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Merkel Sarkozy

L e « plan de sauvetage » de la Grèce, où il était surtout question de sauver les intérêts des banques allemandes et françaises, n’a pas permis de réduire la dette publique du pays. La politique d’austérité assortie à ce plan a plongé le pays dans la récession. Mais la crise n’est pas limitée à la Grèce, ni même à l’Irlande, au Portugal ou à l’Espagne. Elle frappe l’ensemble de l’économie européenne. De nombreux pays – dont l’Allemagne, censée être le « moteur » de l’économie européenne – ont des taux de croissance proches de 0 %.

Pour défendre leurs profits (et rien d’autre ne leur importe), les capitalistes ont lancé une offensive dévastatrice contre les conditions de vie des travailleurs et de la masse de la population. De leur point de vue, il n’y a pas d’alternative. Il leur faut absolument tenter d’écarter la menace qui pèse sur la valeur des monnaies, sur la valeur de leurs biens, sur la solvabilité des banques, sur leurs marges de bénéfices – en un mot, sur l’accumulation du capital, qui constitue la force motrice de leur système. Il faut réduire par tous les moyens possibles la part des richesses qui revient aux travailleurs et à la masse de la population, ce qui implique la destruction de toutes les conquêtes sociales du passé. Nous soulignons cette réalité parce que de nombreux dirigeants de gauche, en France et ailleurs, présentent la régression sociale comme la conséquence des « choix idéologiques » des gouvernements et des capitalistes. Bien évidemment, les capitalistes, comme les gouvernements, ont leur idéologie. Mais cette politique destructrice répond avant tout à une nécessité objective. Il s’agit de défendre le profit. Et sous le capitalisme, le profit est la seule justification de la production et de l’activité économique en général. Tant que ce système durera, il n’en sera pas autrement.

Une crise de surproduction

Karl Marx a expliqué le mode de fonctionnement du système capitaliste. La crise actuelle découle précisément des contradictions qu’il a mises en évidence. Elle constitue une réponse sans appel à tous les apologistes et propagandistes du capitalisme – que ce soit dans le monde politique, dans l’industrie médiatique ou dans les universités – pour qui le marché agit comme une « main invisible » qui résout tous les problèmes économiques et sociaux. Il ne reste rien, aujourd’hui, de toutes les théories relatives au « cycle vertueux » du capitalisme. Quant aux apôtres du « trickle-down effect » (« ruissellement vers le bas »), selon lesquels l’enrichissement de la classe dominante entraînerait l’enrichissement de l’ensemble de la société, ce sont de misérables charlatans. Ces vingt dernières années, dans la foulée de l’effondrement de l’URSS, des théories de ce genre ont servi à justifier les privatisations, la déréglementation et la « flexibilité » dans l’intérêt des capitalistes. A l’époque, souvenons-nous, les classes dirigeantes triomphaient. Le « socialisme » – en réalité, une monstrueuse caricature bureaucratique du socialisme – a échoué, clamaient-elles. La restauration du capitalisme sur l’ensemble du territoire de l’ex-URSS, en Europe centrale et en Chine a livré les ressources de ces vastes territoires à la voracité des spéculateurs, ce qui était censé ouvrir une nouvelle ère de paix et de prospérité.

Inévitablement, l’expansion considérable du marché mondial, conjuguée à une augmentation exponentielle du crédit portant la masse de capitaux fictifs en circulation à des niveaux jamais connus jusqu’alors, a permis d’éviter la saturation des marchés. Or, selon la théorie économique de Marx, ce phénomène ne pouvait être que temporaire. Et à l’époque, La Riposte l’expliquait régulièrement. Mais les économistes bourgeois et toute une armée de « spécialistes » et d’« experts » ne voyaient pas les choses ainsi. Ils prétendaient que le capitalisme avait surmonté ses contradictions fondamentales. Ses possibilités étaient désormais illimitées. Les crises de surproduction, que Marx considérait comme inhérentes au capitalisme, appartenaient au passé. Le socialisme n’était plus à l’ordre du jour. Même l’existence de secteurs publics importants ne pouvait plus se justifier.

Cette vague de propagande réactionnaire a eu des conséquences – par « ruissellement », là aussi, sans doute ! – au sein du mouvement ouvrier européen. Les dirigeants sociaux-démocrates et leurs homologues syndicaux ont emboîté le pas des représentants directs de la classe capitaliste. Les partis communistes ont également été affectés, comme en témoigne le soutien de la direction du PCF aux privatisations menées sous le gouvernement Jospin. Même si l’on se qualifiait encore de « socialiste » ou de « communiste », il fallait tout « réinventer » pour tenir compte des « réalités » de l’économie de marché. Le problème n’était plus d’en finir avec le capitalisme. Il suffisait de lui apporter quelques modifications au moyen de mesures fiscales incitatives ou dissuasives. On pouvait ainsi encourager les capitalistes à réaliser de « bons investissements » et assurer le progrès, une meilleure répartition des richesses et la justice sociale.

En réalité, la restauration du capitalisme en URSS, en Chine et en Europe Centrale, tout comme l’injection dans l’économie mondiale de dizaines de milliers de milliards de dollars de capitaux fictifs, sous forme de crédits et de produits financiers dérivés, ne faisaient que masquer les lois fondamentales du capitalisme découvertes par Marx. Ces lois opéraient tout de même. La Chine, par exemple, n’est pas seulement un marché absorbant des marchandises occidentales. Elle est aussi une source de production massive – à des prix très compétitifs ! La Chine prenait des marchés à d’autres grandes puissances (y compris sur leur marché intérieur). Quant au crédit – c’est-à-direl’endettement –, il n’a d’autre fonction que d’accroître artificiellement et temporairement la demande. Tôt ou tard, les crédits contractés par les ménages, les entreprises et les Etats doivent être remboursés… avec les intérêts ! Ainsi, d’un facteur d’accroissement de la demande, le recours illimité au crédit s’est transformé en un facteur de contraction de celle-ci. Il a permis de reporter l’éclatement de la crise de surproduction, mais au prix de la rendre d’autant plus grave, car à présent qu’elle est advenue, elle s’accompagne d’une crise aigüe de l’endettement.

Voilà ce qui explique la crise du système bancaire survenue en 2008. Ce n’était pas, en premier lieu, une « crise du crédit ». Celle-ci n’était qu’une des manifestations d’une crise de surproduction, d’une saturation des marchés. Avides de paiements d’intérêts et de retours sur investissements, les banques avaient accordé un volume colossal de crédits qui, finalement, n’allaient jamais être remboursés. Aux Etats-Unis et en Europe, une faillite en cascade de banques « surexposées » et un effondrement général de la production n’ont été évités que par l’intervention des Etats. Mais en fin de compte, cette intervention n’a fait que transformer la faillite potentielle du système bancaire en une faillite potentielle des Etats. Les déficits des banques ont été résorbés au détriment des finances publiques. Or les Etats doivent trouver des prêteurs pour financer leurs déficits. Et les prêteurs veulent être certains d’être remboursés, avec les intérêts. D’où les pressions implacables pour le « redressement » des finances publiques. Les Etats sont sommés de dépenser moins sur la santé, l’éducation, les services publics, l’emploi, les salaires des fonctionnaires, les retraites et les allocations de tous. Il s’agit de garantir les profits des banques et de la classe capitaliste dans son ensemble.

Impasse

L’Italie est désormais dans le collimateur des spéculateurs. Or l’Italie est une économie autrement plus importante que la Grèce. La dette italienne s’élève à 120 % de son PIB, soit 2 000 milliards d’euros. Les Echos du 8 août dernier préviennent qu’une crise de défiance des financiers à l’égard de l’Italie « menacerait de mort la zone euro ». Le quotidien poursuit : « C’est parce que Berlin juge cette dette trop importante pour être épaulée par quelque mécanisme que ce soit qu’il a opposé ce week-end une fin de non-recevoir au plaidoyer, jeudi, du président de la Commission Européenne en faveur d’une augmentation des capacités du Fonds de soutien européen, actuellement doté de 440 milliards. » Et ce qui vaut pour l’Italie vaut aussi pour l’Espagne – sans parler du capitalisme français, qui glisse progressivement, lui aussi, vers la catastrophe. La dette publique française s’élève à 1 646 milliards d’euros, soit 84,5 % de son PIB. L’accélération de l’endettement, ces dernières années, est impressionnante. La dette publique française était de « seulement » 1 211 milliards en 2007, soit 64,2 % du PIB. Le déficit annuel, quant à lui, est passé de 50,3 milliards en 2007, soit 2,8 % du PIB, à 148,8 milliards d’euros fin 2010, soit 7,7 % du PIB. La production nationale stagne. La production industrielle se contracte. Les parts de marché de la France sont en recul à l’échelle mondiale, en Europe et même sur le marché intérieur. La balance commerciale du pays se dégrade régulièrement depuis une quinzaine d’années. En 2010, elle accusait un déficit de 52 milliards d’euros. Et sur les six premiers mois de 2011, le déficit s’élève déjà à 37,5 milliards !

Habituellement, face à un ralentissement de la production, les capitalistes baissent les taux d’intérêt des banques centrales de façon à encourager le crédit. Le crédit stimule la demande, du moins dans un premier temps. Mais désormais, cette option n’est plus ouverte aux capitalistes, car l’expansion du crédit a déjà été utilisée en amont – à des taux d’intérêt très faibles et à une échelle complètement démesurée – pour repousser l’avènement de la crise de surproduction. Le recours à des mesures « keynésiennes », qui consistent à injecter des fonds publics dans l’économie, n’est pas davantage possible. Le parasitisme des capitalistes n’a pas seulement vidé les caisses des Etats ; il les a criblées de dettes insurmontables. Le keynésianisme est mort – même s’il continue de constituer l’alpha et l’oméga des programmes réformistes.

Si les gouvernements n’agissent pas pour réduire massivement la dette publique, l’Italie et l’Espagne finiront dans la même situation que la Grèce. Et si un ou deux de ces Etats sombrent, la France suivra. Mais le problème, c’est que la politique du FMI, de la BCE, du gouvernement américain et de tous les gouvernements européens, qui consiste à imposer des coupes drastiques dans les dépenses publiques, ne résoudra rien non plus. La réduction des dépenses publiques ne fera que miner la demande et accentuer les risques de récession. Or, comme le montre parfaitement l’exemple de la Grèce, une récession aggraverait le fardeau des déficits publics. Quand l’activité économique baisse, les recettes fiscales baissent aussi.

Ainsi, quoi que fassent les capitalistes, c’est une faute. Tous les chemins mènent à la débâcle. Au fond, c’est l’expression d’une vérité qui est en train de s’imposer à l’esprit de larges masses de travailleurs et de jeunes, en Europe et au-delà : le capitalisme ne peut plus exister qu’au détriment du développement économique et social. La classe capitaliste est devenue parasitaire. Pour résoudre une crise dont elle est la cause, elle doit refouler en arrière la société tout entière. La protection du pouvoir et de la richesse des capitalistes implique, pour le reste de la société, la régression sociale permanente. Or, aucun ordre social ne peut continuer indéfiniment sur cette pente sans provoquer une révolution. La vague révolutionnaire qui a déferlé en Amérique latine et, plus récemment, dans le monde arabe, ne restera pas cantonnée à ces régions. Elle commence à entrer en Europe – via la Grèce et l’Espagne – et pourrait gagner le reste du continent beaucoup plus rapidement qu’on se l’imagine.

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