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Le communisme est-il toujours un projet d’avenir ? C’est le titre du « hors-série » publié par L’Humanité, en janvier dernier, pour marquer les 90 ans du PCF. On peut y lire un long entretien avec Lucien Sève (photo) et André Tosel, intitulé : Une approche philosophique du communisme. Tous deux se réclament des idées de Marx. Or, autant la philosophie marxiste – le matérialisme dialectique – est accessible à tout travailleur qui prend la peine de l’étudier, autant il est pratiquement impossible de comprendre les propos de Sève et Tosel. Et lorsqu’ici ou là une idée compréhensible émerge à la surface de cette épaisse bouillie verbale, il s’agit d’une idée fausse. En voici quelques exemples.

Idéalisme

Lucien Sève est très critique à l’égard des idées de Lénine. Il écrit : « Le socialisme, tel qu’il se conçoit au XIXe siècle en Allemagne, et de là dans tout le mouvement ouvrier, est sans complexe étatiste : il naît de la conquête électorale (version social-démocrate) ou insurrectionnelle (version bolchevique), et avec un "gros gourdin", selon le mot de Lénine, on transforme tous les rapports sociaux par en haut. Ce que ça a donné, nous le savons : progrès sociaux réels, mais persistance des aliénations fondamentales, et en fin de compte échec, piteux ou sanglant selon les cas ».

Ces quelques lignes contiennent plusieurs idées fausses. L’opposition entre « conquête électorale » et « conquête insurrectionnelle » du pouvoir ne correspond ni aux idées de Lénine, ni à la réalité historique. Le parti bolchevik s’efforçait d’exploiter toutes les opportunités d’activité parlementaire que permettait la dictature tsariste, et notamment les rares élections à la Douma. Quant à la voie insurrectionnelle que la révolution russe a prise, elle n’a pas été décidée dans le bureau de Lénine. Elle s’est imposée aux masses russes écrasées par la misère, la guerre et la dictature. Ce n’est pas Lénine – alors exilé en Suisse – qui a déclenché l’insurrection de février 1917. Ce sont les travailleurs de Petrograd et de Moscou, qui n’avaient pas d’alternative « électorale » à l’insurrection. De même, l’insurrection d’octobre 1917 s’imposa aux soviets et aux bolcheviks comme l’unique façon de sauver et faire avancer la révolution.

Le raisonnement de Lucien Sève est idéaliste : il présente l’histoire comme le fruit des « conceptions » de tel ou tel dirigeant. Au passage, il prend des libertés avec les dates. Il parle du bolchevisme au XIXe siècle, alors que la fraction bolchevique du parti social-démocrate russe n’existait pas avant le Congrès de 1903. Et le bolchevisme ne voit le jour comme parti distinct qu’en 1912. Il fait alors toujours partie de l’Internationale Socialiste. La rupture avec celle-ci intervient en 1914, et elle n’est pas le résultat des « conceptions » originales de Lénine. Elle est avant tout la conséquence d’un événement historique majeur : la boucherie impérialiste et le soutien que lui accordent la plupart des dirigeants des partis de l’Internationale Socialiste, contre lesquels Lénine engage une lutte politique acharnée.

Lucien Sève attribue à Lénine l’idée d’une transformation de la société « par en haut ». En fait, Lénine n’a jamais défendu cette idée. Avant comme après 1917, il a répété des centaines de fois que la transformation socialiste de la société exigeait une participation active des travailleurs à tous les niveaux de l’Etat et de l’économie. Mais surtout, la révolution russe elle-même – comme toute véritable révolution – n’aurait pas été possible sans une mobilisation exceptionnelle de la masse de la population(« par en bas », donc).

Le raisonnement de Lucien Sève se réduit au fond à une idée : le stalinisme fut la conséquence de la « conception » erronée de Lénine. Encore une fois, c’est un point de vue complètement idéaliste. Un phénomène historique de l’ampleur du stalinisme ne pouvait pas être le fruit des idées d’un seul homme, fut-ce Lénine. La dégénérescence bureaucratique de la révolution russe découlait d’un fait historique très concret : l’isolement de la révolution russe dans le contexte d’une effroyable arriération économique et culturelle du pays. C’était par ailleurs une monstrueuse caricature bureaucratique des idées de Marx et de Lénine. Mais Lucien Sève l’ignore superbement. Il répète le vieux préjugé selon lequel la dictature stalinienne était « en germe » dans les idées de Lénine et des bolcheviks. On regrette que L’Humanité nous le présente comme une « contribution à l’élucidation des contenus de la culture communiste ».

Charabia

André Tosel, de son côté, affirme que « sur cette question du pouvoir d’Etat, la tradition marxiste a eu beaucoup de mal à s’extraire de la confusion de l’étatique et du politique ». En quoi consiste cette « confusion », concrètement ? Et comment Tosel propose-t-il de nous en extraire ? On ne le saura jamais. Car aussitôt, André Tosel nous enfonce dans l’obscurité de son verbiage. Il évoque différentes luttes et mouvements (retraites, chômeurs, femmes, écologie, etc.) et s’interroge : comment faire en sorte que ces « mouvements très divers […] puissent être non seulement juxtaposés mais traduits les uns dans les autres ? Comment trouver des chaînes qui permettent de construire des équivalences ; et sans nier la pluralité de ces mouvements, au moins leur permettre d’exprimer un effet de convergence ? Sans cette construction de chaînes d’équivalence, tout ce que l’on fera sera reformulé, reformaté par le pouvoir de l’Etat libéral […]. » Tout ce charabia abstrait – avec ses mystérieuses « chaînes d’équivalences » et ses « effets de convergence » – ne nous éclaire pas beaucoup sur la prétendue « confusion de l’étatique et du politique » dont la « tradition marxiste » se serait rendue coupable. Par contre, cela illustre à merveille la confusion et le pédantisme de la tradition académique en philosophie !

Un peu plus loin, Lucien Sève – qui a récemment quitté le PCF – en appelle à une véritable « révolution organisationnelle » du mouvement communiste. Il s’élève contre la « hiérarchie verticale » du PCF, avec son « secrétaire » et son « comité exécutif ». Il leur préfère la « centralité horizontale » de « réseaux autodirigés se coordonnant », ces derniers ayant l’avantage de n’avoir jamais existé ailleurs que dans le cerveau de notre philosophe. Il appelle cela de « nouvelles façons de faire de la politique ». Mais ces idées n’ont rien de nouveau. Ce sont de vieux préjugés anarchistes mille fois réfutés par Marx, Lénine et l’expérience du mouvement ouvrier.

Abstraction faite de leurs intentions, qui sont peut-être louables, Lucien Sève et André Tosel ne peuvent que semer la confusion dans l’esprit des militants et sympathisants communistes. Ils font d’autant plus de dégâts qu’ils prétendent défendre et développer les idées du communisme – et qu’ils s’appuient sur l’autorité de L’Humanité. Aux camarades qui réclament une meilleure formation, au sein du parti, nous conseillons de commencer par lire et étudier directement les œuvres de Marx et Lénine, avant de se hasarder à lire des « interprétations » académiques qui, 9 fois sur 10, en trahissent les idées fondamentales.

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