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Le mouvement de grèves reconductibles qui s’est engagé dans plusieurs secteurs clés de l’économie, il y a trois semaines, a eu pour effet immédiat d’intensifier la campagne de propagande médiatique qui, depuis le début du mois de mars, vise la mobilisation contre la loi Travail. L’extrême agressivité de cette propagande, qui est orchestrée au plus haut niveau de l’Etat et des milieux patronaux, reflète la haine et la peur qu’éprouvent ces derniers face à des mobilisations comme celles des salariés des raffineries et des ports. Et pour cause : en paralysant d’importants secteurs de l’économie, les grèves reconductibles ont montré la voie d’une possible victoire contre la loi Travail. Comme nous l’avons souligné dès le début du mois de mars, seul le développement d’une grève reconductible embrassant un nombre croissant de secteurs économiques est susceptible de faire reculer le gouvernement.

Dans le même temps, les grèves reconductibles ont démontré l’énorme pouvoir de la classe ouvrière. Pas une roue ne tourne et pas une ampoule ne brille sans l’aimable permission des salariés. Cette vérité est insupportable aux capitalistes, car elle a des implications révolutionnaires. En effet, si ce sont les salariés qui assurent toutes les fonctions décisives de l’économie de ce pays, pourquoi n’en seraient-ils pas les maîtres ? Pourquoi laisser l’économie et l’Etat entre les mains d’une poignée de parasites géants – les patrons du CAC 40 – et de leurs politiciens de droite ou « de gauche » ?

Nos adversaires ont en quelque sorte eux-mêmes posé cette question – de façon négative – lorsqu’ils ont répété en boucle les propos de Manuel Valls : « La CGT ne fait pas la loi dans ce pays ». En effet : c’est le Medef qui fait la loi dans ce pays, pour le moment. Mais le mouvement actuel souligne l’énorme pouvoir potentiel du mouvement ouvrier. Les salariés d’EDF l’ont directement rappelé à Pierre Gattaz en privant d’électricité sa résidence secondaire – et en basculant en « heures creuses » plus d’un million de foyers. Dès lors, si c’était vraiment le mouvement ouvrier qui « faisait la loi », en lieu et place du grand patronat, les choses n’iraient-elles pas mieux pour la masse de la population ? Voilà le genre de questions que la déclaration de Manuel Valls a suscité dans l’esprit d’un certain nombre de salariés. En cherchant à tourner « l’opinion publique » contre la CGT et les travailleurs en lutte, le premier ministre a donné matière à des réflexions politiques sur ce thème crucial : qui doit diriger la société ? Qui doit « faire la loi » ? Une minorité de grands capitalistes avides de profit et qui détruisent l’économie – ou la masse des travailleurs, qui produisent toutes les richesses ?

Encouragés par les déclarations du gouvernement et de Pierre Gattaz, les journalistes et chroniqueurs des grands médias capitalistes ont jeté leurs derniers oripeaux d’« objectivité » et rallié l’immense concert réactionnaire. Le problème de la France, voyez-vous, c’est la CGT, les « blocages », la « prise en otage » de la population par « une minorité de grévistes radicalisés » – et ainsi de suite, 24 heures sur 24, dans tous les grands médias. Prenant de vitesse Eric Zemmour, ce qui n’est pas facile, Franz Olivier Giesbert a carrément mis la CGT et Daesh dans le même sac. Mais alors, c’est qu’il faut traiter la CGT comme Daesh ! En une phrase, Giesbert a révélé le véritable objectif de « l’état d’urgence » et des mesures anti-démocratiques adoptées dans la foulée des attentats de janvier et novembre 2015. Toutes ces mesures visent non les terroristes de Daesh, mais nos droits démocratiques, les droits démocratiques du mouvement ouvrier – et notamment les « terroristes » et « voyous » de la CGT, pour citer le patron du Medef. Voilà une autre importante leçon politique échappée de la plume d’un chroniqueur bourgeois.

En poussant nos adversaires à des déclarations politiques contre les grévistes et leurs organisations, les grèves reconductibles ont eu pour effet de politiser les débats. Prenons encore un exemple. La CGT est accusée, sur toutes les ondes, de « bafouer la démocratie ». Comment ? En rejetant l’autorité du Parlement et du Président de la République, « élus par le peuple » en 2012. Les « institutions démocratiques » seraient menacées par une « minorité » de syndicalistes « radicalisés ». Mais là encore, l’argument se retourne contre ses auteurs. Premièrement, le recours au 49-3, le 10 mai dernier, a montré l’attitude du gouvernement lui-même à l’égard du Parlement. Aussi les travailleurs mobilisés déclarent-ils, désormais : « la grève, c’est notre 49-3. »

Deuxièmement, François Hollande n’avait pas fait campagne, en 2012, sur l’engagement de détruire le Code du travail. Au contraire, il avait désigné « la finance » comme son « adversaire » et promis d’améliorer le sort des salariés, des jeunes, des chômeurs et des retraités. Mais une fois au pouvoir, il a immédiatement axé toute sa politique sur les intérêts de « la finance » et du grand patronat en général, au détriment du reste de la population. Et l’on voudrait que les travailleurs – dont une majorité a voté pour Hollande en 2012 – se laissent paisiblement dépouiller après avoir été trahis, une fois de plus, par la direction du Parti Socialiste ?

Non, Hollande et Valls ne représentent pas « la majorité du peuple » ; ils représentent et servent une poignée de milliardaires ; ils végètent d’ailleurs dans des abîmes d’impopularité. Les militants de la CGT en lutte, par contre, défendent les intérêts de toute la population travailleuse. La véritable « majorité » démocratique est du côté des grévistes et de leurs organisations syndicales, non du côté de l’Elysée, du Parlement et du Medef. C’est ce que comprennent ou ressentent un très grand nombre de salariés. Les « institutions démocratiques » bourgeoises (et corrompues) en sortent encore plus discréditées qu’elles ne l’étaient déjà.

Un problème de direction

Dans un premier temps, l’offensive médiatique contre les grèves et la CGT n’a pas affecté le soutien massif dont bénéficie le mouvement. C’est ce que montrent non seulement les sondages, mais aussi le grand succès de la caisse de grève lancée par info’com-CGT : plus de 260 000 euros recueillis à ce jour. Si la direction confédérale de la CGT avait organisé une sérieuse campagne de solidarité financière avec les grévistes, ce chiffre serait sans doute beaucoup plus élevé. De plus, cela inciterait d’autres secteurs du salariat à entrer dans l’action.

Le soutien au mouvement est donc solide. Mais cela peut changer. Si les blocages et les grèves reconductibles ne se développent pas de façon significative, s’ils ne gagnent pas rapidement de nouveaux secteurs de l’économie, il est peu probable que le gouvernement recule. Alors, faute d’une perspective de victoire, le mouvement pourrait perdre du soutien dans l’opinion publique. C’est l’objectif de Valls et Hollande. Le principal danger n’est pas la propagande anti-syndicale du gouvernement, mais le relatif isolement des secteurs mobilisés.

Surtout, les travailleurs engagés dans une grève reconductible ne peuvent pas tenir indéfiniment. De par sa nature même, l’extension du mouvement doit être rapide. De ce point de vue, il faut reconnaître que la situation est contrastée. Les éboueurs et salariés du traitement des déchets sont entrés dans le mouvement. La grève est toujours solide dans des bastions tels que la Compagnie Industrielle Maritime du Havre. Chaque jour, des actions de blocage et de barrage filtrant – entre autres – sont organisées aux quatre coins du pays, notamment à l’initiative des électriciens et gaziers. Le 7 juin, un communiqué de la CGT faisait état de grèves dans 3 des 4 sites Amazon – où les conditions de travail sont notoirement mauvaises – et d’« actions reconductibles dans de nombreuses entreprises de l’agroalimentaire (Nestlé 56, Haribo Perrier 30, Jacquet 63, Tabac Le Havre…), des métaux (LME 59, Iveco Annonay 07, Peugeot Mulhouse…), du commerce (Intermarché, Leclerc 31), du verre (Verralia…) ». Toutes ces grèves sont très significatives. Elles signalent un énorme potentiel. Mais dans le même temps, le mouvement est en reflux dans les raffineries, alors qu’elles étaient toutes en grève le 24 mai. Les patrons de plusieurs raffineries se livrent à d’intenses manœuvres pour briser la grève, organisant des « consultations » par-dessus la tête des AG de travailleurs. La plupart des transporteurs routiers ont repris le travail. La grève à la SNCF n’est pas assez solide pour paralyser le trafic. Aucune perturbation importante n’est visible à la RATP.

La dynamique est donc contradictoire. Or encore une fois, le gouvernement ne reculera pas facilement : premièrement parce que la loi Travail est une contre-réforme très importante du point de vue du grand patronat ; deuxièmement parce que le gouvernement redoute qu’une victoire des travailleurs encourage de nouvelles mobilisations. C’est ce que devrait expliquer la direction de la CGT, au lieu de simplement se féliciter de la mobilisation – en ignorant ses faiblesses – et de semer des illusions sur l’impact potentiel de la journée du 14 juin (qui a été fixée à une trop grande distance du début des grèves reconductibles). En elle-même, la journée d’action du 14 juin – même si elle est puissante – ne fera pas reculer Hollande et Valls. Rappelons qu’à l’automne 2010, Sarkozy et Fillon n’ont rien cédé face à trois journées d’action rassemblant chacune plus de 3 millions de personnes dans les rues du pays. Si elle ne s’inscrit pas dans une phase d’extension des grèves reconductibles, la journée du 14 juin ne changera pas le rapport de force de façon décisive.

Il y a des limites aux « grèves par procuration » contre la loi Travail. En l’absence d’une généralisation du mouvement, les travailleurs en grève reconductible chercheront à arracher des garanties à leur employeur ou au patronat de leur branche, avant de reprendre le travail. Le gouvernement manœuvre pour favoriser ce scénario, comme on l’a vu avec les transporteurs routiers, qui ont obtenu des garanties – et comme on le voit actuellement à la SNCF et dans l’aviation civile, entre autres. Il serait absurde de le reprocher aux salariés des secteurs concernés. La responsabilité de cette situation retombe sur les directions confédérales des syndicats engagés dans le mouvement, qui ne tiennent pas suffisamment compte de la dynamique réelle de la lutte et en appellent encore « à continuer et amplifier la mobilisation sous toutes ses formes », alors que la seule « forme » de mobilisation susceptible d’arracher la victoire est désormais la grève reconductible et son extension rapide à un maximum de secteurs économiques.

Enfin, la CGT continue d’appeler à la mobilisation « pour obtenir le retrait de la loi travail (…) et pour gagner de nouveaux droits avec un code du travail du XXIe siècle. » Le retrait de la loi Travail est évidemment la revendication centrale et doit le demeurer. Il faut repousser cette offensive du gouvernement. Mais de nombreux travailleurs – notamment ceux de la Fonction publique – ne se sentent pas immédiatement menacés par cette loi, qui sur le papier ne les concerne pas directement (bien qu’en réalité tout recul dans le privé prépare des reculs dans le public). A l’inverse, dans le privé, de très nombreux salariés sont déjà confrontés aux dispositions prévues par la loi Travail. C’est pourquoi il faut intégrer à la plateforme du mouvement des revendications positives et offensives – par exemple sur les salaires ou le temps de travail – susceptibles d’entraîner de nouvelles catégories de travailleurs dans l’action. A cet égard, « de nouveaux droits avec un code du travail du XXIe siècle » est une formule beaucoup trop vague, sans contenu concret. Elle ne peut convaincre personne d’entrer dans la lutte.

Après des années de contre-réformes et d’austérité, les salariés sont disposés à se battre : c’est ce que démontre clairement le mouvement actuel. Mais face à des adversaires aussi déterminés que Valls, Hollande et Gattaz, il faut au mouvement une direction déterminée à mener la bataille jusqu’au bout, sur la base d’une stratégie offensive, qui corresponde au rapport de force réel et à la dynamique réelle de la lutte. Si cette direction fait défaut au sommet des organisations syndicales, les travailleurs et syndicalistes mobilisés sur le terrain doivent prendre eux-mêmes les choses en main. Les AG de travailleurs doivent se lier au niveau local, régional et national à travers des délégués élus et révocables, pour donner au mouvement une structure démocratique capable d’exprimer pleinement la combativité des salariés, de développer le mouvement et de passer à l’offensive. La manifestation du 14 juin, à Paris, pourrait être l’occasion d’organiser une réunion de délégués issus d’AG des secteurs mobilisés à travers le pays. Il n’y a pas de temps à perdre !

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