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Jean Pïerre Raffarin

La droite a subi une défaite écrasante aux élections régionales et cantonales. Jamais, dans toute l’histoire de la France, la droite n’a été aussi complètement écartée des instances élues à l’issue d’un scrutin local. Il ne reste, sur la carte électorale, qu’un petit coin bleu à l’extrême nord-est d’une France entièrement rose. Plusieurs départements et régions passent à gauche pour la première fois de leur histoire. Tous les ministres-candidats ont été battus. Valéry Giscard d’Estaing, qui régnait en « notable » sur l’Auvergne depuis 18 ans, a été lui aussi emporté par la vague. L’ampleur de la débâcle, qui intervient moins de deux ans après l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement de malfrats, l’a plongé dans une crise d’une gravité telle qu’aucun « remaniement » ne saurait l’en sortir.

Chirac a donc décidé de « reconduire » Raffarin. A première vue, cette décision peut surprendre, mais elle obéit néanmoins à une certaine logique. La politique de régression sociale mise en œuvre par Raffarin ne relève pas d’un « choix », mais d’une nécessité absolument incontournable, du point de vue des intérêts capitalistes que représente la droite. Si Raffarin avait été remplacé, celui ou celle qui aurait eu à poursuivre sa politique aurait été très rapidement « grillé ». Or, Chirac ne peut se permettre de changer trop souvent de Premier Ministre. Raffarin sera certainement sacrifié à une date ultérieure, mais Chirac veut qu’il finisse le « sale boulot » qui lui a été confié, et notamment la « réforme » – en réalité, une démolition – de l’assurance-maladie et du Code du Travail, ou encore la privatisation d’EDF-GDF.

Du point de vue du mouvement syndical, socialiste et communiste, il est clair que le nom du Premier Ministre n’a pas d’importance particulière. La politique du gouvernement ne changera pas, car derrière lui se trouve la classe capitaliste, qui exige de la manière la plus implacable que des attaques soient menées contre toutes les conquêtes sociales majeures du passé. La nomination de Nicolas Sarkozy aux Finances en dit long sur les intentions du gouvernement. Le nouveau gouvernement ne sera en aucun cas moins agressif à l’égard des travailleurs et de leur famille que celui d’avant le remaniement.

Tout comme les événements qui ont secoué l’Espagne au cours ces dernières semaines, les élections régionales témoignent une nouvelle fois de la croissante instabilité sociale et politique qui caractérise notre époque. Dans l’article Leçons d’Espagne, que nous avons publié au lendemain de la victoire électorale du PSOE, en Espagne, nous expliquions que cette instabilité « s’exprime par une énorme volatilité, à tous les niveaux, et peut se manifester par de brusques et violentes modifications de l’état d’esprit aussi bien de la classe dirigeante que des classes exploitées. La déprime alterne avec l’euphorie. De violents mouvements vers la droite sont suivis par des mouvements encore plus violents vers la gauche. » Les élections régionales constituent une éclatante confirmation de cette analyse.

Les causes fondamentales de cette grande instabilité sont expliquées en détail dans notre document : Les prémisses de la prochaine révolution française. En dernière analyse, elle traduit l’incapacité où se trouve désormais le système capitaliste de développer les moyens de production – ou, tout au moins, de le faire autrement qu’au détriment de la masse de la population. Cette année encore, la stagnation de l’économie se traduira par une aggravation du chômage et de la précarité.

La défaite électorale infligée à la droite constitue un transfert, sur le plan politique, des nombreuses luttes qui ont été menées au cours de ces 15 derniers mois, et en particulier des grèves et manifestations massives du printemps dernier. Ce transfert n’a pas profité aux listes LO-LCR. Il s’est porté essentiellement sur les organisations politiques traditionnelles du mouvement ouvrier français, à savoir le PS et le PCF. Ce phénomène a incité François Hollande et Marie-George Buffet à y voir une adhésion à leurs démarches politiques respectives. Il n’en est rien. La politique défendue par la direction du Parti Socialiste est la même que celle qui l’a mené à la défaite en 2002. Quant à la politique actuelle de la direction du PCF, elle est également semblable à celle de la période de sa participation au gouvernement Jospin. Les programmes des deux partis ne sont pas identiques, mais ils se rejoignent sur l’essentiel, à savoir sur l’absence totale de mesures susceptibles de remettre en cause de façon décisive le pouvoir économique des capitalistes, et donc sur une acceptation de fait du système capitaliste. Le problème central du mouvement ouvrier, celui du programme des partis de gauche, reste entier.

La vérité, c’est que cette victoire a eu lieu malgré la politique défendue par les dirigeants du PS et du PCF. Elle s’explique par le fait que lorsque les travailleurs veulent infliger une défaite à leurs adversaires, ils se tournent inévitablement vers leurs organisations politiques traditionnelles, qui sont les seules à pouvoir accomplir cette tâche. La logique de ce processus ne parvient pas à pénétrer le cerveau des dirigeants de LO, de la LCR, et des autres organisations sectaires. Ils se dissocient du PCF, du PS, et cherchent à nuire à ces partis sous prétexte qu’ils sont imparfaits. Pour le deuxième tour, ils n’ont donné aucune consigne, considérant que les listes PS-PCF ne valaient pas mieux que les listes de droite. Comme à leur habitude, ils ont mis le PS et le PCF dans le même sac que l’UMP et l’UDF : « tous des partis bourgeois ! » On attend qu’ils nous expliquent, à présent, comment les « partis bourgeois » que sont supposés être le PS et le PCF ont pu remporter une victoire aussi complète sur les partis de Chirac et Bayrou ! Est-ce une vague de droite qui vient de déferler sur la France ?

Il n’est peut-être pas inutile de nous attarder sur cet aspect des résultats des régionales, dont on peut espérer qu’ils contribuerons à mettre en sourdine la cacophonie sectaire annonçant l’enterrement prochain du PCF et du PS au profit de l’extrême gauche. A la veille du premier tour des régionales, Arlette Laguiller a tout bonnement déclaré que le « pire des scénarios » serait celui d’une poussée générale de la gauche qui ne profiterait pas aux listes LO-LCR. Or, c’est exactement ce qui s’est produit.

La Riposte a appelé à voter pour les listes PCF ou PS-PCF dès le premier tour, et ce malgré notre opposition à la politique défendue par les directions actuelles de ces partis. A l’inverse des « analyses » superficielles de LO et de la LCR, La Riposte s’attendait à ce ralliement aux partis de gauche. Dans notre document Contre le sectarisme, qui date d’octobre 2002, nous écrivions :

« Pour les groupements dits d’ "extrême gauche", comme la LCR et LO, les conclusions qui sont à tirer [de la défaite électorale de 2002] sont les suivantes : le PS et le PCF sont historiquement "finis". La défaite des principaux partis de gauche ouvre un "espace" pour l’émergence d’un mouvement révolutionnaire en dehors de ces partis et en concurrence avec eux. En conséquence, disent-ils, tout ce qui tend à renforcer le PS ou le PCF doit être combattu. Aucun accord électoral avec eux n’est acceptable – quitte à laisser passer la droite. Quant aux militants socialistes ou communistes oppositionnels, ils devraient sans tarder quitter ces partis et participer avec l’extrême gauche à la construction d’une "alternative révolutionnaire".

« Cependant, l’empressement de l’extrême gauche à enterrer le PCF et le PS ne correspond à aucune réalité. Nous avons expliqué ailleurs que les mois et les années à venir verront la maturation d’une confrontation majeure entre les classes. Mais les dirigeants de l’extrême gauche n’ont visiblement pas la moindre idée de la façon dont se passe – non pas dans leur imagination, mais dans les faits matériels et historiquement avérés – une mobilisation de masse. Pratiquement toutes les situations révolutionnaires qui se sont produites depuis un siècle – et elles sont nombreuses – démontrent la chose suivante, qui peut être considérée comme une loi historique : quand la masse de la population entre en action, elle se tourne toujours vers ses grandes organisations politiques et syndicales traditionnelles, c’est-à-dire vers les organisations qui ont émergé historiquement comme l’expression organisée du salariat, et qui, par conséquent, occupent une place prépondérante dans la conscience collective, non pas d’une bande de "révolutionnaires" autoproclamés, mais de la masse de la population.

« Dans toute l’histoire de la lutte des classes, à l’échelle internationale, il n’y a pratiquement aucune exception à cette loi, pourtant totalement ignorée ou passée sous silence par l’extrême gauche. La mobilisation massive qui se produira tôt ou tard passera par-dessus de la tête des formations d’extrême gauche et se tournera vers le PS, le PCF, et les grandes confédérations syndicales. Les jeunes et les travailleurs, une fois massivement entrés en action contre la puissance du patronat et de l’Etat, ne verront pas l’utilité d’une secte ou d’une quelconque organisation marginale, et ce quelle que soit la "pureté" de leurs idées. Et pour cause : de telles organisations n’ont, en effet, aucune utilité dans un pareil contexte. En conséquence, au cours de la maturation de la crise pré-révolutionnaire, il s’avérera que le PS et le PCF disposent de réserves sociales incomparablement plus importantes et puissantes que tous ces groupements prétendument "révolutionnaires" réunis. »

A ce jour, nous ne sommes pas encore dans une situation pré-révolutionnaire. Mais les élections régionales, tout comme les élections législatives de 1997 et les vagues massives d’adhésion qu’ont connu le PS et le PCF au lendemain du 21 avril 2002, confirment la « loi historique » dont il est question ci-dessus. Etant donnée la gravité de la crise du système capitaliste et l’inéluctabilité de grands mouvements sociaux dans les années à venir, ce même processus se développera à une échelle beaucoup plus grande et avec des conséquences beaucoup plus importantes. Ceci jettera les directions réformistes sur la défensive et ouvrira la perspective d’une profonde transformation du PS et du PCF.

En dehors du microcosme des sectaires incurables, les résultats des régionales ne sont nullement « le pire des scénarios ». C’est tout le contraire qui est vrai. Cette défaite met le gouvernement Raffarin dans une position particulièrement délicate, et renforce d’autant ceux qui le combattent. Si le mouvement qui s’est produit sur le plan électoral constitue un prolongement des luttes syndicales de la dernière période, il aura tendance, à son tour, à renforcer le moral et la combativité des travailleurs dans les luttes syndicales à venir.

Aucun remaniement d’un gouvernement de droite ne saurait nous satisfaire. Face à l’ampleur de leur victoire, les partis de gauche doivent désormais revendiquer la convocation immédiate d’élections législatives. Nous devons lutter pour balayer ce gouvernement au plus vite et le remplacer par un gouvernement socialiste-communiste – non pour qu’il privatise et « gère le capitalisme », comme l’a fait le gouvernement Jospin, mais pour qu’il prenne des mesures décisives destinées à briser l’emprise des capitalistes sur tous les secteurs les plus importants de l’économie nationale.

Il faut mener la bataille pour un véritable programme socialiste là où ce problème se pose le plus concrètement, à savoir à l’intérieur des nos grandes organisations syndicales et politiques. Ces dernières ont été construites par notre classe pour résister aux capitalistes et pour en finir avec leur système. Mais nous les avons négligées au point de les laisser passer aux mains d’éléments dont les idées sont très éloignées de nos grandes traditions socialistes et révolutionnaires.

La tâche la plus importante qui incombe à ceux qui veulent sérieusement lutter contre la droite et contre le système qu’elle défend est celle du rétablissement de ces grandes traditions au sein du mouvement ouvrier français. C’est tout à fait possible dès lors qu’un nombre suffisant de syndicalistes, de communistes et de socialistes le veulent vraiment. La Riposte poursuivra son travail dans ce sens. Les divisions et le sectarisme ne font que renforcer nos ennemis et ne mèneront qu’à de nouvelles impasses. L’union fait la force. A nous, désormais, de lier la force de la gauche à un programme socialiste qui lui permettra de réaliser sa mission historique : l’abolition du capitalisme.

La Rédaction, le 31/03/2004

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