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Le personnel de l’hôpital psychiatrique Paul Guiraud, à Villejuif, a été en grève pendant 199 jours. Foyer historique de luttes (1998 et 2002, notamment), cet hôpital compte plus de 2000 agents. Deux salariés impliqués dans la grève – Mireille Guérin, aide-soignante, et Olivier Contaret, assistant social – ont accepté de répondre à nos questions.


Révolution : Qu’est-ce qui a provoqué la grève dans votre établissement ?

Mireille G. : Le déclencheur a été l’annonce par le directeur, le 23 mai, du passage de la journée de travail à 7h36, au lieu de 8 heures. Il faut savoir que nous avons trois équipes qui se passent le relais : l’équipe de garde la nuit, l’équipe du matin et celle de l’après-midi/début de soirée. La réduction du temps de travail se fait sur le temps inter-équipes, où l’équipe du matin et l’équipe de l’après-midi se retrouvent pour parler des patients. Ce sont aussi les moments de la journée où le nombre de soignants est plus important ; on en profite donc pour faire un certain nombre de choses pour les patients (spécialités médicales, certains entretiens, démarches sociales extérieures, etc.). Or, avec les 7h36, ce temps est réduit de près de 40 min. Cela ne nous permet plus de faire notre travail dans des conditions acceptables – au détriment des patients.

Olivier C. : Tout part des accords de 2002 sur les 35 heures (RTT). Chaque établissement hospitalier a négocié ses propres accords sur les 35h, ce qui a abouti de fait à une inégalité de traitement sur tout le territoire entre personnels soignants. A Paul Guiraud, nous avions obtenu un accord relativement correct. Je dis « relativement », car nous dépassions en réalité souvent les 40h par semaine. Or avec le passage de la journée à 7h36, non seulement nous perdons 10 jours de repos, mais le salaire des soignants diminue car cela impacte les heures des dimanches et jours fériés.

Révolution : Comment s’est organisé le mouvement ?

Mireille G. : Le 2 juin, l’assemblée générale du personnel (plus de 500 personnes) a voté la grève générale illimitée. L’intersyndicale regroupait la CGT, SUD, FO et la CFDT. Puis on a décidé d’aller occuper les bureaux de la direction. Au bout de deux jours, nous avons été assignés au tribunal. L’occupation des bureaux de la direction de l’hôpital a duré un mois, jusqu’à la deuxième assignation au tribunal administratif. Les syndicats ont alors été condamnés à payer des amendes. Le juge nous a aussi condamnés à enlever notre piquet de grève de la cour d’honneur, alors qu’il ne gênait pas le passage. Mais comme il était bien visible, il était trop dérangeant ! Une astreinte de 300 € par personne et par jour supplémentaire d’occupation de la cour d’honneur a été fixée. On a quand même gardé notre piquet de grève ; on l’a juste déplacé. Pour endiguer le développement de la grève, la direction de l’hôpital a également émis une assignation permanente à tous les soignants, pour les obliger à assurer le service minimum.

Olivier C. : Il est clair que depuis le début, la direction a choisi comme stratégie l’intimidation et la criminalisation de l’action syndicale. Cela n’a fait que renforcer notre détermination. Pendant l’été, nous avons mené plusieurs actions à l’extérieur de l’hôpital, notamment des blocages des voies de circulation et des opérations escargots. Cela a obligé le Directeur à revenir précipitamment de ses congés. Excédé par le climat social très tendu à son égard, il a fuit fin août, non sans avoir publié sa note entérinant le passage aux 7h36. Nous avons décidé de la combattre de deux façons : en continuant des actions, mais aussi en ouvrant les négociations avec la nouvelle directrice par intérim nommée par l’ARS (Agence Régionale de Santé).

Révolution : Comment se sont passées ces négociations ?

Olivier C. : Nous avons cru à la discussion. La directrice semblait ouverte à nos propositions et nous étions prêts à faire quelques compromis. Nous refusions toujours la journée de 7h36, mais nous acceptions de diminuer nos jours de congé, à savoir une perte de 3 jours (au lieu de 10).

Mireille G. : Nous avons travaillé début octobre sur un projet de propositions que la directrice devait présenter à l’ARS. Mais au dernier moment, elle a fait volte-face, en nous disant que c’était une question politique et que notre projet ne pouvait plus être discuté. Elle a rompu les négociations le 15 octobre.

Révolution : Les négociations rompues, qu’avez-vous fait ?

Olivier C. : Nous avons continué les actions avec, pendant cinq jours, un blocage filtrant les admissions. Nous avons paralysé l’hôpital tout en laissant passer les patients qui en avaient le plus besoin. Et là, pour la troisième fois, la direction a saisi le tribunal administratif.

Mireille G. : Du coup, le 23 octobre, les syndicats ont encore été condamnés à une amende, malgré le non-lieu rendu. Cela a conduit à l’éclatement de l’intersyndicale, car la CGT, FO et la CFDT ne voulaient plus payer de frais juridiques. Seul le syndicat SUD a décidé de poursuivre le mouvement avec les agents.

Olivier C. : Alors, en assemblée générale du personnel, on a décidé de continuer la grève et les actions de sensibilisation en direction de la population. Bien que la majorité du personnel ne soit pas syndiquée, la grève a été reconduite à chaque assemblée générale.

Mireille G. : Ce mouvement est aussi l’expression d’un ras-le-bol général concernant nos conditions de travail. Les 12 heures de coupure entre deux services ne sont quasiment jamais respectées. Nous faisons déjà beaucoup de travail gratuit et subissons sans cesse des rappels sur nos jours de repos. Le passage à la journée de 7h36 a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Nous ne voulons pas nous transformer en robots et traiter le patient comme une variable financière. Ce n’est pas la vision que nous avons de notre métier et du service public.

Révolution : Quelles sont vos perspectives ?

Olivier C. : Le piquet de grève a été levé le 17 décembre car la direction de l’établissement a trouvé une jurisprudence lui permettant de rendre caduque cette grève et a de nouveau menacé les derniers grévistes d’une nouvelle assignation au Tribunal administratif. Ne pouvant encore engager des frais, nous avons décidé de faire une pause le temps des fêtes de fin d’année et de reprendre le mouvement à la rentrée. Une réunion avec les cadres de l’établissement, harcelés et méprisés par la direction et devant appliquer à marche forcée des décisions arbitraires, est déjà prévue début janvier.

Dans notre secteur, la grève n’est pas facile à cause du service minimum. Nous avons du mal à faire connaître notre mouvement, qui n’est pas relayé par les médias. Et même si nous avons organisé des collectes, des concerts pour alimenter le fond de lutte avec l’aide du syndicat SUD, les salaires des personnels en grève ont été amputés en juillet de 200 à 1 000 euros pour certains. Cette lutte épuise les agents, financièrement et psychologiquement.

Mireille G. : Nous savons que notre mouvement n’est pas le seul au niveau national. La volonté de l’administration et de l’Etat, c’est de le marginaliser. Ils ne veulent pas que la population soit au courant de notre mouvement, car les gens sont en grande majorité solidaires des soignants. Nous avons pris conscience de la nécessité d’organiser nationalement les luttes en recherchant leurs convergences. Nous cherchons aussi à développer le mouvement dans les autres établissements qui ne sont pas encore entrés en lutte.

Olivier C. : C’est l’objet de l’appel de Caen du 4 avril 2014 qui a regroupé en assemblée générale les personnels de plus de 40 établissements en lutte à travers toute la France. Désormais, nous rassemblons plus de 80 établissements au sein de la Convergence des Hôpitaux en Lutte. Nous avons créé un comité de liaison pour faire le lien entre les établissements hospitaliers, mais aussi avec d’autres secteurs en lutte. Voilà pourquoi nous avons voulu rejoindre la manifestation des fonctionnaires le 18 novembre dernier. Nous tentons de faire le lien avec les intermittents, cheminots, postiers, etc. Il nous faut aussi développer la médiatisation du mouvement. Nous sommes convaincus que la convergence de toutes les luttes est nécessaire si l’on veut gagner et changer le fonctionnement de la société.

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