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La société LGB services – actuellement en cours de liquidation judiciaire, avec plainte aux prud’hommes – faisait de la téléprospection pour différentes sociétés de défiscalisation immobilière. Le travail des salariées consistait à téléphoner chez les gens pour les convaincre de prendre rendez-vous avec un conseiller fiscal. Aux rémunérations et aux conditions de travail désastreuses s’ajoutaient des méthodes de harcèlement moral dont un nombre sans cesse croissant de salariés sont victimes. Nous avons interviewé Dorothée, qui a travaillé 6 mois chez LGB.

La Riposte : Quelles étaient les conditions de ton contrat ?

Dorothée :  C’était un CDD de 6 mois. Comme j’avais 25 ans et le niveau BAC, j’ai été embauchée à 80 % du SMIC. En contrepartie, huit heures par semaine, on me dispensait une prétendue « formation » sur la défiscalisation immobilière. Il y avait aussi la perspective de primes et d’un CDI à temps complet. Toutes les personnes âgées de 25 ans ou moins étaient embauchées sous ce contrat.

La « formation » n’était pas diplômante – et n’était vraiment une formation. Elle était dispensée par un « formateur » – ancien pâtissier – qui n’y connaissait rien. On nous disait, de toute façon, qu’il ne fallait pas qu’on en sache trop, qu’on ne devait pas entrer dans le détail avec nos clients potentiels : on devait juste leur parler de la possibilité de réduire leurs impôts de 50 % grâce aux lois Borloo, Girardin, etc., et leur proposer un rendez-vous.

Les quotas de prises de rendez-vous étaient trop élevés. Il était impossible de les atteindre : nous devions obtenir deux rendez-vous par jour à partir de listings de numéros de téléphone soit-disant « qualifiés », c’est-à-dire triés selon des critères d’âge et de revenus. En réalité, les numéros n’étaient pas triés et nous devions nous-mêmes les « qualifier ».

Certaines filles plus jeunes, ou n’ayant pas le BAC, travaillaient pour à peine 50 % du SMIC. Elles faisaient pourtant le même travail, dans les mêmes conditions, 35 heures par semaine. Il y avait également beaucoup de CDI. C’est en faisant miroiter des CDI aux plus jeunes que la direction parvenait à recruter facilement. Ensuite, lorsque des filles ne tenaient pas le rythme, tout était fait pour qu’elles démissionnent.

La Riposte : Quelles étaient vos conditions de travail ?

Dorothée : On travaillait dans une ancienne habitation individuelle aménagée en trois plateaux de téléprospection : une véranda non isolée ; un salon bien chauffé car proche de la direction et de l’administration ; enfin le garage, au sous-sol, « chauffé » par un simple radiateur bain d’huile, « pour ne pas que les plombs sautent ». D’après moi, l’entreprise n’était pas aux normes pour accueillir des salariés. Sur chacun des plateaux, il y avait une douzaine de box côte à côte, c’est-à-dire des bureaux cloisonnés avec une chaise ordinaire et un téléphone. Sans fourniture de bureau : nous devions chaque jour apporter de chez nous papier, stylos, scotch...

A chaque étage, il y avait un « animateur de plateau » qui, sous prétexte de nous aider, nous épiait. Nous étions toute la journée assises, sans bouger, et la température n’est jamais montée à 20°C. En janvier 2007, il faisait 13°C dans le garage. On restait en manteau toute la journée. Moi-même, je me suis faite réprimander par le gérant pour avoir apporté un thermomètre !

Tous les matins, on commençait par un briefing du responsable. Cela consistait à nous mettre en concurrence avec les autres plateaux. C’était un véritable règlement de compte : le gérant et la directrice nous mettaient la pression pour qu’on obtienne plus de rendez-vous, sinon l’entreprise « ferait faillite ». Si l’une d’entre nous osait formuler une revendication, elle avait un avertissement. Au troisième avertissement, on était licencié. Or, beaucoup de salariées étaient des femmes seules avec des enfants...

Tous les jours, on entendait : « Vous faites perdre de l’argent à l’entreprise. Celles qui ne sont pas contentes sont libres de démissionner... ». Nous étions filmées, et si l’une avait le malheur de lever le nez ou de demander quelque chose  (papier, crayon…), l’image était imprimée et affichée au mur avec une grosse flèche rouge pointant sur la « fautive », qui était montrée du doigt lors des briefings matinaux.

Une fois par mois, la directrice se servait de nos heures de formation pour nous faire faire un bilan, écrit et nominatif, sur les points forts et les points faibles de l’entreprise et de nos encadrants. A la suite de quoi nous nous faisions systématiquement taper sur les doigts.

Les pressions étaient telles que, tous les jours, des filles pleuraient d’épuisement nerveux, de fatigue. Certaines maigrissaient à vue d’œil (moi, à l’inverse, j’ai énormément grossi). D’autres faisaient des dépressions. On nous changeait de place continuellement pour qu’on ne puisse pas lier connaissance. On nous épiait pendant les pauses : on ne pouvait pas parler librement.

La Riposte : Comment réagissaient les salariées ?

Dorothée :  Nous étions très isolées, et nous craquions toutes une par une.  En général, les filles en CDD démissionnaient au bout de deux ou trois mois, moralement épuisées et faute de revenus suffisants pour payer leurs charges courantes. On les voyait s’enfoncer chaque jour un peu plus dans la précarité.

Les filles en CDI qui étaient jugées insuffisamment rentables se faisaient virer le dernier jour de leur période d’essai. Certaines sont parties en déposant une lettre de démission sous la pression de la direction. Il faut savoir que, dans cette entreprise, la direction ne licenciait pas : elle poussait les salariées à la démission à force de harcèlement moral.

Moi, j’ai réussi à finir mes six mois car je voyais la fin arriver. Je savais que si je démissionnais, je ne pourrais pas toucher les ASSEDIC en attendant de trouver un autre emploi. En plus, j’avais compris la tactique de la direction : nous pousser à la démission pour éviter de nous licencier, afin de ne pas perdre les subventions qu’elle touchait au titre de « jeune entreprise ». Elle touchait aussi des subventions si elle embauchait : d’où un turnover très important. En plus, elle proposait des formations (bidons) qui lui valait aussi encore d’autres subventions...

La Riposte : Avez-vous essayé de vous unir face à la direction ?

Dorothée : Non, on se connaissait à peine, et le turnover était trop rapide. Mais il y a une fille qui a porté plainte aux prud’hommes. Elle avait donné sa démission car la direction lui avait promis qu’elle toucherait les ASSEDIC, ce qui est évidemment faux. Nous avons attesté par écrit de ce que nous avons vécu. J’ai rédigé un témoignage pour la justice, en expliquant comment cette salariée avait été humiliée devant tous ses collègues de plateau.

Propos recueillis par Sophie Rault (PCF 31)

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