Net Eclair exerce une activité de blanchisserie des linges d’avion pour le compte de compagnies aériennes. L’entreprise est connue pour avoir impunément exploité des travailleurs sans-papiers pendant plusieurs années. Elle a ainsi pu profiter d’une main d’œuvre docile et sous-payée, car vivant dans la peur d’une expulsion. Mais en 2009, la CGT de Roissy a obtenu la régularisation des sans-papiers de l’entreprise. Depuis cette première victoire, la CGT s’est implantée dans cette société de quarante salariés. Le rapport de force s’est rapidement inversé et ils ont obtenu des augmentations de salaire. Pour le patron, l’affaire est devenue moins juteuse. Il se plaignait régulièrement de la mauvaise santé financière de son entreprise et disait ne pas pouvoir supporter l’augmentation de la masse salariale face à la concurrence féroce des autres sociétés du secteur.
La semaine dernière, il est passé de la parole aux actes de la façon la plus brutale qui soit – en disparaissant ! Les salariés, surpris, ont tout de même décidé de poursuivre l’activité de l’entreprise, qui fonctionnait d’ailleurs très bien en l’absence de la direction... Chacun soupçonnait néanmoins que le projet de l’employeur était de partir sans donner de nouvelles – et si possible en vidant les coffres.
Au matin du lundi 3 octobre, le patron est réapparu soudainement. « Je suis venu pour fermer la boite ! », ont été ses premiers mots. « L’entreprise perd de l’argent. Je ne veux plus en injecter. Je ne paierai plus les fournisseurs. Les salaires de septembre ont été payés, mais je n’irai pas au-delà ». Il va sans dire que cette façon de procéder viole pas mal de dispositions du code du travail. Ce sont autant de délits dont la CGT de Roissy saisira la justice dans les prochains jours. Cependant, faire valoir leurs droits devant un tribunal, avec des délais qui se comptent en années, ne sauvera pas les emplois des quarante salariés de Net Eclair.
Le travail s’est néanmoins poursuivi, les salariés gardant un œil sur les faits et gestes de leur patron. La tension montait sans cesse. Le matin du jeudi 6 octobre, les salariés se sont aperçus que leur patron demandait aux clients de cesser de livrer leurs linges à laver. L’arrêt total de l’activité de l’entreprise n’était plus qu’une question d’heures. Réunis en assemblée générale, les salariés ont alors voté l’occupation illimitée de l’entreprise. Le risque est réel, disaient-ils, que le patron vide purement et simplement les locaux de tout ce qu’il peut vendre pour en sortir des liquidités, avant que la justice ne le lui prenne. Il pourrait par exemple récupérer beaucoup d’argent par la vente de récentes et couteuses machines de blanchisserie industrielle. Ces craintes ont été confirmées dès la première nuit d’occupation : des camions se sont avancés en direction de l’usine. Les chauffeurs ont expliqué qu’ils avaient ordre de « récupérer le matériel ». Ils ont été refoulés.
Les salariés sont furieux, conscients de s’être fait exploiter pendant des années pour être mis à la rue de la façon la plus rude qui soit. Au cours de l’assemblée générale, beaucoup ont fait valoir que l’entreprise est à eux. Après tout c’est leur travail qui a permis d’acheter les machines ; il est hors de question de laisser faire le patron ! Ils s’attendent à un combat difficile. Le patron étant pour ainsi dire « en fuite », il ne peut être question d’une quelconque « négociation ». Il faudra trouver une solution pour le paiement des salaires et se battre pour préserver les emplois. Le seul repreneur connu serait un centre de travail pour handicapés qui vit des subventions publiques en contrepartie de sa « générosité », qui n’est que pure hypocrisie. En se gavant d’aides publiques, cette boite parvient d’ailleurs à casser les prix du marché et n’est pas pour rien dans les difficultés financières de Net Eclair. Or, les salariés qui occupent l’entreprise ont, eux, la « malchance » d’être « valides ». Ce ne serait donc pas une solution.
Mais les salariés n’ont pas l’intention de se retrouver à la rue sans livrer bataille. Ils font preuve d’une grande détermination en occupant l’entreprise et en empêchant que leur patron vende les machines. Tant que le fonctionnement de l’économie et la gestion des entreprises demeureront entre les mains des capitalistes, des drames comme celui-ci se reproduiront. Les entreprises du transport aérien font face, comme le reste de l’économie, à une crise de surproduction : il y a trop d’avions au regard de la capacité de la population à accéder à ce mode de transport. Pour les capitalistes du secteur, il s’agit donc de diminuer les coûts à tout prix. C’est la cause du très fort mouvement d’externalisation et de sous-traitance qui est à l’œuvre depuis plus de quinze ans à Roissy. Les capitalistes révèlent ici leur rôle parasitaire : le secteur a besoin de blanchisserie, mais ils ne peuvent maintenir l’activité que sur la base d’une casse des acquis et des baisses drastiques des salaires. Cette première occupation dans l’histoire des luttes sociales à Roissy pose aussi cette question concrète : qui doit contrôler les entreprises et gérer l’économie, les parasites capitalistes ou les salariés ?
Pour tout contact et témoignage de solidarité, vous pouvez contacter l’UL CGT de Roissy :