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Fête de l'Huma 2011

Discours de Stamatis Karagiannopoulos

Lors de la fête de l’Humanité, qui s’est déroulée du 16 au 18 septembre 2011, nous avons invité un militant communiste grec, Stamatis Karagiannopoulos, rédacteur en chef du journal Marxistiki Foni. Il a pris la parole lors de la réunion publique que nous avons organisée, sur le thème : « Grèce : de la crise à la révolte ».
Le texte ci-dessous est une traduction de son exposé.


Camarades, tout d’abord je voudrais remercier La Riposte pour m’avoir invité à la Fête de l’Humanité. Cette invitation souligne la politique internationaliste de La Riposte. Et je voudrais aussi vous remercier tous de votre présence aujourd’hui.

La question de la Grèce est au cœur des discussions dans le mouvement ouvrier à travers l’Europe. Ceci ne s’explique pas, bien sûr, par le poids économique de la Grèce au sein de l’Union Européenne. La Grèce ne représente que 2% du PIB européen et même sa dette n’est que 3% de la dette totale des pays de la zone euro. Mais la Grèce constitue le maillon faible du capitalisme européen, lequel, à son tour, est au centre de la crise du système capitaliste à l’échelle internationale. La crise de la zone euro n’est que l’une des manifestations de l’impasse du système à l’échelle mondiale. Les causes fondamentales de cette impasse sont la propriété privée des moyens de production et aussi la division du monde en Etats nationaux concurrentiels, qui sont en contradiction avec le caractère social et international de l’économie et qui engendrent la surproduction par rapport à la demande.

L’endettement massif des Etats est la conséquence de la tentative, de la part des capitalistes, d’éviter la saturation des marchés et reporter ainsi l’avènement d’une récession. Les économies européennes sont aujourd’hui au bord d’une récession, doublée d’une situation de surendettement massif.

L’Etat grec a fait défaut quatre fois dans le passé, mais cette fois-ci est qualitativement différente. La Grèce fait partie de la zone euro et les banques européennes – surtout celles de la France et de l’Allemagne – sont « exposées » en Grèce à hauteur de 195 milliards. Par conséquent, un défaut déclencherait un « effet domino » à travers le système bancaire européen. C’est pourquoi toutes les grandes puissances ont tenté d’éviter ce défaut au moyen de deux « plans de sauvetage ». En substance, ces plans visent à protéger les intérêts des banques et la stabilité de la monnaie européenne au détriment de la classe ouvrière grecque. Depuis 18 mois le gouvernement grec a appliqué des mesures d’austérité draconiennes. Le niveau de consommation des ménages a été ramené à celui de 1983 et le taux de chômage se situe à 25% de la population active. C’est le taux le plus grave depuis 1961. Dans l’école publique, l’Etat ne fournit plus de livres. Le fonctionnement des écoles et des universités est paralysé, faute d’argent. La ligne principale du métro d’Athènes est réduite à un passage de train toutes les 30 minutes.

Ces attaques contre les travailleurs ont été accompagnées d’une virulente offensive de propagande pour les présenter comme de paresseux parasites. Mais selon l’organisme de statistiques européennes Eurostat, les travailleurs grecs travaillent plus d’heures par semaine, en moyenne, que ceux de tous les autres pays de la zone euro, tout en étant les moins payés. Et le coût de la vie ne cesse d’augmenter. Il y a, c’est vrai, des parasites en Grèce. Il y a des gens qui ne veulent pas travailler. Mais il ne s’agit pas des travailleurs. Ce sont les capitalistes grecs qui vivent sur le dos du reste de la société. L’évasion fiscale de la part des riches coûte 50 milliards d’euros à l’Etat. Quelque 15 300 entreprises ne paient pas d’impôts du tout. Les capitalistes grecs ont déposé plus de 600 milliards d’euros dans les banques suisses. Cette somme représente le double de la dette publique du pays. Il y a 10 000 compagnies « offshore » dont les propriétaires sont des citoyens grecs. Le chiffre d’affaires de ces compagnies est plus de 500 milliards d’euros, soit deux fois le PIB du pays.

Les plans de sauvetage n’ont pas permis de réduire le niveau d’endettement de l’Etat grecque. L’économie est en récession depuis 3 ans. Le PIB chutera de 6 % en 2011. Entre 2009 et 2012, il aura chuté de 15 % – une première depuis la guerre civile !

La faillite de l’Etat grecque est donc inévitable, quels que soient le nombre et la nature des « plans de sauvetage ». Les tentatives de la BCE, le FMI et les grandes puissances pour reporter cette faillite ne feront que la rendre encore plus « incontrôlée », le moment venu. Pour les capitalistes européens, le problème est que la Grèce n’est pas le seul pays européen au bord de la faillite. Le coût des interventions financières successives en Grèce – en l’occurrence inefficaces – et même celles relatives à l’Irlande ou le Portugal, ne sont rien à côté des besoins de l’Espagne ou de l’Italie. La faillite de ces derniers pays serait une catastrophe pour le système bancaire international, et en particulier pour les banques allemandes. Une tentative, de la part des autres puissances européennes, de renflouer l’Espagne et l’Italie ne ferait que fragiliser davantage leurs propres économies.

Si la Grèce devait sortir de la zone euro et revenir à la drachme, le résultat serait un effondrement de l’économie et de la monnaie. Quel capitaliste voudrait détenir ses capitaux en monnaie grecque ? L’investissement chuterait encore plus brutalement, l’inflation atteindrait des taux sans précédents et le nombre de chômeurs augmenterait massivement.

Ce qui se passe en Grèce n’est qu’une expression de l’impasse dans laquelle se trouve le capitalisme européen. L’exacerbation de la lutte des classes en Grèce indique ce qui se passera à travers le continent dans les mois et les années à venir. On pourrait qualifier la situation en Grèce de « pré-révolutionnaire ». Aucune autre voie ne s’ouvre à la classe ouvrière grecque que celle d’une lutte impitoyable pour en finir avec le capitalisme. Les travailleurs commencent à comprendre qu’il n’y a aucune solution possible sur la base du capitalisme.

La classe capitaliste sent qu’elle ne maîtrise plus la situation, qu’elle ne peut plus gouverner et sauvegarder ses intérêts par des moyens « démocratiques. Ses partis perdent leurs appuis dans la société et ne disposent d’aucun moyen de les retrouver. Les capitalistes doivent désormais compter sur les dirigeants « socialistes » du PASOK pour protéger leurs intérêts. En face des capitalistes se trouve une classe ouvrière exaspérée et appauvrie, le dos au mur, et qui s’est montrée capable de mobilisations immenses – treize grèves générales en dix-huit mois ! – largement appuyées, de surcroît, par les couches sociales intermédiaires, radicalisées, elles aussi, par la débâcle économique. Le 5 juin dernier, 500 000 personnes ont manifesté, malgré une véritable « guerre chimique » lancée contre les manifestants par le gouvernement. Les sondages indiquent que 81% de la population sont solidaires avec la lutte des travailleurs. Des « assemblées populaires » existent dans 64 villes. Sous une forme embryonnaire, ces assemblées constituent, l’ossature organisationnelle d’un pouvoir révolutionnaire. Depuis le début du mois de juillet, au lendemain de la grève générale de 48 heures des 28 et 29 juin, elles commencent à coordonner leurs actions. Ce qui manque à la classe ouvrière grecque, c’est un programme révolutionnaire, et un parti et une direction qui sont prêts à mener une lutte sérieuse pour le mettre en application.

Depuis le début, les directions des confédérations syndicales GSEE et ADEDY n’ont pas été à la hauteur de la situation. Les grèves générales ont convoquées sous la pression de la base, mais toujours tardivement et sans aucune coordination de la part des directions nationales. Les travailleurs non organisés du secteur privé ont été ignoré, sans la moindre tentative de les impliquer dans la grève, de même qu’aucune initiative n’a été prise pour associer les assemblées populaires et les organisations syndicales dans une lutte commune contre l’austérité. Enfin, malgré la brutalité de la police, aucun dispositif n’a été mis en place pour protéger les manifestants.

En ce qui concerne les dirigeants du PAME (le front syndical du KKE), ils ont adopté une attitude sectaire, organisant des rassemblements séparés et se refusant à toute action commune avec les assemblées populaires et avec les confédérations GSEE et ADEDY.

Finalement, le gouvernement PASOK a réussi à faire passer les mesures d’austérité, mais il a été sérieusement ébranlé. Les méthodes de répression et d’intimidation destinées à terroriser les manifestations lui ont valu l’hostilité de l’immense majorité de la population. Et même si, inévitablement, après le vote au parlement en faveur des mesures d’austérité, le mouvement de masse s’est replié, la lutte a radicalement transformé la conscience politique de plusieurs centaines de milliers de militants. La classe ouvrière grecque commence à renouer avec les traditions révolutionnaires qui ont marqué son histoire. Les militants du mouvement ouvrier sont en train de tirer les leçons de la lutte, et pointent la nécessité de formes d’organisation plus large et plus représentatives de la base, notamment par l’extension des assemblées populaires et une meilleure coordination de l’action syndicale à tous les niveaux. Ils ont pris conscience, aussi, de la brutalité répressive de l’Etat en Grèce. Enfin, après tant de grèves de 24 ou de 48 heures, ils voient la préparation d’une grève générale illimitée comme la seule façon de faire reculer le gouvernement. Une grève générale illimitée aurait tout de même des implications colossales. Elle ne peut pas être menée par de simples « appels » d’en haut, mais nécessite l’auto-organisation des masses dans les entreprises et dans les quartiers.

Malgré le repli du mouvement de masse, des mobilisations se poursuivent dans le secteur public et dans les universités. 250 écoles et universités sont occupées. Mais la masse des travailleurs est encore sous le choc du passage en force de la politique d’austérité, ce qui signifie la suppression de 200 000 emplois dans le secteur publics, ainsi que de nouvelles taxes. Ce n’est que de cette façon, prétend le gouvernement, que la Grèce évitera un défaut de paiement et le retour possible de la drachme – qui ne serait, dans les conditions actuelles, qu’une monnaie de singe.

A un certain stade, la lutte des classes reprendra son cours et atteindra sans doute un niveau de développement supérieur à celui que nous venons de vivre. L’hostilité envers la direction du PASOK de la part de la base du parti et des syndicats est évidente. Les syndicats des enseignants et des travailleurs municipaux ont rompu avec la structure syndicale du PASOK, et huit députés PASOK se sont dissociés de la politique du gouvernement. Après les prochaines élections, on ne peut pas exclure la formation d’un gouvernement de coalition entre le PASOK et la Nouvelle Démocratie. Mais sur la base de la faillite des finances publiques et un retour possible à la drachme, un tel gouvernement ne manquerait pas de provoquer une nouvelle vague de luttes.

D’énormes possibilités existent en Grèce pour le développement de la gauche, mais la direction du KKE et de Synaspismos n’ont pas un programme et une stratégie à la hauteur de la situation. La direction du KKE s’est tenu à l’écart des mobilisations de masse et refusaient même de reconnaître que les assemblées populaires avaient un caractère progressiste. Tout mouvement que la direction du KKE ne contrôle pas est suspect, à ses yeux. Le parti a avancé le mot d’ordre de « pouvoir populaire », mais ceci reste totalement abstrait tant que le parti se tient à l’écart du mouvement de masse. Les dirigeants du KKE réclame également une rupture avec l’Union Européenne et le retour de la drachme, et prétend que ceci favorisera la « prospérité nationale ». Quant à la direction de Synaspismos, elle a soutenu le mouvement, mais de façon passive. Par exemple, elle a demandé aux adhérents du parti de participer aux manifestations « à titre individuel », en tant que simples « citoyens ». Elle ne voulait pas que le parti participe de façon organisée et politique. La direction du parti place son espoir dans le recours à deseurobonds pour résoudre la crise. Mais aucune nouvelle formule d’endettement assortie de mesures d’austérité – et les eurobonds ne seraient pas autre chose – ne peut être une solution pour les travailleurs de la Grèce.

Premièrement, le mouvement ouvrier doit refuser de reconnaître la dette. La dette n’est pas celle de la classe ouvrière. C’est la dette des spéculateurs, des capitalistes et de leurs politiciens corrompus. C’est la conséquence d’un système hostile aux travailleurs et fondé sur leur exploitation. Surtout, il faut orienter le mouvement ouvrier – dans son programme et dans son action – vers la prise du pouvoir des travailleurs pour mettre fin, non seulement à la dette, mais au système qui en est à l’origine, par la nationalisation des grands moyens de production et la mise en place d’une planification démocratique de l’économie dans l’intérêt de la masse de la population. Mais il ne faudrait pas que la révolution socialiste reste limitée à la Grèce. Les mêmes problèmes se posent partout en Europe. Le socialisme en Grèce ne serait viable que si la révolution s’étend à l’Italie, à l’Espagne et à la France, à l’ensemble du continent. Une Europe débarrassée du capitalisme nous permettra d’établir une véritable coopération fraternelle entre les Etats socialistes. C’est le sens de notre programme pour une Fédération des Etats socialistes d’Europe.

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