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Porte avion

Cet article date du 30 mars 2006

Le lundi le 27 mars, un communiqué du Southcom - le commandement Sud de l’armée des Etats-Unis - annonçait que « des porte-avions de la marine américaine, déployés à partir de la côte Est des Etats-Unis, seront dans la mer des Caraïbes, pour l’opérationPartnership of the Americas, du début avril jusqu’à la fin du mois de mai 2006 ». Ce groupe d’attaque sera composé du porte-avion USS George Washington, du croiseurUSS Monterey, du destroyer USS Stout et de la frégate USS Underwood. La marine américaine enverra donc quatre navires, dont l’un transportera 60 avions de combat, et au total 6 5000 soldats, pour prendre part à un imposant exercice militaire.

Le but déclaré de l’exercice est de « renforcer les rapports militaires avec les partenaires régionaux, améliorer la préparation opérationnelle et encourager la bonne volonté ». Par « encourager la bonne volonté », il faut comprendre : envoyer un message fort au Venezuela et à Cuba. Le commandant du Southcom, le général Bantz Craddock, s’en est pris à plusieurs reprises au gouvernement du Venezuela. La décision d’envoyer dans les Caraïbes cette force militaire d’une envergure inhabituelle a été annoncée à peine deux semaines après que le général Craddock a déclaré, devant une commission sénatoriale, que le gouvernement vénézuélien est un « facteur de déstabilisation », du fait de son activité sur la scène internationale et de sa volonté d’acheter des armes, notamment à la Chine. « L’achat d’équipement militaire n’a pas été un processus transparent. C’est un facteur de déstabilisation dans une région où différents pays s’efforcent conjointement de faire face aux menaces internationales, plutôt que de se combattre les uns les autres », a-t-il dit. Et il a ajouté : « Nous ne sommes pas tout à fait convaincus que ces nombreux et imposants achats soient justifiés par une volonté de défense nationale du Venezuela. »

Lors d’une conférence de presse qu’il a tenue, en juin dernier, lors de sa visite en Uruguay, il a été encore plus précis : « Je ne considère pas Cuba comme une menace militaire pour les Etats-Unis. Mais j’y vois une influence qui crée, ou peut créer, l’instabilité et l’incertitude en Amérique latine, parce que Cuba, évidemment, est un Etat totalitaire, un Etat communiste, et au Venezuela il semble que les processus et institutions démocratiques soient en péril. Cela peut créer, encore une fois, de l’instabilité et l’incertitude dans toute la région, si ces processus sont exportés. Nous sommes donc préoccupés et nous croyons que nos voisins, dans la région, devraient l’être aussi. » Il a laissé planer une menace à peine voilée d’intervention militaire en disant : « Le volet militaire est là pour créer les conditions de réussite des autres solutions : les solutions économiques, politiques et sociales. »

Dans son récent document Strategy for National Security 2006, Washington définit clairement le Venezuela comme une cible : « Au Venezuela, un démagogue dont les poches sont pleines de l’argent du pétrole sape la démocratie et cherche à déstabiliser la région. »

Il est clair que ces exercices militaires américains doivent être compris dans ce contexte. Un article de la revue Virginian Pilot abonde dans ce sens : « La présence de porte-avions américain dans les Caraïbes sera sans doute interprétée comme un signal par les gouvernements cubain et vénézuélien », écrit Loren Thompson, de l’Institut Lexington, qui ajoute : « Le fait que nous le fassions maintenant sera interprété par Castro et Chavez comme l’indication de quelque plan ou initiative de la part des Etats-Unis. »

Le Southcom dispose déjà de plusieurs bases militaires à portée du Venezuela. Cela comprend des « zones de sécurité coopérative » à Aruba et Curaçao, près des côtes du Venezuela, mais aussi à Manta, en Equateur, et au Salvador - en plus des bases, plus grandes, à Soto Cano (Honduras), à Guantanamo (Cuba) et en Colombie. Le Southcomvient d’élaborer une nouvelle « stratégie de théâtres d’opération », dont une partie a été rendue publique. Son objectif premier est de garantir que « les approvisionnements régionaux d’énergie circulent librement sur les marchés internationaux et ne puissent pas être la cible d’agressions ». Pour atteindre cet objectif, précise le Southcom, il est essentiel d’améliorer la capacité des « forces de sécurité des pays partenaires à protéger les infrastructures névralgiques » de l’industrie énergétique dans la région. Cela vise de toute évidence le Venezuela, qui est le troisième fournisseur de pétrole des Etats-Unis.

Plusieurs des objectifs de cette nouvelle stratégie demeurent classés (non publics), mais l’objectif numéro six est d’« empêcher les Etats délinquants de soutenir des organisations terroristes ». Dans la mesure où n’y a pas d’« Etats délinquants » en Amérique latine, il ne peut s’agir que d’une référence au Venezuela, que Washington accuse - sans preuve - de soutenir les guérillas des FARC, en Colombie (qualifiées par le général Craddock de « narco-terroristes »).

En général, les grands médias capitalistes boycottent les avertissements du président Chavez à propos du danger d’intervention militaire américaine contre la révolution bolivarienne. Mais selon les informations disponibles, il s’agit d’un danger très réel. Dans le contexte actuel, alors que l’armée américaine est embourbée, en Irak, dans une guerre qu’elle ne peut pas gagner, il est peu probable que Washington déclenche une guerre ouverte contre le Venezuela. Cependant, il ne fait pas de doute que des préparatifs sont en cours. Une intervention militaire pourrait venir appuyer des revendications autonomistes artificiellement suscitées dans le Zulia, un Etat du Venezuela riche en pétrole, situé près de la frontière colombienne, et dont le gouverneur est un opposant au gouvernement central. Des politiciens de la région s’affairent depuis quelques temps à réclamer un référendum sur l’autonomie de cet Etat vénézuélien. On pourrait envisager un scénario dans lequel ils déclarent l’indépendance, unilatéralement, et demandent une intervention étrangère pour garantir leurs « droits démocratiques ». Ce type d’intervention pourrait se faire sous prétexte de « maintien de la paix » (comme c’est le cas, en ce moment, de l’intervention impérialiste en Haïti).

Ce ne serait évidemment pas une tâche facile. Chavez a déjà averti, à juste titre, que le lendemain d’une intervention militaire contre le Venezuela, l’ensemble du continent serait en flammes. L’Amérique latine connaît un virage à gauche depuis quelques années, comme en témoignent les mouvements de masse, les grèves générales, les insurrections et les élections de gouvernements que les masses considèrent comme étant de gauche, etc.

Les Etats-Unis sont très inquiets de l’impact de la révolution vénézuélienne sur le reste de l’Amérique latine. Ils accusent Chavez d’ingérence dans les élections au Pérou et au Mexique, de même qu’ils l’ont accusé d’ingérence dans les élections de décembre, en Bolivie, qui ont vu la victoire écrasante d’Evo Morales. L’accusation selon laquelle le gouvernement vénézuélien finance directement des candidats d’autres pays est évidemment sans fondement. Mais il est tout à fait vrai que la révolution bolivarienne crée de l’espoir parmi les masses ouvrières et paysannes du continent - et bien au-delà. Elle montre qu’il est possible de défier les politiques imposées par Washington. Par le passé, les événements suivaient un cours bien précis, en Amérique latine : les masses ouvrières et paysannes se mobilisaient et élisaient un gouvernement progressiste qui était aussitôt renversé par un coup d’Etat militaire orchestré par les Etats-Unis. Cela avait un effet démoralisateur sur les mouvements de masse du continent. La révolution bolivarienne a changé la donne : le mouvement populaire a fait échec à la tentative de coup d’Etat militaire contre le gouvernement Chavez, en avril 2002.

Les effets de cette révolution se font sentir non seulement en Amérique latine, mais également aux Etats-Unis, où vivent et travaillent des millions de latino-américains, qui gardent souvent des liens avec leur pays d’origine. Les centaines de milliers d’immigrants latino-américains qui, en ce moment, manifestent et font la grève pour leurs droits, aux Etats-Unis, ne resteraient certainement pas les bras croisés si les Etats-Unis s’engageaient dans une provocation militaire contre le Venezuela.

Tout cela rend la révolution bolivarienne d’autant plus dangereuse pour la classe dominante américaine. Elle se prépare systématiquement à y mettre un terme. Cela implique le sabotage économique et des pressions permanentes, par le biais des médias et de la diplomatie, pour empêcher le Venezuela de se procurer des armes. Et les exercices militaires, dans les Caraïbes, sont à la fois une menace claire et des préparatifs concrets pour une future intervention militaire.

Ainsi, il est plus que jamais nécessaire que le mouvement de solidarité avec la révolution vénézuélienne redouble d’efforts. Pas touche au Venezuela !

Le 30 mars 2006

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