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En novembre 2021, une maladie m’a fait perdre une partie de mes facultés motrices. Privé d’autonomie et soumis à un lourd traitement, j’ai d’abord été hospitalisé – gratuitement – dans un établissement public.

Mais comme chacun le sait, les gouvernements successifs ont saccagé l’hôpital public, ces dernières décennies. Des dizaines de milliers de lits ont été supprimés. Et donc, quelques semaines après mon admission, la direction de l’hôpital s’est mise en tête de libérer mon lit, c’est-à-dire de m’en trouver un autre ailleurs –  dans un établissement privé, où la durée de mon hospitalisation ne serait plus un « problème », mais, au contraire, une source de profits. Ainsi, plus l’hôpital public est affaibli, plus les hôpitaux et cliniques privés s’enrichissent.

J’ai donc été transféré dans l’une des nombreuses cliniques du groupe Ramsay Santé. Numéro un de l’hospitalisation privée en France, cette multinationale australienne réalise chaque année des milliards d’euros de chiffres d’affaires et des dizaines de millions d’euros de profits nets. Son empire ne cesse de croître à coups de rachats et de fusions. J’imagine que les actionnaires de Ramsay en sont très satisfaits. Je le suis nettement moins.

50 euros par jour

D’abord, je dois débourser 50 euros par jour, car ma mutuelle ne suffit pas à couvrir les frais que l’Etat ne prend pas en charge. Ramsay a donc trois sources de revenus : les finances publiques, les mutuelles privées (qui elles-mêmes font des profits) et éventuellement les malades, selon la « qualité » de leur mutuelle.

50 euros par jour, ça fait 1500 euros par mois. Avec ma retraite de postier, je ne peux pas débourser une telle somme. Lorsqu’on m’a communiqué le tarif, on m’a précisé que j’aurais droit à la visite d’une assistante sociale. En effet, j’y ai eu droit. Conclusion de l’entretien : l’assistante sociale ne pouvait strictement rien faire pour moi, pas même obtenir un échelonnement de ma dette à l’égard de Ramsay.

Si j’avais su que j’allais tomber malade (et quand), j’aurais payé la meilleure mutuelle au tout dernier moment. Mais bien sûr, je ne pouvais pas prévoir cette maladie. C’est la logique du casino dans le domaine de la santé.

Mesquineries

La télévision est payante : 4,5 euros par jour pour les seules chaines de la TNT. Pour l’accès au wifi (qui est faiblard), il faut débourser 5 euros par jour. C’est un racket d’une scandaleuse mesquinerie. Ramsay abuse de la situation de malades cloués sur leur lit et confrontés à la solitude et l’ennui.

Le « goûter », à 15 heures, est très frugal : on m’apporte un café (ou un thé) et une petite madeleine. Parfois, celle-ci est remplacée par deux biscuits Saint-Michel.

De nos jours, il est possible d’investir dans une chambre d’EHPAD ou de clinique privée. Les publicités qui vantent cet investissement soulignent qu’il est plus stable, moins risqué, que l’achat et la mise en location d’un logement. Il m’arrive d’y songer face à la madeleine de 15 heures.

Quelques jours avant Noël, le directeur de l’hôpital est venu en personne me saluer, prendre de mes nouvelles et m’offrir deux clémentines, un verre de jus de pomme et une « boule à neige » –  mais sans neige, étonnamment. J’ai failli lui proposer d’échanger ma boule-sans-neige contre une double ration de madeleines.

L’environnement

Cette clinique est censée être une « Maison de soins et de repos ». Mais pour le repos, on repassera : des travaux très bruyants, liés au Grand Paris,  sont en cours à deux pas de la clinique. Il arrive qu’ils commencent à 7 heures du matin et durent toute la journée. C’est parfois insupportable. S’il y avait suffisamment d’hôpitaux publics, on pourrait fermer cette clinique le temps des travaux. Mais bien sûr, l’Etat (qui ferme des lits) et les actionnaires de Ramsay (qui bénéficient de cette politique) ne sont pas de cet avis.

Au rez-de-chaussée, le soi-disant « jardin » consiste en un carré de planches de 30  mètres carrés, délimité par quelques jardinières dégarnies. Inutile d’y envisager une promenade. Mieux vaut déambuler dans les couloirs de la clinique.

Récemment, j’ai découvert que la clinique abritait un centre privé de kinésithérapie, au rez-de-chaussée. Des kinés libéraux y reçoivent des patients extérieurs à l’établissement, lesquels bénéficient d’équipements très supérieurs à ceux dont dispose la salle de kinésithérapie de la clinique, située au sous-sol. C’est comme dans les TGV : il y a les premières et les deuxièmes classes.

Finissons sur une note positive.  Les infirmières et les aides-soignantes, qui réalisent la plupart des tâches à mes côtés, sont en général dévouées et chaleureuses. Malgré des effectifs insuffisants, les pressions auxquelles elles sont soumises et leurs maigres salaires, ces femmes – car il s’agit surtout de femmes, souvent d’origine africaine  – contribuent de façon décisive à la dignité de mon séjour dans cette clinique.  

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