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Cheminots et étudiants en 1995

La grève des cheminots a donné une nette impulsion à la mobilisation d’autres secteurs du salariat – et à la mobilisation des étudiants. Eboueurs, salariés d’Air France, fonctionnaires, avocats, postiers, travailleurs des Hôpitaux et des EHPAD (entre autres) : chaque jour, de nouveaux secteurs se lancent dans la lutte ou s’y déclarent disposés. La « convergence des luttes » n’est plus seulement un mot d’ordre ; c’est un fait.

Cependant, pour faire reculer le gouvernement, cette dynamique devra s’amplifier, car Macron et ses ministres sont déterminés à ne rien céder. Ils veulent infliger une lourde défaite aux cheminots, – ce bataillon d’« avant-garde » de notre classe – pour, dans la foulée, attaquer plus facilement toutes les autres catégories de travailleurs, mais aussi les chômeurs, les retraités, les lycéens et les étudiants.

Les cheminots mènent une grève combative sous une pluie battante d’insultes médiatiques. Toute la journée, sur les plateaux de télévision, des journalistes et des politiciens brûlent d’empathie pour la « galère des usagers » – et de haine pour les grévistes. A chaque mouvement des cheminots, c’est la même fanfare hypocrite, dans les grands médias. Malgré cela, beaucoup d’usagers soutiennent les cheminots en lutte, car la plupart ne sont pas seulement des usagers de la SNCF : ils sont aussi des travailleurs victimes de la politique réactionnaire des gouvernements successifs, dont celui de Macron.

Le soutien à la grève des cheminots s’exprime de différentes manières, et notamment par le succès des caisses de grève. C’est important et significatif. Mais le meilleur moyen de soutenir cette lutte – et en fait, le seul qui puisse garantir sa victoire –, c’est la mobilisation d’un nombre croissant de secteurs du salariat dans un mouvement de grève reconductible. Les directions syndicales devraient jeter toutes leurs forces dans ce sens. Au lieu de cela, elles courent les prétendues « concertations » avec le gouvernement. Du point de vue du gouvernement, le rôle central des « concertations » est d’affaiblir la lutte, sur le terrain, en proclamant que le « dialogue social » se poursuit – et que, dès lors, il n’y a aucune raison de faire grève.

Ceci étant dit, la passivité des directions syndicales n’est pas un obstacle absolu à l’extension du mouvement. La France est le pays de Juin 36 et de Mai 68 : ces deux puissantes grèves générales illimitées sont parties non des sommets syndicaux, mais de la base. Dans le public comme dans le privé, il ne manque pas de travailleurs et de syndicalistes combatifs qui suivent attentivement ce qui se passe, chaque jour, et se demandent s’il n’est pas l’heure, pour eux aussi, de passer à l’action. Les différentes catégories de salariés s’interrogent du regard, se lancent des signaux et des encouragements. Dans ce contexte explosif, une grève solide dans un ou deux secteurs peut suffire à déclencher une rapide extension du mouvement gréviste.

La montée en puissance de la mobilisation étudiante est un autre élément important de la situation. En l’espace de quelques jours, un grand nombre d’universités se sont mobilisées. Des AG massives se tiennent, des blocages et des occupations s’organisent, des liens se tissent entre les étudiants et le mouvement ouvrier. Le gouvernement réagit à coup de violences policières – auxquelles s’ajoutent les assauts de groupements d’extrême droite. Mais à chaque fois, ces violences massifient le mouvement des étudiants. Elles accroissent aussi la colère des travailleurs. Si le gouvernement voulait « rejouer » Mai 68, pour en fêter l’anniversaire, il ne s’y prendrait pas autrement !

Les différentes catégories de travailleurs mobilisés ont leurs propres revendications sectorielles, bien sûr. Mais prises dans leur ensemble, toutes ces revendications « convergent ». Embauches, salaires, conditions de travail, précarité : à chaque fois, les travailleurs se mobilisent contre l’austérité salariale et la dégradation de leurs conditions de travail, qui s’aggravent depuis de nombreuses années. Or précisément, le gouvernement Macron veut aller encore plus loin dans la précarisation des travailleurs, dans la baisse de leur pouvoir d’achat et, de manière générale, dans la destruction des conquêtes sociales du mouvement ouvrier. Même à supposer que Macron recule, cette fois-ci, il reviendra plus tard à la charge.

En conséquence, les différentes luttes sectorielles doivent converger dans une lutte politique, une lutte générale contre le gouvernement Macron et l’ensemble de sa politique. Les manifestations politiques peuvent être un puissant levier de la grève, en ouvrant comme perspective non seulement le recul du gouvernement sur telle ou telle contre-réforme, mais la chute du gouvernement lui-même, c’est-à-dire la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections législatives anticipées.

Bien sûr, cela suppose un puissant mouvement de grèves, dans les entreprises. La mobilisation du 14 avril, à Marseille, montre la voie. Au niveau national, la date du 5 mai a été arrêtée. Le principe d’une telle manifestation politique est absolument correct. Mais les cheminots, par exemple, peuvent-ils tenir jusqu’au 5 mai ? Une date plus rapprochée aurait permis de connecter la manifestation politique nationale au mouvement gréviste, qui seul peut faire reculer – voire tomber – le gouvernement. En elle-même, une manifestation politique ne suffira pas, même si elle est massive.

Ceci dit, il est impossible de prévoir la dynamique de la lutte dans les jours et les semaines qui viennent. Il se peut que la manifestation du 5 mai soit massive et se déroule dans le contexte d’une ascension du mouvement gréviste, voire qu’elle relance ce mouvement. Mais dans l’immédiat, l’initiative du 14 avril, à Marseille, est un exemple qui devrait être repris au niveau national. Et le plus vite serait le mieux.

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