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Depuis la fin du mois de février, des foules immenses de manifestants occupent les rues des villes d’Algérie pour réclamer le départ du président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999. Sous la pression de la rue et après un début de grève générale, Bouteflika, ou plutôt la clique qui se cache derrière sa personne agonisante, a dû faire un semblant de recul en retirant sa candidature aux prochaines élections présidentielles – tout en repoussant celles-ci à une date inconnue.

Cette annonce n’a pas réussi à démobiliser le mouvement. La grève générale des 25 et 26 mars a renforcé la division de l’appareil d’Etat. A l’heure où nous écrivons ces lignes (27 mars), le général Salah, chef d’Etat-major de l’armée, a annoncé qu’il était désormais favorable au départ de Bouteflika. C’est une tentative du régime de contrôler la « transition ».

Le début d’une révolution

Le mouvement est né le 22 février, après l’annonce officielle de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à sa propre succession. Au pouvoir depuis près de vingt ans, Bouteflika est dans un état quasi végétatif depuis un AVC, en 2013, ce qui ne l’a pourtant pas empêché d’être réélu en 2014. Mais tout le monde comprend que Bouteflika est le paravent derrière lequel se cache la clique de généraux corrompus, de bureaucrates affairistes et de grands patrons qui se partagent – avec les impérialistes – les richesses du pays.

Tous ces pillards ont peur que le remplacement de Bouteflika ne remette en cause les équilibres précaires qu’ils ont tissés entre eux. C’est pour cela qu’ils voulaient un cinquième mandat de leur marionnette. Mais cette nouvelle candidature était la goutte de trop pour la jeunesse et les travailleurs d’Algérie. Ils ont balayé d’un revers de main les menaces d’une nouvelle guerre civile, menaces qui sont brandies par les militaires à l’occasion de chaque mouvement social.

Après plusieurs semaines de manifestations, la grève du 10 mars a bien montré toute la profondeur du mouvement. Elle a touché les transports, l’enseignement, mais aussi le secteur pétrolier, vital pour l’économie algérienne. La mobilisation a aussi brisé l’apparente unité du régime et de ses partisans déclarés. Dès le 5 mars, l’association des anciens combattants de la guerre d’indépendance a annoncé qu’elle passait dans l’opposition. Des juges ont déclaré qu’ils ne valideraient pas une élection à laquelle Bouteflika serait candidat. Des Imams ont refusé de prendre la parole pour soutenir le gouvernement. Dans certaines villes, on a assisté à des scènes de fraternisation entre des policiers et des manifestants. A ce stade, les généraux ne peuvent pas recourir à la force : si l’armée était mobilisée pour écraser le mouvement, ses rangs se diviseraient suivant une ligne de classe. Autrement dit, l’appareil d’Etat serait en miettes, ce que le régime veut à tout prix éviter.

L’Algérie et le « printemps arabe »

Pour obtenir un premier recul du régime, le facteur décisif a été l’entrée en action de la classe ouvrière, sous la forme d’une grève générale. En Tunisie et en Egypte, en 2011, ce sont aussi des grèves générales qui ont contraint les dictateurs à abandonner le pouvoir. Les bourgeoisies de ces deux pays étaient alors terrifiées à l’idée que ces révolutions renversent non seulement les vieux gouvernements corrompus, mais tout l’édifice pourrissant des capitalismes égyptien et tunisien.

On entend souvent que l’Algérie aurait échappé, comme par magie, à la vague du « printemps arabe » de 2010-2011. Mais, en réalité, l’Algérie a été l’un des premiers pays arabes à entrer en mouvement à la fin de 2010. Des milliers de jeunes sont alors descendus dans les rues pour protester contre leurs conditions de vie misérables. Mais le régime avait réussi à regagner le contrôle de la situation en s’appuyant sur l’autorité qu’il conservait dans certaines couches de la population, en agitant le souvenir des années terribles de la guerre civile des années 1990 – et, surtout, en faisant d’importantes concessions économiques.

Manœuvres et radicalisations

A l’époque, les prix élevés du pétrole lui donnaient une certaine marge de manœuvre pour faire des concessions. Mais la chute brutale du prix du baril, en 2014, l’a forcé à remettre l’austérité au premier plan de sa politique. Par exemple, l’âge de la retraite a été repoussé de 55 à 60 ans. Près de 90 % des Algériens ont vu leur niveau de vie baisser depuis 2014. Cette crise profonde a débouché sur une vague de grèves et de manifestations, ces deux dernières années. C’est dans ce contexte que l’annonce de la nouvelle candidature de Bouteflika a mis le feu aux poudres.

La « concession » de Bouteflika (prolonger son quatrième mandat à défaut d’un cinquième) n’a pas affaibli le mouvement. Au contraire, le mouvement révolutionnaire a gagné en confiance ; il a vu qu’il avait contraint le régime à reculer. Au-delà de Bouteflika, les manifestants visent désormais l’ensemble du système. Dans le puissant syndicat ouvrier du pays, l’UGTA, les appels au départ de son secrétaire national Sidi Saïd, partisan inconditionnel de Bouteflika, se multiplient en même temps que les appels à la grève générale.

Cela terrifie la classe dirigeante, qui ne sait pas comment se sortir de cette situation. D’une part, tout remplacement de Bouteflika risque de bouleverser les arrangements fragiles passés entre les cliques rivales de la classe dirigeante. D’autre part, tout recul face à la pression des masses ne fera que renforcer leur confiance et leur détermination.

Inquiétudes impérialistes

Comme lors des révolutions de 2011, les puissances impérialistes sont très inquiètes. Elles redoutent la chute du régime du FLN (Front de Libération Nationale). L’impérialisme français est particulièrement concerné. Alors qu’il exige le départ immédiat du « dictateur » Maduro, au Venezuela, Macron apporte son soutien à la « transition » annoncée – c’est-à-dire contrôlée – par la clique de Bouteflika. Il faut dire que l’impérialisme français a d’énormes intérêts économiques en Algérie. Ainsi, le géant pétrolier Total a signé il y a quelques mois un contrat de 400 millions d’euros pour exploiter un gisement de gaz algérien. Et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres. De champion de la lutte anticoloniale, le FLN s’est transformé en agent local et serviteur de l’impérialisme, notamment français.

Le rôle des travailleurs

La grève générale commencée le 25 mars est un succès. Elle a déjà poussé le général Salah à « lâcher » Bouteflika. Mais c’est aussi une tentative de gagner du temps. Faute de pouvoir écraser le mouvement dans l’immédiat, les généraux sont prêts à écarter Bouteflika – dans le but de préserver l’unité de l’appareil d’Etat. Ils espèrent que l’annonce de Salah mettra fin aux manifestations et orientera la révolution algérienne vers le canal d’une élection dont ils garderont le contrôle, quitte à écraser la contestation plus tard.

Mais Bouteflika n’est que la partie la plus visible du régime. Or celui-ci n’a plus aucune légitimité. Il se réduit aujourd’hui à une bande de parasites vivant du pillage de l’économie algérienne et des subsides que lui versent les impérialistes. La soi-disant « opposition légale » ne vaut pas mieux ; elle n’est qu’un modèle réduit de la clique dirigeante. Elle reflète l’état lamentable de la bourgeoisie algérienne, qui est complètement dominée par l’impérialisme et incapable de faire avancer le pays.

Pour contrer les manœuvres des candidats du régime à la succession de Bouteflika, les travailleurs doivent passer à l’offensive et leur opposer leur propre organisation révolutionnaire. Des comités de grève avec des délégués élus doivent être constitués dans chaque usine, chaque entreprise, chaque quartier et chaque université. Ils doivent être organisés à l’échelle nationale pour porter un coup décisif au régime. Seuls les ouvriers et les paysans d’Algérie font tourner sa société et son économie. C’est à eux de prendre le pouvoir entre leurs mains pour renverser le capitalisme et construire une société libérée de la misère, de l’exploitation et de la corruption.

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