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Une interview avec Patrick Lichau, Délégué Syndical National, Crédit Lyonnais, CGT Secteurs Financiers

Fin 2001, de nombreux politiques et hommes d’affaires en tout genre ont profité du soi-disant "euro-enthousiasme" pour fustiger les syndicats du secteur bancaire, qui appelaient à la grève pour le 2 janvier. Ils leur reprochaient de "prendre l’euro en otage". La Riposte, qui s’est de son côté très vite lassée de la contemplation de notre nouvelle monnaie, est allé rendre visite à la CGT du Crédit Lyonnais, fin janvier, pour faire le point sur les mobilisations de ce début d’année et sur les revendications des salariés.

Révolution : Que pensez vous de la mobilisation du 2 janvier ?

Patrick Lichau : Avant le 2 janvier, la plupart des médias, de concert avec les directions du secteur bancaire et certains hommes politiques, dont Fabius, nous reprochaient vivement d’avoir préparé ce mouvement de grève. Ils nous accusaient de "profiter cyniquement du passage à l’euro pour satisfaire des revendications catégorielles". Ils déclaraient sans cesse, d’ailleurs, que nous ne serions pas suivis par les salariés. Du coup, on n’est pas surpris, aujourd’hui, de les entendre parler de l’"échec" du 2 janvier. Mais, en réalité, ça n’a pas du tout été un échec, au contraire. En particulier, sur l’ensemble Société Générale, Crédit du Nord et Crédit Lyonnais, le pourcentage de grévistes s’élève aux environs de 40% en moyenne, avec des pics, ici ou là, de 50% à plus de 60%. Au Crédit Lyonnais, on n’avait pas vu un tel niveau de mobilisation depuis les grèves de 1974. Notre direction, qui pronostiquait que pas une agence ne fermerait, a eu tout faux : ce sont 500 agences sur 1700 qui sont restées fermées, et ce malgré les habituels recours aux intérimaires, étudiants, équipes volantes, cadres non grévistes etc.

Révolution : Quelles sont les principales revendications des salariés de ce secteur ?

Patrick Lichau : Les revendications concernent aussi bien les salaires que les conditions de travail, la sécurité et les problèmes d’effectifs. Sur les salaires, le problème est double. D’une part, les augmentations annuelles sont très insuffisantes. D’autre part, alors que la convention collective prévoit des négociations de branche, les directions s’y refusent et tentent d’imposer des négociations par entreprise, voire, si possible, par établissement au sein de chaque entreprise. De la sorte, ils comptent profiter des différents niveaux d’implantation syndicale pour faire des économies dès que c’est possible. C’est ainsi que les salariés de milliers de petites banques, notamment étrangères, n’ont pas vu leur salaire augmenter depuis 1996.

En ce qui concerne les conditions de travail, le malaise est général, mais prenons en exemple les commerciaux, qui étaient au cœur de la grève du 2 janvier. La politique du "travail sur objectif" en matière de vente de produits financiers, de cartes bleues, etc., devient pour eux la source d’une pression permanente. Sur le papier, les objectifs sont supposés être fixés après concertation entre les commerciaux et la hiérarchie. En réalité, des objectifs nationaux sont arrêtés par la direction, qui sont ensuite déclinés établissement par établissement, et tout ça arrive finalement sur la tête des commerciaux, sans tenir compte ni des effectifs, ni du type de clientèle - plus ou moins riche - propres à chaque établissement. Leur emploi du temps est alors déterminé heures par heures, rendez-vous par rendez-vous, avec un temps déterminé par rendez-vous, et, ensuite, le petit jeu consiste à les appeler sans cesse pour leur demander : "ou tu en es, tu en as vendu combien ?" A tout cela il faut ajouter le grand nombre de postes vacants qui ne sont pas couverts, ce qui accroît encore la pression.

Révolution : Quelle est la situation au Crédit Lyonnais ?

Patrick Lichau : Nous sommes de très loin en dernière position, dans le secteur bancaire, en ce qui concerne les salaires. De manière générale, toutes les " affaires " et faillites qui ont touché le Crédit Lyonnais ont servi de prétexte à une politique sociale très sévère : on demandait aux salariés de serrer la ceinture pour sauver l’entreprise. Près de 10 000 emplois ont été supprimés en l’espace de 10 ans. Nous avons connus des plans sociaux à répétition et plusieurs années sans augmentations de salaire. Le soi-disant coût des "affaires" du Crédit Lyonnais continue d’ailleurs, aujourd’hui, d’alimenter la politique d’austérité. On parle de 140 milliards de francs, mais il nous est impossible de confirmer ce chiffre, qui nous semble très exagéré, faute de détails : la direction se refuse à les donner. Sur la question des salaires, les employés du crédit lyonnais sont d’autant plus remontés qu’on leur demande, d’un côté, de faire des sacrifices, pendant que de l’autre on distribue à coups de millions des "primes" individuelles à tel ou tel membre de la direction. La prestation télévisuelle de notre PDG, M. Peyrelevade, déclarant sur M6 que sa rémunération allait augmenter "probablement de quelques millions" a renforcé ce sentiment d’injustice. Il faut enfin rappeler que le personnel administratif a dû subir, ces dernières années, la restructuration des unités administratives (les UAC). Un peu partout, en France, de nombreuses UAC ont été supprimées au profit d’une UAC plus grande. En même temps qu’on centralise tout le travail dans les principales villes, on dégraisse les effectifs, et on demande aux salariés de changer du jour au lendemain non seulement de lieu, mais aussi, souvent, de métier.

Révolution : Comment voyez-vous l’avenir ?

Patrick Lichau : Pour ce qui est l’avenir du Crédit Lyonnais lui-même, il pourrait être complètement remis en cause. Ses actionnaires ont conclu un " pacte de stabilité " d’un an, pendant lequel ils ne doivent pas modifier leur part. Après quoi le Crédit Lyonnais pourrait fusionner avec le Crédit Agricole. On sait les risques que cela comporte en matière d’emploi. Les restructurations du secteur bancaire ont profondément modifié le paysage économique de la profession, et ce n’est pas fini. Au nom d’un " retour sur investissement le plus élevé possible " pour l’actionnaire, d’autres décisions sont en gestation au sein de la direction de l’entreprise. La stratégie n’est guère éloignée de celle de Danone, Pechiney, AOM etc... Les conséquences pour les salariés seraient les mêmes. Mais, indéniablement, les salariés du Crédit Lyonnais ne sont pas disposés à laisser leurs intérêts bradés au seul profit des actionnaires. Tout en oeuvrant à la constitution de l’unité syndicale la plus efficace possible, la CGT sera à leurs côtés pour s’opposer à cette orientation stratégique de l’entreprise, grave de conséquences pour les salariés mais aussi pour la clientèle. Les salariés ont agi massivement le 2 janvier 2002. Le 17 janvier, par milliers, ils ont de nouveau répondu à l’appel des 5 organisations syndicales de l’entreprise. C’est un profond ras-le-bol qu’expriment aujourd’hui les employés du secteur bancaire, et nous pensons pouvoir encore bien mobiliser.

Propos recueillis par Jérôme Métellus et Hubert Prévaud

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