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Avant que la crise sanitaire et économique ne révèle, une nouvelle fois, la faillite du système actuel, la situation alimentaire était déjà dramatique dans certaines parties du monde. En 2019, les chiffres étaient en augmentation par rapport à l’année précédente : plus de 135 millions de personnes, réparties dans 55 pays, se trouvaient dans une « situation d’insécurité alimentaire aiguë ». 75 millions d’enfants subissaient des retards de croissance liés à des insuffisances alimentaires, et 17 millions d’enfants souffraient « d’émaciation », c’est-à-dire de maigreurs extrêmes.

Ces chiffres – publiés par l’ONU le 21 avril 2020 – ne dévoilent pas l’entièreté du phénomène. En effet, ce sont au total 821,6 millions de personnes, soit 1 sur 9 dans le monde, qui souffrent de faim « chronique ». Pire : un quart de la population mondiale serait en situation d’insécurité alimentaire.

Les crises les plus graves sont générées en premier lieu par les conflits militaires (ce qui aurait entraîné 77 millions de personnes en « situation d’insécurité alimentaire aiguë »), le changement climatique (34 millions de personnes) et les turbulences économiques (24 millions). En réalité, on peut réunir ces trois facteurs, car ils prennent tous leur source dans le système économique actuel.

Les pays africains en première ligne

Le continent africain se trouve en première ligne de cette tragédie silencieuse et quotidienne. En 2019, la moitié des personnes souffrant de la faim se situait sur ce continent. Au Soudan du Sud, 61 % de la population est concernée : la perte d’un emploi est synonyme de lutte contre la faim.

Facteur aggravant, plusieurs pays d’Afrique de l’Est (Kenya, Somalie, Ethiopie, Djibouti et Erythrée) doivent affronter une invasion de criquets pèlerins – phénomène accentué par le changement climatique – qui, depuis plusieurs mois, détruit les plantations et précarise encore un peu plus l’approvisionnement alimentaire. Cependant, la véritable faiblesse de ces Etats ne réside pas dans des événements de cette nature. La domination des puissances impérialistes (Chine, Etats-Unis, France, etc.), conjuguée à la complicité des bourgeoisies locales, entrave systématiquement le développement économique de ces pays, condamnant leurs classes exploitées à une misère sans fin.

Enfin, les « aides » des grandes puissances impérialistes sont autant de cadeaux empoisonnés. D’une part, elles renforcent la dépendance des pays qui les reçoivent à l’égard des grandes puissances ; elles ne permettent pas aux populations les plus pauvres d’accéder à l’autonomie alimentaire. D’autre part, ces « dons » permettent souvent d’écouler des surplus (ce que le marché alimentaire n’a pas pu absorber dans les pays riches), résultant de calculs cyniques des grandes multinationales de l’industrie agro-alimentaire.

Les conséquences de la crise actuelle

Si les crises alimentaires ne sont pas nouvelles, la crise économique actuelle va énormément exacerber les difficultés alimentaires dans les pays pauvres – et même dans les pays les plus riches. On s’achemine vers une crise économique et sociale d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale. Les oscillations brutales sur les marchés agricoles mondiaux – et les mouvements de hausse des prix de la nourriture – sont des menaces mortelles qui planent au-dessus des populations les plus démunies.

Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM), le nombre de personnes souffrant de la faim pourrait atteindre environ 260 millions d’ici la fin de l’année 2020. C’est deux fois le chiffre actuel. Et ce n’est là qu’une projection, une hypothèse ; la réalité pourrait se révéler bien pire.

Dans les pays capitalistes les plus développés, ce sont aussi les plus pauvres qui subissent le plus durement la crise. Les familles monoparentales, les salariés précaires, les intérimaires, les retraités pauvres sont touchés de plein fouet. L’explosion du chômage, la fermeture des commerces et des écoles (donc des cantines scolaires) mettent des familles entières dans de grandes difficultés pour subvenir à leurs besoins primaires. De surcroît, pendant le confinement, la pénurie de certains produits de première nécessité obligeait les consommateurs à se rabattre sur des produits plus chers... Et cela pour le plus grand bonheur des patrons de la grande distribution – qui, eux, n’ont pas eu trop de mal à finir leur fin de mois.

Aux Etats-Unis, le chômage avoisine désormais les 15 %. On retrouve des situations analogues en Europe. Ainsi, pour la première fois depuis sa création en 1971, une équipe de Médecins Sans Frontières (MSF) intervient en Grande-Bretagne. Dans les pays européens particulièrement touchés par la crise sanitaire (Grande-Bretagne, Italie, Espagne, France), les demandes d’aide alimentaire ont augmenté de près de 30 %. En France, depuis la mi-mars, le Secours populaire a annoncé avoir aidé 1,27 million de personnes qui n’avaient plus les ressources financières pour se nourrir correctement. L’association souligne que ce chiffre marque une augmentation de 45 % des nouvelles demandes. Samy, un bénévole du Secours populaire de Nice, explique que « le confinement a été le révélateur de cette France de la précarité qui peut basculer à tout moment dans la misère ».

Une crise de longue durée

La classe dirigeante s’inquiète de la crise alimentaire : elle en redoute avant tout les conséquences politiques, car des couches toujours plus importantes de la population cherchent une alternative à ce système qui sème la misère. Flaubert, au XIXe siècle, disait déjà à juste titre : « Ah ! La faim ! La faim ! Ce mot-là, ou plutôt cette chose-là, a fait des révolutions ; elle en fera bien d’autres ! ». Ces paroles se sont vérifiées dans l’histoire. En octobre 1789, c’est sous la menace de la disette que les femmes vont réclamer du pain à Versailles. En février 1917, la révolution russe a commencé, elle aussi, par des manifestations de femmes réclamant « du pain ». De son point de vue de classe, la bourgeoisie peut donc se faire du souci quant à l’impact social et politique de la crise alimentaire.

Cependant, la bourgeoisie n’a pas d’autre choix – de son point de vue de classe – que de poursuivre et intensifier les politiques ayant mené à la catastrophe actuelle, c’est-à-dire les coupes budgétaires, les contre-réformes et les attaques contre les conditions de vie de la jeunesse, des travailleurs, des chômeurs et des retraités. Ces mesures ne feront qu’accroître les contradictions du système actuel.

Aujourd’hui, la production de vivres est largement suffisante, sur le papier, pour nourrir correctement la population mondiale (7,5 milliards de personnes). En fait, des recherches scientifiques montrent que la production alimentaire actuelle pourrait répondre aux besoins de près de 10 milliards de personnes. Mais sous le capitalisme, la satisfaction d’un besoin suppose de pouvoir payer, d’être solvable. On peut mourir de faim au pied d’un magasin plein de nourriture – et de froid au pied de logements vides. Ainsi va le monde capitaliste, avec ses absurdités criantes : alors que les stocks alimentaires mondiaux sont actuellement à un excellent niveau, des populations entières souffrent de la faim. Telles sont les réalités d’un système économique qui valorise le profit au dépens de la distribution de nourriture – et de tout le reste, d’ailleurs.

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