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Depuis le début de la récession, en 2008, les économistes pro-capitalistes guettent avec angoisse les plus petits signes d’une reprise économique. Et ces derniers mois, ils reprennent espoir. Chaque jour, dans la presse, l’un d’entre eux croit pouvoir affirmer que « le pire est derrière nous ». Qu’en est-il vraiment ? Et quelles sont les véritables perspectives pour tous ceux – jeunes, travailleurs, retraités – qui subissent les conséquences de la crise ?

L’économie n’est pas une science exacte. Nul ne peut prévoir précisément le rythme et l’amplitude du cycle économique. Cependant, la théorie de Marx permet de comprendre les processus fondamentaux qui sont à l’œuvre, dans l’économie, et d’en anticiper la direction générale. Les marxistes ont ainsi un avantage considérable sur les économistes bourgeois, dont l’écrasante majorité n’avait pas prévu la crise actuelle. La Riposte, par contre, l’avait annoncée. Paul Krugman, prix Nobel d’économie en 2008, déclarait récemment : « Ces 30 dernières années, la théorie macro-économique a été, au mieux, spectaculairement inutile – au pire, positivement nuisible ». Voilà qui est clair !

Le capitalisme évolue par cycles. Il y aura donc inévitablement, à un certain stade, une reprise de l’activité économique. Cependant, rien de solide ne permet d’affirmer que la reprise est engagée. L’optimisme actuel de certains économistes repose uniquement sur l’observation d’un ralentissement de la chute de certains indices, au cours des derniers mois – et rien de plus. Mais surtout, il y a reprise et reprise. La profondeur de la crise et les déséquilibres vertigineux de l’économie mondiale excluent la perspective d’une expansion du capitalisme semblable aux « 30 glorieuses », après la deuxième guerre mondiale. A l’époque, la croissance économique s’accompagnait d’une amélioration sensible du niveau de vie des masses, du moins dans les pays capitalistes avancés. Aujourd’hui, ce scénario est exclu. Au mieux, la reprise sera faible, très fragile, et elle s’accompagnera d’attaques permanentes contre les conditions de vie des salariés. Dans le même temps, la valse indécente des « bonus » et autres « stock-options » mirobolants continuera, pour une petite minorité de privilégiés.

Surproduction

Pour 2010, le FMI prévoit une croissance de 0,8% aux Etats-Unis, de 1,7 % au Japon – et une contraction du PIB de 0,1%, en Europe. Ce n’est là qu’une hypothèse du FMI (qui est généralement optimiste), mais même si elle s’avère correcte, les conditions de vie de la masse de la population continueront de se dégrader. Et en attendant, les ravages sociaux de la récession se poursuivent. Le chômage s’aggrave. Les fermetures, les plans sociaux et les faillites se multiplient. Nous faisons face à une crise classique de surproduction, que les capitalistes cherchent à surmonter en détruisant massivement des forces productives. En mai 2009, l’industrie américaine tournait à 68% de sa capacité, soit 12 % de moins que la moyenne des années 1972 à 2008. En France, le chiffre est de 70%. Il y a trop de marchandises, sur le marché : telle est l’absurde réalité de ce système qui, dans le même temps, condamne plus d’un milliard de personnes à souffrir de la faim, dans le monde.

Les capitalistes ne produisent pas pour satisfaire des besoins, mais pour vendre – et vendre à un prix qui leur permet de réaliser des profits. Lorsqu’un marché est saturé, ils ferment des entreprises comme des boites d’allumettes, quitte à briser la vie de centaines de familles. Michelle Hill, consultante chez Oliver Wyman, estime que pour que l’industrie automobile américaine retrouve sa profitabilité, les constructeurs devront fermer au moins une douzaine des 53 usines de ce secteur, aux Etats-Unis. Les économistes bourgeois appellent ça une « destruction créative » !

Montagnes de dettes

Marx expliquait que le crédit, sous le capitalisme, permet d’accroître le marché au-delà de ses limites naturelles. Au moyen du crédit, les capitalistes injectent dans l’économie des richesses qui n’ont pas encore été créées, pour ainsi dire. Cela stimule artificiellement l’offre et la demande. Au cours des dernières décennies, les capitalistes se sont livrés à une orgie spéculative reposant sur des montagnes de dettes. Nombre d’entre eux croyaient enfin avoir réalisé l’idéal du capitalisme : faire de l’argent avec de l’argent, sans s’atteler à la pénible tâche de produire. D’énormes quantités de « capitaux fictifs » se sont accumulées, dans l’économie, jusqu’à ce que le château de cartes s’effondre et que nos valeureux apôtres du « libre marché », pivotant de 180°, réclament avec ferveur « une meilleure régulation des marchés ».

Les gouvernements sont alors immédiatement intervenus pour éponger les pertes colossales des banquiers. Ce faisant, ils ont ajouté des dettes aux dettes. D’après le FMI, la dette publique des dix nations les plus riches s’élèvera à 106% de leur PIB, en 2010. En 2007, ce chiffre était de 78%. Cela représente plus de 9000 milliards de dollars de dette supplémentaire, en l’espace de trois ans ! C’est sans précédant, et c’est insoutenable. Comme chacun le sait, les dettes doivent être payées, tôt ou tard – avec les intérêts. A elle seule, cette situation fait planer la menace d’une nouvelle crise majeure, qui pourrait saper la reprise avant même qu’elle ne s’engage.

Une chose est claire : les capitalistes présenteront l’addition aux travailleurs et aux classes moyennes, sous la forme de gels ou de diminutions des salaires, de coupes drastiques dans les budgets sociaux et d’une augmentation des impôts. Interviewé dans le Figaro Economie du 22 décembre, Pier Carlo Padoan, économiste en chef de l’OCDE, explique : « Pour effacer les dettes, il faudrait […] une diminution des dépenses publiques ou le relèvement des taxes. A mon avis, une diminution des dépenses ne suffira pas. Une hausse des impôts est inévitable. » Le problème, c’est que ces mesures risquent de fragiliser la demande et, en conséquence, de ruiner la perspective d’une reprise. Aussi Padoan précise-t-il : « Le G20 a mis la coordination des plans de sortie de crise en tête de son agenda de printemps. Tous les pays ne doivent pas retirer en même temps leur plan de relance, sinon cela risque de casser la reprise. Il faut fixer des priorités. »

L’idée qu’un prochain G20 puisse « coordonner les plans de sortie de crise », en « fixant des priorités » – tel pays après tel autre, etc. – nous indique que ce haut fonctionnaire de l’OCDE ne vit pas sur la même planète que nous. Car dès le début de la crise, les différents Etats ont réagi, non pas en se « coordonnant » sous la baguette de Mr Padoan, mais en criant : « chacun pour soi – et sauve qui peut ! ». En période de croissance, les classes capitalistes nationales peuvent parvenir à certains accords pour se partager le butin. Mais en période de récession, chacune cherche à tirer son épingle du jeu au détriment du voisin. D’ores et déjà, des tendances protectionnistes émergent. C’est extrêmement dangereux, d’un point de vue capitaliste. Car c’est précisément une vague de protectionnisme et de dévaluations compétitives qui, en disloquant le marché mondial, a précipité la Grande Dépression des années 30. Aujourd’hui, ce scénario catastrophe n’est pas du tout exclu. Mais même dans la « meilleure » des hypothèses, celle d’une faible reprise, les travailleurs feront face à des années de politiques de rigueur et d’attaques contre leur niveau de vie.

L’économie française

Sarkozy et ses ministres le répètent à l’envi : « l’économie française résiste mieux que la plupart de ses voisins ». Même si c’était vrai, cela ne soulagerait pas les centaines de milliers de travailleurs qui ont perdu leur travail, en 2009, pas plus que les 5 à 6 de millions personnes sans emploi ou en sous-emploi contraint, les 8 millions de pauvres et les 3,6 millions de mal-logés que compte le pays. Tous ces fléaux se sont brutalement aggravés, ces 18 derniers mois. Et malgré l’optimisme de son économiste en chef, l’OCDE prévoit que le taux de chômage officiel, en France, s’élèvera à 11,2%, fin 2010 – contre 9,8% fin 2009 et 7,5% en mars 2008. Il n’y a que l’UMP Frédéric Lefebvre, dont la fonction est d’aboyer un ton plus haut que son maître, pour s’imaginer que « le chômage est stabilisé, en France », comme il l’a déclaré en décembre dernier.

Pour claironner que « la France résiste mieux », le gouvernement s’appuie essentiellement sur le fait qu’en 2009, la contraction du PIB français (– 2,4%) serait moins sévère qu’en Allemagne (– 5,3%), en Italie (– 5,1%), en Grande-Bretagne (– 4,4%) et en Espagne (– 3,8%) [1]. Cependant, si ces chiffres soulignent la gravité de la crise qui frappe les plus importantes économies européennes, ils offrent une image statique et incomplète. Ces dernières années, par exemple, l’économie française s’est développée moins vite que les économies allemande et britannique. Aussi tombe-t-elle de moins haut. Par ailleurs, depuis 2002, l’investissement industriel français – un indice très important du dynamisme économique – stagne ou baisse. En 2009, il s’est effondré de 23%. Quelle remarquable « résistance » !

De nombreux économistes expliquent que les « prestations sociales » – allocations chômage, familiales, etc. – ont permis de soutenir la demande intérieure, en France. Mais dans ce cas, plus dure sera la chute. Car le gouvernement prépare de nouvelles attaques contre ces  prestations sociales, ainsi que des hausses d’impôts. Par ailleurs, plus d’un million de chômeurs vont perdre leurs allocations, en 2010, dont la grande majorité ne retrouvera pas d’emploi. Les prévisions officielles tablent sur 600 000 chômeurs supplémentaires, en 2010. Tout ceci pèsera sur la demande intérieure.

Mais surtout, l’économie française poursuit son long déclin, sur l’arène mondiale, notamment face à l’Allemagne, aux Etats-Unis et à la Chine. C’est un élément beaucoup plus significatif, à terme, que les statistiques du PIB en 2009. Depuis 10 ans, le solde du commerce extérieur français s’effondre. Il était déficitaire de 55 milliards d’euros, en 2008, et sera du même ordre  en 2009. Les capitalistes français perdent des parts de marché partout : dans le monde, en Europe et même sur le marché intérieur. La part du marché mondial de la France est passée de 5,3%, en 1998, à 4% en 2008, pendant que celle de l’Allemagne passait de 9,3% à 9,7%. En 2009, l’économie française réalisait 13,8% des exportations de la zone euro, contre 16% en 1997. Et ainsi de suite.

Comme nous l’avons souvent expliqué, ce déclin du capitalisme français a une conséquence incontournable : pour compenser son recul sur le marché international, la classe dirigeante française n’a d’autres choix que d’attaquer brutalement les conditions de vie et de travail de la masse de la population française. Il ne faut pas s’imaginer que les travailleurs de notre pays l’accepteront indéfiniment. Le capitalisme français est dans l’impasse. Le pays s’oriente irréversiblement vers une intensification de la lutte des classes.

[1Prévisions du FMI.

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