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Cet article a été écrit le 28 avril 2023. Depuis, la grève des travailleurs du pétrole a continué et s’est même étendue à de nouvelles entreprises, ainsi qu’au secteur de l’électricité. Le régime a riposté par une répression accrue et des licenciements ciblés de travailleurs grévistes. Les méthodes de lutte et le programme proposés par notre camarade dans cet article restent d’une actualité brûlante pour l’avenir du mouvement.


Une grève de grande ampleur a éclaté en Iran et s’est répandue à travers le pays en moins d’une semaine. Débutée le 21 avril dans 18 usines du secteur pétrolier et gazier, elle s’est étendue jusqu’à en toucher aujourd’hui près d’une centaine, dans les secteurs minier, sidérurgique, pétrolier et gazier. Les grèves ont démarré dans la province pétrolière du Khouzistan, mais se sont rapidement propagées dans les provinces du Bouchehr, de Fars, de Kerman, d’Ispahan, de Kermanchah et de Yazd.

Grève du secteur pétrolier

Les premiers appels à la grève ont été lancés par le « Conseil pour l’organisation des manifestations des travailleurs contractuels du pétrole », une organisation ouvrière indépendante qui avait déjà mené des grèves nationales en 2020 et en 2021. Au cours du mouvement insurrectionnel de l’automne 2022, cette organisation avait même tenté de provoquer une grève générale politique. Au début de la grève actuelle, il a publié la déclaration qui affirmait notamment :

« Nous déclarons que nous poursuivrons nos grèves tant que nos revendications salariales et notre exigence de dix jours de repos pour vingt jours de travail, qui sont une nécessité physique et sociale, n’obtiendront pas satisfaction. Le Conseil pour l’organisation des manifestations des travailleurs contractuels du pétrole appelle l’ensemble des collègues travaillant dans les secteurs du pétrole, du gaz et de la pétrochimie à rejoindre les grèves, dans l’unité et la solidarité avec ceux qui les ont initiées. »

Les revendications initiales portant sur dix jours de repos par mois, une augmentation des salaires de 79 %, et l’instauration d’un salaire minimum à 20 millions de tomans (soit à peu près 430 €) ont touché une corde sensible, non seulement dans le secteur du pétrole et du gaz, mais dans l’ensemble de la classe ouvrière.

Les revendications se sont étendues en même temps que la grève. Elles incluent désormais : l’amélioration de la santé et de la sécurité au travail, l’amélioration des services de transport pour les banlieues, l’ouverture de dortoirs et de cantines, l’amélioration de la qualité de la nourriture, le paiement correct des primes d’assurance, la réduction de la journée de travail à 8 heures (au lieu de 10 actuellement), la suppression des périodes d’essai non payées de 15 jours, et l’abrogation des clauses contractuelles qui interdisent aux salariés de protester contre leurs conditions de travail. Cette grève nationale a déjà encouragé d’autres secteurs, notamment les infirmiers et les retraités, à lancer des appels à manifester.

Dans le secteur pétrolier du Khouzistan et du Bouchehr, la classe capitaliste a tenté de diviser les travailleurs sur des bases ethniques, en opposant les immigrés aux autochtones. Ces méthodes avaient déjà été utilisées pour vaincre de précédentes grèves. Les travailleurs contractuels du pétrole ont riposté par une déclaration :

« Prenez garde aux tentatives visant à nous diviser. La grève de nos travailleurs du pétrole reste forte et, heureusement, de plus en plus de collègues la rejoignent chaque jour. Mais dans le même temps, des manœuvres et une propagande réactionnaire sont utilisées pour perturber l’état d’esprit des manifestations et provoquer des divisions dans les rangs des travailleurs en lutte, qui doivent s’armer de vigilance face à ces tentatives. Des piquets de grève ouvriers ont par exemple été dispersés, dans certaines régions, au nom des Bakhtiari, des Bumi [deux groupes ethniques minoritaires], etc.[…] nous, les travailleurs, endurons les mêmes douleurs et partageons les mêmes ennemis d’un bout à l’autre du pays. Nous protestons tous contre la pauvreté, l’augmentation du coût de la vie, et les conditions de vie et de travail qui empirent chaque jour. Ce qui nous unit, ce sont les revendications communes urgentes que nous avons rassemblées, comme l’augmentation des salaires de 79 %, les dix jours de repos pour vingt jours de travail.

« Nous nous opposons à la tyrannie des investisseurs et aux lois esclavagistes des zones économiques spéciales, nous voulons démanteler le régime des entrepreneurs et nous libérer des lois esclavagistes qui régissent ces régions. Si nous parvenons aujourd’hui à satisfaire nos deux revendications urgentes grâce à la force de notre unité, nous serons tous plus puissants si nous décidons de poursuivre la lutte pour démanteler les investisseurs.[...] Nous mettons en avant nos revendications actuelles, tandis que nos autres revendications attendent encore satisfaction, mais nous continuerons à défendre ces dernières. Nous résisterons fermement à toutes les agressions, à chaque étape, dès que ce sera nécessaire. Nous appelons nos camarades à être vigilants face [aux] intrigues. »

La pression contre la grève va s’intensifier. Pour y résister, les travailleurs du pétrole s’appuient sur leur expérience pour appeler à former des comités de grève et pour convaincre politiquement les travailleurs permanents du secteur pétrolier. Mais ce n’est qu’une première étape. Le régime aura recours aux mêmes méthodes que lors des mouvements précédents. Il attaquera la grève en mettant une énorme pression économique sur les travailleurs, en essayant de les diviser sur des critères ethniques, en montant les intérimaires contre les titulaires, etc. Le régime pourrait même faire des promesses creuses à une partie des travailleurs pour endormir leur vigilance en leur donnant le sentiment d’une victoire partielle, pour ensuite entamer une campagne d’arrestations ciblées de militants.

Fin avril, le Conseil pour l’organisation des manifestations des travailleurs contractuels du pétrole a appelé à des manifestations et des grèves à l’échelle nationale pour le premier mai, pour défendre des revendications économiques et politiques. Ils affirmaient notamment leur solidarité avec les mobilisations des femmes et des minorités nationales et soulignaient la nécessité d’une grève générale pour satisfaire ces revendications.

C’est tout à fait correct. Pour ne pas répéter les erreurs des précédents mouvements, la grève nationale doit être transformée en grève générale, et porter les revendications communes de l’ensemble de la classe ouvrière. Les comités de grève locaux doivent se coordonner à l’échelle nationale et se donner pour tâche d’entraîner toujours davantage de travailleurs dans la lutte.

La situation est mûre pour une grève générale

Même s’il a réussi à vaincre le soulèvement de la jeunesse, cet automne, le régime a été incapable d’étouffer le bouillonnement révolutionnaire qui existe dans la société. Malgré sa campagne de terreur contre la jeunesse révolutionnaire et les syndicalistes indépendants, malgré l’empoisonnement volontaire de la nourriture dans les universités et les lycées, malgré les arrestations incessantes et les annonces presque continues d’exécutions, la radicalisation des travailleurs et de la jeunesse continue de s’étendre.

La classe ouvrière n’a pas participé en masse au soulèvement, car elle ne voyait pas d’alternative évidente au régime, en dehors des hypocrites de l’opposition libérale-monarchiste en exil. Malgré quelques exceptions, les grèves ont toutes fini par s’éteindre durant le soulèvement. Mais aujourd’hui, les travailleurs font à nouveau entendre leur voix.

La crise économique s’est rapidement accélérée, alors que la crise inflationniste mondiale ajoutait une pression supplémentaire sur l’économie iranienne. La hausse des taux d’intérêt étrangers et le renforcement du dollar ont continué d’assécher les réserves monétaires limitées du régime. Le toman a perdu la moitié de sa valeur en un an. Comble du ridicule, l’Iran connaît une pénurie de gaz et d’énergie, alors qu’il dispose de la deuxième réserve de gaz au monde. C’est une nouvelle preuve du caractère parasitaire de la classe dirigeante.

Pour des couches importantes de la classe ouvrière iranienne, la goutte d’eau de trop a été la décision du régime de n’augmenter les salaires que de 27 % pour le nouvel an [le 20 mars], alors que l’inflation est proche de 50 % ! Depuis, on a compté 130 grèves locales, qui ont préparé la voie pour l’actuelle vague de grèves à l’échelle nationale.

Unité des travailleurs et de la jeunesse !

Au cours des derniers mois, les organisations révolutionnaires de la jeunesse ont tenté en vain de ressusciter le soulèvement en se servant de chaque atrocité du régime pour appeler à manifester. Désormais, avec l’éclatement de la grève, la jeunesse est en train de se tourner vers la classe ouvrière, avec des déclarations de solidarité et des appels à l’action. Des groupes de jeunes révolutionnaires de plus de 32 villes ont signé une déclaration appelant à « soutenir les grèves ouvrières dirigées par les travailleurs du pétrole et de la pétrochimie », et à mettre à l’ordre du jour une grève générale pour renverser le régime de la République islamique.

Les couches les plus avancées de la jeunesse – les socialistes et les communistes – sont allées encore plus loin. Dans plusieurs universités, des affiches communistes ont été collées, dont une portant les slogans suivants : « Pain, travail, liberté – pouvoir aux shoras [les conseils ouvriers de la révolution de 1978-1979] », et « La seule solution est le soulèvement armé des masses iraniennes ». Certains ont même commencé à diffuser des tracts en soutien à la grève. Un de ces groupes révolutionnaires, nommé Peykar [du nom d’une organisation révolutionnaire des années 1970-1980], liait très justement la lutte économique avec la lutte contre le régime :

« La journée internationale des travailleurs, qui commémore l’unité et la lutte de classe du prolétariat mondial contre l’exploitation, approche. Mais cette année, elle arrive dans une situation où nous, travailleurs iraniens, nous trouvons dans un état “non officiel” de guerre de classe ! En approuvant la loi sur l’augmentation du salaire minimum, malgré l’inflation galopante, le gouvernement s’est posé comme le garant et le représentant des intérêts des capitalistes ! L’approbation du plan de “productivité” qui vise à privatiser les ressources et les services de la nation, la signature d’accords commerciaux internationaux, et l’injection de monnaies étrangères n’auront comme seul effet que de nous appauvrir et d’enrichir les capitalistes.

« De plus, l’augmentation des prix du carburant, sous couvert de “libéralisation”, et l’inflation qui va inévitablement en découler, abaissera les conditions de vie à un niveau insupportable. Notre lutte comme travailleurs ne peut plus se limiter désormais à combattre pour nos droits fondamentaux et pour une “vie décente” dans cet ordre social fondé sur l’exploitation !

« Nous n’oublions pas les fusillades de manifestations syndicales, les coups de fouet sur nos camarades dans les usines, et les décennies d’emprisonnement et de torture des militants ouvriers. Et nous savons très bien que la machine à exploiter ne nous laisse que deux options : ou bien subir comme des esclaves et nous concentrer seulement sur la production des profits, pour permettre à la roue de l’exploitation de continuer à tourner, ou bien répondre aux balles et aux arrestations par des manifestations et des grèves !

« Le soulèvement national des derniers mois et la lutte dévouée du peuple ont montré avec clarté qu’une vie honorable, sans inégalité ni tyrannie, n’est réalisable qu’en liant les différentes luttes contre les différentes formes de l’oppression. Si nous voulons en finir un jour avec cette mort à petit feu, nous devons poursuivre la lutte dans les usines et dans les rues, et planifier une voie nouvelle vers le bonheur collectif. Cela commence par l’unification des rangs innombrables des ouvriers et des travailleurs, en mettant à l’arrêt les rouages de la production, en rejoignant la lutte des femmes et des nations opprimées pour en finir avec l’inégalité, l’humiliation et l’exploitation, et pour une vie libre et équitable. Nous nous basons sur nos intérêts communs, et sur l’idée que les êtres humains de cette terre ont le droit de jouir de la protection sociale, le droit d’intervenir en politique et de prendre des décisions, le droit à la dignité humaine, et celui de déterminer leurs propres vies et leurs propres destinées.

« Notre unité – dans les zones industrielles, dans les petites et grandes usines et les ateliers, en formant des comités et des conseils d’usine et en organisant des grèves – est une étape fondamentale sur ce chemin. Quelle que soit la forme que prennent nos luttes – que ce soit dans les écoles où l’on se bat pour l’égalité des droits de ceux qui formeront la société de demain, ou sur les lieux de travail, pour des conditions de vie décentes  –, ce sont les mêmes luttes. Qu’il s’agisse de récupérer nos droits bafoués ou de mettre en garde le gouvernement, l’expansion et la propagation des grèves de masse des travailleurs contractuels du pétrole et de la pétrochimie depuis le [21 avril] marque un tournant dans la lutte des travailleurs contre les attaques effrénées des capitalistes et de leur gouvernement. S’ils obtiennent un soutien plus large, à l’échelle nationale, de la part des autres travailleurs, cela signifiera une nouvelle expérience historique dans notre lutte. Vive la grève, vive la révolution ! »

Ces méthodes montrent la voie à suivre pour le mouvement révolutionnaire : lier la lutte économique de la classe ouvrière à la nécessité de renverser du régime. Elles montrent que la jeunesse révolutionnaire a le potentiel nécessaire pour jouer un rôle important dans la transformation de la grève nationale en un mouvement de masse révolutionnaire de la classe ouvrière tout entière.

Il faut une direction révolutionnaire !

Après cinq ans de grèves à l’échelle nationale, et de nombreuses révoltes, les conditions sont mûres non seulement pour une grève nationale, mais pour préparer la voie au renversement de la République islamique. Il est de plus en plus clair, aux yeux des masses iraniennes, que le régime n’a rien à offrir d’autre que la pauvreté et la terreur. Chaque concession de la part du régime ne sera, au mieux, que temporaire, et ne servira qu’à gagner du temps pour pouvoir arrêter les travailleurs révolutionnaires.

Le principal frein au mouvement est l’absence d’une direction révolutionnaire, dotée d’un programme capable d’unir les masses, de lier les revendications économiques et politiques, et de se présenter comme une alternative ouvrière aussi bien au régime qu’à l’opposition réactionnaire soutenue par l’impérialisme occidental. La grève nationale a déjà permis de mettre en avant de nombreuses revendications économiques. Mais il faut aller plus loin et avancer de nouvelles revendications pour entraîner dans la lutte de nouvelles couches de la classe ouvrière. Cela pourrait inclure (entre autres) l’abrogation de toutes les mesures d’austérité, un vaste programme de travaux publics pour réparer et développer les infrastructures décrépies, la nationalisation sous contrôle ouvrier de toutes les entreprises privatisées, et l’introduction du contrôle ouvrier dans tout le secteur public.

Un tel programme rencontrerait un écho et gagnerait un soutien de masse. Il pourrait permettre de transformer la grève nationale en une grève générale. Mais pour réaliser ces revendications, il est aussi nécessaire de poser la question de l’abolition de la République islamique. Un mouvement massif, entraînant la masse de la classe ouvrière et de larges couches d’opprimés, serait un premier pas vers la révolution socialiste en Iran : la seule garantie pour une vie décente et digne pour tous, et un exemple pour les travailleurs de toute la planète.

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