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Hillary Clinton & Madeleine Albright

Dans sa campagne pour l’investiture démocrate, Hillary Clinton tente de se présenter comme la championne des droits de femmes. Elle fait appel à la solidarité féminine (« sisterhood ») et à la possibilité de devenir la première Présidente américaine. Bien qu’il y ait effectivement une couche de la jeunesse qui la perçoit comme la candidate la plus progressiste du fait de son genre, beaucoup de jeunes femmes et hommes américains voient clair dans son jeu. Ils la considèrent comme faisant partie d’un establishment qu’ils haïssent de plus en plus.

Les récentes gaffes de personnalités connues, comme Gloria Steinem et Madeleine Albright [en photo avec Hillary Clinton], n’ont fait qu’empirer les choses. Steinem, connue comme meneuse et porte-parole du féminisme de « deuxième vague » des années 60-70, a suscité l’indignation lorsqu’elle a suggéré que les jeunes femmes soutenant Bernie Sanders ne le faisaient que pour attirer l’attention des garçons. Elle s’est par la suite excusée pour ces propos sexistes, mais sans parvenir à réparer les dégâts d’une telle déclaration, qui dévoile l’hypocrisie du féminisme « libéral ». La même semaine, lors d’un autre rassemblement pro-Clinton, l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright affirmait qu’« il y a une place spéciale en enfer pour les femmes qui n’aident pas les autres femmes ». En réponse, beaucoup lui demandèrent s’il y avait aussi une place spéciale en enfer pour une femme qui, comme Madeleine Albright, a passé la majeure partie de sa carrière à servir la cause de l’impérialisme américain. Par exemple, Albright s’était rendue célèbre en déclarant que la mort d’un demi-million d’enfants irakiens, à cause des sanctions américaines, dans les années 90, en « valait la peine ». Là aussi, l’image de Clinton comme « championne des femmes » en a pris un coup.

En réalité, Hillary Clinton est une représentante du capitalisme et de l’impérialisme américains. Elle a toujours défendu avec enthousiasme les politiques et les guerres qui ont précipité des centaines de millions de femmes, à travers le monde, dans des conditions abjectes de misère et de pauvreté. La liste de ses donateurs, réunissant magnats, banquiers et riches lobbyistes, démontre très clairement son allégeance à Wall Street. Une série de conférences privées qu’elle a données à des banques de Wall Street et des firmes d’investissement telles que Morgan Stanley, Goldman Sachs et la Deutsche Bank, entre 2013 et 2015, a fait beaucoup de bruit. Ces conférences lui auraient rapporté un total de 4,1 millions de dollars en honoraires, d’après le Wall Street Journal. Comme le dit le proverbe, on ne peut servir deux maîtres à la fois. Le financement qu’elle reçoit des capitalistes signifie qu’elle devra défendre leurs intérêts, et non ceux des travailleurs et travailleuses. Si elle remporte l’élection présidentielle de novembre 2016, elle mènera des politiques d’austérité et lancera des attaques contre la classe ouvrière, ce qui va affecter particulièrement les femmes et les couches les plus fragiles de la population.

Plusieurs jeunes femmes qui se réclament du féminisme intersectionnel ont indiqué à juste titre que les femmes ne constituent pas un groupe homogène. Elles ont souligné que les intérêts et les politiques de classe d’Hillary Clinton ne vont pas dans le sens de l’intérêt de la majorité des femmes. Cependant, bien que l’intersectionnalité souligne avec raison que les gens font l’expérience de plusieurs formes d’oppression interconnectées, cette approche regarde l’oppression au niveau subjectif individuel, suggérant que ceux et celles qui appartiennent à un groupe opprimé en particulier sont dans la meilleure position pour comprendre la nature de cette forme d’oppression et sont les plus à même de la combattre. Si nous suivons cette approche jusqu’à sa conclusion logique, Clinton serait la plus qualifiée pour combattre l’oppression des femmes. Plusieurs jeunes reconnaissent que ce n’est pas le cas et se sont mobilisés autour de Bernie Sanders, parce que ses idées font écho aux sentiments anti-establishment et pro-socialiste qui grandissent dans la société américaine. Tandis que l’intersectionnalité voit toutes les formes d’oppression comme étant fondamentalement égales, la tentative de Clinton d’utiliser son genre pour augmenter ses appuis montre en pratique que la classe transcende toutes les autres formes d’oppression. Ayant compris cela, il est nécessaire de comprendre comment l’oppression des femmes a surgi de la division de la société en classes et comment aujourd’hui le capitalisme a besoin de perpétuer l’oppression des femmes.

Les femmes n’ont pas toujours été soumises aux hommes. En fait, pour la majorité de l’existence humaine, une division sexuelle du travail n’avait pas pour conséquence l’inégalité sociale et économique. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, le travail de l’une était tout aussi important que celui des autres pour la survie du groupe, et les membres d’une communauté partageaient de manière égale les fruits du travail collectif. Lorsque les humains se sont tournés vers la production agricole, il y a environ 10 000 ans, un surplus de production (plus que ce qui pouvait être consommé immédiatement) fut rendu possible pour la première fois. Au fil du temps, certains ont accumulé un surplus suffisant pour qu’ils n’aient plus à travailler et ont utilisé leur surplus pour l’offrir en compensation à d’autres (du moins suffisamment pour les garder en vie) afin qu’ils travaillent pour eux, ou pour pouvoir l’échanger contre d’autres marchandises spécialisées ; il s’agit là d’une division de la société en classes d’exploiteurs et d’exploités. Les origines de l’oppression des femmes se trouvent dans ce changement — dans la manière de produire et d’échanger. Étant donné que le travail produisant de la richesse était largement dominé par les hommes, le travail des femmes a perdu son caractère public. L’institution du mariage naquit afin de contrôler les capacités reproductives des femmes et assurer la paternité des enfants, afin que les hommes puissent léguer leur richesse à leurs descendants. Avec le développement de la propriété privée, les femmes furent confinées à la sphère domestique en tant que propriété de leurs maris pendant des milliers d’années, jusqu’au développement du capitalisme.

Le capitalisme a ramené la femme dans la sphère publique, ce qui représente en quelque sorte un pas en avant. En faisant partie de la classe ouvrière, les femmes peuvent s’organiser et demander plus de droits et de libertés que dans les époques passées. Bien sûr, cela varie d’un pays à l’autre dépendamment du niveau de développement et de l’impact du colonialisme et de l’impérialisme. Mais sous le capitalisme, les femmes sont doublement opprimées en tant que travailleuses non payées à la maison et en tant que travailleuses salariées exploitées sur leur lieu de travail. Le capitalisme a besoin du travail non payé dans la sphère domestique afin de produire la prochaine génération de travailleurs à exploiter. Par ailleurs, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes entraîne la diminution des salaires de tout le monde et fait ainsi augmenter les profits des patrons. La classe dirigeante utilise la division de la classe ouvrière selon le genre, la race et selon d’autres différences pour maintenir en place son système d’exploitation. De même, elle utilise son monopole des médias et des autres institutions culturelles pour perpétuer les discriminations et la division. Lorsque cela correspond à ses intérêts, elle octroie des concessions artificielles à certaines couches de la classe ouvrière pour gagner leur soutien et les retourner contre d’autres couches de travailleurs. C’est précisément ce que Barack Obama a fait, se présentant comme un sauveur pour les noirs américains, et c’est ce que la classe dirigeante fait avec Hillary Clinton, la présentant comme une défenseuse des femmes et des enfants.

Lorsque les marxistes affirment que la classe transcende toutes les autres formes d’oppression, nous ne voulons pas dire que cela est la pire oppression en termes de souffrance, ou que la classe ouvrière est en quelque sorte supérieure à d’autres groupes opprimés. Nous voulons simplement dire que tant que nous vivons dans une société où une petite minorité exploite la majorité, aucun groupe opprimé ne peut être réellement émancipé et il y aura toujours des inégalités systémiques. Tous les représentants de cette classe dirigeante minoritaire, quel que soit leur genre, leur race ou leur orientation sexuelle, serviront ultimement leurs intérêts de classe. Sous le capitalisme, la forme primaire d’oppression est l’exploitation du travail salarié, car le fait de payer les travailleurs moins que la valeur de leur travail est la source des profits accumulés par les capitalistes. Cela veut dire que la classe ouvrière, qui représente la majorité de la population de la plupart des pays, est dans une position unique à cause de son rôle dans la production capitaliste, rôle qui lui permet de paralyser le système.

Est-ce à dire que les marxistes suggèrent que rien ne peut être fait concernant l’oppression des femmes jusqu’à ce qu’il y ait une révolution socialiste ? Certainement pas. Les marxistes se positionnent fermement contre le sexisme, la violence et le traitement discriminatoire envers les femmes qui, combinés au racisme et aux autres formes de discrimination, ne servent qu’à diviser la classe ouvrière et à nous empêcher de nous unir contre notre oppresseur commun — discriminations qui n’ont donc aucune place au sein du mouvement. Nous soutenons l’action collective de la base pour empêcher et contrer le sexisme dans les rues, les lieux de travail et les campus. Nous soutenons les grèves des étudiantes et des étudiants, des travailleuses et des travailleurs, ainsi que la formation d’organes démocratiques pour assurer la sécurité de nos communautés. Ces initiatives doivent être menées par les organisations de la classe ouvrière, par les syndicats étudiants et ouvriers. Les marxistes soutiennent aussi toutes les réformes qui peuvent éliminer les barrières auxquelles font face les femmes, telles qu’un système de garderie universel, l’accès aux services de santé sexuelle et l’égalité salariale. Nous en appelons aux organisations de la classe ouvrière pour qu’elles consolident l’unité dans la lutte de classe, pour ces réformes et contre toutes les divisions et les attaques dirigées contre les travailleurs, qui frappent les femmes de manière disproportionnée. Tout en disant cela, nous soulignons le caractère temporaire des réformes sous le capitalisme. Le capitalisme est dans une période de déclin et il a besoin d’imposer l’austérité quand il est en crise. Nous devons lutter pour les réformes tout en les liant constamment au besoin de lutter pour le socialisme.

Malheureusement, les bureaucraties des organisations ouvrières sont souvent coupables de retenir le mouvement en arrière, arrivant ainsi à des compromis avec le patronat ou l’État afin d’éviter un conflit ouvert et pour protéger leurs positions privilégiées. Là est une des raisons qui explique pourquoi des mesures administratives, comme la parité entre les genres, ne sont pas un outil efficace pour faire avancer la cause des femmes. Car cela signifie surtout qu’une minorité de femmes parvient à des postes avantageux, tandis que peu est fait pour lutter pour de meilleures conditions pour la majorité des travailleurs, dont la moitié sont des femmes. Tandis que la participation plus active de groupes sous-représentés est un développement positif, nos représentants doivent donc être élus pour leurs politiques et leur capacité à mener une lutte véritable. Il est important de comprendre que les femmes et les autres groupes opprimés ne sont pas opprimés à cause de leur sous-représentation ; ils sont sous-représentés à cause de l’oppression systématique de notre société. De manière similaire, les opinions et représentations culturelles sexistes sont un reflet du rôle économique et social que les femmes occupent sous le capitalisme ; viser à changer les mentalités sans changer les conditions matérielles de la société ne peut pas en soi éliminer le sexisme. L’accent doit être mis sur la transformation des organisations ouvrières en véritables organes militants luttant pour le renversement du capitalisme, pour des conditions de vie qui pourront réellement émanciper les femmes et tous les groupes exploités et opprimés.

Quelles sont ces conditions ? Premièrement, nous devons éliminer le fardeau du travail domestique qui pèse majoritairement sur les épaules des femmes. Cela ne peut être fait que par la socialisation du travail domestique, en fournissant des services de nettoyage, de lavage et de restauration publics, en établissant de longs congés payés pour que les deux parents puissent élever leurs enfants, et en fournissant un système de garderie universel. De plus, nous devons mettre fin à la course désespérée aux biens matériels qui reproduit les attitudes discriminatoires. Tout le monde doit avoir accès à un emploi bien payé, à une éducation gratuite, à un logement, à un système de santé, etc. Voilà les conditions qui peuvent placer les hommes et les femmes sur un terrain matériel égal et permettre aux femmes d’être davantage impliquées dans la vie publique et dans l’administration de la société. Enfin, la propriété collective et le contrôle démocratique des médias, des institutions artistiques et culturelles et du système d’éducation pourraient fournir le contenu culturel permettant de briser les attitudes négatives envers les femmes.

Ces politiques contredisent frontalement l’impératif de profit du capitalisme et ne peuvent être mises en place qu’en nationalisant les grands leviers de l’économie et en décidant démocratiquement de l’allocation des formidables richesses disponibles, au profit de la majorité. Il y a suffisamment de ressources dans la société pour que tout le monde puisse avoir un haut niveau de vie, mais ce n’est pas le fait d’élire une femme comme Présidente ou Premier ministre dans un système capitaliste qui nous permettra d’y arriver ; c’est par la base, grâce à une lutte de classe unifiée pour le socialisme, qu’on pourra mettre en place une telle société. C’est à travers la lutte que les préjugés et les attitudes discriminatoires vont s’effondrer, les gens prenant ainsi conscience de leurs intérêts communs. La grande majorité d’entre nous est exploitée et opprimée par le capitalisme. Il est dans notre intérêt à tous de s’unir et de lutter non seulement contre l’oppression des femmes, mais aussi contre toutes les formes d’oppression. C'est seulement sur cette base que nous pourrons atteindre la véritable émancipation des femmes et éliminer toutes les formes d’exploitation, une bonne fois pour toutes.

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