Le 12 décembre dernier, un référendum organisé en Nouvelle-Calédonie donnait une majorité écrasante (96,5 %) aux opposants à l’indépendance de ce territoire. Un tel résultat s’explique simplement : les indépendantistes avaient appelé au boycott du scrutin pour protester contre une série de mesures vexatoires prises par le gouvernement Macron. Alors que la participation avait été supérieure à 80 % lors des deux derniers référendums (novembre 2018 et octobre 2020), elle n’a été, cette fois-ci, que de 43 %. Le gouvernement français se félicite du résultat, mais le problème n’est absolument pas réglé – et ne manquera pas de ressurgir, tôt ou tard.
De la colonisation aux accords de Nouméa
Habitée par le peuple kanak depuis près de trois millénaires, la Nouvelle-Calédonie a été colonisée par la France à partir de 1853. Des terres ont été confisquées aux Kanaks et données à des colons. Cette occupation française suscita de vives résistances. Une insurrection générale, en 1878, fut écrasée : des milliers de Kanaks furent tués ou déportés dans d’autres colonies françaises.
Avec le développement du capitalisme, la Nouvelle-Calédonie est devenue une importante source de matières premières pour l’industrie française. Par exemple, le territoire détient environ 7 % des réserves mondiales de nickel, un minéral crucial pour les industries électrique et électronique.
Tout au long du XXe siècle, le développement économique de cette colonie laisse complètement de côté les Kanaks. Dans les années 50, un dictionnaire décrit même ce peuple comme « en voie d’extinction » ! Après la Deuxième Guerre mondiale, alors que nombre de colonies gagnent leur indépendance, un mouvement indépendantiste se constitue en Nouvelle Calédonie. A partir des années 70, il tente d’abord de « négocier » l’indépendance avec la France, mais se heurte à une répression féroce de la police et de milices de colons. Dans les années 80, plusieurs dirigeants indépendantistes sont assassinés.
Face à l’échec de la « voie légale », un nouveau parti est créé, en 1984, pour gagner l’indépendance les armes à la main : le Front de Libération National Kanak et Socialiste (FLNKS). Il multiplie les coups de main et les attaques « symboliques ». De leur côté, les miliciens anti-indépendantistes tendent des embuscades aux manifestations du FLNKS, cependant que la répression d’Etat s’intensifie. Plusieurs militants du FLNKS sont tués par la police.
En 1988, sur l’île d’Ouvéa, le FLNKS attaque une gendarmerie et prend des gendarmes en otages. A Paris, le gouvernement de Jacques Chirac envoie les forces spéciales. Leur intervention et la libération des gendarmes s’accompagnent d’actes de tortures contre des civils et des prisonniers kanaks.
Après ces événements sanglants, le FLNKS change de stratégie et accepte de négocier avec le gouvernement de Michel Rocard. Les accords de Matignon (1988) puis de Nouméa (1998) prévoient une plus grande autonomie pour la Nouvelle-Calédonie, l’intégration du FLNKS au gouvernement du territoire et l’organisation de plusieurs référendums sur l’indépendance… dans 30 ans ! C’est le dernier de ces référendums qui vient d’avoir lieu. Il marque l’échec de la stratégie du FLNKS.
Le piège du réformisme
Le FLNKS est passé par un parcours très courant parmi les mouvements de libération nationale. Confronté à l’inflexibilité du pouvoir colonial, il s’est orienté vers une stratégie de guérilla. Au lieu d’organiser patiemment la population kanak pour mener des actions de masse et paralyser le pouvoir colonial, de jeunes militants héroïques se sont fait tuer dans des actions « symboliques ». Confrontés à l’impasse de cette stratégie, les dirigeants du FLNKS ont alors basculé dans le réformisme, la « participation » aux instances gouvernementales et la recherche d’une solution négociée avec l’impérialisme français.
La guérilla et le « légalisme » réformiste ont un point commun : ces deux stratégies renoncent à organiser, pour la lutte, la masse des Kanaks – au profit de l’action d’une petite minorité, qui brandit un jour le fusil pour accepter, le lendemain, des portefeuilles ministériels. Au passage, il faut souligner que ces erreurs ont été encouragées par l’attitude de la gauche française sur cette question. Les dirigeants du PS et du PCF ont sacrifié l’auto-détermination des Kanaks à la défense de l’impérialisme français, tandis que de nombreuses organisations ultra-gauchistes appuyaient sans réserve les aventures armées.
Aujourd’hui, le FLNKS est dans une impasse. L’impérialisme français ne veut pas abandonner la Nouvelle-Calédonie, notamment du fait de sa position stratégique face à l’impérialisme chinois. Les dirigeants du FLNKS espéraient sans doute qu’un boycott massif du référendum pousserait Paris à ouvrir de nouvelles négociations. Il n’en est rien : Macron s’est félicité de sa « victoire » – et considère l’affaire comme réglée.
Pour conquérir le droit à l’auto-détermination, le mouvement national Kanak devra abandonner le réformisme et s’engager dans la voie d’une lutte révolutionnaire de masse. Il lui faudra organiser les travailleurs de Nouvelle-Calédonie pour mener une lutte contre le capitalisme français et contre les puissances impérialistes qui lorgnent vers ce territoire. Quant au mouvement ouvrier français, il doit soutenir cette lutte. Nos ennemis sont les mêmes : le capitalisme et l’impérialisme français !