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Jean Luc Mélenchon

La Riposte  : Quel jugement portes-tu sur les six premiers mois du gouvernement Ayrault ?

Jean-Luc Mélenchon  : Faute d’un meilleur terme, je nomme « sociale libérale » la politique de ces six premiers mois du gouvernement Ayrault. C’est celle de tout le Parti Socialiste Européen depuis Blair. Elle a conduit à l’effondrement et la capitulation sans condition de Papandréou en Grèce, premier ministre et président de l’Internationale socialiste. Cette ligne, c’est celle de François Hollande depuis les années 80, comme je l’ai montré dans mon livre Enquête de gauche. Entre le ralliement au traité Sarkozy-Merkel, le budget d’austérité, le plan Gallois, le nouveau pouvoir a mis six mois pour faire un « coming out » – dans la filiation du parti démocrate américain ou italien – qui rompt publiquement avec toutes les traditions de la gauche en France. Le Front de Gauche a bien fait de rester autonome. Ses parlementaires n’ont pas voté la confiance au gouvernement. Notre groupe a voté contre le budget de la sécurité sociale à l’Assemblée. Selon moi, il devrait en faire autant sur le budget de l’Etat.

Mais le nouveau pouvoir pose un grave problème : il détériore le rapport de force social. La victoire contre Sarkozy a été finalement très courte. Un pouvoir de gauche aurait donc dû proposer rapidement des mesures populaires profondes pour élargir sa base sociale et entrainer la société. Le devoir d’un gouvernement de gauche nouvellement élu est de créer le rapport de force avec le patronat. Au lieu de cela, Hollande et Ayrault repoussent les quelques réformes promises. Ils refusent d’amnistier les syndicalistes qui ont résisté contre la droite et ont été condamnés. Et ils traitent par le mépris et le sectarisme le Front de Gauche. Ils organisent ainsi la démobilisation de ceux qui ont permis de battre la droite. En même temps sur l’austérité, la « compétitivité » et maintenant les 35 heures, Hollande et Ayrault valident le discours du patronat. Le rapport de force se dégrade donc vertigineusement. A chaque fois, le MEDEF s’engouffre dans la brèche. Hollande et Ayrault mettent la gauche et les salariés en grand danger.

LR  : Le MEDEF fait pression pour un allègement massif des « charges patronales ». Il prétend que cela créerait des emplois. Qu’en dis-tu ?

JLM  : Le MEDEF avance ses pions car il sent que le gouvernement est faible. Mais ne nous laissons pas intoxiquer par les mots. Ce que le MEDEF appelle des « charges » est en fait des cotisations, c’est-à-dire une partie du salaire. Et le travail humain n’est pas un « coût » : il a un prix. Ce prix intègre la santé, l’éducation, la protection du travailleur contre le chômage ou la vieillesse. Surtout le travail est la seule source de richesse de la société ! Les chiffres plaident pour nous. Depuis dix ans, les exonérations de cotisations sociales ont déjà coûté 215 milliards d’euros. Et le chômage n’a cessé d’augmenter. C’est la preuve que le problème de l’économie française n’est pas le prix du travail. Le problème, c’est le coût du capital. Les entreprises dépensent deux fois plus en intérêts et en dividendes qu’en cotisations sociales patronales  ! La ponction des profits dans la richesse du pays a triplé depuis trente ans ! C’est pourquoi les marges des entreprises après dividendes sont en France les plus basses d’Europe !

Le battage sur la compétitivité est un mensonge. C’est un prétexte pour augmenter les profits. L’essentiel de notre économie souffre d’abord de l’austérité qui contracte l’activité en réduisant l’investissement public et la consommation populaire. Pour lutter contre le chômage, il faut accepter l’idée que c’est le progrès social qui crée l’activité : augmenter les salaires pour relancer l’activité socialement et écologiquement utile, relocaliser les productions, définanciariser l’économie.

Quant aux secteurs soumis à la concurrence internationale, posons les bonnes questions. Pourquoi ne protège-t-on pas nos industries contre le dumping social et écologique ? Pourquoi ne fait-on pas baisser la valeur de l’euro qui pousse Airbus à aller produire en zone dollar ? Pourquoi continue-t-on à tolérer les délocalisations au mépris de toute logique écologique et sociale en France, mais aussi dans les pays à bas coûts ? Poursuivre la course au moins-disant social avec les Allemands, les Roumains ou les Chinois est inepte socialement et économiquement. A qui vendra-t-on nos produits quand il n’y aura en France que des pauvres et des chômeurs ?

LR  : Un récent article de Médiapart rapportait que dans un certain nombre d’entreprises menacées de fermeture (Fralib, PSA, Arcelor-Mittal…), des syndicalistes se prononcent désormais pour leur « nationalisation ». Est-ce que cette idée ne devrait pas être davantage développée par le Front de Gauche, en lien avec les luttes ?

JLM  : Le programme du Front de Gauche, L’humain d’abord, propose d’étendre la propriété publique à de nouveaux secteurs, notamment le secteur bancaire ou l’énergie avec la nationalisation de Total. Mais surtout, nous voulons étendre la propriété sociale. Il faut étudier à chaque fois la forme la plus pertinente : nationalisation, coopérative ouvrière, etc.

Pour cela, nous avons proposé un droit de préemption des salariés sur leur entreprise en cas de vente et un droit de reprise en cas de départ du patron. Et chaque fois que nécessaire, l’Etat doit intervenir pour permettre ce transfert aux salariés par la réquisition, la nationalisation temporaire, et ensuite pour aider l’entreprise via un pôle public bancaire.

Le Parti de Gauche s’est par exemple prononcé pour la nationalisation de Florange ou la réquisition de Fralib et Petroplus. Mais l’expérience montre que la question de la gestion et de la stratégie industrielle ne s’arrête pas à la question de la propriété. Elle doit intégrer le pouvoir des salariés.

Et nous devons aussi réaliser la transition écologique d’un certain nombre de secteurs industriels. La réunion organisée par le Front de gauche pendant la campagne avec des syndicalistes de plusieurs entreprises menacées a montré que cet objectif écologique était un atout pour réindustrialiser. Les salariés sont ceux qui connaissent le mieux la production et l’outil industriel. Ils doivent avoir plus de pouvoir dans les entreprises, qu’elles soient publiques, sociales ou capitalistes.

LR  : Les politiques d’austérité menées en Europe ont donné lieu à des grèves et des manifestations massives, notamment en Grèce et en Espagne. Quelles perspectives pour la France, à cet égard  ?

JLM  : Les peuples grecs, espagnols, portugais luttent avec un immense courage contre l’austérité. La prise de conscience et la mobilisation sont plus avancées qu’en France. Mais l’austérité y est, pour l’instant, plus sauvagement engagée. Voilà le prix pour avoir écouté les appels aux sacrifices des sociaux libéraux ! Dans ces trois pays, les sociaux-libéraux sont responsables de cette politique. Leur discrédit est-il suffisant pour nous conduire au pouvoir ? En France, beaucoup d’électeurs ont cru que cette question pourrait se résoudre sans combat social. C’est le sens de l’élection de Hollande. Aujourd’hui, les consciences évoluent. La confrontation sociale semble inéluctable. Mais il y a beaucoup d’abattement. Mais nous restons une force de référence qui dynamise les nôtres. C’est ce qu’a montré la manifestation du 30 septembre contre le traité. C’est aussi ce que montreront les manifestations du 14 novembre en France. Cette date est une étape importante dans la convergence européenne.

LR  : En Grèce, l’ascension de Syriza au détriment du PASOK est un bouleversement dans la vie politique du pays. En France, le Front de Gauche peut, lui aussi, servir de point de ralliement politique pour ceux qui luttent contre l’austérité. Quels doivent être les axes principaux de notre lutte contre le capitalisme dans les mois à venir ?

JLM  : Les exemples de Syriza et de l’Amérique latine montrent que quand les peuples cherchent une issue, le meilleur est possible. Il n’est pas certain, mais il est possible. De ce point de vue, nous avons des atouts en France. Contrairement à d’autres pays, nous avons créé l’outil de résistance avant que la crise n’entre dans sa phase aigüe. Cet outil, c’est le Front de Gauche. Depuis quatre ans, il existe, se renforce, progresse. A chaque instant, nous devons rassembler, convaincre et mobiliser comme nous le faisons depuis 2009. La campagne présidentielle a permis un élargissement considérable, que ce soit dans la rue à la Bastille, Toulouse et Marseille, mais aussi dans les urnes avec quatre millions de voix. Nous devons poursuivre dans cette voie pour aller vers un véritable front du peuple. Construire ce Front du peuple est notre mission historique.

Pour réussir cet élargissement populaire, le Front de Gauche doit conserver son autonomie par rapport aux sociaux-libéraux. Si nous sommes identifiés de près ou de loin comme complice de la politique d’austérité, nous serons balayés car nous n’aurons plus de raison d’être. J’ajoute que nous ne convaincrons que si nous sommes capables de proposer une alternative radicale mais concrète. Nous devons affirmer sans cesse notre capacité à gouverner, à former, à partir du Front de Gauche, une majorité alternative à gauche.

Sur le plan idéologique enfin, nous devons nous opposer à la dérive austéritaire de l’Union Européenne. Faisons-en un atout et profitons-en pour poser la question de la légitimité du pouvoir de la finance et du patronat. En imposant l’austérité de façon autoritaire, les libéraux et les sociaux-libéraux poussent à faire le lien permanent entre la lutte sociale contre l’austérité et la lutte politique pour affirmer la souveraineté du peuple, dans la Nation mais aussi dans l’entreprise.


Note de la rédaction : nous commenterons prochainement cette interview.

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