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Bernard Tapis

L’Assemblée Nationale a voté un « plan de moralisation de la vie publique ». Dans la mesure où ce sont les mêmes qui moralisent et sont prétendument moralisés, cela ne changera rien à la corruption, aux passe-droits et copinages divers qui ont cours au sein de l’Etat. Lorsqu’un ministre de la fraude fiscale cache un compte en Suisse, que l’Elysée est soupçonné d’avoir été le théâtre d’une « escroquerie en bande organisée », que des « arbitres » suprêmes sont accusés de corruption, que le gouvernement actuel soutient le maintien de Stéphane Richard – pourtant mis en examen dans l’affaire Tapie – à la tête d’Orange, le Parlement peut bien proclamer la moralisation de ce qu’il veut : cela n’impressionnera pas la masse de la population. « La comédie est terminée », comme disent les Italiens, parce qu’il n’y a plus grand monde pour y croire.

Les Tapie, Cahuzac et autres branches pourries cachent mal la forêt. C’est toute la classe capitaliste et son appareil d’Etat qui sont corrompus, à des degrés divers, qui vont du simple piston aux scandales d’Etat en passant par toutes les magouilles plus ou moins légales dans lesquelles trempent ceux qui ont beaucoup d’argent ou de pouvoir – et souvent les deux. Tout ceci, les travailleurs le devinent et le supportent d’autant moins qu’au même moment, ceux qui pillent l’argent public imposent la rigueur au plus grand nombre. C’est pour cela que dans des périodes de profonde crise du capitalisme, comme aujourd’hui, les « affaires » peuvent jouer un rôle important dans la maturation d’une situation révolutionnaire. N’oublions pas que l’affaire Stavisky [1], en janvier 1934, n’avait pas seulement servi de prétexte à l’émeute fasciste du 6 février ; elle avait aussi, à sa manière, contribué à la victoire électorale du Front Populaire et à la grande grève générale de juin 1936.

Le discrédit massif qui frappe les institutions de la république est un phénomène progressiste et potentiellement révolutionnaire, car ce discrédit déchire le voile des prétendus « grands principes républicains » et implique l’idée que de simples réformes ne règleront pas les problèmes, qu’il faut renverser l’ordre établi et transformer la société de bas en haut. C’est une idée absolument correcte. Le mouvement communiste doit exploiter au maximum cette situation en expliquant aux jeunes et aux travailleurs la nécessité de s’attaquer aux racines de la corruption et de l’affairisme bourgeois, à savoir la mainmise de quelques centaines de familles richissimes sur les grands leviers de l’économie et l’appareil d’Etat.

La République française est pourrie, à l’image du système capitaliste sur lequel elle repose. Seuls son renversement et l’édification d’une économie socialiste démocratiquement planifiée, fermement sous le contrôle des travailleurs eux-mêmes, ouvriront la perspective d’en finir à la fois avec la corruption et la régression sociale. La situation est-elle assez mûre pour cela ? Elle mûrit un peu plus chaque jour. L’ambiance de grogne fataliste qui semble parfois régner dans le mouvement ouvrier français n’est que le prélude d’une explosion sociale qui viendra en France comme elle est venue en Turquie et au Brésil – « par surprise », du moins pour ceux qui ne voient pas ou refusent de voir tous les éléments qui la préparent.


[1L’affaire Stavisky

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