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Marine Le Pen - Front National

Les trois dernières élections en France – municipales, européennes et départementales – ont été marquées par des scores élevés du Front National. On peut tourner ces résultats dans tous les sens, évoquer l’abstention massive, le fait est qu’en nombre de voix, c’est-à-dire en valeur absolue, le FN a progressé. De tous les partis, il est celui qui mobilise le mieux ses électeurs de 2012, donc résiste le plus à l’abstention.

Forts de ces résultats, les dirigeants du FN espèrent remporter de nouveaux succès aux régionales de décembre 2015 et à la présidentielle de 2017. Est-ce que Marine Le Pen peut se qualifier au deuxième tour en avril 2017 ? C’est un danger évident. En 2012, elle avait recueilli 6,4 millions de voix, Hollande 10,3 millions et Sarkozy 9,7 millions. Mais la grande majorité de l’électorat qui avait élu Hollande en 2012 est déçue – et souvent écœurée – par la politique réactionnaire du gouvernement, son impuissance face à la flambée du chômage et sa soumission aux ordres du Medef. Dans ce contexte, jusqu’où peut aller le rejet du PS en 2017 ? C’est difficile à dire ; beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. Mais rappelons que Lionel Jospin était tombé à 4,6 millions de voix au premier tour de la présidentielle de 2002, soit 1,8 million de moins que le score de Marine Le Pen en 2012.

Le PS au pouvoir est le premier responsable de la montée du Front National. En menant une politique en tous points semblable à celle de Sarkozy, les dirigeants du PS apportent de l’eau au moulin de Marine Le Pen, qui a beau jeu de fustiger l’« UMPS ». Cette formule correspond à l’expérience de la masse des travailleurs, des chômeurs et des retraités, qui depuis plus de 30 ans voient la droite et la « gauche » se succéder au pouvoir et mener à peu près la même politique, avec le même résultat : les pauvres sont de plus en plus pauvres et les riches de plus en plus riches. Comme le disait le romancier du XIXe Alphonse Karr : « Plus ça change, plus c’est la même chose ! »

La « dédiabolisation » du FN

Début avril, les grands médias étaient saturés du conflit entre les Le Pen fille et père. De nombreux journalistes et politiciens de droite se réjouissaient plus ou moins ouvertement de cette nouvelle étape dans la soi-disant « dédiabolisation » – voire la « normalisation » – du FN.

Il est clair qu’une partie de la classe dirigeante voit d’un bon œil les efforts de la direction du FN pour rompre – au moins en façade – avec l’héritage politique de Jean-Marie Le Pen, fait de provocations racistes, antisémites et de clins d’œil réguliers au fascisme. Non que cet héritage pose aux capitalistes un problème d’ordre moral ou de principe. Mais la crise des vieux partis, à commencer par le PS et l’UMP, finira tôt ou tard par poser la question d’un gouvernement de coalition – soit du PS avec la droite, soit de la droite avec le FN. Marine Le Pen et son entourage de jeunes technocrates aux dents longues (Philippot, Bay, etc.) l’ont bien compris. A la différence de Jean-Marie Le Pen, ils veulent entrer au Parlement et dans les ministères. Pour cela, ils sont prêts à faire alliance avec une partie de l’UMP et de l’UDI. C’est pour préparer le terrain à de telles alliances que Le Pen fille a lancé le « Rassemblement Bleu Marine ». Des cadres de l’UMP et l’UDI l’ont déjà rejoint.

Dans un premier temps, cependant, la classe dirigeante préfèrera sans doute un gouvernement de coalition entre la droite et le PS (ou au moins une partie de celui-ci). En effet, malgré l’intense campagne médiatique de « normalisation » du FN, son entrée dans les ministères serait vécue comme une provocation par de larges sections de la jeunesse et du salariat. La droite et la bourgeoisie n’ont pas oublié les manifestations massives de l’entre-deux tours des élections présidentielles de 2002. Elle est terrifiée à l’idée que cela puisse se reproduire.

A cet égard, Alain Jupé incarne l’aile la plus prudente et pragmatique de la bourgeoisie française, qui se dit : « à quoi bon jouer la dangereuse carte du FN, lorsque les dirigeants du PS se montrent aussi déterminés à défendre nos intérêts – et les dirigeants syndicaux à ne pas faire de vague ? » Mais la base militante et électorale de l’UMP, elle, regarde de plus en plus en direction du FN. C’est une conséquence inéluctable de la crise du capitalisme et de la démocratie bourgeoisie. Cela mettra à l’ordre du jour une recomposition générale de la droite française, une partie ralliant l’extrême droite, une autre se tournant vers la droite du PS.

Dans l’immédiat, Sarkozy tempête contre le FN et menace d’exclusion les membres de son parti qui feraient des alliances avec lui. Mais c’est un signe de faiblesse, non de force. Dans les faits, la fuite d’une partie de l’électorat de l’UMP vers le FN pousse Sarkozy à chasser dans les marais idéologiques de Marine Le Pen – sous couvert de « République » et de « laïcité », bien sûr – et à ménager les électeurs de droite et d’extrême droite en refusant d’appeler à voter pour le PS lorsqu’il est face au FN au deuxième tour (le fameux « ni-ni »).

Si aujourd’hui Sarkozy tendait ouvertement la main au FN, il précipiterait une crise majeure de l’UMP, voire sa scission, et ruinerait ses chances de remporter la présidentielle de 2017. Mais derrière ces postures et calculs à court terme, le processus de rapprochement d’une partie de la droite et de l’extrême droite suit son cours inéluctable.

Le programme du FN

La prétendue « normalisation » du FN vise à faciliter ce rapprochement. Mais de quelle « norme » parle-t-on, au juste ? Dans le contexte d’une profonde crise du capitalisme, la norme d’un programme de droite, c’est une offensive majeure contre les conditions de vie et de travail de la majorité de la population, une politique d’austérité brutale, la suppression massive de postes dans la fonction publique, la privatisation et la destruction des services publics, la stagnation ou la baisse des salaires, la remise en cause des conventions collectives et des droits démocratiques. Tel est bien le « programme commun » de la droite et de l’extrême droite – de Bayrou à Le Pen en passant par Juppé et Sarkozy !

Marine Le Pen et ses acolytes s’efforcent de cacher leur programme pro-capitaliste derrière une démagogie « anti-système ». S’ils entrent dans un gouvernement, cet écran de fumée se dissipera, laissant place à une politique bourgeoise de contre-réformes tout à fait conforme aux besoins du « système » – du système capitaliste dont le FN est un ardent défenseur. Il en sortirait profondément discrédité. Le même phénomène s’est déjà produit dans d’autres pays d’Europe, comme en Autriche avec le parti d’extrême droite de Jörg Haïder, le FPÖ, qui était entré dans un gouvernement de coalition en 2000.

Mais nous n’en sommes pas là, en France. Surtout, ce scénario n’a rien d’inéluctable. Le FN ne participera à un gouvernement de droite que si la « gauche radicale » – à commencer par le Front de Gauche – n’est pas capable d’incarner une alternative de gauche aux politiques d’austérité qui sont menées en France et dans toute l’Europe. Le fait est que les divisions et les alliances opportunistes du Front de Gauche, ces dernières années, ont aidé le FN à capitaliser, électoralement, sur la colère de millions de jeunes et de travailleurs. Il y a, dans une certaine mesure, un lien direct entre les erreurs du Front de Gauche et les succès du FN. Réciproquement, l’émergence d’une alternative de gauche aux politiques d’austérité coupera l’herbe sous les pieds du FN.

On ne peut combattre le FN par des discours moralisateurs « contre la haine de l’autre », etc. Cela n’a et n’aura aucun impact sur cette large frange de l’électorat FN qui subit de plein fouet la crise du capitalisme et nourrit une haine légitime à l’égard des politiciens repus qui se succèdent au pouvoir depuis des décennies. Cela n’a et n’aura pas le moindre impact, non plus, sur la masse encore plus importante des jeunes et des travailleurs qui s’abstiennent de voter pour les mêmes raisons. Pour combattre efficacement à la fois le FN, la droite et les dirigeants pro-capitalistes du PS, le Front de Gauche doit défendre un programme de rupture clair avec le capitalisme, c’est-à-dire avec le système économique et social qui est la cause fondamentale des souffrances du peuple. Il faut mobiliser autour d’un tel programme l’ensemble des travailleurs, français ou non.

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