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En plus du texte Renforcer le PCF, renouer avec le marxisme, que nous défendons, un deuxième texte alternatif, Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps, a été déposé, au dernier moment, pour être discuté dans le cadre du congrès du PCF. Parmi ses signataires figurent André Gerin, député-maire de Vénissieux, des dirigeants de la section du PCF 15e, à Paris, ou encore Jean-Jacques Karman, d’Aubervilliers. Ce texte défend un certain nombre d’idées qui figuraient déjà dans le notre – notamment contre toute forme de liquidation du PCF. Mais sur plusieurs points importants, voire décisifs pour l’avenir du PCF, les deux textes alternatifs divergent radicalement.

Il est vrai que Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps évoque la nécessité de rompre avec le capitalisme. Mais encore faut-il comprendre ce que ses auteurs entendent par là. Car en fait, le programme qu’ils présentent ne contient aucune mesure susceptible de briser le pouvoir des capitalistes. Il ne se distingue pas clairement de celui que défend la direction actuelle du parti, et lui emprunte même ses formules vagues sur l’« appropriation sociale des moyens de production » et les « nouveaux droits pour les salariés » (sans préciser lesquels).

André Gerin est connu pour ses appels à une « révolution ». Mais dans différents écrits, Gerin présente cette « révolution » comme devant bénéficier du concours des « investisseurs » (les capitalistes) et des PME ! En d’autres termes, la révolution que Gerin appelle de ses vœux n’est pas socialiste, mais se limite à la conquête de la « souveraineté nationale ». Cette même perspective nationaliste et « républicaine » constitue le fil conducteur du texte alternatif dont il est signataire. Le texte présente la France comme un pays opprimé dans le cadre d’une Europe impérialiste. Il semble considérer comme une avancée importante la perspective de « libérer » la France capitaliste au moyen d’une rupture avec l’Union Européenne.

Socialisme ou stalinisme

Faire vivre et renforcer le PCF ne contient aucune critique des régimes bureaucratiques et totalitaires qui existaient, avant leur effondrement, en URSS et en Europe de l’Est. Au contraire, ce texte qualifie ces régimes de « socialistes ». C’est là une grave erreur, qui constitue un point de divergence fondamental entre les deux textes alternatifs. Les régimes en question n’étaient en réalité que de monstrueuses caricatures de socialisme. Aujourd’hui encore, la nature dictatoriale de ces régimes est l’un des principaux obstacles à la crédibilité des communistes, en France et dans le monde. Ceci n’est pas un détail. C’est un aspect extrêmement important de notre approche envers les travailleurs, qui n’éprouveront jamais la moindre sympathie pour ces régimes. Les qualifier de « socialistes » creuserait un fossé infranchissable entre le parti et ceux que nous voulons convaincre de nos idées.

Le socialisme est démocratique et internationaliste – ou il n’est rien. Certes, l’économie de l’URSS était nationalisée et planifiée, ce qui lui a permis de se développer à un rythme inaccessible aux économies capitalistes de l’époque. Mais la nationalisation de l’économie ne suffisait pas à faire de l’URSS un Etat « socialiste » ou « communiste ». Le socialisme, c’est la propriété collective (ou « nationalisée »), mais c’est aussi l’instauration d’un contrôle et d’une direction démocratiques, à tous les niveaux de l’économie et de l’Etat, par les travailleurs eux-mêmes. Ceci n’existait plus, en URSS, dès le milieu des années 20, et n’a jamais existé dans les autres pays prétendument « communistes ».

Dans les conditions extrêmement difficiles qui existaient au lendemain de la révolution russe, à l’époque de Lénine et Trotsky, la tentative de maintenir la démocratie soviétique a échoué. Cet échec s’explique par l’isolement de la révolution dans un pays économiquement et culturellement sous-développé, dévasté par la guerre mondiale, la guerre civile, les guerres d’intervention et le blocus économique. La révolution s’est épuisée. Dans ces conditions, une bureaucratie a pu se libérer progressivement du contrôle démocratique des travailleurs. Une caste privilégiée et toute puissante s’est formée, sous la direction de Staline. Sans entrer dans les détails des retournements et zigzags de la dégénérescence bureaucratique de l’URSS, il devrait être parfaitement évident pour tous les communistes que, comme le précise notre texte alternatif, « tant que le parti n’aura pas expliqué cette dégénérescence d’un point de vue marxiste, on ne convaincra jamais la jeunesse que le communisme ne porte pas en lui le germe du totalitarisme. »

Faire vivre et renforcer le PCF dit que « l’effondrement des pays de l’Est a ébranlé de nombreux communistes ». C’est exact. D’une part, les propagandistes du capitalisme présentaient ces régimes totalitaires et corrompus comme autant d’exemples du « communisme ». D’autre part, les partis communistes occidentaux – dont le PCF – en ont longtemps fait l’apologie. Aujourd’hui, la direction du PCF dit avoir « pris ses distances » avec ces régimes, sans malheureusement expliquer d’un point de vue marxiste pourquoi et comment ils se sont formés. Mais si le parti qualifiait de nouveau ces régimes totalitaires de « socialistes », comme le fait Faire vivre et renforcer le PCF, la jeunesse et les travailleurs en concluraient que le PCF reste attaché aux traditions staliniennes qui ont marqué son passé.

Le programme économique et social

Bien évidemment, on rejoint les auteurs du texte quand ils appellent à défendre les services publics, la sécurité sociale, l’éducation nationale, le logement social, ou encore à combattre la pauvreté. Cependant, une politique communiste sérieuse doit dire non seulement ce qu’elle veut, mais aussi comment y parvenir. Or, le programme général que défend Faire vivre et renforcer le PCF reprend, en substance, les formulations délibérément ambiguës qui figurent dans le texte du Conseil National.

La pierre de touche d’une politique économique authentiquement communiste est la question de la propriété capitaliste. Notre texte – Renforcer le PCF, renouer avec le marxisme – est parfaitement clair sur ce point : « Concrètement, on ne pourra briser l’emprise des capitalistes sur l’économie que par la nationalisation (ou "socialisation") de l’industrie, des services et de la grande distribution, ainsi que de toutes les banques, des compagnies d’assurances et des organismes de crédit. Les travailleurs devront contrôler démocratiquement les entreprises nationalisées. Cet objectif doit occuper une place centrale dans la propagande des communistes. Il doit être patiemment expliqué à l’ensemble des travailleurs, non pas sèchement et abstraitement, mais en rapport direct avec leurs préoccupations et luttes immédiates. De manière générale, le PCF devrait connecter l’ensemble de ses revendications et mots d’ordre à cet objectif stratégique global. Même les luttes défensives doivent être liées à l’objectif du socialisme. Face à la démolition systématique de toutes les conquêtes sociales du passé, la lutte pour la défense des acquis et pour de nouvelles concessions est inextricablement liée à la nécessité de renverser l’ordre capitaliste.

« L’expropriation des capitalistes signifierait que les gigantesques ressources économiques du pays pourraient être orientées vers la satisfaction des besoins sociaux, au lieu de servir à l’enrichissement d’une petite minorité. Les nationalisations du passé, comme celles réalisées sous Mitterrand, ne concernaient qu’une fraction de l’économie (20%), laissant sa majeure partie entre les mains des capitalistes. Par ailleurs, les travailleurs n’avaient pas le contrôle des entreprises nationalisées, dont le fonctionnement et les objectifs ne se distinguaient en rien de ceux des entreprises du secteur privé. La corruption des dirigeants du Crédit Lyonnais et d’Elf-Aquitaine en est l’exemple le plus criant. Aujourd’hui encore, la Caisse des Dépôts a beau être une institution de l’Etat, elle est propriétaire d’un nombre important d’entreprises capitalistes, ce qui ne fait que souligner l’enchevêtrement complet des institutions de l’Etat et des intérêts de la classe dirigeante.

« Le socialisme ne se réduit pas à la propriété d’Etat. C’est une forme de société dans laquelle toutes les grandes entreprises, l’ensemble du système bancaire et toute l’administration publique – c’est-à-dire la direction de l’Etat – sont soumis au contrôle démocratique des travailleurs, à tous les niveaux. C’est la seule façon d’instaurer une planification rationnelle et démocratique de l’économie nationale, au bénéfice de l’ensemble de la société. »

Les rédacteurs du texte Faire vivre et renforcer le PCF sont beaucoup moins explicites que nous, sur cette question. Ils évoquent en passant la nécessité d’une « appropriation sociale des moyens de production ». Mais que signifie exactement cette formule ? Manifestement, elle est suffisamment floue pour être interprétée de plusieurs façons. Elle a été introduite dans le vocabulaire du parti à l’époque de Robert Hue – qui, comme chacun le sait, a soutenu le programme de privatisations du gouvernement Jospin. Nous avons abordé cette question dans notre texte : « Bon nombre de travailleurs – chez Air France et Airbus, par exemple – ont fait l’expérience des "nouveaux droits" à la sauce "anti-libérale" à l’époque de la privatisation de ces industries par un ministre PCF, Jean-Claude Gayssot. Pour ce dernier, la privatisation, rebaptisée "ouverture du capital", n’était rien moins qu’une "conquête sociale" ! La création d’un dispositif de "salariés-actionnaires" était, à l’en croire, un bel exemple de la "réappropriation sociale de l’entreprise" évoquée dans le programme du parti. Gayssot n’agissait pas seul. Il avait l’appui de pratiquement toutes les composantes de la direction du parti. Et comme en témoignent les textes publiés par L’Humanité à l’époque, ni Robert Hue, ni les "économistes" autoproclamés du parti ne ménageaient leur peine pour justifier les privatisations en cours, en les enrobant d’un discours sur des "contre-pouvoirs citoyens" et des "droits nouveaux" qui n’ont jamais vu le jour. »

Ainsi, aux yeux des dirigeants actuels du parti, la notion d’« appropriation sociale » n’est pas du tout incompatible avec le capitalisme. Elle leur a permis de faire passer des reculs pour des avancées. On privatise, on « ouvre le capital » – mais les salariés vont « s’approprier » l’entreprise au moyen de mystérieux « nouveaux droits » ! Certains camarades nous objecteront peut-être que les rédacteurs de Faire vivre et renforcer le PCF mettent un autre contenu, dans cette formule. Mais le problème, c’est que leur texte ne nous éclaire pas du tout sur ce point. Et pour tenter de comprendre ce qui se cache derrière cette formulation, nous sommes obligés de nous référer à d’autres textes plus explicites, notamment de la part d’André Gerin.

Dans une interview accordée au Nouvel Economiste, le 11 juin dernier, Gerin dénonce le capitalisme financier et réclame une alliance politique entre « le monde du travail, ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs, cadres et des patrons qui continuent d’investir dans la production de marchandises utiles au bien-être des hommes ». Il explique la base de cette alliance dans les termes suivants : « La contradiction capital/travail est bien réelle dans l’entreprise et s’exprime dans des luttes sociales. L’affrontement entre salariés et patron n’est pas feint. Mais il se déroule sur un fond d’inquiétude commun : les marchés financiers qui spéculent à tour de bras, mondialement, sur les produits alimentaires constituent une menace pour la pérennité d’une entreprise qui tourne pourtant bien, qui produit propre et utile. »  Dans la même interview, Gerin défend un « capitalisme des métiers, des savoir-faire et des produits ».

Dans une lettre ouverte à Marie-George Buffet, publiée il y a quelques semaines, Gerin entretient la même confusion en appelant à la promotion d’une gauche « ayant la volonté de faire la révolution dans un pays capitaliste développé, en s’appuyant sur les forces vives, les forces productives : ouvriers, techniciens, cadres, chercheurs, investisseurs, PME. » Depuis quand fait-on une révolution « contre le capitalisme » en s’appuyant sur… les investisseurs et les PME capitalistes ?

Ici, nous avons, dans toute sa splendeur, la réalité de l’« appropriation sociale » à la sauce Gerin. Unis par une « inquiétude commune », capitalistes et travailleurs doivent faire une « révolution » contre le capital financier ! Cela s’appelle la collaboration de classe. « Le PCF doit se ressaisir en proposant une union audacieuse du peuple de France », dit Gerin. Ces références répétées aux « forces populaires », tout comme la distinction entre les « bons capitalistes » qui œuvrent pour le bien du peuple, d’un côté, et de l’autre les « spéculateurs » – n’ont rien à voir avec les idées du marxisme. Elles constituent une idéologie particulièrement dangereuse, surtout dans le contexte social et économique actuel.

De manière générale, le programme présenté dans Faire vivre et renforcer le PCF est extrêmement flou. Il propose d’« arrêter la casse de l’emploi en empêchant les licenciements et les délocalisations ». D’accord, mais comment faire, sans exproprier les capitalistes concernés ? Il réclame « des droits nouveaux pour les salariés »  – oui, mais lesquels ? Il parle de « transformation des institutions » – mais quelles transformations ?

L’Union Européenne : nationalisme ou internationalisme

L’approche nationaliste de Faire vivre et renforcer le PCF trouve son expression, également, dans la position de ses auteurs sur l’Union Européenne. D’un point de vue marxiste, il faut s’opposer à l’Union Européenne, qui est un dispositif économique et politique mis en place par les capitalistes et pour les capitalistes. De ce même point de vue, il fallait s’opposer au Traité de Maastricht et au projet de constitution européenne. Cependant, cette opposition formelle peut se faire sur des bases politiques très différentes, comme le montre la posture « anti-Maastricht » du Front National. Il y a une forme d’opposition nationaliste et chauvine, qui essaie d’embrigader les travailleurs derrière la classe capitaliste « nationale », avec laquelle ils sont supposés avoir des intérêts communs. Et puis il y a une opposition à caractère internationaliste, qui se bat aussi fermement contre le capitalisme « national » que contre le capitalisme étranger, et qui lutte non pas pour une « souveraineté nationale » illusoire – car la « nation » est composée de classes aux intérêts inconciliables –, mais pour le socialisme en France et à travers le continent.

Les auteurs de Faire vivre et renforcer le PCF posent uniquement le problème européen en termes de « souveraineté nationale ». Il n’est nulle part question de socialisme. « Alors que la possibilité de transformer l’Union Européenne apparaît de plus en plus impossible aux  peuples, écrivent-ils, ne faut-il pas se poser la question d’en sortir pour en faire éclater le cadre impérialiste et travailler à de véritables coopérations entre pays basées sur le respect des souverainetés populaires ? » Or, une rupture de la France avec l’UE, sur la base du capitalisme, ne résoudrait strictement rien. En fait, elle aurait pour conséquence immédiate de plonger l’économie nationale dans une récession encore plus sévère. Mais surtout, Faire vivre et renforcer le PCF présente d’une façon complètement fausse le rapport entre les institutions de l’Union Européenne et les pays membres. Ce sont les Etats membres – à commencer par les plus puissants d’entre eux, dont l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne – qui dictent la politique des instances européennes, et non l’inverse. L’Union Européenne n’est pas une puissance impérialiste « supranationale » – et ne pourra jamais l’être, d’ailleurs. Elle n’est pas un « empire », comme le prétend le texte, mais un marché commun et, pour la plupart des pays membres, une monnaie commune, qui ont été mis en place dans l’intérêt de plusieurs puissances impérialistes rivales, dont la France. Il est tout simplement exclu que le Conseil Européen, par exemple, adopte une mesure qui porterait gravement atteinte aux intérêts des classes capitalistes de l’Allemagne, de la France ou de la Grande-Bretagne. Ce sont elles qui commandent.

Il n’y aurait aucun avantage à tirer, pour les travailleurs, de la séparation de l’impérialisme français du reste de l’Union Européenne, ou encore de la restauration du franc. Il est vrai que les capitalistes ont profité de la mise en place de l’euro pour augmenter les prix. Ce qui n’est pas vrai, par contre, c’est que la restauration du franc changerait quoi que ce soit. En fait, avec un déficit commercial annuel de quelque 50 milliards d’euros et un endettement public de 1250 milliards d’euros, la réintroduction d’une monnaie française entraînerait une dévaluation très importante de celle-ci, réduisant le pouvoir d’achat des travailleurs d’une façon encore plus sévère qu’avec l’euro. Demander, comme le fait le texte, un « référendum populaire » sur la question d’une rupture de la France capitaliste avec l’Union Européenne, c’est demander un référendum dont l’issue serait négative pour les travailleurs, quel qu’en soit le résultat. Voilà où nous mènent l’aveuglement nationaliste et la tentative de résoudre les problèmes du capitalisme sur la base du capitalisme.

L’internationalisme n’est pas une question abstraite. Il repose sur le caractère international du salariat. « Les travailleurs n’ont pas de patrie », disait Marx. Aucune concession au nationalisme n’est acceptable, en aucun cas. Dans une puissance impérialiste comme la France, le mot d’ordre de « souveraineté nationale » n’a absolument aucun contenu progressiste. Il tend à injecter le poison nationaliste dans la conscience des travailleurs. Il les incite à s’identifier à la « nation » – toutes classes confondues –, plutôt que de les soulever contre la partie de cette « nation » qui les opprime et les exploite, c’est-à-dire contre la classe qui est « souveraine » ou dominante au sein de la nation.

Tous les militants du parti profiteraient énormément de l’étude du programme et des idées révolutionnaires que défendait l’Internationale Communiste pendant ses premières années d’existence (1919 – 1924). L’Internationale expliquait les choses d’une manière très concrète, sans ambiguïté. Elle faisait comprendre aux travailleurs de tous les pays la nécessité de prendre le pouvoir et de reconstruire la société sur les bases du socialisme. A ses origines, l’Internationale Communiste expliquait qu’une Europe unifiée dans le cadre du capitalisme était une utopie réactionnaire, ce qui est toujours vrai. De ce point de vue, la position du Conseil National du PCF, qui milite pour une « Europe sociale » sur la base du capitalisme, est complètement erronée. Mais l’Internationale Communiste opposait à l’Europe capitaliste le mot d’ordre de Fédération socialiste des Etats européens. Cette perspective est toujours d’actualité : c’est celle que nous défendons et que, selon nous, le PCF devrait défendre. Le socialisme, en Europe comme dans le reste du monde, remplacera le marché par un plan de production consciemment et collectivement élaboré dans l’intérêt de l’ensemble de la société. C’est seulement ainsi qu’il sera possible de « sortir de l’Union Européenne » : en libérant les travailleurs de France et de toute l’Europe des chaînes du capitalisme européen.

Au final, la position du CN – pour une « Europe sociale » – et celle de Faire vivre et renforcer le PCF – pour la « souveraineté nationale » – constituent les deux faces d’une seule et même erreur : celle qui consiste à vouloir émanciper les travailleurs d’Europe sans remettre en cause le capitalisme.

La « guerre des civilisations »

Dans Faire vivre et renforcer le PCF, on trouve le passage suivant : « Cette crise politique est une véritable fracture sociale, les milieux populaires étant enfermés dans l’abstention ou le vote plébiscitaire. Les ségrégations urbaines, sociales, économiques renforcées sont le creuset des replis identitaires et intégristes. Des forces antirépublicaines de toutes origines jouent à la guerre des civilisations. » Ces phrases sont, comme bien d’autres, volontairement vagues, et donc sujettes à diverses interprétations. Quelles sont, au juste, les « forces antirépublicaines » visées dans ces lignes ? Et à quel type d’« origines » est-il fait référence : sociales, politiques, ethniques ? Qui est mis en cause ? Le Front National, les policiers, les habitants des quartiers populaires ?

Encore une fois, le texte préfère ne pas en dire plus. Mais ceux qui connaissent un peu la prose d’André Gerin auront reconnu sa marque. Dans Le Monde du 7 décembre 2007, Gerin déclarait : « Dans la “merde” sociale, morale et culturelle s’épanouissent des mafieux, des trafiquants, des intégristes qui profitent du malheur des habitants. […] La gangrène se développe dans le mépris des institutions, de l’autorité, des règles de la République. On l’a vu encore à Villiers-le-Bel : des groupes déterminés attaquent les symboles de la République et instrumentalisent une partie – une partie seulement – de la jeunesse. Or, peu de moyens sont investis pour éradiquer cette gangrène, ces groupes barbares qui terrorisent les quartiers, imposent leur loi et constituent les ferments d’une guerre civile. »

Sur le même registre, dans son livre Les Ghettos de la République, Gerin écrit : « Voilà des années que je pose cette question au préfet et au procureur : faites partir ces familles pour le bien de tous, et si elles sont étrangères, n’hésitez pas à les expulser. Je suis en effet pour des méthodes radicales, fortes, qui donnent l’exemple. » En d’autres termes, Gerin défend la non-individualisation des peines. Il évoque également l’existence de « nébuleuses que l’on cerne mal mais qui, à l’évidence, sont organisées d’une manière internationale. Beaucoup de choses se tiennent : ici un trafic de choses volées, là un “kebab” douteux, des adultes à l’air louche qui déambulent la nuit ».

Prenons un dernier exemple. Beaucoup de gens connaissent le discours raciste que Chirac a prononcé, le 19 juin 1991, devant 1300 élus. C’est ce discours qui avait incité Le Pen à dire qu’il était « surpris qu’on m’emprunte mon discours, tout en continuant à me diaboliser. Les Français préféreront toujours l’original à la copie ». Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore ce discours de Chirac, en voici un extrait : « Notre problème, ce n’est pas les étrangers, c’est qu’il y a overdose. C’est peut-être vrai qu’il n’y a pas plus d’étrangers qu’avant la guerre, mais ce n’est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d’avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d’avoir des Musulmans et des Noirs [...] Comment voulez-vous que le travailleur français qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler... si vous ajoutez le bruit et l’odeur, hé bien le travailleur français sur le palier devient fou. Et ce n’est pas être raciste que de dire cela... Nous n’avons plus les moyens d’honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s’impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s’il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d’une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu’ils ne paient pas d’impôt ! »

Or, voici ce que Gerin dit de ce discours, dans son livre : « Prenons le débat sur l’immigration. Droite et gauche ont agi de la même façon depuis trente ans en noyant le poisson ou en évitant de dire la réalité. On a refusé de reconnaître que des différences importantes existaient dans les modes de vie, les cultures et les traditions entre le monde musulman et la culture judéo-chrétienne. Tout le monde s’est tu. Après avoir évoqué dans un discours de 1991 les fameuses "odeurs", Jacques Chirac a dû pratiquement se renier et s’excuser d’avoir usé d’un tel terme. Cela lui a valu une campagne de dénigrement incroyable. Pourtant il n’avait dit que la vérité. Mais nous étions incapables de l’entendre. Moi-même j’ai dû dire à l’époque "il parle comme le Front national" ».

Ce livre d’André Gerin a été préfacé avec bienveillance par Eric Raoult (UMP), connu pour sa croisade contre la polygamie dans les banlieues, dans laquelle il voit l’une des causes des révoltes de novembre 2005. C’était clairement un appel du pied à l’électorat du Front National. André Gerin est député-maire de Vénissieux. Mais les militants communistes peuvent imaginer quel serait l’impact d’un tel livre – et d’un tel préfacier – si son auteur était le secrétaire national du PCF ! Ce serait un coup terrible contre le parti.

Nous savons parfaitement que parmi les militants communistes qui ont signé ce texte ou envisagent de le soutenir, une écrasante majorité rejette cet aspect particulièrement réactionnaire des idées de Gerin. Ils ne sont sans doute pas très nombreux, non plus, à adhérer à sa dangereuse théorie d’une « révolution » qui serait l’œuvre commune des travailleurs et des « bons patrons ». Des camarades nous rappelleront que Gerin n’est pas le seul signataire de ce texte alternatif, et que d’autres « courants » du parti ont contribué à sa rédaction. C’est exact. Mais le fait est que Gerin est à la fois l’un des principaux signataires de ce texte et un candidat déclaré au poste de secrétaire national du parti. Or, nous considérons que tout avancement de Gerin et de ses idées nationalistes risque de porter gravement préjudice au PCF. Quant aux autres « courants » du PCF qui ont participé à la rédaction de ce texte, s’ils ne veulent pas être soupçonnés de complaisance vis-à-vis des idées de Gerin que nous venons d’évoquer, ils doivent dire clairement et publiquement ce qu’ils en pensent.

République capitaliste ou socialisme

Si des jeunes et travailleurs « de toutes origines » sont contre la république dont les auteurs de Faire vivre et renforcer le PCF se font les ardents défenseurs, c’est qu’ils ont de bonnes raisons. La république actuelle est une république capitaliste. Elle est réactionnaire et corrompue de fond en comble. C’est elle qui organise les rafles et les brutalités policières dans les quartiers, qui stigmatise les immigrés et pratique une discrimination raciale et sociale flagrante à leur égard. C’est elle qui jette sur le trottoir les gens trop pauvres pour payer un loyer, qui saisit les maigres biens des surendettés, qui emprisonne des familles entières dans des centres de rétention, avant de les expulser. La république actuelle a fait de sa devise une pure hypocrisie. La « liberté » est surtout celle des capitalistes – les fameux « investisseurs et PME » – qui sont libres de licencier, de fermer des entreprises, de les délocaliser, libres de ruiner l’économie, de détruire les services publics, de persécuter les syndicalistes. « L’égalité » est un vain mot. Elle n’existe pas et n’existera jamais sous le capitalisme. Comment peut-il y avoir égalité entre exploiteurs et exploités ? Quant à la « fraternité », elle se réduit, dans cette glorieuse république, à la soumission de l’immense majorité de la population à la volonté et l’avarice d’une poignée de capitalistes et de banquiers.

En tant que communistes, nous sommes, nous aussi, contre cette république. La seule république qui mérite d’être défendue, c’est une république socialiste, dans laquelle il n’y aura ni Bourse, ni capitalistes, ni banquiers, où l’économie ne sera plus soumise aux forces aveugles et destructrices du marché, mais sera organisée consciemment et démocratiquement par la collectivité, et où toutes les manifestations de l’oppression des travailleurs et de la jeunesse seront éradiquées, parce que ceux-ci seront devenus les maîtres de la société. Le socialisme mettra en place une administration saine et démocratique à tous les niveaux, dans laquelle les représentants du peuple, élus et révocables, ne gagneront pas plus que le salaire moyen des travailleurs. Ces principes démocratiques furent inaugurés par les Communards de 1871. Ne valent-ils pas mieux que les « institutions républicaines » actuelles, peuplées comme elles le sont d’arrivistes et trafiquants d’influence, et où les seuls « frais de bouche » pourraient nourrir toute une ville ?

Pour une partie croissante de la base du parti, il est grand temps de rompre avec la dilution réformiste de son programme et de lui donner une orientation révolutionnaire et internationaliste. Le nationalisme, le langage de la « guerre des civilisations » et l’apologie du stalinisme ne répondent pas à cette attente. Le capitalisme est en crise. Il ne peut plus satisfaire les besoins de la société. Au contraire, il est devenu incompatible avec les conquêtes sociales du passé, et impose partout la régression, le déclin. Les communistes doivent proposer une alternative claire aux travailleurs et à la jeunesse. C’est dans ce but que nous leur présentons le texte Renforcer le PCF, renouer avec le marxisme.

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