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En mars dernier, la grève ne touchait que les hôpitaux de Paris. Fin août, elle avait gagné plus du tiers des Urgences du pays. Au cours de l’été, le nombre d’Urgences en grève illimitée a doublé. Le mouvement pourrait encore se développer en septembre. Dans les services mobilisés, des infirmiers, des aide-soignants et des médecins réquisitionnés assurent la prise en charge des patients. Ils portent des banderoles et des brassards « en grève ».

Les revendications

Les soignants réclament davantage de moyens, dans l’immédiat, puis une profonde réorganisation du système de santé. La puissance inédite de leur mouvement est à la hauteur des politiques d’austérité qui ravagent l’hôpital public depuis de nombreuses années.

« Nous ne pouvons plus attendre, au risque de voir les morts se succéder dans les salles d’attente », déclare avec force François Braun, le président de l’association Samu-Urgences. Les revendications, portées par le collectif Inter-Urgences et les syndicats CGT, SUD et FO, sont : 1) l’augmentation des salaires de 300 euros net mensuels ; 2) l’ouverture d’un nombre de lits d’hospitalisation répondant aux besoins réels ; 3) la création sans délai de 10 000 postes supplémentaires à l’échelle nationale.

Le gouvernement a cédé 70 millions d’euros, soit une prime de 100 euros par agent et environ 300 postes supplémentaires. Cela prouve que seule la lutte paye, mais on reste loin du compte. Hugo Huon, le président du collectif Inter-Urgences, demande : « Sur 80 milliards d’euros de budget de l’hôpital, vous trouvez que 70 millions (0,08 %), cela pèse lourd ? »

En finir avec l’austérité !

La période estivale n’a pas démobilisé, malgré la canicule et des conditions de travail toujours plus difficiles. Redoutant l’extension du mouvement, le gouvernement a commandé un rapport sur les Urgences au médecin et député macroniste Thomas Mesnier. Il est censé le rendre en novembre. Mais on en connait déjà le cadre général : c’est le nouveau plan d’austérité Ma Santé 2022.

La grève nationale des soignants répond à un quotidien fait de violences, d’augmentation de la charge de travail (à effectif décroissant) et, en général, de moyens très insuffisants. Année après année, les attaques contre l’hôpital public se sont enchaînées, de la réforme de soi-disant « simplification » (2003) aux grands « Plan hôpital » de 2007 et de 2012, ou encore à travers la loi HPST (« Hôpital, patients, santé, territoires », en 2009).

Quel est le bilan de toutes ces réformes brillantes et « modernes » ? D’une part, près d’un tiers de la population renonce à se soigner, faute d’argent. D’autre part, la prise en charge des patients se détériore – en même temps que les conditions de travail des personnels.

Le véritable « héroïsme »

« L’héroïsme est encore là, dans la société » : prononcés fin août par un Macron en quête d’une miraculeuse « réconciliation » avec le peuple, ces quelques mots ont leur part de vérité. Il y a bien quelque chose d’héroïque dans ces six mois de grève illimitée et coordonnée à l’échelle nationale – avec plus de 217 services hospitaliers impliqués. « Ce n’est pas parce qu’on fait grève que vous attendez [aux Urgences] ; c’est parce que vous attendez que nous faisons grève », répètent ces « héros » dont le mouvement et la radicalité sont soutenus par plus de 90 % de la population.

Agnès Buzyn, ministre de la Santé, s’agace : des grèves de solidarité se multiplient « alors même que les situations ont été réglées localement ». Mais justement : les situations ne sont pas durablement « réglées », même localement, et les soignants le savent bien. Ils donnent à toute la classe ouvrière du pays une démonstration de force et de combativité dont le gouvernement redoute qu’elle inspire d’autres catégories de travailleurs. A juste titre.

La grève de 1988

La mobilisation actuelle rappelle le magnifique mouvement de grève des infirmières de 1988, qui était massivement soutenu dans la population. Les revendications portaient notamment sur les salaires et la reconnaissance au travail. Parmi les mots d’ordre : « Ni bonnes, ni nonnes, ni connes ». 100 000 grévistes manifestèrent ce 29 septembre, à Paris. Le gouvernement « socialiste » de l’époque a dû céder sur une partie des revendications.

Ceci dit, il y a une différence importante entre 1988 et aujourd’hui. A la fin des années 80, le capitalisme français ne traversait pas une crise aussi profonde qu’actuellement. Face à un mouvement sectoriel d’ampleur, les gouvernements étaient disposés à céder. Aujourd’hui, la crise du capitalisme renforce la détermination de la classe dirigeante et de ses gouvernements.

En conséquence, on ne peut les faire reculer qu’en les menaçant d’un mouvement général de la classe ouvrière. Au lieu de multiplier les « journées d’action » ponctuelles et par secteurs, les directions confédérales doivent s’appuyer sur la combativité des urgentistes pour préparer un mouvement de grève reconductible embrassant un maximum de secteurs du public et du privé.

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