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Travailleurs français et immigrés : mêmes patrons, même combat !


La nouvelle « loi immigration » est une attaque extrêmement violente contre les droits et les conditions de vie des étrangers.

D’ici la fin du mois de janvier, le Conseil constitutionnel devrait en censurer une partie, à la demande expresse de Macron lui-même. C’est une nouvelle illustration de la fragilité de ce gouvernement, qui ne dispose pas d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale : après avoir offert une grande victoire parlementaire à l’extrême droite, le chef de l’Etat est obligé de supplier les « gardiens de la Constitution » d’en atténuer l’ampleur.

Ils y seront sans doute disposés, ne serait-ce que pour la raison suivante : en l’état, cette loi pourrait se révéler contre-productive du point de vue des intérêts de la classe dirigeante elle-même. Les capitalistes sont évidemment très favorables à la discrimination des immigrés, mais seulement jusqu’à un certain point, car pour être convenablement exploités les immigrés doivent pouvoir se loger, se soigner et disposer d’un minimum de droits.

Propagande

Cette loi est le résultat de considérations et de manœuvres essentiellement politiques ; aussi son contenu ne répond-il pas exactement aux intérêts économiques directs, immédiats, de la bourgeoisie française. Cette loi s’inscrit dans la puissante vague de propagande raciste et islamophobe qu’alimentent sans cesse les politiciens et les journalistes réactionnaires, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Cette propagande est désormais l’un des piliers centraux du régime capitaliste français, dans un contexte où les autres piliers s’effondrent ou se fissurent les uns après les autres. Pour neutraliser le développement de la lutte des classes, la bourgeoisie française a absolument besoin d’offrir les étrangers en pâture à la colère croissante des masses.

Le fait est qu’une partie de cette loi est tout simplement inapplicable. Par exemple, si les pouvoirs publics voulaient réellement expulser autant d’étrangers que ne le prévoit le texte adopté, ils devraient y consacrer des milliards d’euros par an et, au passage, embaucher un très grand nombre de fonctionnaires – alors même que la bourgeoisie française exige sans cesse une réduction drastique du nombre de fonctionnaires.

Autre petit « détail » que les fanatiques des OQTF [1], sur les plateaux de télévision, oublient soigneusement de mentionner : pour expulser les étrangers vers leurs « pays d’origine » (où souvent rien ne les attend), il faut l’accord des pays en question – dont les gouvernements ne se sentent pas tenus de contribuer bénévolement à la politique xénophobe de l’Etat français !

Le contenu de la loi

La loi Darmanin – ou Darmanin-Le Pen, plus exactement – prévoit la mise en œuvre d’une vieille revendication de l’extrême droite française : la « préférence nationale ». Si le texte est appliqué tel quel, les étrangers qui travaillent devront justifier de 30 mois de présence sur le territoire pour bénéficier des allocations familiales – et de 5 ans s’ils ne travaillent pas. Même chose pour l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA). Pour les aides au logement, les délais seraient de 3 mois (pour ceux qui travaillent) et de 5 ans (pour les chômeurs).

De manière générale, par toute une série de mesures, cette loi discrimine les immigrés sans emploi et complique leur accès à un titre de séjour, mais dans le même temps elle leur complique aussi l’accès à l’emploi.

Sans surprise, le regroupement familial est attaqué. Un étranger qui voudrait faire venir un membre de sa famille devra justifier de 24 mois de séjour régulier sur le territoire, contre 18 mois jusqu’alors. Pour obtenir une carte de résident (10 ans), les étrangers qui sont en France à la faveur du regroupement familial devront justifier d’une durée de séjour régulier de 5 ans.

La loi réhausse aussi les exigences en matière d’apprentissage de la langue française pour obtenir un titre de séjour, alors même que les centres de formation sont saturés – et même inexistants dans un certain nombre de territoires.

Parmi les dispositions qui devraient être censurées par le Conseil constitutionnel figure la « caution retour » que la loi prévoit de faire payer aux étrangers venant étudier en France. Cette somme d’argent, qui ne leur serait rendue qu’à leur départ, s’ajoute à la forte augmentation des frais d’inscription à l’université pour les étrangers, décidée en 2019.

La loi prévoit l’organisation d’un débat annuel, au Parlement, pour fixer le nombre d’étrangers – par catégorie : immigration familiale, professionnelle, etc. – autorisés à s’installer en France. Nul doute qu’un tel « débat » serait l’occasion, chaque année, d’une flambée de propagande raciste au Parlement et dans les grands médias.

Les binationaux coupables d’homicide volontaire contre une « personne dépositaire de l’autorité publique » seraient déchus de leur nationalité. Le droit du sol serait écarté en cas de condamnation pour crime. Ces deux mesures relèvent uniquement de la propagande raciste : elles visent à présenter les immigrés comme des criminels en puissance.

Une fois de plus, le droit du sol est sévèrement attaqué dans les Outre-mer. Pour qu’un enfant né en Guyane puisse en bénéficier, un de ses parents devra avoir séjourné sur le territoire pendant au moins 9 mois. A Mayotte, les deux parents devront justifier d’un séjour légal d’au moins un an.

Gérald Darmanin clame que sa loi mettra fin à l’enfermement des mineurs étrangers. La loi le prévoit en effet… sauf à Mayotte, où justement sont ordonnées la plupart des rétentions administratives d’enfants : 3135 sur 3229 en 2021, selon l’Unicef. En outre, la mesure ne concerne que les Centres de rétention administrative (CRA), et non les Locaux de rétention administrative (LRA). Heureux hasard : personne ne produit de statistiques sur les LRA !

Sur la base d’une simple accusation – sans condamnation pénale – de constituer une « menace à l’ordre public », une OQTF pourrait désormais être ordonnée contre des parents d’enfants français, des conjoints de Français et des étrangers arrivés en France après avoir atteint l’âge de 13 ans.

Pour respecter la nouvelle législation, les structures d’hébergement d’urgence devraient désormais refuser les personnes déboutées du droit d’asile ou sous le coup d’une OQTF. En conséquence, des SDF étrangers se verraient refuser un abri, cet hiver. Par contre, il sera désormais possible de prendre leurs empreintes digitales sans leur consentement !

L’Aide Médicale d’Etat

Pour obtenir le soutien des députés LR, la Première ministre a promis de réformer rapidement – et à la baisse, bien sûr – l’Aide Médicale d’Etat (AME). C’est pourtant la même Elisabeth Borne qui, la veille, qualifiait toute remise en cause de l’AME de « ligne rouge » infranchissable. Mais que pèse la santé de centaines de milliers d’immigrés face aux petits calculs cyniques d’un gouvernement aux abois ?

La droite fustige « l’appel d’air » que constituerait l’AME. En réalité, moins de la moitié des étrangers qui pourraient bénéficier de l’AME la sollicitent. Par ailleurs, les théories de « l’appel d’air » deviennent de plus en plus ridicules. Ces dix dernières années, près de 30 000 migrants se sont noyés dans la Méditerranée. Ceux qui courent ce risque, poussés par la guerre et la misère, ne choisissent pas leur destination en fonction de la composition précise du « panier de soins » auquel ils auront droit ! Mais la propagande raciste ne craint pas le ridicule ; elle s’y enfonce même avec enthousiasme.

Double jeu

La classe dirigeante française a toujours joué un double jeu vis-à-vis des travailleurs étrangers. Elle les stigmatise à des fins de diversion tout en les exploitant brutalement.

A l’origine, le texte du gouvernement jouait sur ces deux tableaux. Outre une longue série de mesures répressives et racistes, il prévoyait la régularisation automatique des travailleurs sans-papiers dans les secteurs économiques « en tension ». Mais sur l’injonction des députés LR et RN, cette mesure a été enterrée : les régularisations resteront à la discrétion des préfets.

Pour en bénéficier, les travailleurs clandestins devront justifier d’au moins 12 mois de travail sur deux ans – alors qu’il reste illégal d’employer un travailleur en situation irrégulière ! C’est pourquoi tant de clandestins travaillent « sous alias », souvent avec les papiers d’un proche. Mais avec le rétablissement du délit de séjour irrégulier, passible de trois ans d’interdiction de territoire, il leur faudra commencer par se dénoncer – et s’exposer à la peine prévue par la loi – pour entamer des démarches de régularisation.

« Une question de pain »

Le jour du vote de cette loi, à l’Assemblée nationale, les députés de la NUPES ont appelé au « sursaut » leurs « chers collègues » macronistes, au nom de « l’humanisme » et d’autres abstractions de ce genre. Sophie Binet, de la CGT, a fait de même. Mais le « sursaut » n’a pas eu lieu : la grande majorité des députés macronistes ont voté la loi. Il faut croire que, dans leurs consciences, « l’humanisme » pèse beaucoup moins lourd que leurs carrières de politiciens bourgeois.

De manière générale, on ne pourra pas combattre ce gouvernement en essayant de faire vibrer la corde « humaniste » de députés qui passent leur temps à voter des attaques brutales contre l’ensemble de la classe ouvrière (immigrée ou pas). On ne pourra pas davantage mobiliser les travailleurs contre cette « loi immigration » en déclamant de nobles abstractions sur les thèmes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Comme l’expliquait déjà Lénine, le racisme est, en dernière analyse, « une question de pain » : la propagande nationaliste prospère sur le terreau du chômage et d’une misère croissante. Dès lors, la lutte contre le racisme – sous toutes ses formes – doit être menée sur la base d’un programme qui vise à en finir avec la misère et le chômage.

Le pays est assez riche pour offrir une vie digne à chaque travailleur, qu’il soit français ou immigré. En conséquence, nous devons refuser que les capitalistes choisissent quel travailleur a le droit de s’installer en France. Ce n’est pas l’immigration, mais la bourgeoisie et son système qui génèrent la pénurie d’emplois, la crise du logement et l’augmentation du coût de la vie.

Contre la politique raciste et discriminatoire de la classe dirigeante, de son gouvernement, de la droite et de l’extrême droite, les organisations du mouvement ouvrier doivent défendre une politique de classe, qui unifie dans l’action, dans la lutte, tous les travailleurs – quelles que soient leur origine et leur nationalité – sur la base d’un programme de rupture avec le système capitaliste, c’est-à-dire avec le système qui exploite, appauvrit et précarise tous les travailleurs. Seule une lutte de masse sur un programme radical, qui s’attaque directement au pouvoir et aux privilèges de la classe dirigeante, est susceptible de balayer l’influence paralysante de la propagande raciste dans une fraction de la classe ouvrière. Et aucune autre méthode ne permettra d’enrayer la progression électorale de l’extrême droite.


[1] « Obligation de quitter le territoire français » : c’est le nom de la mesure administrative – délivrée par la préfecture – qui a pour objectif d’expulser une personne du territoire français.

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