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Je suis ouvrier boucher en grande distribution depuis un an. C’est mon premier contrat à ce poste. Mes horaires varient constamment : je peux travailler de 6 h à 13 h 30, ou de 10 h 30 à 18 h, ou encore de 14 h à 22 h. Je suis payé 1350 euros par mois, ce qui est peu, pour un boucher.

Les conditions de travail

Ce métier peut s’avérer dangereux. Nous travaillons avec des couteaux très tranchants, des scies, du matériel très lourd, etc. Pour nous protéger, notre direction doit nous fournir des équipements de protection individuelle (EPI). Si un boucher se blesse alors qu’il ne porte pas ses EPI, c’est considéré comme une faute professionnelle.

Par exemple, pour désosser les carcasses, il est indispensable de porter un tablier en cotte de mailles. La loi exige qu’il y en ait un à disposition pour chaque ouvrier. Or nous en avons un seul pour douze bouchers, et il est d’ailleurs en très mauvais état. Il est impossible de l’ajuster et son poids pèse fortement sur nos cervicales. Mais sans ce tablier, le couteau peut riper et venir se planter à différents endroits, y compris dans l’artère fémorale, ce qui a été la cause de plusieurs décès dans la profession.

Il en va de même pour les gants en cotte de mailles : nous n’en avons que trois. Au bout de trois mois, ce manque de matériel m’avait déjà valu un couteau planté dans la main gauche et quatre points de suture. Moins grave, mais tout de même gênant : depuis un an que je suis à ce poste, je n’ai toujours pas de tenue à ma taille. Alors que je porte du M, habituellement, je dois porter des chemises qui varient entre XL et XXL. C’est embêtant pour travailler, sauf pour mes collègues, qui se réjouissent de voir un boucher en robe de chambre.

Mensonges à la clientèle

Le rayon met en place plusieurs gammes de produits, dont une labellisée, plus chère. Or, il arrive fréquemment que, suite à des problèmes de livraisons, ces produits soient en rupture de stock. Alors, la direction nous demande de les remplacer par des produits bas de gamme, en faisant croire au client qu’ils sont labellisés. C’est du vol.

Ce n’est pas tout. Quand la direction se trompe dans ses commandes et qu’on se retrouve avec un stock important de viande périmée, elle nous ordonne de la vendre quand même, en retirant du produit les dates limites de consommation (DLC). Tout est fait pour optimiser le chiffre d’affaires, aux dépens des salariés et des consommateurs.

On peut aussi prendre l’exemple de la viande hachée, qui est l’un des produits les plus sensibles en boucherie. En effet, hacher un steak en le faisant entrer en contact avec des éléments métalliques augmente considérablement le développement bactérien. C’est pour cela qu’il faut une viande de qualité, maintenue entre 0 et 4 degrés, pour pouvoir la vendre sans risque. Mais pour réduire les invendus, notre chef de rayon nous demande de déballer les steaks ou rôtis bas de gamme en barquette qui ne sont plus consommables, et de les vendre comme une viande hachée labellisée haut de gamme. Il va même les chercher lui-même et nous entrepose ce tas de viande dans une pièce à 12 degrés toute la matinée. « Voilà madame ! Un steak haché plein de bactéries ! ». Je tiens à souligner que notre conscience professionnelle nous pousse souvent à désobéir.

Pressions et gaspillage

Les deux principaux objectifs de la direction sont l’augmentation du chiffre d’affaires et la réduction de la « casse » (produits jetés). Il ne s’agit pas de lutter contre le gaspillage, bien sûr, mais bien d’augmenter les profits. Malgré tout, nous jetons plus de 500 euros de viande par jour. Cela retombe directement sur les salariés, qui se font réprimander. Pourtant, il est impossible de faire autrement, au vu des directives qui nous sont données.

L’organisation du rayon n’est pas décidée par les ouvriers bouchers eux-mêmes, mais par des technocrates nationaux qui pondent des études déconnectées de toute réalité. Par exemple, des produits qui se vendent très bien, en région parisienne, ne sont que peu consommés à Tourcoing. Pourtant, on nous donne l’ordre de fabriquer en quantité ces produits, même s’ils pourrissent avant d’être vendus. Nous avons souvent l’impression que notre travail consiste à remplir une vitrine pour satisfaire la direction – puis à jeter.

Tous les bouchers de mon rayon ont une autre vision de leur métier. Nous savons qu’avec une meilleure organisation, nous pourrions délivrer un service de qualité sans gaspiller autant de viande. Mais notre direction en est incapable : elle passe son temps dans les bureaux, les yeux rivés sur les courbes du chiffre d’affaires.

La distribution alimentaire est vitale pour la société. Je pense qu’elle devrait être organisée par les travailleurs eux-mêmes, dans le but de répondre aux besoins de la population, et non dans l’objectif de faire du profit.

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