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Ce témoignage d’une infirmière du public date de juin 2008. Depuis, le projet de loi « Bachelot » a aggravé les menaces qui pèsent sur l’hôpital public et la qualité de ses soins.

Je suis assez catastrophée en ce moment, car dans aucun média, aucune presse, même dans les discours de nos chers politiques, personne ne parle de ce qui se passe du côté de l’hôpital public... Et pourtant, moi qui le vis de l’intérieur, je vous garantis qu’il y a de quoi sauter au plafond. Tout ce qui va suivre est un peu compliqué, peut-être, mais nécessaire pour vous expliquer ce qui se passe sur le terrain.

Je suis infirmière dans un service de Médecine adulte (Médecine interne et thérapeutique, pavillon 5, hôpital Bellevue, à St-Etienne), avec une capacité d’accueil de 21 patients, dont 95% sont mutés directement des urgences. Autrement dit, la plupart ne sont pas encore très stabilisés sur le plan médical, et ont donc besoin d’une surveillance étroite et efficace de la part des infirmiers et aides-soignants. Les femmes de ménage (ASH) ont elles aussi un rôle important, car au détour d’un couloir ou pendant qu’elles nettoient une chambre, elles peuvent être les premiers signaux d’alarme d’un patient en détresse. Sans parler de leur travail primordial pour assurer l’hygiène des services, rôle majeur dans la lutte contre les infections nosocomiales.

Je ne travaille que le jour matin-soir. Les équipes de jour et de nuit sont indépendantes. Nos équipes s’organisent de la façon suivante : 2 infirmières + 2 aides-soignantes + 1 ASH (agent des services hospitaliers), le matin ; 2 infirmières + 2 aides-soignantes + 1 ASH, le soir ; et enfin 1 infirmière + 1 aide-soignante, la nuit.

Ceci est le service minimum réglementaire pour assurer la sécurité des patients. Or il faut savoir que nous n’avons jamais de personnel en plus et que la tendance actuelle est de nous faire tourner en sous-effectif de manière presque systématique les soirs et les week-ends, soit un seul infirmier pour 21 patients.

Depuis deux mois, une de mes collègues infirmières a démissionné et n’est pas remplacée. Une autre est en arrêt de travail, qui risque d’être prolongé cet été. Elle n’est pas non plus remplacée. Nous ne sommes donc plus que 6 infirmiers au lieu de 8 à assurer un roulement sur 4 semaines, jours de semaine, week-ends et fériés compris. Alors, nous effectuons un, puis deux, puis trois week-ends supplémentaires (nous en travaillons déjà deux sur quatre habituellement) et ainsi de suite pour que le service tourne, avec des jours de repos qui sautent et des alternances de rythme incessantes. Si bien qu’il devient impossible de prévoir quoi que ce soit en dehors de la vie au CHU, sous peine de devoir annuler au dernier moment – pour cause de boulot !

Le 14 juin 2008, une autre collègue s’est arrêtée. J’étais la seule infirmière du soir, et il n’y avait personne pour prendre la relève du matin... C’est un infirmier des urgences qui a été détaché de son service pour venir dans le nôtre, et qui a assuré les soins de nos 21 patients, alors qu’il ne les connaissait pas. En outre, il a dû faire face en plus à une situation d’urgence vitale de l’un des patients...

Une des ASH, arrêtée depuis un an, est remplacée de manière très ponctuelle. Cela oblige les 3 autres ASH du service à se partager un roulement sur 4 semaines, jours de semaine, week-ends et fériés compris. Leur tâche est de nettoyer de fond en comble, tous les jours, la totalité des 16 chambres du service (vitres, mobilier, murs, WC), les bureaux médicaux, les pièces de vie (office, douche, WC, couloirs), la salle de soins...

Alors expliquez-moi comment être à la hauteur de ces exigences quand le personnel est déjà largement en sous-effectif ? L’hôpital refuse d’embaucher, car en déficit budgétaire, mais il préfère faire appel à l’intérim, qui coûte plus cher que des contractuels.

Hier, j’étais normalement en « repos », mais j’ai passé une bonne partie de ma journée à démarcher la Médecine du Travail, les syndicats et à parler avec notre chef de service, pour essayer de trouver des solutions, pour que notre direction nous entende.

Heureusement, nous sommes soutenus par notre chef de service, qui connaît la valeur de notre travail et sait que nous ne protestons pas pour rien. Il nous connaît suffisamment pour lui-même remuer ciel et terre pour qu’on s’occupe du sort des soignants à l’hôpital. Il nous soutient parce que lui-même est très inquiet de la situation et voit notre gouvernement asphyxier le service public hospitalier. Or, lui a choisi de travailler au CHU par foi en ce service public et dans le respect du serment d’ Hippocrate.

Je dors très mal et, pour être honnête, je pense au boulot constamment. J’ai peur que le stress me fasse oublier un soin, que la pression m’empêche de prendre le temps nécessaire avec un patient déprimé. J’ai peur que la fatigue me fasse faire un mauvais calcul de dose ou administrer un produit au mauvais patient... J’ai peur que ce métier que j’aime me transforme en assassin, involontairement, parce qu’on aura laissé la situation se dégrader. Parce que nous sommes tous responsables : je suis l’infirmière d’aujourd’hui, mais nous sommes tous les patients de demain. VOUS pouvez être au bout de ma seringue, ou votre mari, votre enfant, votre proche.

Je vis l’insécurité dans mon travail, alors que je le maîtrise pourtant. Mais je suis humaine avant tout.

Vous serez ceux qui pâtirez du manque de soignants dans les services : je n’aurai pas pu prendre le temps de vous donner des nouvelles du patient que vous aimez, je n’aurai pas pu gérer deux situations d’urgence à la fois... Faut-il attendre qu’il y ait des morts pour réagir et prendre conscience de ce qui se passe dans les hôpitaux ?

Aujourd’hui, j’ai besoin de vous. Merci de bien vouloir faire circuler ce témoignage de manière la plus large possible, pour informer le plus de monde possible. Si vous connaissez des personnes du monde hospitalier, journalistique, politique ou autre, n’hésitez pas à les solliciter. Il faut se mobiliser en masse pour être plus efficace. Merci pour votre attention !

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