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Luxemburg, Zetkin, Kollontaï

Article paru le 8 mars 2019 sur La Riposte Socialiste.


Les dernières années ont vu un renouveau de la lutte contre l’oppression des femmes à une échelle internationale. Des mouvements pour le droit à l’avortement en Irlande, en Argentine et en Pologne, la marche mondiale des femmes contre Trump, la grève féministe en Espagne : une nouvelle génération entre sur la scène politique et souhaite lutter contre les inégalités et la violence auxquelles les femmes restent confrontées. Ces jeunes veulent changer profondément la société, et cherchent les idées pour y arriver. Les écrits marxistes d’Eleanor Marx, de Rosa Luxemburg, de Clara Zetkin et d’Alexandra Kollontaï, entre autres, gardent à cet effet toute leur pertinence aujourd’hui. Comme nous le verrons, ces grandes dirigeantes socialistes se sont toujours battues pour lier la lutte des femmes à la lutte pour le socialisme. Pour elles, il ne peut y avoir d’émancipation des femmes sans émancipation de la classe ouvrière, et vice-versa. Nous nous proposons ici de revisiter leurs idées.

Les marxistes et les Suffragettes

La lutte pour l’émancipation des femmes a toujours été une partie intégrante du mouvement socialiste. Même avant Marx, le socialiste utopiste Charles Fourier disait : « Les progrès sociaux et changements de période s’opèrent en raison du progrès des femmes vers la liberté ; et les décadences d’ordre social s’opèrent en raison du décroissement de la liberté des femmes. » Le plus proche collaborateur de Marx, Friedrich Engels, a publié en 1884 L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, qui est une brillante explication matérialiste des origines de l’oppression des femmes. Au sein de la Première Internationale, les proudhoniens avaient une vision très paternaliste de la femme qui, selon eux, ne « serait point faite pour travailler ». Marx et Engels ont combattu ces idées réactionnaires.

Les marxistes n’étaient évidemment pas les seuls à mener cette lutte. À la même époque, vers le milieu du 19e siècle, toutes sortes de groupes de bourgeoises et petites-bourgeoises s’étaient formés pour lutter pour les droits des femmes, en particulier pour le droit de vote. Bien que les marxistes luttaient pour les droits démocratiques et contre l’oppression en général, un abîme séparait leur approche de celle de ces groupes, comme nous le verrons.

Eleanor MarxDe grandes femmes marxistes comme Kollontaï et Zetkin n’ont pas lésiné sur la critique des Suffragettes, qu’elles décrivaient comme un « mouvement des femmes bourgeoises ». La fille de Marx, Eleanor, qui était active dans le mouvement ouvrier à l’époque, expliquait ainsi la position marxiste : « Les travailleuses peuvent bien comprendre les demandes du mouvement des bourgeoises ; elles peuvent et devraient même avoir une attitude favorable envers ces demandes ; seulement, les objectifs des travailleuses et des bourgeoises sont très différents. » Clara Zetkin, pour sa part, expliquait : « Nous demandons des droits politiques égaux à ceux des hommes afin que nous puissions, avec eux, nous libérer tous ensemble des chaînes qui nous retiennent, et que nous puissions renverser et détruire cette société. » C’est là une vision complètement différente de celle des bourgeoises et petites-bourgeoises qui voyaient dans la lutte pour les droits des femmes une finalité en soi, séparée de la lutte de classe.

Rosa Luxemburg avait une critique particulièrement acerbe des femmes bourgeoises : « S’il n’était question que du vote des femmes bourgeoises, l’État capitaliste ne pourrait en attendre rien d’autre qu’un soutien effectif à la réaction. Nombre de ces femmes bourgeoises qui agissent comme des lionnes dans la lutte contre les “prérogatives masculines” marcheraient comme des brebis dociles dans le camp de la réaction conservatrice et cléricale si elles avaient le droit de vote. »

Ceci n’est pas sans rappeler le soutien loyal de politiciennes comme Hillary Clinton et Madeleine Albright aux guerres impérialistes et à d’autres politiques réactionnaires.

Nous voyons ainsi pourquoi l’approche de classe des femmes marxistes n’avait rien à voir avec l’idée selon laquelle toutes les femmes ont des intérêts communs. En fait, elles avaient exactement la même position et la même approche que les hommes marxistes. Ils défendaient tous une lutte de classe unifiée contre le système capitaliste et toutes les formes d’oppression qu’il engendre.

Le mouvement des Suffragettes anglaises est probablement le meilleur exemple de cette différence d’approche. En 1903, Emmeline Pankhurst a fondé la Women’s Social and Political Union (WSPU), un organe de lutte pour les droits des femmes. Ses filles, Christabel, Sylvia et Adela, militaient aussi dans cette organisation qui menait des actions très radicales, les menant même à des arrestations et des peines d’emprisonnement. Mais, dès le départ, des tensions sont apparues dans l’organisation, résultant de perspectives de classe fondamentalement différentes.

Sylvia, en particulier, essayait de lier le mouvement à la lutte générale de la classe ouvrière et est devenue une socialiste convaincue. Elle combinait des actions de désobéissance civile à une mobilisation de la WSPU dans la lutte des travailleurs. Elle comprenait la nécessité d’une mobilisation de masse et d’une perspective de classe dans cette lutte. Elle disait vouloir « non pas un militantisme plus sérieux par quelques-unes, mais un appel plus grand aux masses à joindre la lutte. » Toutefois, cette approche n’était pas partagée par sa mère et sa sœur Christabel qui s’opposaient à l’union de la WSPU avec les organisations ouvrières. Affirmant qu’il s’agissait simplement d’une lutte des femmes, elles voulaient maintenir l’indépendance de la WSPU à l’égard du mouvement ouvrier.

Sylvia voulait que la WSPU soit une organisation socialiste et parcourait la Grande-Bretagne pour propager les idées socialistes. Elle a finalement été expulsée de la WSPU en 1914 par sa sœur et sa mère, après avoir pris la parole à une rencontre de socialistes et syndicalistes en soutien au révolutionnaire irlandais Jim Larkin. Nous voyons ici clairement la différence d’approche. Les petites-bourgeoises voulaient que le mouvement ne s’organise qu’autour d’« enjeux féminins » alors que Sylvia recherchait la lutte unie contre le capitalisme comme voie vers la libération des femmes.

La faillite complète du mouvement des Suffragettes a été démontrée avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale. La WSPU a mis fin à tous ses moyens de pression et est devenue fervente partisane du gouvernement britannique et de l’effort de guerre. Le Premier ministre britannique a personnellement sollicité l’aide de la WSPU et a financé ses manifestations pro-guerre organisées autour du slogan « Nous demandons le droit de servir ». Emmeline a même eu recours à un argument féministe pour défendre la guerre contre l’Allemagne, qui était selon elle une « nation masculine ».

Après la Guerre, Emmeline et Christabel Pankhurst ont adopté des positions antisyndicales réactionnaires, et ont été parmi les premières femmes à se présenter aux élections, mais pour nul autre que le Parti conservateur. À l’inverse, Sylvia a participé à la création du Parti communiste britannique.

Nous voyons ici pourquoi les socialistes s’opposent aux tentatives de créer un mouvement uni de toutes les femmes. Il est faux de prétendre que les femmes ont toutes les mêmes intérêts. Créer des organisations de toutes les femmes ne fait que lier les travailleuses aux intérêts des bourgeoises et petites-bourgeoises, qui ne peuvent ni ne veulent mener la lutte dans le meilleur intérêt des travailleuses. Kollontaï le soulignait à l’époque : « Mais où est cette “question féminine” générale ? Où est cette unité des tâches et des aspirations pour laquelle les féministes ont tant à dire ? Un regard attentif sur la réalité nous montre qu’une telle réalité n’existe pas et ne peut exister. » Ces mots contrastent avec l’image de Kollontaï telle qu’on la présente aujourd’hui au sein de la gauche, particulièrement dans le milieu universitaire où on tente de la présenter comme une féministe.

Clara Zetkin défendait les mêmes idées que Kollontaï. Militante socialiste allemande, elle dénonçait l’hypocrisie des organisations de femmes en Allemagne qui soutenaient toute sorte de positions réactionnaires. Elle a notamment critiqué durement l’Union des femmes radicales, une organisation petite-bourgeoise. Lors d’élections à Hambourg en 1903, cette organisation avait donné son appui à un candidat qui était favorable à l’extension du droit de vote à seulement certaines femmes, contre le socialiste August Bebel. Ce dernier est connu pour avoir écrit en 1879 le premier livre marxiste entièrement consacré à la lutte pour l’émancipation des femmes, La femme et le socialisme. L’Union des femmes radicales montrait concrètement que la ligne de classe est plus importante, en étant incapable de se ranger du côté de Bebel, « l’un des premiers et plus acharné militant pour l’émancipation complète de la femme », comme le rappelle Zetkin. C’est selon cette même ligne de classe qu’une autre organisation petite-bourgeoise est même allée jusqu’à appuyer le candidat libéral en Bavière en 1905, bien que le parti était contre l’extension du droit de vote aux femmes.

L’approche marxiste de Kollontaï et Zetkin sur cette question a été clairement démontrée par la création de la Journée internationale des femmes ou, comme elle était originellement nommée, Journée internationale des travailleuses. Face à la montée du mouvement des femmes bourgeoises, qui cherchaient à séparer la lutte des femmes de la lutte des classes, 99 femmes socialistes de 17 pays ont organisé une conférence des femmes socialistes en août 1910 où elles ont fondé cette journée de manifestation. La journée a d’abord été organisée sous le slogan « Le vote des femmes nous donnera de la force dans la lutte pour le socialisme ». La résolution présentée par Zetkin expliquait : « En accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat dotées de conscience de classe dans le monde entier, les femmes socialistes de tous les pays organiseront chaque année une Journée des femmes. D’abord, la Journée des femmes aura comme objectif d’obtenir le suffrage universel pour les femmes. Cette demande doit être conforme à la compréhension socialiste des enjeux liés aux droits des femmes (…). » Le but de cette journée de protestation était de rompre avec ce que Zetkin appelait « les féministes de la bourgeoisie » et de mettre de l’avant une lutte unie de la classe ouvrière contre l’oppression et contre le capitalisme. Malheureusement, la journée internationale des femmes a depuis été largement vidée de son contenu révolutionnaire. Nous devons faire revivre cette tradition !

La lutte contre l’oppression

womenCover 2Plus de cent ans depuis la création de cette Journée internationale, la lutte contre l’oppression est devenue un enjeu majeur qui mobilise des couches importantes de la classe ouvrière. En plus de l’oppression de genre, une multitude de groupes subissent une oppression brutale en raison de différences de nationalité, d’orientation sexuelle, de couleur de peau, etc. Ces différences sont exploitées par la classe dirigeante pour justifier l’exploitation particulière de certains groupes et semer la division au sein de la classe ouvrière. Mais comment pouvons-nous combattre ces oppressions ?

Malheureusement, aujourd’hui, des gens à gauche présentent l’oppression comme un rapport entre « privilégiés » et opprimés. Selon la terminologie intersectionnelle, un privilège signifie « [qu’] un groupe tire des avantages aux dépens d’un autre ». Par exemple, les hommes seraient privilégiés aux dépens des femmes. Le problème avec cette notion de « privilèges » est qu’elle suppose que ceux qui ne souffrent pas d’une oppression particulière ont un intérêt à la maintenir.

Mais rien n’est plus loin de la vérité. Les bas salaires des groupes opprimés exercent une pression à la baisse sur les salaires de tous les travailleurs, y compris les couches soi-disant « privilégiées ». Les travailleurs qui perpétuent des comportements oppressifs ou des attitudes discriminatoires nuisent dans les faits à l’unité du mouvement ouvrier dans son ensemble, puisqu’ils participent à créer un climat de division. Par exemple, un travailleur qui véhicule des idées sexistes s’aliène nécessairement ses collègues visées et rend difficile des actions syndicales communes avec celles-ci. Il nuit ainsi à la capacité de tous les travailleurs de lutter contre les patrons. À l’inverse, quand les couches « privilégiées » et opprimées luttent ensemble contre les patrons, tous les travailleurs en bénéficient. D’ailleurs, ce que certaines féministes nomment « privilèges » (ne pas être discriminé à l’embauche ou ne pas subir de violence sexuelle, par exemple) ne représente pour nous que des droits fondamentaux dont tout le monde devrait bénéficier.

L’émancipation des femmes n’est donc pas une question qui concerne uniquement les femmes, idem pour les autres formes d’oppression. Chaque attaque contre une couche de la classe ouvrière et chaque tentative de la diviser d’une quelconque manière nuit aux intérêts de la classe dans son ensemble. Les marxistes militent donc pour que le mouvement ouvrier en entier lutte contre chaque forme d’oppression. Notre slogan est : une attaque contre un est une attaque contre tous !

Patricia Hill Collins, une féministe intersectionnelle réputée, amène plus loin la notion de privilège en soutenant que, selon le contexte, « un individu peut être un oppresseur, un membre d’un groupe opprimé, ou simultanément être oppresseur et opprimé. » Le résultat de cette perspective ne peut être que d’atomiser davantage la classe ouvrière, puisque cela voudrait dire que nous nous opprimerions tous les uns les autres. Comment l’unité est-elle possible si tel est le cas ? La notion de « privilège », utilisée par toutes sortes de féministes aujourd’hui peut mener à des conclusions vraiment ridicules. Par exemple, une chercheuse en criminologie a même écrit sur les privilèges dont jouiraient les hommes sans-abri !

Lorsqu’on aborde la question de l’oppression, il est particulièrement intéressant de se tourner vers la figure de Rosa Luxemburg. En tant que femme polonaise, juive et handicapée, Luxemburg était profondément opprimée. Elle n’abordait toutefois pas cette question selon un point de vue identitaire, en blâmant les couches « privilégiées » de la classe ouvrière pour son oppression. Le marxisme était pour elle la seule théorie englobante et la seule méthode efficace de lutte contre toutes les oppressions. Bien que beaucoup de gens aujourd’hui la considèrent comme une féministe, elle n’a pas écrit beaucoup sur la question de l’émancipation des femmes, précisément parce qu’elle refusait d’être réduite à son identité (ou « tokenisée »).

À l’époque de Luxemburg, Kollontaï et Zetkin, les féministes décrivaient déjà l’injustice envers les femmes en termes de « privilèges » ou d’« avantages » qu’avaient les hommes au détriment des femmes. Mais cela masquait le fait que la majorité des hommes étaient des travailleurs et paysans pauvres qui ne profitaient d’aucune manière de l’oppression des femmes. S’ils n’avaient pas à subir les mêmes pressions que les ouvrières, cela ne les rendait certainement pas privilégiés ! Kollontaï expliquait cette différence :

« Les féministes voient les hommes comme leur principal ennemi, puisque les hommes ont injustement gardé pour eux tous les droits et privilèges, ne laissant aux femmes que des chaînes et des devoirs. Pour elles, une victoire n’est remportée que lorsqu’une prérogative autrefois réservée au sexe masculin est concédée au “beau sexe”. Les travailleuses, les femmes prolétaires, ont une autre attitude. Elles ne voient pas l’homme comme leur ennemi, leur oppresseur ; au contraire, elles pensent que les hommes sont leurs camarades, qu’ils partagent avec elles les corvées quotidiennes, et luttent avec elles pour un avenir meilleur. Les femmes et leurs camarades masculins sont asservis dans les mêmes conditions sociales ; les mêmes chaînes honnies du capitalisme oppriment leur volonté et les privent des joies et des charmes de la vie. Il est vrai que les aspects spécifiques du système actuel font reposer un “double poids” sur les épaules des femmes, comme il est aussi vrai que les conditions du travail salarié font des femmes des rivales, des concurrentes des hommes. Mais dans ces conditions défavorables, la classe ouvrière sait qui est coupable. » (Les bases sociales de la question féminine, 1909)

Kollontaï maintenait une position de classe et ciblait ce qui est commun à tous les travailleurs : leur exploitation économique par la classe capitaliste. Il ne s’agit pas d’une forme particulière d’oppression (le « classisme », comme la nomment certaines féministes intersectionnelles), mais plutôt d’une exploitation économique dont souffre toute la classe ouvrière. Cet élément commun à tous les travailleurs se voit d’autant plus clairement aujourd’hui alors que la concentration du capital est telle que huit individus possèdent plus que la moitié la plus pauvre à l’échelle mondiale. En cette époque de crise du capitalisme, aucun travailleur n’est à l’abri du chômage, de la stagnation des salaires et des mesures d’austérité que sont forcés d’implanter les gouvernements sous la pression des capitalistes. Les seuls gens privilégiés sont ces bourgeois et la caste de politiciens qui les représentent. L’argent ne pousse pas dans les arbres : leurs profits proviennent du travail volé aux travailleurs.

La méthode d’analyse marxiste permet de comprendre quelles sont les racines de l’oppression, ce que ne parviennent pas à expliquer les politiques identitaires. Ces idées sont cramponnées à une vision idéaliste des oppressions. Cette vision fait porter la responsabilité de l’oppression systémique sur les individus et les idées plutôt que d’en chercher les racines matérielles. Bien que certaines personnes parlent parfois d’un caractère systémique à l’oppression, elles font référence à un système d’idées, séparé de la base économique. Par exemple, pour décrire les différentes formes d’oppression, la féministe intersectionnelle bell hooks affirme : « Pour moi, c’est comme une maison, elles partagent la fondation, mais la fondation, ce sont les croyances idéologiques autour desquelles la domination se construit. » La conception idéaliste de hooks saute aux yeux.

Pour les marxistes, les « croyances idéologiques » font partie de ce que nous appelons la « superstructure ». La superstructure est l’ensemble des idées (religieuses, philosophiques, par exemple) et des institutions politiques et juridiques d’une société donnée. Cette superstructure prend racine dans une « infrastructure », c’est-à-dire l’organisation économique de la société, qui comprend les rapports entre les classes. En règle générale, comme l’expliquait Marx, les idées dominantes d’une société donnée, qui en forment la superstructure, sont les idées de la classe dominante. Pour les marxistes, les « croyances idéologiques » présentes dans une société donnée ne sortent donc pas de nulle part. Plutôt, elles trouvent leur origine et sont conditionnées par cette base économique.

La lutte contre l’oppression doit donc viser une révolution sociale complète par le renversement de la base économique actuelle de la société : le capitalisme. C’est ainsi que nous pourrons nous attaquer à la pénurie, au chômage, aux inégalités économiques qui nourrissent les « croyances idéologiques » et les comportements individuels qui renforcent l’oppression.

La nécessité de l’unité de classe

Pour les femmes marxistes, comme pour tous les marxistes d’ailleurs, la lutte était et est par-dessus tout une lutte de classe. Comme Zetkin l’expliquait : « La femme prolétaire aboutit dans le camp prolétaire, la femme bourgeoise dans le camp bourgeois. » Kollontai ajoutait : « quelle que soit la radicalité apparente des revendications des féministes, il ne faut pas perdre de vue le fait que les féministes ne peuvent pas, étant donné leur position de classe, lutter pour cette transformation fondamentale de la structure sociale et économique sans laquelle la libération de la femme ne saurait être achevée. » Zetkin disait que les travailleuses doivent être organisées « non pas comme “femmes”, mais comme prolétaires ; non pas comme les rivales féminines des hommes prolétaires, mais comme leurs camarades de lutte. » Il est difficile de comprendre pourquoi quiconque aujourd’hui pourrait considérer ces idées défendues par les femmes marxistes à l’époque comme « féministes ». C’était une perspective marxiste, la même que celle défendue par les hommes marxistes de l’époque, qui s’opposait à la perspective féministe d’unité des femmes dans une lutte séparée pour les droits des femmes.

Kollontaï constatait le rôle puissant du mouvement ouvrier dans la lutte pour l’émancipation des femmes : « Il est pour nous difficile de trouver un seul fait dans l’histoire de la lutte des travailleuses pour l’amélioration de leurs conditions matérielles auquel le mouvement féministe en général a contribué de façon majeure. Tout ce que les travailleuses ont gagné dans l’amélioration de leurs conditions de vie est le résultat des efforts de la classe ouvrière en général et d’elles-mêmes en particulier. L’histoire de la lutte des travailleuses pour de meilleures conditions de travail et pour une vie plus décente est l’histoire de la lutte du prolétariat pour sa libération. » C’est par la lutte unie des opprimés que nous pouvons faire un réel contrepoids aux attaques de la classe dominante.

Est-ce que cela signifie que nous « priorisons » la lutte des classes au détriment de la lutte contre l’oppression ? Pas du tout. Nous sommes d’avis, comme l’étaient Zetkin, Kollontai et les autres, que ce n’est que par l’unité des travailleurs que nous pouvons lutter efficacement contre l’oppression. Réciproquement, ce n’est qu’en luttant contre l’oppression et toutes les tentatives de diviser les travailleurs que nous pourrons unifier la classe ouvrière.

À l’opposé, les idées intersectionnelles et féministes demeurent compatibles avec le capitalisme parce qu’elles échouent à cibler la base matérielle de l’oppression, soit l’existence de la société de classe elle-même. C’est pourquoi la classe dirigeante est capable d’adopter ces idées ou ces étiquettes afin de paraître progressiste. Par exemple, le Premier ministre québécois François Legault affirme ouvertement qu’il est féministe, et utilise même un argument féministe pour justifier ses politiques islamophobes. En prétextant que le voile est un symbole sexiste, le gouvernement de la CAQ s’attaque aux droits des femmes musulmanes. Justin Trudeau, quant à lui, se dit féministe, tout en vendant des armes à l’Arabie Saoudite. Hillary Clinton se considère féministe et utilise le langage de l’intersectionnalité tout en étant une voix proéminente de l’impérialisme américain qui détruit la vie de millions de femmes opprimées à travers le monde. Un autre exemple ridicule montrant comment il est simple pour la droite de reprendre des arguments féministes nous vient du Royaume-Uni. L’an dernier, Jeremy Corbyn, le chef du Parti travailliste britannique, avait critiqué la Première ministre Theresa May pour avoir participé à une rencontre avec le misogyne prince d’Arabie Saoudite, la veille de la Journée internationale des femmes. Cherchant à taire la contestation, May avait alors rétorqué que Corbyn faisait du « mansplaining »[1] !

La lutte pour le socialisme est une lutte pour l’émancipation des femmes

Alexandra Kollontaï, Eleanor Marx, Rosa Luxemburg et Clara Zetkin ne sont que quelques-unes des nombreuses femmes qui ont joué un rôle dirigeant dans le mouvement marxiste. Aujourd’hui, ces révolutionnaires sont souvent présentées comme des figures féministes, « féministes socialistes » ou « marxistes féministes ». Récemment, Telesur décrivait Eleanor Marx comme la « mère du féminisme socialiste » alors que Le Figaro présentait Clara Zetkin comme « communiste et féministe ». Kollontaï est souvent dépeinte de façon semblable comme une « communiste et militante féministe soviétique. » Nous pensons toutefois que leur attacher ces étiquettes ne fait qu’ajouter de la confusion. Cela laisse entendre que le marxisme n’est pas en soi en faveur de la lutte pour l’émancipation des femmes.

Mais en même temps, le terme « féminisme » est utilisé par des millions de femmes (et d’hommes) qui s’ouvrent à la politique et veulent lutter contre l’oppression. C’est ce que nous avons pu voir en Espagne avec la « grève féministe » et lors des mouvements de masse en Amérique latine pour le droit à l’avortement. C’est également une bannière qui a rassemblé une multitude de gens en lutte pour l’équité salariale et contre le sexisme et le harcèlement sexuel dans de nombreux pays. Toutes ces luttes sont extrêmement progressistes et les marxistes y participent activement.

Cependant, pour gagner le combat contre l’oppression des femmes et toutes les autres formes d’oppression, nous avons besoin d’idées claires et d’une conception claire de ce pour quoi nous luttons et de quelle manière nous luttons. Comme nous l’avons vu, Eleanor Marx, Luxemburg, Zetkin et Kollontaï étaient très claires sur ce qu’elles proposaient : une lutte de classe menée par la classe ouvrière en entier pour les droits des femmes en tant que partie intégrante de la lutte pour le socialisme. Leur conception de la lutte contre l’oppression ne peut en aucun cas être séparée de celle de Karl Marx, Engels, Lénine et Trotsky. Il n’y a pas d’utilité particulière à leur accoler l’étiquette de « féministe », à moins qu’on tente de leur accoler des idées différentes de ce qu’elles défendaient.

Le marxisme offre une voie claire pour parvenir à l’émancipation véritable des femmes. Comme le disait Nadejda Kroupskaïa, militante bolchévique de la première heure et conjointe de Lénine : « Seule la victoire complète des travailleurs en lutte pour remplacer l’ordre actuel par le socialisme pourra complètement libérer les femmes. » Ces mots résument à merveille l’approche marxiste.

KroupskaiaBien sûr, cela ne signifie pas que dès le lendemain de la révolution socialiste, toutes les traces de sexisme et d’oppression auront disparu. Cependant, à travers la lutte commune contre les patrons et pour le socialisme, les différentes couches de la classe ouvrière tendent à s’unir et à se voir comme des camarades. Kroupskaïa l’expliquait également à son époque : « La signification des mots “Un pour tous et tous pour un” devient toujours plus claire pour la travailleuse. Lorsqu’il y a des confrontations avec la direction, elle voit que ses camarades sont toujours prêts à la défendre et elle est toujours prête à les défendre. Les mêmes conflits lui exposent le fait que lorsqu’elle est seule, elle est faible, mais qu’elle cesse d’être faible lorsqu’elle agit avec ses camarades. Elle tend de plus en plus à reconnaître que “L’unité est la force” ». Nous ajouterions qu’il en va de même des hommes, qui verront en pratique que toute forme de sexisme, de misogynie ou de comportement oppressif est nuisible à la lutte de tous les travailleurs.

Le socialisme offrirait des possibilités concrètes pour l’émancipation des femmes. Une économie planifiée et contrôlée démocratiquement par tous les travailleurs et toutes les travailleuses mettrait fin à la pénurie, au chômage et à la pauvreté. Nous pourrions utiliser les immenses ressources de la société pour satisfaire les besoins de tous, y compris un service de cantines publiques abordables, des garderies et un système de santé entièrement gratuits, des services pour les victimes d’agression sexuelle, etc. Libérés du système économique barbare qui nous asservit, nous pourrions finalement nous libérer de la barbarie qui règne dans les relations sociales.


[1] Combinaison de « man » et « explain », désigne le fait pour un homme d’expliquer de manière paternaliste ou condescendante à une femme quelque chose qu’elle sait déjà.

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