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En avril 2022 comme en avril 2017, Révolution a fait campagne pour le candidat de la France insoumise (FI), Jean-Luc Mélenchon, car il représentait la seule alternative concrète à la droite et l’extrême droite. Ce faisant, nous n’avons pas renoncé à nos idées et notre programme révolutionnaires. Nous avons systématiquement souligné les limites réformistes du programme de la FI. [1]

Notre « soutien critique » à la FI ne se limite pas aux campagnes électorales. Deux questions se posent aujourd’hui : 1) comment chasser Macron du pouvoir – ou, au moins, le contraindre à dissoudre l’Assemblée nationale ? ; 2) comment la FI peut-elle y contribuer de façon décisive ?

Les leçons du cycle électoral

Mais d’abord, il faut analyser les résultats du dernier cycle électoral et en tirer les principales leçons.

A la présidentielle, Mélenchon a recueilli 7,7 millions de voix, soit 650 000 de plus qu’en 2017. Par ailleurs, en avril dernier, 9 millions de voix, au total, se sont portées sur les candidats de la gauche « radicale » (hors PS et Verts), contre 7,7 millions en avril 2017. Comme nous l’avions anticipé, le premier tour de l’élection présidentielle a donc été marqué par une intensification de la polarisation politique – non seulement vers la droite (Le Pen et Zemmour), mais aussi vers la gauche.

La cause fondamentale de ce phénomène était déjà à l’œuvre entre 2012 et 2017 : c’est le développement de la crise organique du capitalisme, qui pousse une fraction croissante de la population à rejeter le statu quo et les partis du « centre » (droit ou « gauche »). Les pathétiques résultats du PS (1,75 %) et des Verts (4,63 %), en avril dernier, l’ont clairement montré.

Dans ce contexte, la direction de la FI aurait dû aborder les élections législatives sur la base d’une stratégie claire et radicale. Au lieu de cela, elle a constitué la NUPES, qui allait à contre-courant du processus de polarisation politique. L’alliance avec le PS et les Verts – deux partis très discrédités dans la masse de la jeunesse et du salariat – ne pouvait pas susciter beaucoup d’enthousiasme, en particulier dans les couches les plus exploitées de la population. C’est ce que confirme l’analyse des résultats en nombre de voix.

Entre le premier tour des présidentielles de 2017 et le premier tour des législatives de la même année, les partis constitutifs de la NUPES ont perdu 3,6 millions de voix. Cinq ans plus tard, ils en ont perdu 4,6 millions, soit un million de plus. La conclusion est sans appel : la NUPES n’a pas créé de dynamique électorale. C’est même le contraire.

Il est vrai que du fait du mode de scrutin législatif et de l’affaiblissement de LREM, l’alliance de la FI, du PS, des Verts et du PCF, dès le premier tour, garantissait à la NUPES de remporter davantage de sièges qu’en 2017. En passant de 17 à 75 députés, la FI en sort considérablement renforcée. Mais cette progression ne doit pas cacher la contradiction frontale entre la NUPES et les dynamiques politiques profondes qui sont à l’œuvre dans la masse de la jeunesse et du salariat. L’abstention massive (52,5 % au premier tour, 57 % au deuxième) en est une illustration très claire, tout comme la nouvelle poussée électorale du RN.

Les contradictions de la NUPES

Dans une récente interview à Regards, Manuel Bompard (FI) affirmait : « la présidentielle a tranché la question de l’orientation politique, c’est-à-dire celle à partir de laquelle devait s’organiser le rassemblement de la gauche et des écologistes. Et c’est une orientation de rupture qui a été placée très largement en tête du premier tour de l’élection présidentielle. » Autrement dit, puisque Mélenchon est arrivé largement devant Hidalgo et Jadot, le 10 avril dernier, la question de « l’orientation politique » de la NUPES serait « tranchée » : ce serait celle de la FI et de son programme, L’Avenir en commun. L’aile droite du réformisme (PS et Verts) aurait soudainement et fermement rallié l’aile gauche du réformisme (FI et PCF).

En réalité, les choses se sont passées tout autrement. A l’issue du premier tour des présidentielles, la NUPES constituait la seule chance, pour le PS, les Verts et le PCF, d’éviter une débâcle aux élections législatives. Ces trois naufragés de la présidentielle ont donc avidement saisi la proposition que leur faisait la FI : il y allait de leur survie. Mais cela ne signifie pas que les députés du PS et des Verts, en particulier, ont rallié l’orientation politique de la FI.

Pour en prendre la mesure, il suffit de lire les divergences explicitement formulées par le PS et les Verts à la fin de chacun des huit chapitres du programme officiel de la NUPES [2], qui pour le reste est assez semblable à L’Avenir en commun. Donnons quelques exemples édifiants.

Fin du premier chapitre : « Le Parti socialiste ne soutiendra pas la suppression de toutes les stock-options et la titularisation proposée à tous les contractuels de la fonction publique. » Voilà qui plaira aux bénéficiaires de stock-options, mais beaucoup moins aux 20 % de contractuels (c’est-à-dire de précaires) de la fonction publique, qui en général n’ont pas de stock-options.

Fin du deuxième chapitre : « Le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts soutiendront la création d’un pôle public de l’énergie incluant EDF, Enedis, RTE, GRT-Gaz et GRDF, mais ne soutiendront pas la renationalisation d’Engie. » Un « pôle public » est une formule très vague qui présente l’avantage de n’engager à rien. Mais la « renationalisation» d’Engie, c’est non ! Cela déplairait, notamment, aux bénéficiaires de stock-options.

De manière générale, le PS et les Verts s’opposent à plusieurs nationalisations que propose la FI. Ainsi, « le Parti socialiste ne soutiendra pas (…) les nationalisations de la branche énergies marines d’Alstom, de la branche éolienne offshore d’Areva et d’Alcatel Submarine Network. » En effet, l’économie de marché ne fait-elle pas des merveilles en matière environnementale ? Autre exemple : « Europe Ecologie-Les Verts et le Parti socialiste soutiendront la constitution d’un pôle public bancaire mais ne souhaitent pas de nationalisations de banques généralistes. » Un « pôle public » bancaire sans banques nationalisées, donc publiques, voilà qui s’annonce extrêmement efficace !

Fin du quatrième chapitre : « Le Parti socialiste et Europe Ecologie-Les Verts soutiendront le remboursement à 100 % des soins prescrits mais proposeront que cela se fasse sans intégration des complémentaires santé dans la Sécurité sociale.» Comprenez : pas touche aux mutuelles privées ! Pas touche au « libre marché » ! D’ailleurs, « le Parti socialiste ne soutiendra pas l’interdiction des subventions extralégales des collectivités à l’enseignement privé ». De l’argent public pour l’enseignement privé : en voilà une bonne idée, à l’heure où l’Education publique manque cruellement de moyens !

Et ainsi de suite. L’analyse détaillée de toutes les divergences formulées par le PS et les Verts nécessiterait un long article. Citons juste un dernier exemple : « Le Parti socialiste refuse l’utilisation de la terminologie “violences policières” ; en conséquence, il ne soutiendra pas la création d’une commission d’enquête sur les violences policières ayant entraîné la mort ou la mutilation de citoyens pour en établir toutes les responsabilités. » C’est scandaleux, mais c’est logique : après avoir défendu les stock-options et l’économie de marché, le PS défend l’appareil d’Etat bourgeois, c’est-à-dire les « hommes en armes » qui défendent les rapports de production capitalistes.

En bref, lorsque Manuel Bompard affirme que « l’orientation politique » de la NUPES a été « tranchée », il fait abstraction de divergences majeures – et qui ne manqueront pas de fracturer la NUPES, tôt ou tard. Sauf si… c’est la FI qui rallie « l’orientation politique » des Verts et du PS. Auquel cas la FI se saborderait, purement et simplement.

Trois axes pour la FI

On le voit, la NUPES n’est pas le bon instrument pour engager une lutte sérieuse contre le gouvernement Macron. Pour mener cette lutte efficacement, la FI doit d’abord virer à gauche – et ce suivant trois axes :

1) Radicaliser son programme. Au lieu de « débattre » avec le PS et les Verts sur l’opportunité, ou non, de nationaliser Engie et des banques, la FI doit nettement élargir le périmètre des nationalisations dans son programme officiel.

Le défaut central de L’Avenir en commun, c’est précisément de laisser une très large majorité des grands moyens de production entre les mains du secteur privé. Soyons précis : L’Avenir en commun propose de nationaliser les autoroutes, la SNCF, Ariane Espace, la Française des Jeux, la branche « énergies marines » d’Alstom, les aéroports récemment privatisés, EDF, Engie et « des banques généralistes » (on ne sait ni combien, ni lesquelles). C’est tout, et c’est très peu – beaucoup trop peu, notamment au regard de l’objectif d’une « planification écologique ».

On ne peut planifier ce qu’on ne contrôle pas, et on ne peut contrôler ce qu’on ne possède pas. De manière générale, on ne pourra résoudre les énormes problèmes sociaux et environnementaux que sur la base d’une planification socialiste et démocratique de l’économie, ce qui suppose d’exproprier tous les parasites géants qui dominent l’industrie, l’énergie, le secteur bancaire, la grande distribution, l’agroalimentaire, les transports et le secteur pharmaceutique.

2) Mobiliser dans les rues et soutenir activement toutes les luttes sociales. C’est un point fondamental. Le très net renforcement du groupe des députés de la FI, à l’Assemblée nationale, lui ouvre la possibilité de se livrer à mille et une manœuvres parlementaires. Nous ne disons pas qu’il faut y renoncer : la tribune parlementaire doit être utilisée. Mais l’activité parlementaire de la FI doit être systématiquement liée aux luttes extra-parlementaires, car seules des mobilisations de masse de la jeunesse et du salariat ouvriront la possibilité de renverser le gouvernement.

La FI a annoncé une « grande marche contre la vie chère », mi-octobre. Cela va dans la bonne direction. Mais il est évident qu’à elle seule, une telle « marche » – même massive – ne changera pas d’un iota la politique réactionnaire du gouvernement, sans parler de le faire chuter. La FI doit faire activement campagne pour la préparation d’un mouvement de grèves reconductibles embrassant un nombre croissant de secteurs économiques. Bien sûr, cela ne plairait pas aux dirigeants syndicaux, qui veulent limiter la lutte interprofessionnelle aux « journées d’action » impuissantes. Mais cela trouverait un écho dans de très larges couches de la jeunesse et du salariat.

3) Enfin, la FI doit se transformer en un parti démocratique, avec des groupes locaux solidement structurés, mais aussi des dirigeants élus, responsables et révocables, que ce soit au niveau local ou au niveau national. Dans la foulée de la présidentielle de 2017, le maintien de la « forme mouvement » avait empêché la cristallisation des forces militantes engagées dans la campagne électorale. La grande majorité s’était évaporée au fil du temps. La direction de la FI ne doit pas répéter cette erreur. Si la FI veut jouer un rôle central dans la lutte contre le gouvernement Macron, elle doit constituer l’instrument le plus efficace dans ce domaine : un parti.


[1] Lire notre Critique marxiste du programme de la FI.

[2] A lire sur : Programme partagé de gouvernement de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale

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