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L’instauration d’une dictature militaire au Niger est le dernier exemple d’une série de coups d’Etat anti-français dans le Sahel, une région instable et soumise aux conséquences de multiples interventions impérialistes. Tout en utilisant une rhétorique anti-coloniale, qui rencontre un large écho à travers le continent, les nouveaux régimes issus de coups d’Etat se tournent vers Moscou pour obtenir un appui. Un nouveau front de l’opposition entre les impérialistes occidentaux et la Russie s’est donc ouvert en Afrique.

Considéré jusqu’alors comme un bastion de stabilité par les puissances occidentales, le gouvernement pro-français de Mohamed Bazoum a été renversé le 26 juillet. Cela a immédiatement provoqué une montée des tensions dans la région. Après avoir subi de nombreux revers dans de précédents coups d’Etat, de la Guinée au Soudan en passant par le Burkina Faso ou le Mali, l’impérialisme occidental et ses alliés locaux tentent frénétiquement de défendre leurs positions dans la région.

La Communauté Economique des Etats d’Afrique Occidentale (CEDEAO), menée par le Nigeria et soutenue par l’Occident, a immédiatement annoncé la mise en place de sanctions contre le Niger, notamment en coupant l’approvisionnement du pays en électricité depuis le Nigeria. Elle a également menacé d’une intervention militaire si le président Bazoum n’était pas libéré et remis au pouvoir avant le 6 août.

En réaction, les gouvernements du Mali et du Burkina Faso ont déclaré qu’« une intervention militaire contre le Niger équivaudrait à une déclaration de guerre » contre ces deux pays, tandis que la Guinée a apporté son soutien aux putschistes de Niamey. Deux blocs régionaux se sont donc constitués.

Si le régime putschiste devait se consolider au Niger, c’est son ancien maître colonial, la France, qui y perdrait le plus. Depuis l’indépendance en 1960, la France a maintenu un contrôle serré sur l’économie du Niger, et près de 1500 militaires français y sont toujours stationnés.

Malgré les menaces d’Emmanuel Macron, qui a prévenu qu’il ne tolérerait pas « la moindre attaque contre la France et ses intérêts », la réaction de Paris et des pays de l’UE s’est pour l’instant limitée à l’arrêt de l’aide économique et à l’évacuation des ressortissants européens.

Hypocrisie impérialiste

Les médias occidentaux se sont lancés dans un concert de pleurs sur le triste sort de la démocratie en Afrique. En réalité, ce sont précisément les siècles d’exploitation et d’interventions impérialistes dans la région qui ont préparé la situation actuelle.

Depuis que le Niger est devenu une colonie française dans les années 1890, il a été maintenu dans un état de dépendance économique et de pauvreté extrêmes. Plus de 41 % de la population vit sous le « seuil de pauvreté absolue » défini par la Banque mondiale à 2,25 dollars par jour. D’après l’« Index de transformation Bertelsmann », seuls 11 % de la population a accès à des infrastructures sanitaires élémentaires.

La grande majorité des Nigériens vivent une existence extrêmement précaire, sur la base de pastoralisme nomade, d’une agriculture de subsistance à la campagne ou d’un emploi dans l’« économie informelle » des villes. L’esclavage existe encore dans certaines régions du pays ; on estime que près de 7 % de la population est soumise au travail forcé.

Pourtant, le Niger est le septième producteur d’uranium au monde, et exporte aussi du pétrole et de l’or. Pas un centime de ces richesses minérales ne revient à la masse de la population nigérienne. La plus grande part des mines d’uranium du Niger sont la propriété de firmes étrangères, notamment l’entreprise française Orano (ex-Areva). Dans le même temps, « l’aide au développement », qui se monte à près de deux milliards de dollars par an, est accaparée par la bureaucratie pléthorique et corrompue de la capitale, qui gouverne en servant les intérêts de ses maîtres impérialistes.

Instabilité

A cette pauvreté effroyable s’ajoutent la désertification causée par le réchauffement climatique et les ravages provoqués par les bandes islamistes. Ce dernier fléau est le fruit des interventions impérialistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

L’intervention de l’OTAN en Libye, menée avant tout par la France – au nom de la « démocratie », bien sûr – a plongé le pays dans une barbarie marquée par la guerre civile entre seigneurs de guerre rivaux, ainsi que par des marchés d’esclaves en plein air.

Le chaos provoqué par cette intervention impérialiste ne s’est pas arrêté là. L’effondrement de l’Etat libyen a dispersé des masses d’armes et de combattants à travers le Sahara, jusque dans le Sahel. Le groupe terroriste Boko Haram a pu établir une présence permanente dans le nord-est du Nigeria, tandis que des groupes liés à l’Etat islamique et à Al-Qaeda se sont répandus au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

En 2013, le gouvernement de François Hollande a envoyé près de 1700 soldats français au Mali, pour y défendre le régime issu d’un putsch militaire l’année précédente. Cette intervention s’est transformée en une occupation, avec près de 3000 militaires français opérant aux côtés de troupes américaines dans cinq pays du Sahel.

Malgré ce déploiement de force, l’impérialisme occidental a été incapable de contenir la menace islamiste et n’a fait qu’aggraver le problème. La pauvreté et l’instabilité de la région offrent un terrain favorable au recrutement des groupes terroristes, qui proposent aux jeunes hommes sans espoir « de l’argent, des femmes, de la viande et une moto », comme le résumait un ancien combattant islamiste, interviewé par The Economist. Parallèlement, les troupes françaises et américaines sont perçues – à juste titre – comme ne se préoccupant que de leurs propres intérêts impérialistes.

Colère des masses

Une colère profonde se développe dans toute la région, nourrie en partie par l’échec de l’intervention française contre les rebelles islamistes, mais avant tout par la haine profonde que suscite l’impérialisme français et sa présence militaire. La région a connu de multiples manifestations réclamant le départ des soldats français. Au Tchad, l’an dernier, des manifestants chantaient : « le Tchad est libre et la France est partie ! »

Ces manifestations ont été souvent réprimées par les régimes armés et financés par l’aide occidentale. Au Niger, par exemple, le gouvernement « démocratique » de Bazoum a régulièrement utilisé la force pour réprimer des manifestations anti-françaises.

Mais, comme l’expliquait Marx en son temps, lorsque les corps d’hommes en arme sont continuellement requis pour défendre l’ordre établi, ils en viennent naturellement à la conclusion qu’ils devraient diriger la société eux-mêmes.

Dans ce contexte, des troubles de masse, de l’instabilité politique et des coups d’Etat étaient inévitables. C’est la conséquence directe des tentatives de l’impérialisme français pour consolider ses positions dans le Sahel. Mais en l’absence d’une direction révolutionnaire qui pourrait canaliser la colère croissante contre l’impérialisme occidental, des chefs militaires ont agi par-dessus les masses, au nom de la lutte pour l’« ordre » et la « souveraineté », et se sont appuyé sur cette colère pour se hisser au pouvoir au Mali, en Guinée, puis au Burkina Faso et enfin au Niger.

Au Mali, au Burkina Faso et au Niger, les coups d’Etat ont été suivis de manifestations de soutien, qui brandissaient des slogans anti-français. Le Mali et le Burkina Faso ont expulsé les troupes françaises. Le Mali a même retiré au français son statut de langue officielle.

Le chef du gouvernement militaire burkinabé, le capitaine Ibrahim Traoré a délibérément mobilisé le souvenir du dirigeant de la lutte anti-impérialiste Thomas Sankara. Le Premier ministre de Traoré, Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla, est un « sankariste » connu, et tous les députés ont accepté de baisser leurs salaires de moitié – en référence aux mesures semblables mises en place par Sankara.

Aucun de ces régimes n’a rompu avec le capitalisme, ni exproprié les multinationales qui exploitent la région. Pourtant, leur rhétorique anti-impérialiste rencontre un écho du fait de l’humeur révolutionnaire et de la haine profonde envers l’impérialisme occidental qui existent dans de larges couches des masses africaines.

Le rôle de la Russie

Un élément nouveau est apparu dans l’équation : l’« alternative » offerte par la Russie, qui occupe l’espace laissé vacant par l’Occident dans certaines parties d’Afrique. Les gouvernements putschistes du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont combiné leur rhétorique anti-impérialiste avec des déclarations pro-russes et les manifestations de soutien aux coups d’Etat brandissent souvent des drapeaux russes. Ce simple fait est en soi révélateur du bouleversement des relations internationales qui s’est accéléré depuis le début de la guerre en Ukraine, l’an dernier.

Le déclin relatif des impérialismes américain et européens est particulièrement visible sur le continent africain. La Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique tandis que la Russie y a graduellement établi des points d’appui dans une série de pays, notamment ceux qui étaient sous l’influence de l’impérialisme français.

Le niveau des investissements russes en Afrique reste bas en comparaison des investissements chinois, mais la fourniture d’armes et de combattants du groupe Wagner lui a apporté d’importants alliés. La Russie est d’ores et déjà le premier fournisseur d’armes de l’Afrique sub-saharienne, d’après le Stockholm International Peace Research Institute. En République Centrafricaine, les mercenaires du groupe Wagner ont permis au régime actuel de survivre, et en retour, le groupe a pris le contrôle d’une série de mines d’or et de plusieurs exploitations de bois. Le gouvernement malien a ensuite, à son tour, demandé l’aide de Wagner.

A peine sorti de sa propre tentative ratée de coup d’Etat en Russie, le chef de Wagner, Evgueni Prigojine, a salué le coup d’Etat au Niger, le qualifiant de « rien d’autre que la lutte du peuple du Niger contre ses colonisateurs ». Il a aussi offert les services (coûteux) de ses mercenaires pour lutter contre le terrorisme.

Le gouvernement de Poutine a aussi maintenu des rapports cordiaux avec Hemedti, le chef des « Forces de Soutien Rapides » (FSR) qui affrontent le gouvernement soudanais les armes à la main. Cela a permis au groupe Wagner d’utiliser les aéroports contrôlés par les FSR pour acheminer de l’or malgré les sanctions occidentales.

La guerre en Ukraine et la réaction de l’impérialisme américain ont été un point de bascule. Les tentatives des Etats-Unis et de l’OTAN pour isoler la Russie ont fait ricochet. Plutôt que regrouper les pays d’Afrique autour de l’Occident et contre la Russie, Washington a provoqué un bouleversement diplomatique sur le continent.

L’impérialisme russe a manœuvré pour tirer le maximum de cette situation. De façon très cynique, Poutine a su mettre en scène ses toutes nouvelles préoccupations « anti-coloniales ». Dans un discours de septembre dernier, il liait la guerre en Ukraine à la lutte contre l’impérialisme occidental, dont il soulignait le rôle dans « la traite négrière, le génocide des Indiens d’Amérique, le pillage de l’Inde et de l’Afrique... ».

Lors du récent sommet Russie-Afrique, qui s’est déroulé à Moscou alors même que le coup d’Etat prenait place au Niger, Poutine a cité Nelson Mandela et plusieurs dirigeants de la lutte pour la libération de l’Afrique, notamment Patrice Lumumba, le Premier ministre congolais assassiné en 1960 avec la complicité des services secrets belges et américains.

Les médias occidentaux ont tenté de minimiser ce sommet sous prétexte que moins de pays y ont participé qu’en 2019, lorsque la dernière édition s’était tenue. Il n’en reste pas moins que 19 chefs d’Etat africains ont décidé de se rendre à Moscou, alors même que les impérialistes occidentaux les soumettaient à une intense pression, et que plusieurs d’entre eux y ont prononcé des discours hostiles à l’Occident et favorables à la Russie.

Poutine a sans doute dû réprimer un sourire lorsque certains de ces dirigeants ont rendu hommage à la révolution bolchevique de 1917 et comparé son régime à l’Union soviétique. Au début de l’invasion de l’Ukraine, il avait en effet affirmé que l’existence même de l’Ukraine était une faute de Lénine et des Bolcheviks. Plus récemment, il a affirmé que la mutinerie de Prigojine était « un coup comparable à celui qui a été porté à la Russie en 1917 ».

Au-delà de la rhétorique, Poutine a aussi offert des armes, des céréales à bas prix et l’effacement de la dette aux pays africains confrontés à la hausse des prix et des taux d’intérêt. Le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgou, a annoncé récemment que la Russie était prête « à aider à améliorer les capacités de combat des forces armées algériennes ».

Qu’est-ce que tout cela signifie ?

Le coup d’Etat au Niger représente une défaite humiliante pour l’impérialisme français et pour l’Occident. Le Niger était le « dernier domino » après que la France ait dû retirer ses troupes du Mali, puis du Burkina Faso. Il ne reste plus à la France comme base militaire stable dans la région que le Tchad. Et même cette position est fragile si l’on tient compte des manifestations anti-françaises qui y sont de plus en plus nombreuses et de la guerre qui fait rage au Soudan voisin.

La perte du Niger ne menacerait pas seulement l’accès des Européens à l’or et à l’uranium de la région, il mettrait aussi en péril la construction d’un gazoduc reliant l’Algérie au Nigeria et fragiliserait donc un peu plus la sécurité énergétique de l’UE.

De plus, la France et l’UE s’appuient sur des régimes comme ceux du Niger pour tenter d’enrayer le flot de migrants en provenance d’Afrique sub-saharienne. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’Occident fasse pression du mieux qu’il le peut pour faire restaurer le régime de Bazoum.

Néanmoins, leurs marges de manœuvre sont très limitées, du fait de la profonde hostilité à l’impérialisme qui existe dans la région, mais aussi de l’alternative offerte par la Russie.

Cela a des conséquences non seulement pour l’Afrique mais de façon plus générale vis-à-vis de la crise mondiale du capitalisme. Toute expression de la lutte des masses africaines pour secouer les siècles d’oppression occidentale doit être traitée sérieusement par les travailleurs de tous les pays. Nous ne devons accorder aucune pitié à la farce corrompue de la « démocratie » pro-occidentale.

Au-delà du Sahel et de l’Afrique, ce tournant marque une nouvelle étape de la crise de l’impérialisme occidental et de la division du monde entre différentes puissances rivales.

La montée en puissance de la Chine et de la Russie a été saluée par plusieurs dirigeants africains, mais aussi par des courants de la gauche, comme une solution pour la lutte contre l’impérialisme occidental et pour assurer une véritable indépendance et le développement économique des nations pauvres et exploitées de la planète. D’après eux, la Russie mènerait une lutte progressiste pour soutenir les mouvements de libération en Afrique et devrait donc être soutenue. Comme Traoré l’a déclaré durant sa rencontre avec Poutine, qui visait à nouer des relations économiques plus serrées entre le Burkina Faso et la Russie : « nous voulons un monde multipolaire et nous voulons la souveraineté ».

Cette question est de la plus haute importance pour la lutte révolutionnaire en Afrique, et sur toute la planète. Elle requiert donc qu’on y apporte une réponse sérieuse. La Russie actuelle est-elle de la même nature que l’URSS ? Absolument pas.

L’URSS, malgré tous les crimes et les défauts du stalinisme, était un Etat ouvrier déformé, qui reposait sur une économie nationalisée et planifiée. A contrario, le régime de Poutine est capitaliste, et défend les intérêts des oligarques qui ont bâti leur fortune en dépeçant la carcasse de l’URSS et en dépouillant la classe ouvrière russe. Ses intérêts en Afrique sont purement impérialistes : accès aux ressources naturelles, aux réserves énergétiques, conquêtes de marché, de débouchés pour ses investissements et de sphères d’influence.

De même que l’Occident dissimule sa domination derrière de beaux discours sur la « démocratie » et le « développement », la Russie camoufle ses ambitions derrière des déclarations sur l’« anti-colonialisme » et la « souveraineté ». Mais ni la Russie, ni la Chine, n’ont l’intention de transmettre les vastes richesses naturelles de l’Afrique aux travailleurs du continent.

La volonté des masses africaines d’expulser l’impérialisme français est parfaitement progressiste et sera une force motrice de la révolution africaine. Mais, pour gagner ce combat, elles ne doivent compter que sur leurs propres forces, et sur l’appui de la classe ouvrière internationale, pas sur des puissances impérialistes rivales.

Seul un mouvement internationaliste et indépendant de la classe ouvrière peut détruire les Etats réactionnaires qui ont été imposés aux peuples d’Afrique, prendre en main les richesses du continent et planifier l’économie démocratiquement pour servir un intérêt commun. En Afrique comme dans le reste du monde, le choix est simple : Socialisme ou barbarie !

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