réactionnaires pro-américaines sont assises sur d’énormes réserves de pétrole.

Comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, l’impérialisme américain a saccagé la région, détruisant les éléments de stabilité qui existaient. Encerclé de morceaux vaisselle brisée, et craignant de casser d’autres assiettes de valeur, George Bush a organisé le sommet d’Annapolis. C’était une tentative désespérée de recoller les morceaux.

La monarchie saoudienne – l’un des principaux alliés de Washington dans la région – ne tient qu’à un fil. Elle pourrait être renversée n’importe quand. Et quel que soit le régime qui la remplacera, ce ne sera pas un ami de Washington. En conséquence, le régime saoudien a imploré les Américains de l’aider sur deux fronts : en renforçant les pressions diplomatiques, économiques et militaires sur l’Iran, et en concoctant une forme d’accord réglant la question palestinienne, de façon à alléger la pression que cette question exerce sur l’Arabie Saoudite.

Washington serait trop heureux de fournir cette aide aux Saoudiens, mais il rencontre des problèmes très sérieux. Le premier problème est Israël, qui est aujourd’hui le seul allié fiable des Américains dans toute la région. Dans la situation actuelle, les Américains ne peuvent pas trop faire pression sur Israël. Les Etats-Unis proposent, mais Israël dispose.

La Syrie et le Liban

Les Américains se croyaient malins lorsqu’ils ont organisé le renversement du régime pro-Syrien au Liban. Mais tout ce qu’ils sont parvenus à faire, c’est plonger le pays dans le chaos et la guerre – et créer les conditions d’une résurgence de la guerre civile. A présent, le Liban est paralysé par l’élection de son président. Certaines personnes, à Washington, ont réalisé (à contre-cœur) que la Syrie joue un rôle crucial. En invitant Damas à envoyer un représentant à Annapolis, ils ont peut-être reconnu ce fait.

De son côté, la Syrie a envoyé son vice-ministre des affaires étrangères : c’est moins qu’un vrai négociateur, mais plus qu’un simple pion. Cela indique peut-être que la Syrie cherche à trouver un compromis avec Washington.

Les Américains ont besoin de la Syrie pour éviter que le Liban ne sombre dans la guerre civile. Mais Bush est trop stupide pour comprendre les réalités de la diplomatie mondiale. Il n’a fait aucune concession à la Syrie pour s’assurer son soutien, et lui a tapé sur les doigts dans son discours. Ciblant la Syrie, il a évoqué la nécessité pour le Liban d’avoir des élections « libres de toute interférence et intimidation extérieures ». Au vu de l’interférence flagrante des Etats-Unis dans toute la région, c’est une blague. Mais les Syriens n’ont pas trop apprécié ce trait d’humour.

La question palestinienne

La question palestinienne est au cœur de l’instabilité du Moyen-Orient, qui, pour des raisons économiques et stratégiques, est une région clé pour la politique extérieure américaine. Depuis des décennies, la question palestinienne est comme une plaie purulente qui empoisonne les relations entre les différents Etats de la région, et qui porte en elle le risque de conflits, de terrorisme, d’instabilité et de guerres.

Après la chute de l’Union Soviétique, les impérialistes américains ont cherché à étendre leur influence dans les pays arabes. Pour ce faire, ils étaient prêts à exercer des pressions sur Israël – dans certaines limites – pour qu’il fasse des concessions. Cela a mené aux pourparlers de Camp David et aux accords de Madrid et d’Oslo, qui ont dessiné un territoire palestinien tronqué. C’était une caricature pathétique, qui en aucune manière ne pouvait satisfaire les aspirations nationales des Palestiniens. Personne, d’ailleurs, n’en était satisfait.

Le résultat fut davantage de violence, de terrorisme, de chaos, de conflits – et une scission ouverte dans les rangs des Palestiniens, le Hamas prenant le contrôle de Gaza. Il y a des éléments de guerre civile. La crise à Gaza est une guerre civile entre le Hamas et l’OLP de Abbas.

Le retrait israélien de Gaza était un mouvement tactique destiné à renforcer l’étau sur la Cisjordanie. Le cynisme des impérialistes (américains et européens) est apparu clairement lorsqu’ils ont suspendu l’aide au gouvernement du Hamas – qui, quoiqu’on en pense, a été démocratiquement élu. Dès qu’a éclaté le conflit entre Mahmoud Abbas et le Hamas, les impérialistes ont restauré l’aide financière pour la Cisjordanie et leur agent Abbas. Ils cherchent à diviser les Palestiniens et à empêcher leur lutte d’aboutir.

La classe dirigeante israélienne regarde avec satisfaction les Palestiniens se battre entre eux – et, de temps à autre, envoie les tanks ou resserre l’étau économique pour rappeler qui est le patron. C’est un cauchemar pour les masses palestiniennes, qui ne voient aucune issue. La tactique du Hamas ne règle rien, et ne fait que renforcer la position des impérialistes israéliens, leur fournissant des excuses pour des nouvelles agressions et répressions.

Le slogan de la classe dirigeante israélienne est : ce qu’on a, on le garde. Les Sionistes n’ont aucune intention de faire des concessions importantes. Le Hamas se vante d’avoir chassé l’armée israélienne de Gaza. C’est une plaisanterie. Les Israéliens se sont retirés de Gaza pour faire taire les critiques internationales et donner l’impression de faire une concession importante. En réalité, ils ne sont pas intéressés par Gaza. Et dans le même temps, ils ont renforcé leur emprise sur la Cisjordanie. C’est la question décisive.

Les Israéliens ont continué de construire le mur monstrueux qui découpe la Cisjordanie. Au passage, ils emportent de larges morceaux de terre, sous des prétextes de « sécurité ». Les colons sont de plus en plus audacieux et insolents. Après les incidents de Gaza, aucun gouvernement israélien ne voudra se confronter aux colons de Cisjordanie.

Il y a ensuite le problème de Jérusalem, que les Juifs et les Arabes revendiquent comme leur capitale divine. Par ailleurs, il est hors de question, pour Israël, d’accepter le retour des réfugiés palestiniens expulsés de chez eux depuis 1948, car cela déséquilibrerait complètement l’équilibre démographique de « l’Etat juif ».

Israël et les Etats-Unis ont un intérêt à parvenir à une sorte d’accord sur la question palestinienne. Dans cette mesure, ils peuvent négocier et négocier encore. Mais quel que soit l’accord trouvé, il sera contraire aux intérêts des Palestiniens.

Ils ont fait du « dirigeant » palestinien Mahmoud Abbas leur laquais. Il signe tout ce qu’ils lui demandent de signer. Mais ce n’est pas si facile ! Abbas, comme tout le monde, aimerait vivre encore un certain temps, et il a également peur de perdre encore plus de soutien parmi les masses palestiniennes. Il ne peut se permettre de capituler de façon trop ouverte. Mais en fin de compte, il n’aura pas le choix.

Le sommet d’Annapolis n’a rien résolu. Après quatre mois de discussions au sujet de discussions, Condoleeza Rice n’est pas parvenue à obtenir ce dont Abbas avait besoin : une sorte d’accord sur la création d’un Etat palestinien.

Un problème insoluble

Les Etats-Unis sont supposés veiller à l’application de la « feuille de route » de 2003, suivant laquelle Israël devait geler l’établissement de nouvelles colonies en Cisjordanie – et l’Autorité Palestinienne prendre des mesures contre les militants qui attaquent Israël.

Cela signifie que les deux parties en conflit ont donné aux Etats-Unis le rôle d’arbitre. Cela a été présenté comme une victoire pour les Palestiniens, dans la mesure où jusqu’alors le rôle d’arbitre revenait de facto à Israël. Cependant, il n’en résulte pas de changements fondamentaux. Dans un match de football, l’arbitre est supposé être neutre, et de cette neutralité découle son  autorité. Mais dans le conflit israélo-palestinien, l’arbitre penche clairement pour l’une des deux parties, et « l’arbitrage » ne vaut donc pas grand-chose.

Le premier test est clair : que va faire Olmert de la centaine (et plus) de colonies « illégales » établies par des colons extrémistes ? La feuille de route demande qu’il en démantèle une soixantaine. Mais la dernière tentative d’en démanteler une seule a provoqué des affrontements violents entre la police et les colons qui, après avoir perdu leur lutte pour rester dans la Bande de Gaza, en 2005, se sont regroupés et se préparent à une confrontation.

Il n’est pas impossible qu’Olmert fasse pression sur les colons (ce sont de simples pions sur l’échiquier, et des pions peuvent toujours être sacrifiés pour des objectifs plus importants). Mais un démantèlement global des colonies en Cisjordanie est impensable. Les colons sont des fanatiques parfaitement capables de provoquer des troubles sérieux aussi bien en Cisjordanie qu’en Israël – et aucun gouvernement israélien ne courra le risque d’une telle déstabilisation. En conséquence, la question des colonies ne sera pas réglée, et elle constituera une provocation permanente à l’égard des Palestiniens.

Les Etats-Unis ont appointé un général, James Jones, comme émissaire à la sécurité pour l’Autorité Palestinienne. Cela ne changera pas grand chose. Et il est clair qu’Israël ne lui facilitera pas la tâche. Comme l’a déclaré un officiel israélien, l’idée qu’Olmert puisse geler la construction de colonies – conformément à la « feuille de route » – est un « opportun malentendu ». Cela exprime bien la vacuité de la diplomatie américaine. De fait, toute l’affaire est précisément cela : un opportun malentendu.

L’ « arbitre » sera implacable sur un point : la répression des militants. Les grosses sommes d’argent que les Etats-Unis envoient à l’Autorité Palestinienne sont conditionnées à cela. Les Américains attendent d’Abbas qu’il écrase les militants palestiniens, de façon à préparer le terrain à un « accord » qui sera en-deçà des aspirations palestiniennes. C’est pour cette raison que Washington arme l’Autorité Palestinienne et entraîne ses forces de sécurité. Ils se préparent à une guerre civile qu’ils savent inévitable.

L’interprétation israélienne de la « feuille de route » est la suivante : aucun accord ne prendra effet tant que l’Autorité Palestinienne n’aura pas démantelé les groupes terroristes. Mais Abbas ne peut pas aller aussi loin : il craint qu’un conflit sérieux avec le Hamas ne provoque un effondrement complet de ses forces armées. C’est pourquoi Abbas insiste sur le fait qu’il lui suffit simplement de commencer à « restaurer l’ordre ».

En conséquence, les récents pourparlers n’ont rien réglé – et ne pouvaient rien régler. C’est un conflit trop profond et intense pour être réglé par des négociations. Et même si les négociations reprennent, comment pourraient-elles régler des questions aussi importantes que les frontières de l’Etat palestinien, la division de Jérusalem, le sort des 4,5 millions de réfugiés, le partage des ressources en eau, etc. ?

Olmert fera juste les concessions nécessaires pour que le « processus de paix » se poursuive, de façon à ne pas contrarier les Américains. Mais il ne fera pas de concessions trop importantes, de façon à ne pas rompre avec l’aile droite de sa coalition. Les partis de droite ont clairement fait comprendre qu’ils n’accepteront pas des concessions sur les questions fondamentales. Par exemple, ils ont fait voter au parlement un projet de loi qui entrave la possibilité de concéder une partie de Jérusalem à l’Autorité Palestinienne.

De son côté, Abbas – qui a obtenu beaucoup moins qu’espéré aux négociations d’Annapolis – court le risque d’être accusé de capitulation par ses opposants. L’Autorité Palestinienne a violemment réprimé des manifestations anti-Annapolis en Cisjordanie. C’est un avertissement. Loin de déboucher sur un accord relatif à la création d’un Etat palestinien, Annapolis débouchera sur de nouveaux bains de sang et de nouveaux affrontements entre Palestiniens.

La seule issue

Dans de nombreux pays, la classe ouvrière reprend le chemin de la lutte – après des années de découragement. On l’a vu avec les impressionnantes vagues de grève en Egypte, mais aussi au Maroc, en Jordanie, au Liban et en Israël même. Il faut mettre à l’ordre du jour la lutte pour une politique de classe, la solidarité ouvrière internationale et la lutte pour le socialisme comme seules véritables solutions aux problèmes des masses.

Il est essentiel que la jeunesse révolutionnaire de Palestine le comprenne. Si on acceptait l’idée que la société israélienne est un seul bloc réactionnaire, la cause du peuple Palestinien serait définitivement perdue. Mais ce n’est pas vrai ! En Israël, il y a des riches et des pauvres, des exploiteurs et des exploités – comme dans n’importe quel autre pays. Il faut travailler à la construction de liens entre les révolutionnaires de Palestine et les masses israéliennes – juives et arabes. C’est la seule façon de détacher les masses de la classe dirigeante sioniste.

On nous dit que c’est impossible. C’est faux ! A plus d’une reprise, par le passé, il y a eu des signes clairs que le message des territoires occupés trouvait un écho parmi les masses d’Israël. A l’époque du massacre des Palestiniens au Liban, il y avait d’énormes manifestations de protestation, en Israël. Et lors de la première Intifada, il y avait une effervescence évidente dans la société israélienne, y compris dans les forces armées.

La tactique des attentats-suicide et des attaques à la roquette contre des civils israéliens est mauvaise parce que contre-productive. A chaque civil israélien tué, l’armée israélienne tue beaucoup plus de Palestiniens. Le terrorisme individuel n’a aucun impact sur la machine militaire israélienne. Par contre, il aide considérablement la classe dirigeante et l’Etat israéliens. En poussant les masses vers l’Etat sioniste, cette tactique renforce cela même qu’elle prétend détruire.

Nous nous battons pour une révolution socialiste au Moyen-Orient, en Iran, dans le Golfe et en Afrique du Nord. Nous luttons contre l’impérialisme – l’ennemi principal de tous les peuples. Mais nous luttons aussi contre le capitalisme et la grande propriété terrienne – qui sont les principaux agents de l’impérialisme. Nous sommes opposés au fondamentalisme religieux, qui cherche à détourner les instincts anti-impérialistes des masses vers l’impasse du fanatisme religieux et de l’obscurantisme réactionnaire. Nous sommes pour le pouvoir ouvrier et le socialisme – pour un nouvel ordre social qui exprime les intérêts des masses. Nous sommes pour la création d’un Fédération Socialiste du Moyen-Orient, qui garantira aux Arabes et aux Juifs un pays dans des Républiques Socialistes Autonomes. C’est la seule voie !

Il n’y a pas de solution à la question palestinienne sur la base de manigances avec l’impérialisme. La seule solution, c’est de diviser Israël suivant une ligne de classe et, ainsi, de briser la domination du sionisme réactionnaire. Cela suppose une position de classe. Certes, dans les circonstances actuelles, une telle position n’est pas facile à défendre. Mais les événements prouveront la futilité des « vieilles méthodes » et offriront des opportunités aux marxistes. D’ici là, nous devons expliquer patiemment nos idées aux éléments les plus avancés. A l’avenir, elles rencontreront un écho massif.

Janvier 2008

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