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Eugène Varlin

Les révolutions de 1848 hantent encore la mémoire des parisiens lorsque, vers la fin des années 1850, Eugène Varlin (1839-1871) se lance dans l’agitation politique et syndicale. La sanglante répression de Juin 1848 et le retour en force de l’empire ont anéanti les espoirs de bon nombre de militants ouvriers dans la possibilité de collaborer, pour instaurer un régime démocratique et juste, avec la fraction des couches dirigeantes de la société qui se réclame de la république. Pour eux, comme l’écrivait alors K. Marx, "la république tricolore n’arbore plus qu’une seule couleur, celle des vaincus, celle du sang. C’est maintenant la république rouge".

C’est bien sous ce drapeau que se déroulera toute la vie d’Eugène Varlin. Il adhère rapidement aux idées du socialisme, ou plus précisément fait sienne l’idée générale d’une gestion collective et démocratique de la production par les travailleurs eux-mêmes. Par la suite, ses conceptions politiques s’affineront, sous l’influence notamment de la première Internationale, à laquelle il adhère en 1865. Mais d’emblée, ce qu’il fait de mieux, et dont il a compris toute l’urgence, c’est contribuer à l’organisation du salariat et à l’émergence de son indépendance politique.

A cette lourde tâche s’opposent deux obstacles majeurs. D’une part, le régime de Louis Napoléon s’évertue à mettre sous tutelle cette partie de la population dont les barricades de juin 1848 ont montré le courage et l’opiniâtreté. Pour ce faire, il interdit les coalitions et autres associassions ouvrières qui échappent à son contrôle et crée, dans le même temps, des organisations ouvrières de type mutualiste dirigées soit par des hommes du pouvoir, soit par des industriels. D’autre part, à l’époque, le "petit peuple" de Paris ne se compose pas exclusivement, loin s’en faut, de salariés tels qu’ils constituent aujourd’hui la grande majorité de la population française. A côté de la classe en formation des ouvriers modernes, subsistent de nombreux ouvriers-artisans, attachés non seulement à leur minutieux métier mais aussi à leur "maître", dans lequel ils continuent souvent à voir davantage le détenteur d’un savoir ou d’une tradition qu’un exploiteur.

Eugène Varlin, lui-même artisan relieur, va s’efforcer de faire tomber ces illusions. Pour ce faire, il prend la direction des grèves qui éclatent et tâche de les mener suffisamment loin de façon à ce que la résistance des employeurs aux revendications les plus élémentaires des ouvriers apparaisse clairement. Car est-ce un "bon maître" celui qui, pour grossir toujours plus son capital, refuse d’augmenter les misérables salaires de ses employés, de réduire leur temps de travail, d’abolir le travail de nuit ? Inlassablement, dans une langue aiguisée par l’expérience et les lectures, Eugène Varlin fera raisonner des questions de cet ordre.

Il en est convaincu : la lutte est engagée entre deux classes antagonistes et, par conséquent, celle des travailleurs doit avoir ses organisations propres. Dans ce domaine aussi, son talent et la justesse de ses vues sont remarquables. Les organisations mutuellistes, dont Engels raillait les défenseurs acharnés - "ils ont l’intention d’acheter la France entière avec les économies de la classe ouvrière" - reste le cadre d’activité privilégié de Varlin. Mais il en a parfaitement compris les limites, et son objectif consiste désormais à en renforcer l’indépendance à l’égard du pouvoir en place, et à les faire évoluer vers des organisations de lutte et d’éducation politiques. Ainsi, les statuts de la Société de solidarité des ouvriers relieurs de Paris, qu’il crée en 1866, évoquent la nécessité de "poursuivre l’amélioration constante des conditions d’existence des ouvriers relieurs en particulier, et, en général, des travailleurs de toutes les professions et de tous les pays, et d’amener les travailleurs à la possession de leurs instruments de travail".

En plus d’œuvrer à la radicalisation des associations ouvrières, Varlin s’efforce de les fédérer. Malgré les multiples interdictions du gouvernement et le poids des particularismes de métier, c’est un succès : le 14 novembre 1869, la Fédération parisienne des sociétés ouvrières est constituée. Plus tard, toujours sur l’initiative, entre autres, de Varlin, la Fédération s’élargira à l’échelle nationale, formant ainsi les bases de la future CGT.

C’est le même souci d’une centralisation des forces révolutionnaires qui, lors du soulèvement de la Commune, anime l’esprit et l’activité d’Eugène Varlin. Fin 1870, dans Paris affamé et assiégé par l’armée prussienne, pendant que le gouvernement provisoire négocie en coulisse la reddition de la France, le peuple commence à organiser lui-même sa défense. La garde nationale, essentiellement composée de membres issus des couches populaires, en devient le principal organe politique et militaire. Eugène Varlin, qui sent venir le combat, pousse alors à la constitution d’un Comité Central de la garde nationale, et inspire les profondes modifications de son fonctionnement démocratique : pour nettoyer la garde nationale des éléments étrangers aux revendications des travailleurs parisiens, ses dirigeants doivent désormais être élus, responsables, et révocables à tout moment.

Adolphe Thiers, alors chef du pouvoir exécutif, a pour principale mission de désarmer et de désorganiser la garde nationale. Dans la nuit du 18 mars 1871, il envoie ses troupes sur les hauteurs de Paris pour s’emparer de ses canons. C’est un échec ; les soldats fraternisent, et cette tentative de trahison pousse les Parisiens à la constitution de leur propre gouvernement : le 28 mars 1871, la Commune est proclamée. Sans être à la tête de la Commune, Eugène Varlin y joue un rôle de premier plan. Il en organise le ravitaillement, dirige la commission des finances, et, de manière générale, veille scrupuleusement au bon fonctionnement administratif d’un pouvoir qui, pour la première fois de toute l’histoire, est entre les mains du peuple. Comme l’écrit Eugène Faillet, contemporain de Varlin, "convaincu que pour mille raisons la Commune devait sombrer et qu’il y trouverait la fin de sa destinée, Varlin eut une seule pensée qui décupla ses forces : laisser à l’histoire le témoignage de la capacité des travailleurs." La Commune sombra effectivement, et Eugène Varlin avec. Le 28 mai 1871, vers la fin de la "semaine sanglante", au cours de laquelle des milliers de communards furent exécutés par les troupes de Thiers, il fut dénoncé par un prêtre, traîné dans la rue, torturé, puis fusillé.

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