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Lucas Papademos et Herman Van Rompuy

Qui dirige l’Union Européenne ? Qui décide du sort de plus de 400 millions de jeunes, travailleurs, retraités et chômeurs ? On connait la réponse officielle : ce sont les peuples d’Europe eux-mêmes qui décident de leur destin. Comment ? A travers les mécanismes raffinés de la démocratie européenne, de son parlement élu et de ses institutions.

Ces derniers mois, cependant, le doute s’est installé – ou plutôt confirmé – dans l’esprit d’un nombre croissant de travailleurs européens. Depuis novembre 2011, la Grèce et l’Italie sont dirigées par des « gouvernements de technocrates » que personne n’a élus. Nul n’a d’ailleurs songé à demander leur avis aux peuples grec et italien.

Des journalistes ont évoqué des « coups d’Etat bancaires ». C’est exactement cela. Le nouveau chef du gouvernement italien, Mario Monti, a travaillé pendant six ans comme conseiller international de la puissante banque américaine Goldman Sachs. Quant à Lucas Papademos, le Premier ministre grec, il est l’ancien directeur de la banque centrale grecque. Et il connait bien Goldman Sachs, lui aussi, car elle l’a aidé à maquiller les déficits publics de la Grèce à la veille de son entrée dans la zone euro. Ainsi, nous avons deux banquiers à la tête de gouvernements qui travaillent pour le compte des grandes banques. On n’est jamais mieux servi que par soi-même !

La mission de Papademos et Monti est claire : infliger à la masse de la population une politique d’austérité draconienne. Les banques et les grands groupes financiers l’exigent. Ils menacent les Etats de faillite s’ils n’obtiennent pas satisfaction. Et qu’on ne leur parle pas d’élection ou de démocratie, dans l’immédiat. Nous verrons plus tard ! Van Rompuy, président du Conseil européen, l’a très clairement indiqué à propos de l’Italie, début novembre : « le pays a besoin de réformes, pas d’élections ».

Ils seront bien obligés d’organiser des élections, tôt ou tard. Mais en attendant, le fonctionnement normal de la démocratie parlementaire est suspendu. Ce fait mérite d’être médité par tous les travailleurs européens. Il illustre d’une façon flagrante une vérité que nous avons eu l’occasion de formuler à de nombreuses reprises, dans les pages de ce journal. Ceux qui tiennent les véritables rênes du pouvoir – en Grèce, en Italie comme dans le reste de l’Europe – ne siègent ni dans les parlements, ni même dans les cabinets ministériels ou les palais présidentiels. Ce sont les êtres gris et anonymes qui contrôlent les conseils d’administrations des grandes banques, des fonds d’investissements et des grandes multinationales.

Personne ne les a élus. La plupart sont inconnus du grand public. Mais leurs fortunes et leurs positions leur confèrent un pouvoir colossal. Ils ne tolèrent la démocratie parlementaire que dans la mesure où elle est compatible avec leurs intérêts fondamentaux. Bien sûr, ils trouvent et payent une légion de politiciens acquis à leur cause, la grande cause de la course aux profits. D’innombrables fils les relient à tous les niveaux de l’appareil d’Etat. Dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx expliquait déjà que l’Etat moderne « n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. » C’est mille fois plus vrai aujourd’hui qu’à l’époque duManifeste.

En Grèce et en Italie, cette réalité apparaît de façon particulièrement brutale. Mais il en va exactement de même en France, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et dans toutes les « démocraties » capitalistes. La démocratie parlementaire a été vidée de toute la substance qu’elle a pu avoir par le passé. Ses formes extérieures demeurent, mais elles ne servent qu’à masquer la dictature des grands groupes capitalistes.

Bien sûr, le mouvement ouvrier doit défendre avec acharnement chacun de ses droits dém ocratiques. Malgré ses limites, sa décadence et son hypocrisie, la démocratie bourgeoise offre le terrain le plus favorable au développement de la lutte des classes. Mais nous n’avons pas besoin de lui vouer un culte servile, à la façon des dirigeants réformistes. Leur attitude est d’ailleurs très significative. Ces grands admirateurs de la « démocratie » et de la « république » bourgeoises ne trouvent rien à redire lorsqu’une clique des banquiers menace de ruiner des Etats et impose ses hommes à la tête de gouvernements.

Les gouvernements italiens et grecs se présentent sous le drapeau de « l’unité nationale ». Ce slogan est complètement creux. Quel genre « d’unité » peut-il y avoir entre les riches et les pauvres, les exploiteurs et les exploités, le bourreau et sa victime ? Cette fiction ne durera pas longtemps. Les gouvernements « technocratiques » ne seront pas plus solides que les précédents. Ils seront même plus fragiles. Ils devront s’attaquer toujours plus sévèrement au niveau de vie de la masse de la population, qui ne restera pas passive. De nouvelles explosions sociales sont inévitables à court terme.

La presse capitaliste se félicite de l’apparente « résignation » des travailleurs italiens. Elle loue leur « réalisme ». Elle se réjouit également du « calme » qui semble être revenu en Grèce. On se rassure comme on peut ! Cela fait penser à l’homme qui, chutant d’un gratte-ciel, se répète : « jusqu’ici tout va bien ». En réalité, toute stabilité politique et sociale durable est exclue, dans les années à venir, et pas seulement en Grèce ou en Italie. C’est vrai dans toute l’Europe – et au-delà. L’humeur et la combativité des masses connaîtront des oscillations soudaines et violentes. Dans l’action, elles prendront conscience de leur force collective colossale – une force que rien au monde ne saurait arrêter.


Sur la photo : Lucas Papademos et Herman Van Rompuy

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