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Cet édito de Révolution paraît l'avant-veille de la journée d’action du 31 janvier contre la « réforme » des retraites. Il est possible qu’elle soit encore plus importante que le 19 janvier. Mais quelle qu’en soit l’ampleur, une chose est sûre : elle ne permettra pas, à elle seule, de faire reculer le gouvernement sur toute la ligne.

Macron et ses ministres ont compris qu’ils allaient devoir modifier à la marge leur projet de loi – qui, par exemple, pénalise doublement les femmes. D’autres « ajustements » pourraient être avancés dans l’espoir d’affaiblir le mouvement d’opposition. Mais le grand patronat et son gouvernement restent déterminés à préserver le cœur du projet de loi : l’augmentation de la durée de cotisations, le report de l’âge du départ à la retraite et la fin des régimes spéciaux. Du point de vue de la bourgeoisie, cette contre-réforme est un enjeu de taille : d’une part, elle entraînera d’importantes économies budgétaires (sur le dos des travailleurs) ; d’autre part, elle favorisera le développement du marché des retraites privées, qui est potentiellement colossal.

De son côté, Macron sait que s’il perd cette bataille, il en sortira tellement affaibli qu’il devra dissoudre l’Assemblée nationale, sans la moindre garantie de trouver une nouvelle majorité dans les urnes. Ceci renforce la détermination du chef de l’Etat et de ses ministres.

Grèves reconductibles

Le 19 janvier a confirmé ce que les sondages indiquaient : l’écrasante majorité de la population active est opposée à cette nouvelle contre-réforme. Mais il est clair que cette puissante mobilisation s’alimentait aussi à d’autres sources : l’inflation, la dégradation des conditions de travail, la précarisation de l’emploi, le martyre de l’hôpital public – et bien d’autres problèmes que la crise du capitalisme aggrave sans cesse. Le pays est travaillé par une colère profonde, générale et croissante. Les stratèges les plus avisés de la bourgeoisie le comprennent. Ils savent qu’une fois ouvertes les vannes de la colère sociale, le torrent peut sortir de son lit, c’est-à-dire dépasser le cadre des « journées d’action » et prendre la forme d’un vaste mouvement de grèves se propageant de secteur en secteur jusqu’à la complète paralysie du pays.

Le gouvernement reculera seulement si le mouvement s’engage nettement dans cette voie. N’oublions pas que si Jacques Chirac a renoncé au Contrat Première Embauche (CPE), en 2006, ce n’était pas sous la pression des seules journées d’action. La lutte contre le CPE avait échappé au contrôle des directions syndicales. La jeunesse lycéenne et étudiante était massivement mobilisée, jour et nuit ; elle envahissait les gares, provoquait des débrayages dans des services publics, suscitait la sympathie active de toute la classe ouvrière. Des grèves éclataient spontanément aux quatre coins du pays, y compris dans des entreprises réputées « tranquilles ». A un certain stade, Chirac – qui a connu de près Mai 68 – a estimé que l’obstination de son gouvernement risquait de provoquer un embrasement social généralisé.

Les conditions de notre victoire sont donc assez claires. Tout doit être mis en œuvre pour impliquer un maximum de secteurs dans un mouvement de grèves reconductibles. Naturellement, il ne faut pas compter sur Laurent Berger (CFDT) pour avancer d’un millimètre dans cette voie. Et malheureusement, Philippe Martinez (CGT) n’est guère plus offensif : il concentre tous les espoirs sur la stratégie des journées d’action, en dépit de leur insuffisance notoire au cours des 20 dernières années. Ceci dit, plusieurs fédérations de la CGT – dont celles de l’énergie et des industries chimiques – ont mis en place un « calendrier » de montée en puissance vers des grèves reconductibles. Les cheminots annoncent également des mobilisations complémentaires aux journées d’action. De deux choses l’une : soit ces initiatives se concrétisent et s’élargissent à d’autres secteurs, soit le gouvernement remportera cette bataille.

N’y aurait-il pas une troisième voie, sous la forme d’une concession du gouvernement à la CFDT ? Laurent Berger est vent debout contre le report de l’âge du départ à la retraite, mais très favorable à l’augmentation de la durée de cotisations et à la destruction des régimes spéciaux. Il s’oppose au cyanure, mais nous propose un verre d’arsenic : ainsi « lutte » cet agent conscient de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier. On ne peut pas totalement exclure qu’à un certain stade, si le mouvement d’opposition se développe, Macron renonce à la « mesure d’âge » en maintenant tout le reste du projet de loi. Mais c’est loin d’être évident, car une telle concession serait à double tranchant : elle pourrait encourager le mouvement au lieu de le diviser. En outre, le gouvernement en sortirait affaibli. Macron n’a donc aucun intérêt, dans l’immédiat, à s’orienter vers un tel compromis.

Passer à l’offensive !

Nous l’avons dit : la mobilisation s’alimente à une colère générale. Précisément pour cette raison, le mouvement ne doit pas se contenter de réclamer l’abandon du projet de réforme. Il doit se doter d’un programme positif et offensif. Dans l’éditorial du précédent numéro de Révolution, nous l’expliquions ainsi : « Dans un contexte où les coups pleuvent de toute part (inflation, misère et précarité croissantes, casse des services publics, etc.), la jeunesse et le salariat ne passeront à l’action d’une façon exceptionnellement massive et durable que si l’objectif de la lutte est bien plus large que l’abandon de ce projet de réforme – dont on sait bien que, chassé par la porte, il reviendrait par la fenêtre quelques années plus tard, si rien d’autre ne change. Il faut que le jeu en vaille la chandelle, que les objectifs du combat soient à la hauteur des sacrifices qu’il exige. »

Bien sûr, il n’est pas exclu qu’un vaste mouvement de grèves reconductibles commence sur la base du seul mot d’ordre d’abandon du projet de réforme. Mais un programme plus offensif faciliterait l’implication de larges couches de la jeunesse et du salariat.

Par exemple, prenons la situation de la jeunesse. Elle sait bien que son droit à la retraite, dans trois ou quatre décennies, ne sera pas lié au sort de l’actuel projet de réforme. Elle est plus ou moins consciente du fait que c’est son avenir en général, sur tous les plans, qui est menacé par la crise du capitalisme et les politiques réactionnaires des gouvernements. Certes, on ne peut pas exclure que la jeunesse se mobilise massivement contre l’actuel projet de réforme, ne serait-ce que dans le but d’infliger une défaite à Macron. Mais la mobilisation de la jeunesse serait grandement facilitée si la direction du mouvement avançait des mesures positives qui concernent directement ses conditions de vie actuelles, par exemple la gratuité de l’enseignement supérieur, l’abrogation de Parcoursup et la suppression de toutes les mesures infernales de sélection à l’université.

Un programme offensif et largement popularisé devrait comprendre le droit à la retraite à 60 ans (au maximum), une augmentation générale des salaires et leur indexation sur l’inflation, l’embauche massive de fonctionnaires, l’abrogation des deux dernières lois Travail – et d’autres mesures de cet ordre. L’ensemble devrait être couronné par le mot d’ordre qui, il y a quatre ans, résonnait chaque week-end dans les villes du pays : « Macron, dehors ! »

A l’heure où nous bouclons ce journal, les dirigeants du mouvement ne prennent pas cette voie. Les directions confédérales le limitent aux journées d’action et à un programme défensif. De son côté, Jean-Luc Mélenchon théorise la réduction des objectifs du combat au plus petit dénominateur commun : « Nous sommes dans un moment où l’offensive doit unir et pour cela contourner tous les sujets de désaccord. C’est la raison pour laquelle nous acceptons la mise en retrait de notre programme ». [1]

Nous avons tenté de démontrer que c’est là une sérieuse erreur stratégique. Cependant, rien n’est joué. Dans les jours et les semaines à venir, le torrent peut sortir de son lit –  et tout balayer sur son passage, malgré les erreurs et le conservatisme des dirigeants du mouvement.


[1] Note de blog du 26 janvier.


Sommaire

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