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Claudio Bellotti, rédacteur en chef du journal marxiste italien Falce Martello, est membre de la direction nationale du Parti Communiste (le PRC), en Italie. Cette interview a été réalisée quelques jours avant la démission de Romano Prodi.

Quelle est la situation politique générale, en Italie ?

Claudio Bellotti : Pendant les cinq années du dernier gouvernement Berlusconi, entre 2001 et 2006, d’énormes luttes sociales ont été menées. Puis les travailleurs ont cherché à chasser Berlusconi par la voie électorale – ce qui a failli échouer à cause de l’arrogance et du programme inepte des dirigeants de la coalition de centre gauche. Cependant, Prodi l’a finalement emporté, et les gens espéraient que les choses allaient changer.

Mais après moins de deux ans de gouvernement Prodi, son bilan était absolument négatif, et les désillusions très fortes. Aucune des lois anti-sociales mises en place par Berlusconi – par exemple sur le marché du travail – n’a été abrogée. Le gouvernement a versé d’énormes quantités d’argent dans les coffres des employeurs, notamment en allégeant la fiscalité patronale. Dans le même temps, il n’a rien fait pour la classe ouvrière et la majorité de la population en général. Il n’a augmenté les plus petites retraites que de 30 euros – soit presque rien. En fait, il y a même eu une contre-réforme des retraites, qui a prolongé celle menée, précédemment, par le gouvernement Berlusconi. L’âge de départ à la retraite a encore été repoussé. L’objectif, c’est d’ouvrir un espace au marché des retraites privées. Et le pire, dans tout cela, c’est que les directions syndicales ont été impliquées dans la préparation de cette contre-réforme.
Pour toutes ces raisons, la gauche est en crise, aujourd’hui, et tout particulièrement le PRC.

Quelle est la situation des travailleurs ?

CB : Les conditions de vie de la classe ouvrière se dégradent depuis de nombreuses années. Les syndicats ont commandé une étude qui montre qu’au cours des cinq dernières années – depuis l’introduction de l’euro – les revenus réels des salariés ont en poyenne baissé de 1900 euros par an. Quelques 7 millions de travailleurs gagnent moins de 1000 euros par mois.

Autre exemple : les accidents de travail, dont le nombre est très important. En 2006, il y a eu 1300 accidents de travail mortels – et à peu près autant en 2007. Cette question a fait irruption, en décembre dernier, lorsqu’il y a eu un gros accident dans une usine ThyssenKrupp, à Turin. Un incendie y a tué cinq travailleurs. Le jour suivant, une grève de protestation a éclaté dans l’usine. Les dirigeants de la gauche et des syndicats qui sont venus sur place ont été hués et verbalement attaqués par les salariés. Les travailleurs estimaient que tout le monde les avait abandonnés, que personne ne s’intéressait à leurs problèmes. Cela montre le fossé qui existe, dans le pays, entre la classe ouvrière et les directions syndicales.

Est-ce que le gouvernement Prodi a modifié la politique étrangère de l’Italie ?

CB : Il n’y a pas eu de changement fondamental. Ils ont dû retirer les soldats italiens de Nassirya, au sud de l’Irak. Mais ils l’ont fait en collaboration étroite avec le commandement américain, et dans le cadre d’un accord prévoyant un renforcement du contingent italien en Afghanistan. Par ailleurs, ils ont envoyé 3000 soldats italiens au Liban. L’armée italienne est également embourbée, au Kosovo, dans une situation explosive qui est la conséquence de la guerre contre la Serbie, en 1999.
En somme, le gouvernement Prodi a poursuivi la ligne d’allégeance à l’impérialisme américain. Il a notamment accepté de participer au projet américain concernant les anti-missiles. Cela a été décidé sans le moindre débat public, pas même au Parlement. Il y a enfin le projet de construire une importante base militaire américaine à Vicenza, ce qui a provoqué des mouvements de protestation massifs. Cette mobilisation n’est d’ailleurs pas terminée.

Quels objectifs la bourgeoisie italienne s’est-elle fixée ?

CB : Cela fait 15 ans que la classe dirigeante italienne cherche à résoudre un problème clé :
elle n’a pas un grand parti bourgeois solide pour mettre en œuvre sa politique. Après la dissolution de la Démocratie Chrétienne, en 1992, elle a dû s’appuyer sur des coalitions et des partis très instables. Il y a bien le parti de Berlusconi, qui est un parti bourgeois, mais c’est la propriété personnelle d’un seul bourgeois. Les capitalistes ont également dû s’appuyer sur les forces de gauche, dans les années 1990. Mais tout cela a créé des contradictions.

A cet égard, le changement principal, dans la politique italienne, c’est la récente dissolution des Démocrates de Gauche (DS) et la formation du Parti Démocratique (PD). Il ne s’agit pas simplement d’un changement de nom. Le Parti Démocratique pourrait marquer l’avènement d’un grand parti bourgeois, à travers lequel la classe dirigeante italienne mettrait en oeuvre sa politique dans les années à venir. Ce parti est déjà parvenu à gagner le soutien des principaux secteurs du monde des affaires – les banques, par exemple. Ils s’efforcent aussi – avec un certain succès, il faut le dire – de prendre le contrôle du mouvement syndical, dont ils expulsent ou marginalisent l’aile gauche.

Il ne s’agit pas juste d’un nouveau parti, comme on en a tant vu naître et disparaître aussitôt, en Italie. C’est une formation solide, et il faudra du temps avant que sa base sociale ne s’amenuise.

Quelles sont les perspectives pour la gauche et le Parti Communiste (PRC) ?

CB : Après les prochaines élections, le PRC fera face à deux partis bourgeois : le parti de Berlusconi et le Parti Démocratique. Faut-il une nouvelle coalition de centre-gauche ? Non ! Ce serait un désastre. Il est impossible de construire une force de gauche importante sans être en opposition avec le Parti Démocratique. Le PRC doit constituer un point de référence clair à gauche, une alternative claire et indépendante – même si cela doit signifier une nette baisse de notre représentation parlementaire, pour un temps. C’est le seul moyen de regagner de l’autorité parmi les masses, de retisser des liens avec la classe ouvrière. Nous devons défendre l’indépendance de classe du PRC, de la gauche et des syndicats. Ce sera l’un des principaux débats au sein du PRC et de la gauche italienne, dans la période à venir. Et nous, les marxistes, sommes déterminés à y jouer un rôle important.

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