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La guerre en Irak n’a rien résolu du point de vue de l’impérialisme américain. A l’inverse, elle a considérablement aggravé l’instabilité du monde. Le monde est à présent un lieu plus turbulent, plus instable et plus dangereux qu’il y a quelques mois.

A première vue, cette guerre s’est terminée de la meilleure manière pour Washington. Les combats n’ont pas duré très longtemps et les pertes ont été relativement faibles - tout au moins dans les rangs de la Coalition.

L’effondrement final de la résistance irakienne a levé les doutes concernant la capacité du régime à mener les combats. Il est clair que la force de frappe de l’armée irakienne a diminué au fur et à mesure que les troupes américaines s’approchaient de Bagdad, alors qu’on s’attendait exactement au contraire.

L’effondrement a été soudain et total. Il s’explique en partie par la supériorité colossale de la puissance de feu américaine et sa maîtrise de l’espace aérien. Mais cela n’explique pas tout. Les soldats américains avaient mortellement peur d’entrer dans Bagdad, où ils s’attendaient à essuyer de nombreuses pertes dans des combats de rue. Ils ont été les premiers étonnés par la rapidité avec laquelle la résistance s’est effondrée.

La victoire finale des forces de la coalition était inévitable, mais la soudaineté de la chute de Bagdad ne peut s’expliquer uniquement par la supériorité technologique de l’armée et de l’aviation américaines. C’était davantage une question de moral. Au moment crucial, la plupart des Irakiens n’étaient pas prêts à mourir pour le régime de Saddam, et ce bien qu’ils détestent les impérialistes américains.

La raison de tout cela réside dans la décomposition interne du régime de Saddam Hussein. L’ardeur au combat et le courage déclinaient au fur et à mesure qu’on montait dans les rangs de l’appareil d’Etat. Les soldats ordinaires irakiens et les fedayeen se sont en général courageusement battus. A l’inverse, la Garde Républicaine - les corps d’élite choyé par Saddam - n’a pas tenu sa promesse de se battre jusqu’à la mort, mais s’est simplement désintégrée.

Par conséquent, la Coalition a gagné bien plus facilement qu’elle l’avait anticipé. Cela a certaines conséquences politiques. Une campagne militaire beaucoup plus longue et meurtrière aurait eu des effets désastreux aux USA. En Grande Bretagne, cela aurait mis Blair dans une situation intenable. On a appris récemment que Jack Straw et d’autres membres importants de son cabinet ministériel se préparaient à démissionner si le nombre de parlementaires travaillistes opposés à la guerre augmentait.

La façon dont Bagdad est tombée convenait parfaitement à la clique de droite qui occupe la Maison Blanche. Bush et Rumsfeld en sortent renforcés - du moins pour le moment. De même, la bande des « faucons » (Rumsfeld, Cheney, Wolfovitz) est renforcée au détriment de Collin Powell. Le centre de gravité de l’administration de Bush s’est un peu plus déplacé vers la droite. Cela aura des conséquences sur la politique intérieure et étrangère des USA dans la période à venir.

Il faut rappeler que pendant sa campagne présidentielle - c’est-à-dire avant qu’il ne gagne en trichant -, Bush se faisait l’avocat véhément de l’isolationnisme. Son slogan était : « l’Amérique en premier ». Mais à l’époque de l’impérialisme et du capitalisme monopolistique, l’ « Amérique en premier » ne signifie pas une politique isolationniste, mais une politique étrangère agressive et vorace. Rumsfeld, Cheney, Wolfovitz et leurs amis de la droite du Parti Républicain en sont les avocats les plus enragés.

Paul Wolfovitz, le député de Rumsfeld, plaide pour l’invasion de l’Irak depuis le début des années 1990. Il a demandé à ce que des actions militaires contre l’Irak soient menées immédiatement après le 11 septembre, et ce bien qu’il n’y avait aucun lien évident entre l’Irak et l’attaque terroriste contre les Twin Towers. D’après certaines sources, ils en ont été partiellement dissuadés par Tony Blair, qui les aurait pressés d’attaquer plutôt l’Afghanistan. Mais ils n’on pas abandonné leur premier plan, pour lequel l’attaque du 11 septembre et la soi-disant guerre contre le terrorisme ont fourni un bon prétexte.

Les divisions dans l’administration américaine, aussi bien avant la guerre (sur le rôle de l’ONU) que pendant la guerre (sur la stratégie militaire), montrent qu’une section de la classe dirigeante ne partage pas l’« exubérance irrationnelle » de la droite républicaine. Cette tendance est représentée par Powell. Cependant, la rapidité de la victoire en Irak a joué en défaveur de cette fraction. Les Conservateurs tiennent fermement les rênes du pouvoir, et ils vont profiter de leur avantage pour prolonger leur politique dans d’autres régions du monde.

L’Irak

La politique poursuivie en Irak par l’administration de Bush est exactement conforme à ce qu’on pouvait en attendre. Dès le début des hostilités, ils se sont indécemment précipités sur les réserves pétrolières. Les seuls ministères qu’ils ont protégés sont ceux du Pétrole et de l’Intérieur.

La conduite des impérialistes américains en Irak n’a rien à voir avec celle de « libérateurs » et tout à voir avec celle d’une armée d’occupation et d’un pouvoir colonial. Ils sont avides, agressifs et grossiers. Dès que les combats ont commencé, Bush a annoncé que tous les contrats pour la reconstruction de l’Irak reviendraient à des compagnies américaines - qui, toutes, financent largement le Parti Républicain. L’Heritage Fondation, un club de réflexion de droite, a dressé un plan détaillé pour la privatisation massive des ressources pétrolières irakiennes. C’est complètement illégal du point de vue du droit international, mais comme l’invasion de l’Irak était tout aussi illégale, ils s’en moquent éperdument.

L’hypocrisie des impérialistes est vraiment stupéfiante. Ils continuent d’expliquer qu’ils ne sont pas intéressés par le pétrole irakien, que le pétrole « appartient au peuple irakien » et ainsi de suite, et dans le même temps ils élaborent des plans pour le mettre sous le contrôle des grandes compagnies américaines. Ceci dit, tout cela ne va pas sans comporter de grosses difficultés.

Tout d’abord, il va falloir beaucoup de temps et d’argent avant que les champs de pétrole irakiens soient à nouveau opérationnels. On estime qu’il va falloir attendre au moins un an pour en revenir aux niveaux de production d’avant la guerre, qui étaient déjà relativement bas. Et compte tenu du mauvais état dans lequel plus d’une décennie de sanctions a laissé les installations irakiennes, cela devrait coûter des milliards de dollars.

Ce n’est pas le seul problème. La compagnie pétrolière russe Lukoil, qui a de gros intérêts en Irak et à laquelle le régime de Saddam devait beaucoup d’argent, menace d’ouvrir une procédure judiciaire contre les Américains, s’ils essayent de vendre le pétrole irakien sur le marché mondial. Les gouvernements français et les russes exigent que « l’ONU joue un rôle central dans la reconstruction de l’Irak », ce qui est un langage codé pour : « nous voulons notre part du butin ! ». Le gouvernement américain leur a répondu par cette amicale proposition : ils n’ont qu’à renoncer à l’argent que leur doit l’Irak (de belles sommes) ; ce serait la meilleure façon d’aider à la reconstruction du pays.

Moscou et Paris n’ont pas apprécié cette blague et ont répondu en refusant d’autoriser l’ONU à lever les sanctions et à rétablir le programme « pétrole contre nourriture » - autant de choses dont les occupants américains ont besoin pour relancer la production et la vente du pétrole. Poutine a ironiquement souligné que les sanctions ayant été imposées parce que l’Irak était supposée posséder des armes de destruction massive, les USA et la Grande Bretagne doivent prouver que l’Irak n’a plus de telles armes avant que les sanctions soient levées. Mais jusqu’à présent, il n’y a pas trace de ces armes, en dépit de tous les efforts de la CIA.

L’administration américaine fait face à un sérieux problème : on estime que le coût de l’occupation et de la reconstruction se situe entre 100 et 200 milliards de dollars. Dans la première guerre du Golfe, les USA avaient constitué une large coalition impliquant la France, la Russie, l’Allemagne et l’Arabie Saoudite. Ils se sont partagés les frais et la guerre n’a finalement pas coûté grand-chose aux impérialistes américains. Mais cette fois-ci personne d’autre ne veut payer et la note reviendra aux seuls USA. Naturellement, la Maison Blanche pense que les Irakiens devraient être contents de financer leur propre libération, et que les USA méritent une petite assistance dans tous ces problèmes.

Malheureusement, le peuple irakien ne semble pas très heureux, et manifeste quotidiennement contre ses « libérateurs ». Le nombre d’incidents violents et de morts augmente chaque jour. Toute la situation peut se lire dans le regard des soldats américains. On leur avait expliqué qu’ils seraient accueillis comme des libérateurs, mais voilà qu’ils se trouvent confrontés à une population pleine de colère et de ressentiment qui veut les voir quitter le pays. Ils vivent dans la peur constante des tirs de snippers et des attentats suicides, si bien qu’ils on tendance à tirer d’abord et à poser ensuite des questions. C’est le terrain idéal pour des massacres et des atrocités. Le résultat en sera l’exacerbation de la haine à l’égard de l’envahisseur et le développement de la résistance armée. Cela a déjà commencé. Et ça peut durer des années.

Malgré la rapidité de la victoire américaine, les choses ne sont pas aussi simples que Rumsfeld se l’imaginait. La tentative d’imposer à l’Irak un régime à la botte de la classe dirigeante américaine est très problématique. Le Pentagone soutient Ahmed Chalabi, un laquais de Washington qui a trempé dans différentes activités criminelles, pour lesquelles il est toujours poursuivi par la justice jordanienne (il a donc toutes les qualités requises pour collaborer avec des gens comme Rumsfeld et Cheney). Mais la plupart des Irakiens détestent Chalabi, qui n’a aucune base de soutien dans le pays.

L’ignorance grossière l’administration américaine concernant l’Irak s’est révélée dans son erreur de calcul au sujet des Shiites du Sud. Elle espérait que ceux-ci se soulèveraient contre Saddam Hussein et les accueilleraient chaleureusement. Rien de tout cela n’est arrivé. Les Shiites se souvenaient trop bien comment l’autre George Bush les avait incité à se soulever, en 1991, avant de les trahir cyniquement et les livrer à la merci de Saddam Hussein.

Washington a placé ses espoirs dans leur laquais Shiite Abdel Majid Khoel, mais il s’est fait assassiner par ses ennemis politiques, le 10 avril, à la barbe de ses gardes du corps américains. Etre un agent de Washington en Irak est ces jours-ci une occupation pour le moins dangereuse, bien que le salaire soit bon.

Napoléon connaissait bien les baïonnettes et leur a trouvé toutes sortes d’usages. Mais, comme il le soulignait, il est une chose pour laquelle les baïonnettes ne sont pas utiles : on ne peut pas s’asseoir dessus. Les Américains et les Britanniques n’ont aucune base de soutien en Irak. Le maigre soutien qu’ils ont pu avoir au début est en train de fondre comme neige au soleil. Dans ce domaine, la supériorité militaire n’est pas d’un grand secours. Une longue guérilla, menée au moyen de tirs de snippers, d’embuscades et d’attentats suicides, aura des effets dévastateurs si elle est soutenue par le peuple - et elle le sera.

Les Etats-Unis sont la nation la plus puissante de la planète, mais sa puissance n’est pas absolue. Ils ont été battus au Vietnam par une armée de va-nu-pieds. Pour être exact, ils ont été battus chez eux par un mouvement de masse contre la guerre. Dans le cas présent, la majorité des Américains ont soutenu la guerre, mais seulement parce qu’elle était rapide et relativement peu meurtrière pour les troupes américaines. Mais si les soldats américains se trouvent coincés en Irak pour longtemps, et qu’ils sont l’objet d’attaques de la population, l’attitude du peuple américain changera. Au Liban, un seul attentat à la voiture piégée a suffi pour que l’armée américaine quitte le territoire. Or, en Irak, des événements de ce type sont inévitables. Et, tôt ou tard, le résultat final sera le même.

Le Moyen Orient

Les impérialistes américains se sont imaginés qu’une victoire en Irak apporterait au Moyen Orient une plus grande stabilité. C’est tout le contraire. Mais chez ces gens, l’appétit vient en mangeant. Après avoir apparemment réglé le problème de l’Irak sans difficulté, ils cherchent une nouvelle cible. Ils ont immédiatement accusé la Syrie, non seulement de soutenir militairement Bagdad et d’accueillir les leaders du parti Bass, mais aussi de posséder des armes de destruction massive - ce qui, comme on le sait, leur donne automatiquement le droit d’intervenir militairement.

Décidément, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez ces gens. Les néo-conservateurs ont élaboré un agenda qui, s’ils s’y tenaient, plongerait le monde dans un chaos généralisé. Ils sont depuis longtemps en contact avec les éléments les plus extrémistes de la droite sioniste israélienne, avec lesquels ils semblent partager le désir de renverser les régimes arabes existant et de balkaniser l’ensemble du Moyen Orient. Le fait qu’un tel plan impliquerait de renverser les régimes pro-occidentaux d’Egypte et d’Arabie Saoudite, et de provoquer le chaos et la guerre dans toute la région - ce fait ne semble pas les troubler le moins du monde.

Les porte-parole de ce courant expliquent publiquement qu’après avoir envahi l’Irak, l’armée américaine devrait immédiatement envahir la Syrie, l’Iran et l’Arabie Saoudite. Ils sont fermement convaincus que cela déclancherait un « effet domino » dont le résultat serait l’établissement de régimes « démocratiques » dans tout le Moyen Orient, ainsi que la paix et la prospérité sous l’égide bienveillante de la loi du marché - en tout cas sur le long terme. Mais comme l’expliquait Keynes, le problème, avec le long terme, c’est qu’on sera tous morts.

Le fait que des gens de cette sorte puissent occuper des postes de responsabilité publique - sans parler de la Maison Blanche - est symptomatique de la décadence du capitalisme américain. Ils ne comprennent ni la réalité du Moyen Orient ni la politique en général. Bien sûr, ils ne sont pas responsables de la crise du système capitaliste, mais leur comportement va certainement exacerber cette crise et lui donner un caractère particulièrement explosif.

Une guerre contre la Syrie conviendrait parfaitement à Sharon : elle ouvrirait aux capitalistes israéliens la perspective de se saisir de l’ensemble du Golan, et saperait les bases de soutien du Hezbollah. Mais elle déstabiliserait l’ensemble du monde arabe. Elle menacerait d’impliquer Israël militairement, ce qui déstabiliserait l’Arabie Saoudite et l’Egypte. Et le gouffre entre la Russie et les USA s’élargirait.

Par conséquent, au grand désespoir de Tel Aviv, l’administration américaine a dû renoncer - pour le moment - à attaquer la Syrie. Pour se soulager, elle maintient une énorme pression sur Damas. Et pour forcer le gouvernement syrien à faire ce qu’elle veut, elle n’hésite pas à recourir au chantage et à l’intimidation.

La question palestinienne

Pour calmer l’opinion arabe - et son « ami » Tony Blair, qui a désespérément besoin d’améliorer son image auprès de la population britannique -, Bush a suggéré qu’il y aurait peut-être une solution au problème palestinien. Ce n’est rien d’autre, en réalité, que de la propagande vide de contenu. La droite des Républicains admire Sharon et le soutient avec grand enthousiasme. Après tout, Israël est le seul allié fiable des USA dans le Moyen Orient. Le clash avec la Turquie n’a fait que souligner ce fait.

Après l’effondrement de l’URSS, Washington a eu le sentiment d’avoir moins besoin des services d’Israël. Les impérialistes américains voulaient de meilleures relations avec les régimes arabes comme l’Egypte et l’Arabie Saoudite, et ont mis la pression sur le gouvernement travailliste de Tel Aviv pour qu’il fasse des concessions aux Palestiniens. Mais ces concessions n’ont pas été très nombreuses et la seconde Intifada a éclaté.

Il ne fait aucun doute que l’administration américaine aimerait bien régler le problème palestinien. Mais elle n’est pas prête, pour se faire, à s’aliéner Israël. L’actuelle administration est encore moins disposée que celle de Clinton à exiger des choses de son ami Sharon, et la position de Sharon est très claire. Bien qu’il fasse quelques déclarations « conciliantes » pour les caméras, sa ligne est la suivante : ce qu’on a, on le garde.

La soi-disant « feuille de route » vers un Etat palestinien n’est qu’une imposture. Toutes les exigences reviennent aux Palestiniens. Aucune exigence sérieuse n’est adressée à Sharon. L’Autorité palestinienne est obligée de se « réformer », c’est-à-dire en fait de placer la marionnette américaine Abu Mazen (Mahmoud Abbas) à un poste clé, et doit promettre de « stopper toute violence » comme préalable aux négociation avec le gouvernement israélien. Par conséquent, Sharon ne va bas bouger d’un pouce, et toute la situation restera bloquée.

D’autre part, les demandes adressées aux occupants israéliens sont très maigres. On ne leur demande pas de démanteler des colonies, mais seulement d’interrompre la construction de nouvelles. On ne leur demande pas de retirer leur armée des territoires occupés, mais seulement des villes. Même s’ils le font, cela ne signifiera qu’un retrait de quelques kilomètres. Ils pourront revenir quand ils le voudront.

Dans le même temps, le gouvernement israélien construit un mur qui va séparer physiquement les territoires israéliens et palestiniens. C’est supposé être une mesure de sécurité, mais en réalité cela va donner à Israël les moyens de contrôler complètement toutes les entités palestiniennes. C’est déjà en partie le cas, puisqu’Israël ouvre et ferme sa frontière quant elle l’entend, privant ainsi de revenus les Palestiniens qui travaillent en Israël. Le mur renforcera ce pouvoir.

Les impérialistes israéliens ne permettront jamais que soit crée un Etat palestinien le long de sa frontière. Si un tel Etat était crée, ce ne pourrait être qu’un Etat satellite entièrement dépendant d’Israël et dirigé par des agents qui auraient pour fonction d’imposer sa volonté aux Palestiniens. Cela n’apportera pas la paix mais seulement de nouveaux bouleversements, y compris des conflits fratricides entre Palestiniens.

Ni les impérialistes, ni la classe capitaliste ne peuvent résoudre le problème palestinien. Ce qui le prétendent se trompent et trompent le peuple. Cette question demeurera une source permanente de guerres et de conflits, au Moyen Orient, jusqu’à ce que l’Etat impérialiste israélien soit renversé. Mais pour cela il faut un mouvement impliquant arabes et juifs, ce qui n’est possible que sur la base d’un programme et d’une politique socialistes. Sur la base du capitalisme, le problème palestinien est simplement insoluble.

Au Moyen Orient, le problème central est la faiblesse des forces socialistes. Par le passé, les Staliniens ont mis en avant la soi-disant théorie des deux étapes, et ont subordonné la classe ouvrière aux nationalistes pro-capitalistes, ce qui a désorienté les travailleurs et la jeunesse. L’une des conséquences fut la montée en puissance du fondamentalisme islamique, qui a mené le mouvement dans une impasse.

Il n’y a pas d’issue pour les peuples du Moyen Orient sur la base du capitalisme. Il ne leur apportera que la stagnation économique, la pauvreté, le chômage et les guerres. Par contre, sur la base d’une fédération socialiste qui utiliserait les vastes ressources de cette région dans l’intérêt des ses peuples, elle possèderait tout ce qu’il faut pour devenir prospère, avec un haut niveau de vie et une culture foisonnante. Sur de telles bases, tous les vieux conflits disparaîtraient et le désert fleurirait.

C’est la seule perspective qui mérite qu’on se batte et qu’on meure pour elle. C’est la perspective de la révolution socialiste.

L’émergence de nouvelles contradictions

De nouvelles contradictions ne cessent d’émerger à l’échelle mondiale. Il y a partout une énorme instabilité, qui reflète la profondeur de la crise du capitalisme. A tous les niveaux nous voyons des scissions et des ruptures. Toutes les institutions internationales établies après 1945 sont désormais en crise : l’ONU, l’OTAN, l’Union Européenne, le G8. Et il y a surtout un gouffre toujours plus large entre les Etats-Unis et l’Europe. Il est difficile de voir comment ces divisions vont être résolues à court terme.

Les impérialistes américains sont gonflés de leur sentiment de puissance. Ils sont arrogants même avec leurs amis. Après avoir suivi comme un esclave les dictats de Washington, les impérialistes britanniques se retrouvent oubliés par leurs alliés outre-Atlantique. Comme nous l’avions prévu, ils n’auront rien, ou presque rien, lorsque le butin sera partagé. Les grandes compagnies américaines garderont tout pour elles.

Conscients de leur délicate situation, Blair et compagnie essayent de renouer des rapports avec les gouvernements français et allemands. Mais, pour l’instant, cela ne marche pas beaucoup. Paris et Berlin considèrent, à juste titre, qu’ils ont été trahis et qu’on ne peut pas compter sur le « perfide Albion ». Il n’y a pas si longtemps, les Français et les Britanniques parlaient d’une collaboration sur la Force Européenne de Défense - en partie pour tenter de constituer un contrepoids à l’Allemagne. Mais il y a eu depuis un changement en Europe. La France s’est éloignée de la Grande Bretagne pour se rapprocher de l’Allemagne.

Paris et Berlin considèrent la Grande Bretagne comme un outil de l’impérialisme américain en Europe. Les dirigeants américains et les britanniques manoeuvrent avec les gouvernements de droite d’Espagne et d’Italie, mais aussi avec les nouveaux Etats d’Europe de l’Est, pour constituer un bloc contre la France et l’Allemagne. En réponse, les Français et les Allemands forment un bloc avec la Belgique et le Luxembourg. Le pouvoir de la France et de l’Allemagne est tel que la Grande Bretagne va très vite se trouver isolée en Europe, surtout que les gouvernements de droite à Rome et à Madrid ne dureront pas longtemps, et que l’Allemagne domine l’Europe de l’Est sur le plan économique.

La soi-disant « unité » de l’Europe apparaît comme très fragile et instable. Les gouvernements français et allemand ont eu l’occasion de s’effrayer de la puissance de feu américaine pendant la guerre au Kosovo. Leurs craintes se sont depuis aggravées. Ils ont décidé de hâter l’élaboration d’une Force Européenne de Défense, mais cela a de suite mené à une crise avec la Grande Bretagne, qui demande que cette nouvelle force ne soit pas une rivale de l’OTAN (des USA). Or il s’agit précisément de cela !

Les impérialistes américains accusent les gouvernements français et allemands de vouloir les exclure de leurs projets militaires. Mais c’est précisément ce qu’ils ont fait eux-mêmes aux Allemands et aux Français tant au Kosovo qu’en Irak. Les groupes rivaux d’impérialistes sont déterminés à poursuivre leurs intérêts sur la scène mondiale - mais leurs intérêts ne coïncident en aucune manière. L’intervention américaine au Moyen Orient et en Afrique est un coup dur pour les intérêts français. Soit dit en passant, ces scissions et conflits entre les différentes puissances impérialistes font apparaître comme totalement absurde l’idée selon laquelle nous serions face à une sorte d’impérialisme supra-national - ou « Empire ».

Pour faire contrepoids aux USA, les impérialistes français et les allemands cherchent à construire une alliance avec Moscou. Poutine n’a rien retiré de sa politique conciliante à l’égard de Washington. Les Américains empiètent sur des sphères d’influences traditionnelles de la Russie en Asie Centrale et dans le Caucase. En Irak, ils menacent directement les intérêts pétroliers de la Russie. C’est pourquoi la Russie s’est opposée à l’aventure américaine en Irak et veut constituer un bloc avec la France et l’Allemagne.

La fermeté de ces alliances est une tout autre question. Ce genre d’alliances a tendance à changer en même temps que les intérêts de ceux qui les forment. Les impérialistes français et allemands vont tenter de soigner leurs rapports avec Moscou. Les Américains, eux, feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher la consolidation de cette alliance. Leur succès dépendra du nombre de concessions qu’ils seront prêts à faire à la Russie. Pour l’heure, ils n’en ont pas faites beaucoup.

Bush a envoyé Blair en mission à Moscou pour sonder les intentions du gouvernement russe. Mr Blair aime croire qu’il a des relations spéciales avec Poutine, de même qu’avec Bush. Mais en réalité ses « relations spéciales » avec le président des Etats-Unis sont celle du valet avec son maître. Vladimir Poutine est bien conscient de cela, et il n’a pas apprécié de recevoir la visite du secrétaire plutôt que du patron. Il a pris sa revanche en ridiculisant publiquement Tony Blair au cours d’une conférence de presse : il lui a demandé ou étaient les armes de destruction massive irakiennes. Il n’a pas obtenu de réponse.

La crise de l’économie mondiale

En dernière analyse, les conflits entre les différentes puissances impérialistes et la conduite de l’impérialisme américain reflètent la crise mondiale du capitalisme et la stagnation de forces productives entravées par les limites de la propriété privée et de l’Etat national.

Contrairement à ce que beaucoup de gens attendaient, la fin de la guerre n’a pas eu pour effet de stimuler la croissance économique. Tous les analystes économiques ont dû réviser à la baisse leurs prévisions de croissance. Le FMI a ramené ses prévisions pour la croissance de l’économie mondiale de 3,7 à 3,2 % (pour l’année 2003).

L’économie américaine est supposée croître de 2,2 % en 2003, et ce alors qu’elle n’a cru que de 1,6 % (en rythme annuel) au premier trimestre. Dans ce pays, le nombre de chômeurs augmente rapidement : de 357 000 en février et 108 000 en mars. Par ailleurs, la clé de la croissance économique a toujours été l’investissement productif. Or, aux Etats-Unis, après avoir augmenté de 10 % par an entre 1996 et 2000, l’investissement a chuté en 2001 et 2002 de 5,5 % par an.

Il n’y aura pas de reprise de l’économie américaine tant que l’investissement ne remontera pas. Mais cela dépend à son tour d’une reprise sur le terrain des profits, ce qui n’est nulle part en vue. L’existence d’une surproduction - ou "surcapacité" - massive exerce une pression baissière sur les prix et les profits. Le taux d’utilisation de la capacité productive américaine est approche de niveaux historiquement bas.

Les nombreuses réductions des taux d’intérêt ont permis, dans une certaine mesure, de relancer le crédit. Mais cela ne saurait durer. Comme l’expliquait Marx, le crédit a pour effet d’étendre pour un temps le marché au-delà de ses limites naturelles. Mais, tôt ou tard, l’argent emprunté doit être remboursé - avec les intérêts. Le processus finira donc par atteindre ses limites et commencer partir dans l’autre sens, aggravant la sévérité de la crise.

La crise sera renforcée par le fait que, durant la dernière phase de croissance, le système a dépassé ses limites et crée de sérieux déséquilibres qui devront finalement être corrigés. Ce processus sera douloureux. D’habitude, à la fin d’une récession, les entreprises enregistrent un petit surplus financier. Or, pour le moment, les compagnies américaines sont toujours profondément dans le rouge.

Le budget fédéral américain, qui était positif sous Clinton, est aujourd’hui négatif. Et quelle solution George Bush propose-t-il ? D’une part, une augmentation massive des dépenses militaires, et d’autre part un programme de réduction d’impôts à hauteur de 726 milliards de dollars. Alan Greenspan a suggéré que cette politique était indéfendable, ce qui lui a immédiatement valu les foudres de la droite du Parti Républicain, dont certains membres sont allés jusqu’à demander sa démission. Finalement, le Congrès n’a approuvé que la moitié du programme de réduction d’impôt, mais la « Victoire de Bagdad » ne tardera pas à exiger de nouvelles dépenses.

Non seulement l’endettement privé et des entreprises atteint un niveau sans précédant ; non seulement le déficit budgétaire est énorme et continue de croître, mais il en est de même du déficit des paiements courants. Il s’élève désormais à 5 % du PIB, et l’on estime qu’il devrait atteindre jusqu’à 7 ou 8 % du PIB. En d’autres termes, les Etats-Unis sont lourdement endettés et subventionnent la consommation intérieure au détriment des monnaies étrangères.

Cette situation défie les lois économiques les plus élémentaires. C’est clairement insoutenable à terme. De fait, si un autre pays que les USA présentait de telles statistiques économiques, le FMI frapperait à sa porte et exigerait la mise en place d’une politique d’austérité. Mais les USA ne sont pas n’importe quel pays. Ceci dit, ça ne peut tout de même pas durer. Tôt ou tard, le capital étranger qui s’est précipité aux Etats-Unis se précipitera hors des Etats-Unis, ce qui provoquera une chute brutale du dollar et plongera l’économie mondiale dans une crise sérieuse.

Stephen Roach, l’économiste en chef de Morgan Stanley, a prévenu que l’économie mondiale était sur le point de s’effondrer. Le problème, c’est que seule l’économie américaine a le poids nécessaire pour sortir l’économie mondiale de la récession. Par le passé, le Japon et l’Allemagne jouaient, aux côtés des USA, le rôle de moteurs de l’économie mondiale. Mais ce n’est plus le cas.

En Europe, l’investissement se contracte depuis le milieu de l’an 2000. La France et l’Allemagne ont toutes deux des déficits budgétaires supérieurs à ce qu’autorise le très mal nommé « pacte de stabilité et de croissance ». L’Italie est en train de suivre la même voie. Cela détruit complètement les anciens objectifs officiels pour la zone euro, à savoir 0,3 % de déficit en 2002 et 0 % en 2003. Au lieu de cela, nous avons un déficit moyen de 2,3 % en 2002, et les dirigeants européens parlent d’un retour à l’équilibre pour 2006 au plus tôt.

Comme nous l’avons expliqué de nombreuses fois, la tentative d’unifier des économies qui suivent leur propre direction en les forçant à accepter un système monétaire rigide - cette tentative est vouée au désastre, en particulier lors d’une récession. C’est désormais très clair. Ils ne peuvent réduire les taux d’intérêts comme ils en auraient besoin ; ils doivent réduire les dépenses et augmenter les impôts - ce qui, en période de récession, est précisément le contraire de ce qu’ils devraient faire, d’après les vieilles recettes économiques.

Dans ce contexte, la Commission Européenne prévient que les perspectives économiques « demeurent sombres à court terme ». L’économie allemande croît encore moins que celle du Japon. On en attend pas mieux que 0,5 %, contre 0,8 % au Japon, 1,0 % en Italie, 1,7 % en France et 2,2 % en Grande Bretagne. Schröder demande des coupes sombres dans les dépenses sociales, ce qui provoquera des conflits au sein du SPD. Il y a désormais plus de 4 millions de chômeurs en Allemagne, et ça ne va pas s’arrêter là. Les profits du secteur bancaires sont faibles, de nombreuses entreprises font faillite et les cours boursiers sont en baisse.

Lors de la récession de 1990-91, la chute a été amortie par la croissance des « Tigres » asiatiques. Ce n’est plus le cas. L’économie asiatique a crû de 6 % l’année dernière, mais les prévisions ont été révisées à la baisse, en partie à cause du SRAS, mais en partie aussi du fait des incertitudes qui pèsent sur l’économie mondiale. Morgan Stanley avait d’abord annoncé 5 % de croissance, mais n’annonce plus que 4,5 %.

Les perspectives sont encore assombries par la chute du tourisme et des secteurs qui lui sont liés, tels le transport aérien et l’hôtellerie. Ici aussi, la chute n’est que partiellement liée à la guerre, au terrorisme et au SRAS : elle reflète aussi l’humeur générale de déclin et d’incertitude qui gagne l’activité économique. Ces dernières semaines, la compagnie aérienne Qantas (Australie) a annoncé une coupe de 1000 emplois, et Cathay Pacific a annoncé la suppression de 23 % de ses vols. Aux USA, les pertes de ce secteur sont encore plus importantes.

Dans ce contexte de surproduction, de chute de la demande et de manque de marchés, les antagonismes entre les différentes économies capitalistes et blocs économiques s’intensifient. Le moindre marché déclanche des luttes féroces, et il en est de même pour les matières premières et les sphères d’intérêts. Les contradictions entre l’Europe et les USA sont particulièrement profondes.

Dans l’hypothèse d’une crise, d’une grave chute du dollar et des bouleversements conséquents dans les marchés monétaires internationaux, les structures fragiles du marché mondial subiront de fortes pressions. Voilà ce qui inquiète le plus les stratèges du Capital. Ils ont compris que la dépression mondiale des années 1930 plongeait ses racines dans des tendances protectionnistes, qui se sont manifestées par toute une série de dévaluations compétitives.

La montée en puissance du marché mondial, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a été la clé de la survie du système capitaliste. La mondialisation a clairement joué le rôle d’une puissante stimulation sur l’économie mondiale. Mais il serait faux de penser que ce processus ne peut pas être renversé. Il s’est effectivement renversé entre les deux guerres mondiales, et il n’y a absolument aucune raison de croire qu’il ne pourra pas en être de même dans les années à venir.

L’Europe et les Etats-Unis

Les tensions entre l’Europe et les Etats-Unis, mais aussi entre ces deux pays et le Japon, gagnent chaque jour en intensité. En d’autres temps, cela aurait fini par une guerre. Mais aujourd’hui, la supériorité militaire et technologique de l’impérialisme américain est telle que cette perspective est exclue. Les capitalistes européens ne peuvent rien faire d’autre que maudire leur impuissance - en tout cas pour le moment.

Une guerre entre l’Europe et les Etats-Unis est impossible. Mais une guerre commerciale est possible. Dans le contexte d’une chute brutale de l’économie, les contradictions entre l’Europe et les Etats-Unis pourraient mener à un renforcement des tendances protectionnistes - qui se sont déjà manifestées sur les questions, notamment, de l’agriculture et de l’acier. Cela aurait un effet désastreux sur le commerce mondial. Et cela ferait peser la menace d’un retour à des politiques économiques ultra-protectionnistes du type d’avant 1945.

Le fait que les capitalistes allemands et français relancent le projet d’une défense européenne est un symptôme de la gravité du conflit. Ils ne font pas confiance à l’impérialisme américain pour protéger leurs intérêts. Précisons que cela n’a rien de progressiste. Il s’agit seulement d’un clash entre deux groupes de gangsters impérialistes : les perdants seront, comme toujours, les travailleurs de tous les pays.

C’est partout la même histoire : les fusils avant le beurre. La nouvelle étape de la crise mondiale du capitalisme sera caractérisée par des bouleversements politiques et sociaux affectant un continent après l’autre. Les guerres vont se succéder. La conséquence incontournable de ces convulsions sera la croissante militarisation du monde.

Quelles conclusions les différentes nations sont elles supposées tirer de la guerre en Irak ? Surtout celle-ci : elles doivent posséder aussi vite que possible la bombe atomique et d’autres armes de destruction massive. C’est la conclusion qu’a tirée la Corée du Nord. Les nord-coréens disent : pour échapper au sort qu’a connu l’Irak, nous devons développer notre puissance nucléaire.

Il y a une certaine logique dans tout cela. Les impérialistes américains, qui menacent la Syrie et l’Iran, ne semblent pas pressés d’attaquer la Corée du Nord ! Ils en viendront sans doute à une sorte de compromis à l’appui d’une grande somme d’argent, ce qui coûtera toujours moins cher qu’une guerre contre un ennemi qui n’a pas seulement l’arme atomique, mais les moyens de la jeter sur la Corée du Sud, le Japon, et peut-être même la côte Ouest des Etats-Unis.

Israël possède déjà l’arme nucléaire (mais il ne faut pas en parler...), de même que l’Inde et le Pakistan. Il est possible que l’Iran n’en soit pas loin, notamment grâce à l’aide de la Russie. Le Japon ne tardera pas à ressentir le besoin d’acquérir une petite assurance nucléaire bien à lui. Toute l’Asie est un champ un bataille sur lequel les grandes puissances - USA, Chine, Japon - vont se battre pour la domination. Les conséquences pour l’humanité risquent d’être épouvantables.

Le coût de ces nouvelles armes sera supporté par la classe ouvrière. Par exemple : la Force Européenne de Défense, pour être efficace, devra se situer à un niveau technologique voisin de celle des USA. Or cela coûtera très cher. La note passera sous formes d’impôts et de coupes sombres dans les budgets affectés au logement, à la santé, à l’éducation, etc... Les capitalistes expliquent qu’ils n’ont pas les moyens de payer ces choses, mais ils en dépensent des tonnes lorsqu’il s’agit d’offrir de nouveaux joujoux à leurs généraux.

Les capitalistes de tous les pays expliquent qu’ils ne peuvent se permettre d’augmenter les salaires et d’assurer des conditions de vie décentes à la masse de la population. Mais les travailleurs, de leur côté, ne peuvent supporter de nouvelles attaques. Ils en ont subi pendant des années. Il y a une limite à la patience des salariés, et elle est partout en train d’être franchie.

Les manifestations massives qui, avant le début de la guerre, ont envahi les rues de Londres, Rome, Madrid et ailleurs, sont un indice clair du fait que quelque chose est en train de changer dans la société. D’où venaient ces millions de manifestants ? Pour quelqu’un qui ne comprend pas la dialectique marxiste, cela semblait être un éclair surgi d’un ciel bleu. Mais il n’en était rien.

C’était le résultat d’une longue période au cours de laquelle les travailleurs ont plus ou moins silencieusement accumulé leur mécontentement. Le problème consistait en l’absence de moyens évidents d’exprimer ce mécontentement. En se pliant à la pression du patronat, les dirigeants des grands partis de gauches et des syndicats sont allés si loin vers la droite qu’ils se sont aliénés la jeunesse et la classe ouvrière - ce qui leur a permis d’aller encore plus à droite. Mais tout processus a ses limites, et celui-ci ne fait pas exception.

L’explosion du ressentiment des populations, pendant la guerre, n’a fait que révéler la profondeur du processus. La quantité s’est transformée en qualité. Ces manifestations de masse n’étaient qu’une indication de la radicalisation qui va balayer le monde entier dans la période à venir. Ce phénomène plonge ses racines dans la période précédente. Récemment éveillées à la vie politique, les travailleurs disent au vieil appareil politique : « on en a assez ! On n’ira pas plus loin ! »

Ceci dit, le mouvement anti-guerre a montré la faiblesse et les limites de l’action spontanée. Les millions de manifestants pouvaient sentir leur force collective et gagner en confiance. Mais ils ont aussi pu constater que les manifestations, en elles-mêmes, n’ont rien résolu. Il faut à présent aller plus loin que les manifestations et passer à des actions plus concrètes, telles que la grève générale.

On voit se dérouler un processus similaire sur le front industriel. Les grèves générales en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal, les vagues de grèves en France, les grandes grèves d’IG Metal et autres en Allemagne, l’agitation dans les syndicats britanniques (qui a abouti à la défaite de l’aile droite dans un congrès local après l’autre) : tous ces événements montrent que quelque chose est en train de changer dans la classe ouvrière et ses organisations.

Tous ces symptômes expriment l’humeur qui règne dans la société. Les gens ne sont pas heureux et rassasiés. Ce sont là les bases d’un nouveau mouvement de critique. Même les Etats-Unis connaissent ce phénomène, qui s’approfondira dans la période à venir, dans la mesure où les gens réaliseront que les élites bien portantes qui les dominent ne représentent ni ne peuvent représenter leurs intérêts. Les bases d’une explosion de la lutte des classes sont posées.

Lorsque la deuxième guerre mondiale s’annonçait, Léon Trotsky a prédit que les USA en sortiraient victorieux et deviendraient la première puissance impérialiste du monde. Mais il ajoutait que ses fondations seraient truffées de dynamites. C’est aujourd’hui pleinement le cas. George W. Bush explique à qui veut l’entendre que la guerre est terminée. Mais en réalité la guerre ne fait que commencer. Il y aura toute une série de chocs, qui tôt ou tard affectera la conscience de millions de personnes - y compris aux Etats-Unis.

Nous sommes entrés dans une période de lutte décisive à l’échelle mondiale. Où que l’on regarde, de l’Amérique latine au Moyen Orient, le système capitaliste connaît une grave crise. On assiste à un réveil de la classe ouvrière et de la jeunesse. Ce qu’il faut, c’est donner à ce mouvement le programme et la politique dont il a besoin pour aboutir. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir. Mais nous sommes dores et déjà autorisés à tirer cette conclusion : le mouvement en direction de la révolution mondiale a commencé.

Cela ne veut pas dire que la révolution est immédiatement à l’ordre du jour dans tous les pays. Après une longue période pendant laquelle la lutte des classes s’est tenue à un niveau relativement bas dans les grands pays capitalistes, la classe ouvrière a besoin de temps pour se dégourdir les membres. La nouvelle génération est inexpérimentée, et devra passer par toute une série de luttes partielles pour acquérir la compréhension nécessaire des tâches posées par l’histoire.

Ce ne sera pas une époque facile. Il y aura aussi bien des victoires que des défaites. Des périodes de grandes conquêtes seront suivies de périodes de fatigue, de déception, et même d’une certaine réaction. Mais chaque pas en arrière ne fera que préparer la voie à de nouvelles montées en puissance de la lutte des classes. La raison en est que le capitalisme n’est plus aujourd’hui capable de garantir aux travailleurs le genre de réformes et concessions qui ont accompagné la longue croissance économique d’après 1945. Les réformes et les augmentations de salaire se feront au prix d’une lutte âpre entre le travail et le capital.

Graduellement, lentement, douloureusement, la classe ouvrière, et d’abord son avant-garde, commenceront à tirer les conclusions révolutionnaires qu’impose la situation. Ce processus de développement de la conscience politique des masses ne peut venir que de l’expérience de grands évènements. Cela doit à un moment donner trouver son expression dans les organisations traditionnelles de ces mêmes masses.

Les organisations de masse de la classe ouvrière, à commencer par les syndicats, seront remuées de fond en comble. La capacité de marxistes à gagner l’attention de la jeunesse et des travailleurs sera déterminée par leur capacité à intervenir de manière décisive dans cet processus inéluctable.

Tôt ou tard, dans un pays après l’autre, la question du pouvoir va se poser. Or, le développement de l’économie mondiale est allé si loin que la lutte des classes a plus que jamais un caractère international. Les révolutions de 1848-49 étaient confinées à l’Europe. La révolution russe de 1917 a eu d’énormes répercussions, non seulement en Europe, mais aussi en Asie et dans le Moyen Orient. C’était les « dix jours qui ont ébranlé le monde ». Aujourd’hui, une seule révolution victorieuse - en particulier dans un pays clé - aura de grands effets dans le monde entier.

La victoire de la révolution socialiste serait beaucoup plus facile s’il existait une tendance marxiste avec de claires perspectives révolutionnaires et un bon enracinement dans les organisations de masse du salariat. Le renforcement d’une telle tendance, à l’échelle internationale, est la tâche la plus urgente. Sur la base d’une sérieuse compréhension des perspectives, de la tactique, de la stratégie et de la théorie, l’expérience de la jeunesse et des travailleurs suffira à assurer la victoire.

La classe ouvrière et la jeunesse sont déjà en train d’apprendre à partir de leur propre expérience. Mais cela ne suffit pas. C’est notre devoir de les aider à tirer toutes les bonnes conclusions, de participer coude à coude à tous les combats, et de créer les conditions nécessaires pour mener la lutte des classes à son terme.

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